<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: Textes
Affichage des articles dont le libellé est Textes. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Textes. Afficher tous les articles

samedi 13 juin 2020

George Floyd et les sophistes





Les Déclarations modernes de Droit, et notamment les Déclarations américaines et françaises, Constitution, Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, etc., sont le débouché d’une vocation universaliste remontant à la Loi biblique, comme le rappelle la forme des tables de la Déclaration de 1789, universalisme qu’exprime de la façon la plus explicite leur extension dans la Déclaration universelle des Droits de Homme de 1948.

Universalisme, donc, des deux côtés de l’Atlantique. Qu’entend-on à l’heure où le meurtre de George Floyd vient de réveiller des pays ayant en commun cet héritage issu de la Bible ? — qu'il s’agit donc d'ouvrir, et pas de la brandir ! Qu'entend-on répéter ? Que, universalistes, nos institutions ne sont pas racistes ! Certes ! Mais il s'agirait peut-être plutôt de mettre en pratique ce qu’elles disent.

Que n’entend-on pas sur l’universalisme français, sur l’égalité des Droits qui y est traditionnelle, sous-entendant que ce ne serait pas le cas aux États-Unis et que cela nous protégerait de dérives similaires…

Voilà qui ressemble bien à un déni, le même que celui auquel s’en prenait le pasteur Martin Luther King, rappelant que l’égalité des Droits est certes dans les textes américains depuis longtemps, mais que pour les "noirs", cela ressemble à un chèque sans provisions ! C’est bien beau d’avoir des textes fondateurs semblables… Mais il s'agirait peut-être de vivre ce qu'ils portent.

La leçon universaliste des Droits de l’Homme est à mettre en pratique, sans quoi toutes les dérives restent possibles, des deux côtés de l'Atlantique, jusqu’à, comme on l’entend trop, inverser l’accusation de racisme à l’encontre de celles et ceux dont le cri ne parvient pas à percer la surdité de ceux qui sous prétexte d’universalisme des textes n’entendent pas que cela ne s’incarne pas concrètement, sauf à se mettre à la place de celles et ceux dont les droits ne parviennent pas au concret de leur vie. Le bel universalisme des Droits de l'Homme n’est pas là pour rester théorique.

Sans quoi, ce qui est le droit de tous, l’égalité, le respect, la dignité, risque de devenir le privilège de quelques-uns, et en l'occurrence, ne nous leurrons, des "blancs". Aussi quand on entend opposer universalisme et "privilège blanc", on est bel et bien devant un sophisme, comme si le privilège en question était d'ordre ontologique — plus beau, plus fort, etc., que n'a-t-on pas entendu de cet ordre. Le "privilège" en question relève, hélas, trop souvent d'états de fait, ce qui n'en fait pas une réalité de droit !… mais de déni de droit !

Où le sophisme devient redoutable, c'est en ce qu'il débouche sur l'idée que refuser ce déni en regrettant ce privilège de fait — privilège de ne faire qu’obtenir ses droits ! — , serait être mû par une supériorité paternaliste et condescendante à l'égard de celles et ceux à qui ces droits élémentaires en civilisation des Droits de l'Homme sont de fait refusés ! Refus dont l’héritage persiste, valant en réponse les actes visant les symboles célébrant les esclavagistes d'une époque, pas si lointaine, où on déniait à leurs victimes la légitimité de la revendication, pour eux aussi, des Droits de l'Homme, portée, par ex., pour la France, par les révoltés de Saint-Domingue, entraînant, en 1794, une première abolition de l'esclavage, rétabli par des figures célébrées, hélas, jusqu'aujourd'hui ! (Malgré, ou peut-être à cause du fait incontournable de "l'accumulation primitive du capital"…)

Le sophisme s'avère alors viser, consciemment ou inconsciemment (tant l'inconscient collectif, des deux côtés de l'Atlantique, resté engoncé dans l'héritage colonial et esclavagiste, qui persiste à être nié), à ébranler la solidarité, remarquée et louée par le militant des droits civiques, le Rev. Al Sharpton dans sa prédication lors de la cérémonie funèbre en mémoire de George Floyd, Al Sharpton se félicitant de ce qui est en train de changer vu le nombre de "blancs", de jeunes "blancs" dans les manifestations contre le racisme.

Il en est de même en France. Comme on l'a alors heureusement dit, toute la République était blessée lors des récents attentats islamistes antisémites, même celles et ceux qui, non-juifs, ne risquent pas de subir des actes antisémites ; de même celles et ceux qui ne sont pas "noirs" ne risquent pas de subir la discrimination raciste, allant jusqu'au meurtre. Dans les deux cas, c'est, hélas, un "privilège" que de n'être pas visé (pas un "privilège" de droit, évidemment, mais de fait). Dans les deux cas l’invocation de l'universalisme abstrait porte contre la solidarité avec ceux pour qui l'abstraction universaliste ne porte pas son fruit au concret de leur vie. Cette belle solidarité est au contraire à encourager !

RP


vendredi 16 janvier 2009

Calvin au-delà des caricatures



truth calvin k
« Toute la somme presque de nostre sagesse, laquelle, à tout conter, mérite d'estre réputée vraye et entière sagesse, est située en deux parties : c'est qu'en cognoissant Dieu, chacun de nous aussi se cognoisse. Au reste, combien qu'elles soyent unies l'une à l'autre par beaucoup de liens, si n'est-il pas toutesfois aisé à discerner laquelle va devant et produit l'autre. Car en premier lieu, nul ne se peut contempler, qu'incontinent il ne tourne ses sens au regard de Dieu, auquel il vit et a sa vigueur : pour ce qu'il n'est pas obscur que les dons où gist toute nostre dignité ne sont nullement de nous-mesmes, que nos forces et fermeté ne sont autre chose que de subsister et estre appuyez en Dieu. D'avantage, par les biens qui distillent du ciel sur nous goutte à goutte, nous sommes conduits comme par petis ruisseaux à la fontaine. » — Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, Livre I, chapitre Premier, § 1.






Cf. :
Calvin et les manuels scolaires…
Calvin et la Loi de la liberté
La résurrection du Christ
Année Calvin. Un cheminement intéressant...
Pourquoi Calvin aujourd’hui ?
Obsession Calvin
Une Alliance qui ne peut être rompue



mercredi 15 octobre 2008

Dans l'actualité





« La statue était immense et d’une splendeur extraordinaire. Elle était debout devant toi, et son aspect était terrible.
La tête de cette statue était d’or pur ; sa poitrine et ses bras étaient d’argent ; son ventre et ses cuisses étaient de bronze ;
ses jambes, de fer ; ses pieds, en partie de fer et en partie d’argile.
Tu regardais, lorsqu’une pierre se détacha sans le secours d’aucune main, frappa les pieds de fer et d’argile de la statue et les réduisit en poussière.
Alors le fer, l’argile, le bronze, l’argent et l’or furent pulvérisés ensemble et devinrent comme la balle qui s’échappe d’une aire en été; le vent les emporta, et nulle trace n’en fut retrouvée. »
(Livre de Daniel, ch. 2, v. 31-35)




mercredi 14 mai 2008

Anges



« [Bowman] se trouvait en fait pris dans toute une hiérarchie d’intelligences dont certaines étaient assez voisines de son propre niveau primitif pour servir d’interprètes. »
A.-C. Clarke, 2010 : Odyssée deux, in 2001-3001. Les odyssées de l’espace, éd. Omnibus, p. 326.

Où, par le biais de la théorie de l'évolution et du thème des extra-terrestres, A.-C. Clarke franchit le Rubicon au-delà duquel il retrouve et rejoint tout simplement l'angélologie la plus classique et médiévale... Cf. Thomas d'Aquin :

« La supériorité de l’intelligence sur les sens fait raisonnablement conclure à l’existence d’êtres incorporels que l’intelligence seule peut appréhender. »
Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Ia, qu. 50, a. 1, resp.

« L’ange est nommé “intelligence” et “esprit” parce qu’il n’a en lui que la connaissance intellectuelle ; tandis que la connaissance de l’âme humaine est en partie intellectuelle et en partie sensible. »
Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Ia, qu. 54, a. 3, ad 1um.



Tangerine dream - Rubycon (1975)




jeudi 3 avril 2008

Chaos et “esprit tétramorphe”




I (*) - Le tétramorphe représente les « Quatre Vivants », les quatre animaux ailés « tirant » le char de la vision d'Ézéchiel (Ez 1, 1-14) et que l'on retrouve de façon assez similaire dans l'Apocalypse de Jean (ch. 4, 7-8).

Plus tard les Pères de l'Église en ont fait l'emblème des quatre évangélistes : le lion pour Marc, le taureau pour Luc, l'homme pour Matthieu et l'aigle pour Jean. Ils accompagnent souvent les représentations du Christ en majesté.

- L’homme représente Matthieu : l'évangile de Matthieu débute par la généalogie humaine de Jésus.
- Le lion représente Marc : dans les premières lignes de l'évangile de Marc, Jean-Baptiste prêche au désert, lieu des animaux sauvages.
- Le bœuf représente Luc : aux premiers versets de son évangile, il fait allusion à Zacharie qui offre un sacrifice à Dieu ; dans le bestiaire traditionnel, le bœuf est signe de sacrifice.
- L’aigle représente Jean : le quatrième évangile commence par la préexistence céleste de la Parole qui vient en Jésus-Christ.


st-trophime.jpg
St-Trophime d'Arles



Le tétramorphe dans la Bible


La vision d'Ézéchiel

Dès les premières lignes de sa prophétie, Ézéchiel (Ez 1, 1-14) décrit une vision : « le ciel s'ouvrit et je fus témoin de visions divines » (Ez 1, 1). « Au centre, je discernais quelque chose qui ressemblait à quatre êtres vivants » (Ez 1, 5).

« Ils avaient chacun quatre faces et chacun quatre ailes (...) leurs sabots étaient comme des sabots de bœuf » (Ez 1, 6-7). « Quant à la forme de leurs faces, ils avaient une face d'homme, et tous les quatre avaient une face de lion à droite, et tous les quatre avaient une face de taureau à gauche, et tous les quatre avaient une face d'aigle » (Ez 1, 10).

Il s'agit de quatre animaux identiques dotés chacun de quatre pattes de taureau, de quatre ailes d'aigle, de quatre mains humaines et de quatre faces différentes d'homme, de lion, de taureau et d'aigle. Ces quatre animaux ont leur place au pied du trône de la gloire de Dieu.


L'Apocalypse

Le livre de l'Apocalypse (4, 7-8) relate une vision dont la parenté avec celle d'Ézéchiel est évidente. Les Vivants sont au milieu du trône et autour de lui. mais ils ne sont plus identiques et ils sont beaucoup moins hybrides : ce sont, dans l'ordre, un lion, un taureau, un homme et un aigle. Ils ont chacun six ailes et ils sont recouverts d'une multitude d'yeux.

Ils ne cessent de répéter jour et nuit : « Saint, Saint, Saint, Seigneur, Dieu Maître de Tout, qui était qui est et qui vient. »



Le tétramorphe dans l'Antiquité


Ces quatre figures des quatre vivants remontent à la nuit des temps. On les trouve en particulier en Égypte et à Babylone en Mésopotamie. Ce sont sans doute les conceptions babyloniennes qui sont en arrière-plan des visions d'Ézéchiel retrouvées par l'auteur de l'Apocalypse. C'est Irénée de Lyon, au IIe siècle, soit de nombreux siècles après leurs premières apparitions, qui le premier a identifié ces quatre vivants aux quatre évangélistes.


Égypte

En Égypte ils étaient « les quatre gardiens du Créateur ». représentés dans plusieurs temples dont celui d'Erfou. Voici ce qu'en dit Nadine Guilhou, égyptologue à l'université de Montpellier.

« De son côté, pressentant lui aussi des combats, le créateur résolut de créer à partir de lui-même quatre gardiens. L'un avait les apparences d'un rapace. Le visage encadré d'ailes, il portait un harpon. On le nomma "Seigneur du harpon". Le deuxième était un lion puissant ; il portait un couteau. C'était le "Seigneur du couteau". Le troisième, un serpent, brandissait un poignard. On le dénomma "celui dont la terreur est grande". Le quatrième, enfin, portait aussi un couteau, c'était un taureau et son nom fut : "celui dont le rugissement est puissant".

Ces quatre gardiens se subdivisèrent en quatre compagnies, les lions au nord, les serpents à l'est, les faucons au sud, les taureaux à l'ouest. Munis de leurs armes, ces génies gardiens constituaient à Edfou, le rempart vivant du Créateur. Ils se figèrent autour de lui, constituant la mer d'enceinte de son temple. Et c'est ainsi que fut créée la demeure de Rê, semblable à l'horizon du ciel, immense, où il pouvait séjourner pendant des millions de millions d'années. »


Babylone

À Babylone, ils représentaient quatre divinités secondaires. Ils figuraient les quatre points cardinaux et dans l’astrologie des civilisations mésopotamiennes, ils symbolisent les quatre signes fixes du zodiaque.




II - « Chaos tétramorphe » cathare


Homme, oiseau, poisson, quadrupède.

On retrouve dans un texte de polémique anti-cathare du XIIe siècle, le De heresi catharorum in Lombardia : un quadrupède, rappelant les quadrupèdes bibliques — si ce n’est qu’ici le tétramorphe est nettement négatif, esprit du chaos.

Quatre figures : lion & taureau/bœuf) ; l’homme, l’oiseau (aigle). Plus le poisson.

Figure du chaos, ce qui peut évoquer le chaos des quatre éléments — créés par Dieu ! pour le texte bogomile reçu par plusieurs groupes cathares, l’Interrogatio Iohannis — ; les quatre éléments à partir desquels « Sathanaël » déchu façonne la création (feu – homme ? ; air – oiseau ; eau – poisson ; terre – quadrupède ?).

Ce « mauvais esprit tétramorphe […] habitait au fond du chaos, il existait par lui-même sans avoir été créé (sine principio), mais il n’avait pas lui-même le pouvoir de créer. C’est à son instigation que Lucifer, descendu jusqu’à l’abîme, aurait décidé de se rebeller contre Dieu » (cf. M. Roquebert, La religion cathare, éd. Perrin, p. 134).

*

tetramorphe-evangeliaire-avignon-11e-s.jpg
Évangéliaire, XIe siècle (Avignon)




Alors qu’on retrouve le thème du tétramorphe, symbolisant les évangiles, aux quatre coins de la chrétienté : en Italie, Égypte copte, Nubie, Éthiopie... dans les arts carolingiens, mozarabes... inspirant une multitude d'artistes — avec au terme de ce voyage, l'art de la fin du Moyen Age, l'art roman, qui connaît une floraison d'images inspirées des Quatre Vivants — les Quatre Vivants se meurent au XIIIe siècle… Engloutis dans le chaos tétramorphe ?


Sur les cathares, d’autres articles ICI.



mardi 18 mars 2008

"Le soleil de justice se lèvera"




« Pour vous qui craignez mon nom, le soleil de justice se lèvera, portant la guérison dans ses rayons. » (Malachie 4, 2 / 3, 20)


« Le premier jour de la semaine, à l’aube, alors qu’il faisait encore sombre, Marie de Magdala se rend au tombeau et voit que la pierre a été enlevée du tombeau. » (Jean 20, 1)


tree.jpg


« Et de grand matin, le premier jour de la semaine, elles vont à la tombe, le soleil étant levé. » (Marc 16, 2)




Santana, "Just in Time to see the Sun"



« La cité n’a besoin ni du soleil ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de Dieu l’illumine, et son flambeau, c’est l’agneau. » (Apocalypse 21, 23)



vendredi 14 mars 2008

Ténèbres




terre.jpg



« Depuis la sixième heure
jusqu’à la neuvième heure
il y eut des ténèbres sur toute la terre. »
(Matthieu 27, 45)





samedi 23 février 2008

Le temps du paradoxe




picasso_lorateur1.jpg
Picasso, L'orateur



« Il est écrit :
Je détruirai la sagesse des sages, Et j’anéantirai l’intelligence des intelligents.
Où est le sage ? où est le scribe ? où est le raisonneur de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde ?
Car puisque le monde, avec sa sagesse, n’a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient. […]


Car la folie de Dieu est plus sage que les hommes, et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes.
Considérez, frères, qui vous êtes, vous qui avez reçu l’appel de Dieu : il n’y a parmi vous ni beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de gens de bonne famille.
Mais Dieu a choisi les choses folles du monde pour confondre les sages; Dieu a choisi les choses faibles du monde pour confondre les fortes;
Dieu a choisi les choses viles du monde, celles qu’on méprise, celles qui ne sont pas, pour réduire à rien celles qui sont,
afin que nulle chair ne se glorifie devant Dieu. »



Paul, 1 Corinthiens 1, 19-21 & 25-29.




mercredi 13 février 2008

Cioran et les ombres



« Roumain par sa naissance, Cioran, âgé de vingt-six ans, s'installe à Paris en 1937; dix ans plus tard, il édite son premier livre écrit en français et devient l'un des grands écrivains français de son temps. Dans les années quatre-vingt-dix, l'Europe, si indulgente jadis envers le nazisme naissant, se jette contre ses ombres avec une courageuse combativité. Le temps du grand règlement de comptes avec le passé arrive et les opinions fascistes du jeune Cioran de l'époque où il vivait en Roumanie font, subitement, l'actualité. En 1995, âgé de quatre-vingt-quatre ans, il meurt. J'ouvre un grand journal parisien : sur deux pages, une série d'articles nécrologiques. Aucun mot sur son œuvre ; c'est sa jeunesse roumaine qui a écœuré, fasciné, indigné, inspiré ses scribes funèbres. Ils ont habillé le cadavre du grand écrivain français d'un costume folklorique roumain et l'ont forcé, dans le cercueil, à tenir son bras levé pour un salut fasciste.

Quelque temps plus tard j'ai lu un texte que Cioran avait écrit en 1949 quand il avait trente-huit ans : "… Je ne pouvais même pas m'imaginer mon passé; et quand j'y songe maintenant, il me semble me rappeler les années d'un autre. Et c'est cet autre que je renie, tout ‘moi-même’ est ailleurs, à mille lieues de celui qu'il fut. Et plus loin : "quand je repense [...] à tout le délire de mon moi d'alors [...] il me semble me pencher sur les obsessions d'un étranger et je suis stupéfait d'apprendre que cet étranger était moi". »

Milan Kundera, Le rideau, Gallimard / Folio, 2005, p. 169-170.


        Voir ici :





dimanche 10 février 2008

Le chômage contre le repos




chaplin-temps-modernes2.jpg



Selon la Bible, la fin du travail est de se reposer (Genèse 2:3 ; Ex 20:9-10 ; Deutéronome 5:13-14).

Dans le repos, notre travail trouve son accomplissement, s'échoue dans son aboutissement spirituel, s'ouvre sur une plénitude qui le dépasse ("viens bon et fidèle serviteur" Matthieu 25:21). Avant cet accomplissement, et en vue de cet accomplissement, le travail est "passage", transformation de la matière - et de l'acteur, de celui qui agit sur la matière ; ce qui correspond à :
— l'entretien du jardin (Genèse 2:15)
— se nourrir à la sueur de son visage (Genèse 3:19).

C'est suite à cela que, selon l'Ecclésiaste, "il n'y a rien de mieux pour l'homme que de se réjouir de ses œuvres" (Ecclésiaste 3:22). C'est encore pourquoi : "tout ce que ta main trouve à faire avec ta force, fais-le" (Ecclésiaste 9:10).

Ou : "il n'y a rien de bon pour l'homme que de manger et de boire, et de voir pour lui-même le bon côté de sa peine ; mais, remarque l'Ecclésiaste, j'ai vu que cela aussi vient de la main de Dieu" (Ecclésiaste 2:24). On retrouve ainsi le rapport entre le travail et le repos comme aboutissement du travail. Et finalement le repos au sens de l'Epître aux Hébreux, repos spirituel (ch.4).

C’est là ce que l'on peut dire être la situation idéale. Mais force est de constater que de cela, on n'a généralement, au mieux, que l'aspect "sueur du visage", pour obtenir son pain et celui des siens ; avec au bout un repos agité, donnant à peine la force de recommencer une activité sur laquelle pèse la vanité d'un cycle sans fin, absurde.

C'est là le constat de penseurs modernes qui se sont penchés sur la question du travail. Pour plusieurs, le travail, au lieu d'être accomplissement de soi, satisfaction consécutive à la production d'une œuvre — devient lieu d'aliénation, de perte d'identité.

Pour une raison simple : l'ouvrier est privé de sa capacité créatrice au profit d'une production anonyme et parcellaire, cela s'accentuant avec le machinisme.

Ce qui s'illustre très éloquemment par le film de Charlie Chaplin, Les temps modernes. On y voit par exemple Chaplin visser à longueur de journée le même boulon, au point que son geste devient tic et obsession : lorsqu'il sort de son travail, au moment donc de son "repos", on le voit vissant des boulons imaginaires et poursuivant les boutons des vêtements des passants devenus d'hallucinatoires boulons.

Les temps modernes dévoilent une réalité de tous les temps : vidé de sa gratification, de son investissement spirituel, du don du sens, le travail débouche sur l'absurde.

Temps modernes — ce constat n'a en outre jamais été aussi criant qu'à une époque où les temps de loisir sont, plus qu'auparavant, larges et étendus.

Plus on a de temps libre, plus on constate que notre temps libre est vide, que notre repos est chemin de mélancolie au lieu d'être porte de plénitude.

Aussi il semble inévitable d'en arriver à cet autre constat : ultimement, le travail est vidé de sens ; une telle évacuation du sens devient le moteur d'un cycle où le travail débouche non sur le repos,… mais sur le chômage, le non-travail.

Ce sombre débouché se traduit aussi d'autres façons... que l'on peut voir comme autant de symptômes de ce que ne s'offre à nous qu'un vide cosmique. On comble ce vide de palliatifs spirituels divers, comme la drogue, les spectacles, l'alcool, l'étourdissement de la danse dans les boîtes de nuit, sur les pistes de ski, voire dans les lieux de culte enthousiastes.


Que faire devant l'impasse où débouchent les économistes ?

Et s’il s’agissait alors de reconquérir le repos, investir le repos de son sens spirituel ? Faire ainsi réapparaître cette finalité du travail qui lui donnerait suffisamment de sens pour ré exister.

Face au chômage... le repos ? (Cf. ici la même réflexion plus développée)


R.P.






“Souviens-toi du jour du repos pour le sanctifier” (Deutéronome 5).




samedi 12 janvier 2008

Sourire




ange-souriant.jpg



« Je suis un étranger chez toi,
Un résident temporaire,
comme tous mes pères.


Laisse-moi un peu de répit,
pour que je retrouve le sourire
avant de m’en aller et de n’être plus rien. »

(Psaume 39, 13b-14)






jeudi 10 janvier 2008

C'est à voir...




aef.jpg


Hébreux 12, 2

1 Nous donc aussi, puisque nous sommes environnés d’une si grande nuée de témoins, rejetons tout fardeau et le péché qui nous enveloppe si facilement, et courons avec persévérance l’épreuve qui nous est proposée,
2 les yeux fixés sur Jésus, qui est l’auteur de la foi et qui la mène à la perfection. Au lieu de la joie qui lui était proposée, il a supporté la croix, méprisé la honte, et s’est assis à la droite du trône de Dieu.


Luc 9, 28-35 & 44-45

28 Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques et monta sur la montagne pour prier.
29 Pendant qu’il priait, l’aspect de son visage changea et son vêtement devint d’une blancheur éclatante.
30 Et voici que deux hommes s’entretenaient avec lui ; c’étaient Moïse et Élie ;

31 apparus en gloire, ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem.

32 Pierre et ses compagnons étaient écrasés de sommeil ; mais, s’étant réveillés, ils virent la gloire de Jésus et les deux hommes qui se tenaient avec lui.

33 Or, comme ceux-ci se séparaient de Jésus, Pierre lui dit : “Maître, il est bon que nous soyons ici; dressons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, une pour Élie.” Il ne savait pas ce qu’il disait.

34 Comme il parlait ainsi, survint une nuée qui les recouvrait. La crainte les saisit au moment où ils y pénétraient.

35 Et il y eut une voix venant de la nuée; elle disait : “Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai élu, écoutez-le !”

36 Au moment où la voix retentit, il n’y eut plus que Jésus seul. Les disciples gardèrent le silence et ils ne racontèrent à personne, en ce temps-là, rien de ce qu’ils avaient vu.

44 “Ecoutez bien ce que je vais vous dire : le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes.”
45 Mais ils ne comprenaient pas cette parole ; elle leur restait voilée pour qu’ils n’en saisissent pas le sens; et ils craignaient de l’interroger sur ce point.



*

« Les yeux fixés sur Jésus ». Qu’est-ce à dire ? Qu’est-ce à dire depuis l’Ascension et la fin des apparitions du Ressuscité ? Pour ceux qui ont vu Jésus de sa naissance à sa mort, comme Siméon (Luc 2) dont les yeux ont vu en Jésus enfant le salut attendu, soit ! Encore qu’il fallait bien la lumière de l’Esprit saint pour reconnaître le Fils éternel de Dieu en un enfant semblable aux autres, et plus tard en un homme semblable aux autres. Mais que dire nous concernant, nous qui n’avons pas frayé avec Jésus sur les routes de Galilée ou de Judée ?…

Et même pour ceux qui ont eu ce privilège, se pose la question de la foi, de cette œuvre de l’Esprit saint qui leur fait percevoir la présence de Dieu en cet homme. « Nul n’a jamais vu Dieu », souligne l’Évangile de Jean, qui précise : « Dieu Fils unique seul l’a fait connaître. » Alors, « les yeux fixés sur Jésus », qu’est-ce à dire ?

Ou alors, serait-ce que contrairement à l’époque du Décalogue, on verrait désormais ? — et l’auteur de l’Épître aux Hébreux écrit après l’Ascension. Avoir « fait connaître Dieu » l’aurait-il rendu visible ? Dieu dévoilé dans sa Gloire : est-ce ce que signifie la rencontre de Jésus ressuscité au dimanche de Pâques, ou au jour de la Transfiguration ? Puisqu’ici il n’est plus question de connaître selon la chair, pour le dire avec Paul.

Dieu serait-il devenu donc devenu comme visible, ou imaginable ? Pour que l’on ait, de la sorte « les yeux fixés sur Jésus ». En effet, puisque, comme chrétiens, nous confessons avoir connu Dieu dans l’humanité du Christ, la gloire céleste du Fils de Dieu serait-elle donc devenue visible dans l’humanité visible du Christ ?

Ne serait-ce alors pas là la satisfaction notre tentation essentielle ? Voir Dieu. Déjà dans l’Exode, à Moïse : « fais-nous des dieux qui marchent devant nous » ! Cela ne correspond-il pas d’ailleurs à la tentation essentielle de Jésus lui-même : rendre Dieu visible en levant le voile de son humanité et en se montrant dans sa seule gloire céleste ? C’est bien le cœur de sa tentation au désert ! « Montre-toi comme tu es, Fils éternel de Dieu ! » Or, Jésus a résisté : quant à sa gloire, son ministère se déroulera dans le secret, dans l’anonymat.

La Transfiguration est alors le moment où trois disciples reçoivent le privilège de voir lever un instant ce secret de la gloire cachée de celui qui demeure dans l’éternité auprès du Père. Secret qui ne sera pleinement levé pour la foi des croyants qu’au dimanche de Pâques, et universellement lors de la Parousie.

Mais que nous dit justement la Transfiguration par ce dévoilement d’un instant ? Elle nous dit dès lors rien d’autre que cela : l’humanité, à laquelle Jésus n’a pas voulu renoncer, est au-delà de nos capacités de compréhension et a fortiori de vision. Et il serait mal venu, sous prétexte que Jésus a assumé une réelle humanité, et qu’il a refusé d’y renoncer, ou d’en lever pleinement le voile — de penser que du coup nous aurions prise sur lui ; que son humanité, en un mot, serait à la mesure de nos conceptions.

Au contraire, nous dit la Transfiguration, l’humanité de Jésus est l’humanité du Fils de Dieu, l’humanité en laquelle Dieu nous rencontre, l’humanité même de Dieu !

Mais ça, c’est tout de même troublant, d’autant que cela bouleverse notre humanité propre. Où apparaît alors pour nous, la tentation, inverse en quelque sorte ; inverse, celle-là, à celle qu’a subie Jésus : avoir quand même prise sur lui ; connaître le Christ « selon la chair ».

En d’autres termes, vouloir un Christ à notre mesure — contre ce qu’en dévoile la Transfiguration. Un Christ que nous continuerions à voir en quelque sorte, de nos yeux… Contre ce qu’en dévoile la Transfiguration !

Et en effet, « nous ne connaissons plus selon la chair », nous avertit Paul selon sa foi au Ressuscité.

C’est la même leçon que tire de la Transfiguration la seconde Épître de Pierre : « ce n’est pas en nous mettant à la traîne de fables sophistiquées que nous vous avons fait connaître la venue puissante de notre Seigneur Jésus Christ, mais pour l’avoir vu de nos yeux dans tout son éclat. Car il reçut de Dieu le Père honneur et gloire, quand la voix venue de la splendeur magnifique de Dieu lui dit: “Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu’il m’a plu de choisir.” Et cette voix, nous-mêmes nous l’avons entendue venant du ciel quand nous étions avec lui sur la montagne sainte. » (2 Pierre 1, 16-18).

Cela n’empêchera pas de voir prospérer ce désir récurrent d’un Christ « selon la chair ». C’est ainsi que les Christ à notre image vont foisonner. Un Christ accessible non seulement à nos yeux, mais jusqu’à l’analyse de nos laboratoires de recherche, voire de nos scalpels.

Des chrétiens parmi les chercheurs se réjouissent même de trouver — disent-ils —, des traces nombreuses du Jésus de l’Histoire ; à partir desquelles se dessinent régulièrement des portraits et autres « biographies », distinctes des Évangiles, dans des ouvrages promis au statut de best-sellers, preuve que leur souci est aussi largement celui du grand public.

Que font-ils, ces biographes ? Comme tous les auteurs, mais ici par le détour par Jésus, ils parlent d’eux-mêmes. Et foisonnent les Christ, toujours au goût, à la mode du jour.

D’autres parmi les chercheurs, parmi les non-croyants ceux-là, ont en revanche pour projet de mettre en question le christianisme : eux aussi parlent d’eux-mêmes — et se réjouissent pour leur part qu’il y ait aussi peu de traces dans les Évangiles de ce Jésus dit « de l’Histoire » distinct du Christ de la foi — c’est un euphémisme : il n’y en a pas !… On n’a de récits que des Évangiles.

C’est dans cette ligne-là que tout un courant de l’historiographie soviétique avait beau jeu de carrément mettre en doute l’existence de Jésus… Ces auteurs parlaient d’eux-mêmes, eux aussi, bien sûr, c’est devenu très évident avec le recul. Aujourd’hui ces mises en doutes sont considérées comme dépassées.

Mais les traces d’un personnage historique, distinct des récits évangéliques ? — me direz-vous. Eh bien, on n’en a évidemment toujours pas (sinon quelque mention floue dans deux ou trois textes antiques). Rien qui permette de faire un portrait ! C’est au point que des auteurs à la mode renouent aujourd’hui avec ledit courant de l’historiographie soviétique, en rescapés de la méthode apparemment… pour nous expliquer qu’il n’y a de Jésus que mythique.

Quoique aujourd’hui, (à part dans ce courant à la mode) on ne se demande plus s’il a vraiment existé ; mais on aimerait cependant souvent en savoir un peu plus…

« Nous ne connaissons plus selon la chair », écrit Paul — sous-entendu : depuis sa résurrection. Or, tous les textes évangéliques ont été écrits après la Résurrection. Paul n’a pas vu, ni Luc !… — mais, me direz-vous peut-être, Pierre, lui, a vu, il était là lors de la Transfiguration ; et la 2ème Épître de Pierre nous en parle (2 Pierre 1, 16-19) : quelle chance ! Va-t-il-nous décrire quelque chose, qui soit enfin vraiment crédible pour nos chercheurs ? Eh bien non ! Comme Paul, Pierre ne nous parlera pas de l’homme Jésus autrement que comme le Fils de Dieu venu en chair, existant dans l’Éternité, en dehors de l’Histoire, Histoire où il nous a rejoints, Fils de Dieu fait homme.

C’est cela que nous disent les récits de la Transfiguration, celui de Luc (ou Matthieu et Marc) ou celui de Pierre : ce Jésus que vous avez côtoyé n’est autre que le Fils éternel de Dieu. « Écoutez-le ». Écoutez-le aujourd’hui, précisera l’Épître de Pierre dans les Écritures : « nous avons la parole des prophètes qui est la solidité même ». Mais, alors, que dire des « yeux fixés sur Jésus » ?

*

Revenons à la Loi et aux Prophètes. Ils ont désigné Jésus depuis le commencement. Voilà ce dont se souviennent Pierre et les Évangiles. La Loi et les Prophètes, à savoir Moïse et Élie dans le récit de la Transfiguration selon les Évangiles.

Le récit de la Transfiguration est profondément enraciné dans la mémoire du Sinaï (cf. Exode 24) : la montagne (Ex 24, 1 & 12-13), les six jours (Ex 24, 16), les trois personnes : Aaron, Nadav et Avihou (Ex 24, 1 & 9), la nuée et la voix (Ex 24, 15-17)… Derrière cette histoire, il y a le rappel du Sinaï où Moïse est médiateur de la Loi, la Torah. Et comme pour la Torah, ce qui est en bas renvoie à ce qui est en haut. Un tabernacle terrestre, ainsi le rappelle l’Épître aux Hébreux, signe d’un Tabernacle céleste contemplé par Moïse. En bas : trois disciples. En haut, trois figures célestes : Jésus, Moïse et Élie. Moïse et Élie, « la Loi et les Prophètes ». Et entre les deux, le Fils de l’Homme qui est dans les cieux, en haut ; — et en bas, un projet de tabernacles, de tentes (selon que, Jn 1, 14, « il a “tabernaclé” parmi nous »).

Et au Sinaï qu’en est-il de ce qu’on voit ? — : une voix, une voix que le peuple voit : « vous avez vu la voix de Dieu », est-il dit au peuple au Sinaï.

Et aussi, on peut le remarquer, la voix et la présence d’Élie orientent aussi vers l’attente du Messie à la fin des temps, selon le livre du Prophète Malachie. Les visions du Prophète Daniel sur la venue du Royaume. Plusieurs d’entre vous ne mourront pas avant d’avoir vu le Royaume disait Jésus juste avant la Transfiguration. Alors, qu’ont-t-il retenu finalement, les trois disciples ? Pas grand chose de visualisable. Une Parole : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai élu, écoutez-le ! »… « Écoutez-le » : voilà ce qu’est « avoir les yeux fixés sur Jésus » !

Et quant à la vision proprement dite, le récit de l’épisode marque rien moins qu’un embarras : pour parler de la blancheur éclatante de la lumière, si le mot correspond, semble dire le texte, on n’a de comparaison que celle du teinturier. Aujourd’hui, on penserait aux publicités pour la lessive : Machin lave plus blanc ! Eh bien ce jour-là c’était plus blanc encore, dit l’Évangile ! Nous voilà bien renseignés…

Blancheur éclatante, lumière, et puis bonheur. Pour fixer leur bonheur, comme si c’était possible, les disciples n’ont d’autre idée que de dresser des tentes ! Et pourquoi pas : on peut imaginer qu’ils pensent aux tabernacles de la fête du même nom — référence à l’Exode (cf. aussi Jean 1, 14 cit. supra : « il a “tabernaclé” parmi nous »).

Mais la présence du Fils de Dieu ne se fixe pas. Il faudra redescendre de la Montagne. Où le texte fait apparaître que les disciples sont tout de même à côté de la plaque !

Et pour cause : ils sont de la terre. Ils se trouvent en présence de celui qui manifestement vient du ciel, qui provient d’au-delà de l’Histoire et dont la Loi et les Prophètes ont parlé et parlent encore, celui auquel toute l’Histoire biblique, de Moïse, les commencements, à Élie, celui qui vient à la fin, ne cesse de renvoyer ; celui qui est au-delà de l’Histoire du commencement jusqu’à la fin, et qui est en ces jours au milieu d’eux, dans leur histoire. Il ne nous est pas donné pas d’autre Jésus de l’Histoire que celui-là.

*

Ce Jésus-là n’est autre que le Ressuscité. C’est ce qu’ont compris les disciples, plus tard. C’est bien le Ressuscité qui leur est apparu ce jour-là, avant même la crucifixion, celui qui demeure dans le sein du Père dans toute l’Éternité, celui en qui vient le Royaume ; qu’ils ont donc contemplé dans la Gloire avant même leur mort.

Et on a retenu la voix qui a retenti : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai élu, écoutez-le ! ». Écoutez ce que Dieu vous dit par lui. Déjà le Royaume est à l’intérieur de vous… Ne restez pas sur Mont de la Transfiguration. Allez suivre le Ressuscité sur les routes où il vous précède. Et c’est ce que Jésus va leur montrer par l’épisode, miraculeux, qui suit et qui se conclut par cette parole, alors que tous s’enthousiasment : « Écoutez bien ce que je vais vous dire : le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes. » — « Mais, poursuit le texte, ils ne comprenaient pas cette parole ; elle leur restait voilée ». Qu’il est dur de descendre du Mont de la Transfiguration. Mais Jésus lui-même en est descendu. À nous de le suivre à présent : allez donc dans le monde… « les yeux fixés sur Jésus », à savoir : « écoutez-le », et donc pour nous : « écoutez ce qu’ont dit de lui ceux qu’il a envoyés vers nous ».

Alors nous sommes l’objet même de la prière de Jésus lui-même. Jean 17 : « c’est pour eux que je prie — les Apôtres. Et aussi ceux qui auront cru par leur parole, la parole des Apôtres ». « Les yeux fixés sur Jésus » ? — : « celui-ci est mon Fils élu, écoutez-le » !

R.P., Antibes, AEF, jeudi 10 janvier 2008

mardi 1 janvier 2008

2008 ans !

Bonne Année...



Voilà qu’apparaissent ces fameux Mages venus d’Orient, bientôt sacrés rois… Ces Mages que l’évangile de Matthieu présentait comme arrivant miraculeusement après l’événement de Noël — des savants dira-t-on bientôt, présents grâce à leur science des étoiles, la nuit du 25 décembre 0000.


Mais, nous disent les savants, les successeurs des Mages en quelque sorte, le 25 décembre c’est impossible : les bergers de l’évangile de Luc ne pouvaient être dans les champs en cette saison ! Et de nous faire remarquer que le 25 décembre est la date d'une fête païenne en l'honneur du soleil.


Alors, fête du Messie biblique, Messie de Bethléem, ou fête païenne du soleil ?


Le problème serait alors toujours celui de savoir si Jésus est le Messie biblique ou celui qui concerne aussi les païens…


Mais y a-t-il là une contradiction ? La fête de la montée du soleil de justice, celui devant qui pâlit le soleil, la fête du Christ biblique, concerne aussi les païens ! C’est vers lui, vers sa lumière, que sont venus, guidés par l’étoile confuse de leur confuse science, les Mages, ces païens d’Orient. C’est vers lui que se dresse l’arbre de Jessé, père de David, comme l’arbre de toute la Création qui se dresse vers sa lumière qu’annonce cette même étoile des Mages.


Les yeux de la foi découvrent alors que cette fête que l’on voudrait dénoncer comme païenne est celle de la bonne nouvelle du salut de Dieu pour les païens — les nations —, que représentent ici les Mages. Elle est celle du chant de toute la Création à la rencontre de la lumière à laquelle elle est appelée.


Ici se dévoile la promesse du Dieu d’Abraham, du Dieu d’Israël, pour tous les peuples : viendront des nouveaux cieux et une nouvelle terre où tous demeureront en paix.


2008 ans que germe cette promesse semée en Celui qui est venu…




« Laisse-moi désormais,
Seigneur, aller en paix,
Car selon ta promesse,
Enfin mes yeux ont vu
Resplendir le salut
Que j’attendais sans cesse.


C’est lui qu’en l’univers,
Tant de peuples divers
Vont recevoir et croire.
En lui brille ton Nom,
Lumière des nations
Et d’Israël la gloire. »

(Cantique de Siméon, d’après Luc 2, 29-32)

RP,

méditation dans
Au Fils des jours




lundi 24 décembre 2007

Noël




nativite.jpg



Un âne auprès de Jésus dans l’étable de la Nativité. On parle d’un bœuf aussi…

Mais comment se fait-il que les textes des évangiles de Noël n’y fassent pas allusion ?

En premier lieu nous est dressé l’arrière-plan, le fond sombre du tableau : des hauts personnages : un empereur romain qui fait recenser toute la terre chez Luc ; et chez Matthieu un roi qui ne supporte pas qu’un enfant naissant dans l'anonymat risque de le concurrencer !…

La gloire de ce monde ; la richesse, les lumières de la ville, des hôtels pleins de gens dignes, au point qu’il n’y a pas de place pour le plus humble.

Plus près de la crèche, encore des êtres glorieux, plus glorieux encore d’ailleurs, en vérité: des anges, êtres célestes ; chez Matthieu, près de l'enfant, des Mages, hauts dignitaires de terres lointaines.

Puis — rapprochons-nous, encore —, les premiers arrivés pour accueillir le nouveau-né, ceux auxquels les anges qui les ont avertis ont laissé la place : des bergers. Là, on est sur la piste, celle sur laquelle nous met l’Évangile… celle de l’humilité. Mais toujours pas d’âne ou de bœuf, me direz-vous…

Reprenons : dans les sphères de la gloire humaine, là où tout brille, les grands de ce monde, l’arrière-plan du tableau, ce qui se voit bien, c’est un empereur qui ballotte une humble famille sur les routes poussiéreuses pour mener à bien son recensement. C’est aussi un roi, malade de son pouvoir, au point de voir dans toute ombre qui se dessine une menace pour son avenir, jusqu’à attenter à la vie des enfants de Bethléem. Folie de la grandeur !

Puis nous est dessinée une autre gloire, cachée, mais d’un vrai prix, celle-là : la gloire céleste du chœur des anges, qui pour leur part, savent désigner ce qui est important ; comme les Mages, chez Matthieu, qui ont su le reconnaître.

Des Mages qui s’en retournent par un autre chemin. Des anges qui se retirent dans les lieux très hauts… et envoient des humbles parmi les humbles, les bergers comme témoins de ce qui se passe en ce qui est alors révélé comme le lieu le plus important de l’univers : une mangeoire, une crèche… où vient d’être déposé un enfant qui vient de naître…

Mais me direz-vous, où est le bœuf ? Où est l’âne ? Les bergers nous ont mis sur la piste : on sait bien que le bœuf ou l’âne ne sont jamais bien loin des bergers et des étables.

Savez-vous où paraît la première fois un âne dans les évangiles ? C’est aux Rameaux. Lors de l’entrée royale de Jésus à Jérusalem, en signe d’humilité, nous dit Matthieu, citant la prophétie de Zacharie. Mais jusque là, point d’âne ou de bœuf, si ce n’est lorsque Jésus parle de lui, le plus humble des animaux, comme de celui que Dieu à jugé digne de bénéficier des faveurs de sa loi : celui que l’on détache pour le faire boire le jour du Sabbat.

L’animal de l’humilité, celui dont on ne fait pas cas. Avez-vous compris alors ce que nous dit le silence des évangiles sur l’âne de la crèche, comme sur le bœuf ?

Ce jour-là, en cet enfant dont on n’a pas fait cas, s’est passée cette chose inouïe : Dieu a rejoint tous ceux dont on ne fait pas cas, ceux qu’on ne mentionne même pas, comme l’âne, ou le bœuf. C’est ici que se passent les choses vraiment importantes. Le prophète Ésaïe l’avait dit : « le bœuf connaît son propriétaire, et l’âne la crèche de son maître : mon peuple ne connaît rien, mon peuple n’a point d’intelligence » (Ésaïe 1, 3). Mon peuple : nous les hommes, tellement au dessus du reste de la création et surtout des bêtes de somme, nous qui aimons tant passer pour sages, intelligents, brillants.

À ce sujet, il est aussi écrit, rappellera Paul : « je détruirai la sagesse des sages et j’anéantirai l’intelligence des intelligents » (1 Corinthiens 1, 19). C’est ainsi, précise l’Apôtre, que « Dieu a choisi les choses insignifiantes du monde, celles qu’on méprise, celles qui ne sont pas, pour réduire à rien celles qui sont, afin que personne ne se glorifie devant Dieu » (1 Corinthiens 1, 28-29).

Telle est « la sagesse de Dieu, mystérieuse et cachée. Aucun des princes de ce monde ne l’a connue » (1 Corinthiens 2, 7-8).

Voilà donc qu’ « il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de cette parole. Car la folie de Dieu est plus sage que les hommes, et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes » (1 Corinthiens 1, 21-25).

Nous savons à présent pourquoi l’âne n’apparaît pas dans les récits : pour que l’on sache où se passe ce qui est vraiment important.

« Mon peuple n’a point d’intelligence » ? constate Ésaïe. Alors « écoutez, mes enfants, répond la sagesse, la leçon d’un père, appliquez-vous à connaître ce qu’est l’intelligence » (Proverbes 4:1). « L’âne, lui, connaît la crèche de son maître ». Il ne cherche pas à briller, ni à ce qu’on le remarque. Et pour que l’on comprenne bien cela… Eh bien, on ne le voit pas ! Un seul vaut d’être contemplé et honoré — celui que dans d’étable, réchauffe l’haleine de l’âne. L’âne qui, ainsi, représente aujourd’hui tous ceux dont on ne fait pas cas.

Puissions-nous entendre le silence de l’âne, pas même mentionné, et y découvrir notre vraie place, auprès de Dieu qui nous a rejoints dans l’humilité de cet enfant.

Heureux celui qui s’efface devant l’enfant qui a fait de la crèche où il a été déposé l’endroit le plus important de l’histoire de l’univers. C’est là l’intelligence : savoir où est le seul vrai Dieu. Et c’est là la clef du bonheur



Prière des ânes

« Donne-nous, Seigneur, de garder les pieds sur terre,
et les oreilles dressées vers le ciel pour ne rien perdre de ta parole.


Donne-nous, Seigneur, un dos courageux

Donne-nous, Seigneur, d’avancer tout droit,
en méprisant les caresses flatteuses autant que les coups de bâton.


Donne-nous, Seigneur, d’être sourds aux injures, à l’ingratitude :
c’est la seule surdité que nous ambitionnons.


Ne nous donne pas d’éviter toutes les sottises,
car un âne fera toujours des âneries.


Donne-nous simplement, Seigneur,
de ne jamais désespérer de ta miséricorde,
si gratuite pour ces ânes si disgacieux que nous sommes,
à ce que disent les pauvres humains.


Lesquels n’ont rien compris ni aux ânes ni à toi,
qui as fui en Egypte avec un de nos frères,
et qui as fait ton entrée prophétique à Jérusalem
sur le dos d’un des nôtres. »


RP
Méditation de Noël,
Antibes, lundi 24 décembre 2007




mardi 11 décembre 2007

Photo...


... Ou : vie par procuration...


« Il n'y a pas seulement l'image que l'on me présente, qui m'assaille. II y a aussi celle que je fais, que je produis, m'insérant activement dans le courant producteur d'images. Réfléchissons un instant sur la photographie. Souvenir de voyage. En voyage, il peut y avoir l'attitude de réception de l'impression, visuelle surtout, mais aussi globale. Réalisation de l'atmosphère d'un lieu. Phénoménologie du lieu. Cette impression doit être ressentie, ce qui suppose un élargissement des possibilités d'appréhension, ainsi qu'une disponibilité, et de la façon la plus fluide possible, car ce qui compte est l'appréhension du plus grand nombre de données possible. Mais d'autre part, il faut aussi « intégrer », assimiler cet ensemble, ces impressions, ce vécu inattendu, surprenant, saisissant. Il y a alors, évidemment deux orientations : celle qui se fonde sur la mémoire pure, retenir les noms, les lieux, les spectacles, les rencontres, et celle de l'assimilation, faire que sur le plan intellectuel et humain, l'expérience de cet affrontement à cette réalité devienne partie intégrante de soi. Ce n'est plus de la mémoire extérieure, mais une appropriation par la réflexion, la comparaison, l'organisation intellectuelle des données neuves dans la mosaïque de mon existence. Et ceci suppose une offrande de soi à une réalité nouvelle qui s'intègre en moi, expérience profonde d'une nature, d'un milieu humain, qui devient moi-même. Dans ces conditions le voyage peut être source de rencontre entre une vérité et une réalité. Mais cela excède de beaucoup le « souvenir ». Or, le fait seul d'avoir un appareil-photo empêche et de saisir le tout par une appréhension globale, et plus encore de procéder à une assimilation culturelle. Car ces deux opérations ne peuvent s'effectuer que dans une disponibilité, une non- préoccupation d'autre chose, dans un « être-là », et doivent se situer en continuité, et dans l'immédiat. Ce n'est pas après des heures ni le soir à la veillée que ceci s'effectue. C'est lorsque le choc de la réalité nouvelle s'impose à moi. Or, quand on a le souci de prendre des photos, le souci du choix de la vue à conserver, qui découpe dans un ensemble le coin à retenir, nous voilà fixés tout entier sur le seul problème visuel, délaissant le global, et ce qui aurait pu être une expérience devient un spectacle. Bien plus, les manipulations et soucis de l'appareil, même si vous êtes un spécialiste, la luminosité, l'angle de vue, vous fixent sur un exercice technique et interdit radicalement le mécanisme intellectuel, la réflexion, l'offrande de soi au vent, à la mer au flux des gens... et combien plus, interdisent la montée de l'exaltation profonde devant ce qui est unique, et combien plus, si l'on est chrétien, l'action de grâce vers Dieu. Non, l'appareil commande.

camesc1.jpg

On ne voit plus, on regarde et on cherche ce qu'il faut photographier. Et quand la bonne photo est enfin prise, vous voyez tous ces voyageurs se désintéressent subitement de tout : le boulot à faire a été fait. Que pourraient-ils donc faire de plus au milieu des ruines du Parthénon ? On se demande soudain ce que l'on fait là. Une fois le souvenir fixé sur la pellicule on s'ennuie tout à coup d'être là. La photographie amenuise prodigieusement l'expérience du voyage, l'extériorise, interdit l'intériorisation, et vient tout concentrer sur ce « visuel souvenir ». La vision ultérieure de la photo rappelle « des souvenirs » tel geste, tel mot que l'on a dit. C'est tout. Aucune appréhension profonde. Il suffit d'écouter les discours et conversations des gens qui montrent leur diapos de voyage. Tout est resté à l'extérieur. Et, comme l'acte de photographier avait découpé un fragment de la réalité globale qui était à vivre, de même, la photo montrée anéantit le souvenir vivant! Le souvenir est fonction de ma vie totale. Il paraît et disparaît. Il est fonction du report de tout un monde que j'ai assimilé, qui fait partie de moi, pas seulement d'une mémorisation, mais d'une progression par ma relation au réel intégré dans ma culture et mon expérience totale du vécu. Chaque souvenir est comme un cube multiforme, et multicolore dans une immense mosaïque. Et la photo: interdit ce mouvement et cette remontée. Elle a joué sur le pittoresque. Sur le plus extérieur, qui sera pour jamais externe. La sensibilité est braquée sur une vue spectaculaire et rien d'autre. Et quand on la revoit, elle fait renaître de faux souvenirs, purement externes, bien sûr, et rigoureusement non utilisables. Elle ne sert à rien, elle n'est bonne à rien. J'entends des cris furieux... « Vous savez que vous oubliez! La photo sert à se souvenir… sans photo, oublierez que vous êtes allé à que vous avez vu la fresque de la Parisienne à… » Quelle erreur… Ce qui mérite d'être retenu, ce qui a été vécu profondément, est marqué dans mon être et ma mémoire, m'a changé, m'a fait nouveau. Ce que j'ai oublié? Car il est bien vrai que j’ai oublié des milliers de lieux, de visages, de tableaux, ce que j’ai oublié, c'est tout simplement ce qui n’a rien été pour moi, ce que je n'ai pas vécu ce qui était vide et curiosité, ce qui m'est resté étranger, ce qui n'a présenté aucune valeur, aucune vérité. Alors, à quoi bon conserver cela sur des bouts de papier? J’ai été saisi de stupeur par un horizon de montagnes. Et quelle photo me serait utile? Et si je n'y ai vu qu'un spectacle, à quoi bon m'en souvenir! Effort pour garantir que l'on a bien été là! que l'on a bien fait ce voyage. Nous atteignons ici un point central de l'image : dans la crise d’identité de l’homme moderne, au milieu des flux techniques et de la dispersion, l'image lui donne la certitude d'exister, la photo lui assure un passé, feuilleter un album de photos, c'est être certain que j'ai vécu... La photo devient le substitut du vivant, comme l'image constamment. Elle est en même temps l'évacuation d'une relation personnelle, existentielle au monde, la coupure entre soi et le milieu, entre soi et l'autre, le moyen de ne pas vivre le choc du nouveau, et puis le substitut rêvé d'une fausse réalité figée, à cette défaillance de vivre. Très symptomatique de la technique : elle empêche de vivre et vous donne le très fort sentiment de vivre, vous assure que vous êtes bien vivant! Quand même, quand même! Et les visages. Vos amis. Fixer l'instant joyeux, merveilleux d'un enfant qui joue, d'un regard d'enfant levé vers vous, retrouver les traits de nos chers disparus... Quel mensonge. Ou vous les avez aimés, et ils sont gravés en vous, tissés dans votre pensée, votre vue du monde, votre expérience quotidienne - ou vous ne les avez pas aimés, alors à quoi bon? A quoi bon garder ces visages d'une seconde, ces expressions sur papier glacé ou sur la pellicule, si vous n'avez pas en vous la brûlure de l'absence qui n'est ni comblée ni assurée par la vue de cet instantané. Non, pas de photos des êtres chers qui ne sont plus. Il faut dire avec un poète (qu'il ne faut pas citer car il est rejeté par la mode!) « Puisque la partie est finie, jetez les cartes, jetez-les... » La photo de ces visages est le mensonge que je me fais de croire que j'y ai tenu alors que rien en moi n'en porte plus la trace. Mensonge, encore une fois du visuel, de l'image. Que sauriez-vous en dire de ces bien-aimés? Quel langage approprié? Quelle vérité en avez-vous vécue? Quel cheminement avez-vous fait avec eux? Quelle trajectoire en avez-vous retenue? Et si vous restez muet, alors la photo reste pure illusion, et si vous savez le dire, alors elle est bonne à jeter.
Quand même, quand même, la photographie est un art, et je puis faire une œuvre... Certes, certes! Je ne nie pas, loin de là, que l’on puisse réaliser de très belles photos, mais nous sortons de la photo quotidienne. Si je voyage pour faire de belles photos, si je photographie un visage pour faire un portrait d'art, c'est un autre but, un autre objectif : je ne voyage pas en vivant, ni je ne cultive un souvenir. Je ne récuse pas l'art photographique mais la pratique de la photo par les millions de propriétaires d'un Reflex [on pourrait dire aussi, aujourd’hui, d’un caméscope]. Et de toute façon l'ambiguïté subsiste et tout ce que j'ai dit plus haut continue à valoir. Et de toute façon, même les plus belles photos font partie de cet univers des images qui supplante la réalité même, qui nous fait vivre dans un visuel dédoublé, redoublé, qui interdit doublement l’accès à la parole.
»

Jacques Ellul, La parole humiliée, Seuil, 1981, p. 135-138.



mardi 6 novembre 2007

Hendrix, Beatles, Stones, Who… et la pub



Une musique qui protestait, ouvrait des horizons et promettait… quoi ?

Désormais passage obligé, elle tient le haut du pavé — sous lequel, nous promettait-on, on trouverait des horizons ensoleillés.

Une musique qui, alors, accompagnait l’américanisation de la jeunesse mondiale qui contestait avec la jeunesse américaine l’expansion de l’Amérique comme consumérisme guerrier et extravagant !
Sous les pavés, la plage… où s’empilent avec les corps émanant leur odeur de crème solaire, les papiers gras et les taches de pétrole égarées depuis la mer.

Et Hendrix accompagne désormais — mémoire sonore d’un anti-consumériste Little Wing — la pub d’une BMW :




Jimi Hendrix — Little Wing (1967)


Et si l’on préfère un autre type de voitures, Hendrix encore — interprétant All along the watchtower de Bob Dylan — ouvre l’Espace de Renault.

Inaccessible tout cela ? Qu’à cela ne tienne, on a pensé à tout. À défaut de voiture, on se contentera de chaussures, chères tout de même (et soupçonnées un temps de devoir leur confection à des enfants mis à la tâche dans des pays pauvres !).

Ici, ce sont les Beatles qui par leur Revolution (aux paroles déjà bien désabusées, toutefois), écho de cette révolution des années '60 partie d'outre-Atlantique, illustreront la... révolution plus récente des chaussures "à air":




Beatles — Revolution (1968)


Ou pour ceux qui ne sont pas parmi les sportifs, on jouira — sans entraves — de l’arc-en-ciel des nouvelles technologies télévisuelles. She’s like a rainbow, des Rolling Stones, en fait foi :


Rolling Stones — She’s a rainbow (1967)


Il faut bien cela, pour se détendre devant les séries-télé. Ici "Les Experts". Générique les Who :



The Who — We won't get fooled again (1971)




Et bien sûr, j’écris tout cela sur ce blog depuis un ordinateur… Jimi Hendrix à nouveau :



Jimi Hendrix — Purple Haze (1967) (la video de la pub ici)



*


Citation — il y a 35 ans, 1972 —, L’Espérance oubliée de Jacques Ellul :

« L'étudiant se révolte, et ce n'était pas comme la révolte ouvrière pour un monde plus juste, mieux organisé, plus installé, auquel il devait prendre part, mais contre ce monde organisé, installé, cette prolifération de choses et de bien-être, de compétences et de machineries.
Le hippie se révolte dans l'exaltation du pouvoir des fleurs, le rêve hypnotique, la transe musicale … Il n'y a pas de programme et de projet. On a souvent reproché aux jeunes de ne pas avoir de projet, de programme. Quand les étudiants disent non à l'Université, ils n'ont rien de nouveau, de précis à formuler, aucun plan de ce que devrait être l'Université … « Que demandez-vous ? » Ils ne savent que répondre : « Que tout saute — Mais ce n'est pas une réponse, et l'avenir … ? » Ici, tout se tait parce qu'il n'y a pas d'avenir.
Quant aux hippies, c'est leur essence même qui veut qu'ils n'aient aucun projet. On vit aujourd'hui. On saisit l'instant, essayant de le rendre aussi beau, séduisant, charmeur, que possible. Les « conséquences » sont refusées. Ils entrent dans un nouveau mode d'expression, un nouveau style du vécu. Ils refusent les assurances et les prévisions. Ils refusent l'action pour atteindre un certain but fixé. Ils refusent la pensée « conséquen­tiaire ». Tout cela est radical ; ils cherchent à atteindre la racine du mal - et convaincus que tout finalement serait récupéré, ils n'avancent plus que le Rien, convaincus que cela du moins ne pourra être récupéré par la forme totalisante de notre société. Dans ce déferlement, la protestation contre la guerre au Viêt-nam, contre la misère des Noirs américains, contre le racisme, contre la répression, ne sont que des prétextes et de petites mobilisations, l'essence du mouvement c'est rien. C'est l'aspiration à ne pas voir plus loin que le moment, c'est le Grand Refus contre tout ce qui est proposé. Il faut ramener à rien tout ce qui est, car ce qui est, c'est la répression, l'aliénation … Sur quoi débouchera ce rien ? Ici encore règne la plus grande incertitude. » (Jacques Ellul, L’Espérance oubliée, éd. Gallimard, 1972, p. 21-22.)




"J’ai vu tout ce qui se fait sous le soleil ;
et voici, tout est vanité et poursuite du vent."
Ecclésiaste 1, 14




dimanche 28 octobre 2007

Les 95 thèses de Martin Luther contre les indulgences



Dimanche de la Réformation

Les quatre-vingt-quinze thèses théologiques sur la puissance des indulgences
Martin Luther Publiées le 31 Octobre 1517



Par amour pour la vérité et dans le but de la préciser, les thèses suivantes seront soutenues à Wittemberg, sous la présidence du Révérend Père Martin LUTHER, ermite augustin, maître es Arts, docteur et lecteur de la Sainte Théologie. Celui-ci prie ceux qui, étant absents, ne pourraient discuter avec lui, de vouloir bien le faire par lettres. Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ. Amen.


  1. En disant : Faites pénitence, notre Maître et Seigneur Jésus-Christ a voulu que la vie entière des fidèles fût une pénitence.
  2. Cette parole ne peut pas s'entendre du sacrement de la pénitence, tel qu'il est administré par le prêtre, c'est à dire de la confession et de la satisfaction.
  3. Toutefois elle ne signifie pas non plus la seule pénitence intérieure ; celle-ci est nulle, si elle ne produit pas au dehors toutes sortes de mortifications de la chair.
  4. C'est pourquoi la peine dure aussi longtemps que dure la haine de soi-même, la vraie pénitence intérieure, c'est à dire jusqu'à l'entrée dans le royaume des cieux.
  5. Le pape ne veut et ne peut remettre d'autres peines que celles qu'il a imposées lui-même de sa propre autorité ou par l'autorité des canons.
  6. Le pape ne peut remettre aucune peine autrement qu'en déclarant et en confirmant que Dieu l'a remise ; à moins qu'il ne s'agisse des cas à lui réservés. Celui qui méprise son pouvoir dans ces cas particuliers reste dans son péché.
  7. Dieu ne remet la coulpe à personne sans l'humilier, l'abaisser devant un prêtre, son représentant.
  8. Les canons pénitentiels ne s'appliquent qu'aux vivants ; et d'après eux, rien ne doit être imposé aux morts.
  9. Voilà pourquoi le pape agit selon le Saint-Esprit en exceptant toujours dans ses décrets l'article de la mort et celui de la nécessité.
  10. Les prêtres qui, à l'article de la mort, réservent pour le Purgatoire les canons pénitentiels, agissent mal et d'une façon inintelligente.
  11. La transformation des peines canoniques en peines du Purgatoire est une ivraie semée certainement pendant que les évêques dormaient.
  12. Jadis les peines canoniques étaient imposées non après, mais avant l'absolution, comme une épreuve de la véritable contrition.
  13. La mort délie de tout ; les mourants sont déjà morts aux lois canoniques, et celles-ci ne les atteignent plus.
  14. Une piété incomplète, un amour imparfait donnent nécessairement une grande crainte au mourant. Plus l'amour est petit, plus grande est la terreur.
  15. Cette crainte, cette épouvante suffit déjà, sans parler des autres peines, à constituer la peine du Purgatoire, car elle approche le plus de l'horreur du désespoir.
  16. Il semble qu'entre l'Enfer, le Purgatoire et le Ciel il y ait la même différence qu'entre le désespoir, le quasi-désespoir et la sécurité.
  17. Il semble que chez les âmes du Purgatoire l'Amour doive grandir à mesure que l'horreur diminue.
  18. Il ne paraît pas qu'on puisse prouver par des raisons, ou par les Ecritures que les âmes du Purgatoire soient hors d'état de rien mériter ou de croître dans la charité.
  19. Il n'est pas prouvé non plus que toutes les âmes du Purgatoire soient parfaitement assurées de leur béatitude, bien que nous-mêmes nous en ayons une entière assurance.
  20. Donc, par la rémission plénière de toutes les peines, le Pape n'entend parler que de celles qu'il a imposées lui-même, et non pas toutes les peines en général.
  21. C'est pourquoi les prédicateurs des Indulgences se trompent quand ils disent que les indulgences du Pape délivrent l'homme de toutes les peines et le sauvent.
  22. Car le Pape ne saurait remettre aux âmes du Purgatoire d'autres peines que celles qu'elles auraient dû souffrir dans cette vie en vertu des canons.
  23. Si la remise entière de toutes les peines peut jamais être accordée, ce ne saurait être qu'en faveur des plus parfaits, c'est-à-dire du plus petit nombre.
  24. Ainsi cette magnifique et universelle promesse de la rémission de toutes les peines accordées à tous sans distinction, trompe nécessairement la majeure partie du peuple.
  25. Le même pouvoir que le Pape peut avoir, en général, sur le Purgatoire, chaque évêque le possède en particulier dans son diocèse, chaque pasteur dans sa paroisse.
  26. Le Pape fait très bien de ne pas donner aux âmes le pardon en vertu du pouvoir des clefs qu'il n'a pas , mais de le donner par le mode de suffrage.
  27. Ils prêchent des inventions humaines, ceux qui prétendent qu'aussitôt que l'argent résonne dans leur caisse, l'âme s'envole du Purgatoire.
  28. Ce qui est certain, c'est qu'aussitôt que l'argent résonne, l'avarice et la rapacité grandissent. Quant au suffrage de l'Eglise, il dépend uniquement de la bonne volonté de Dieu.
  29. Qui sait si toutes les âmes du Purgatoire désirent être délivrées, témoin de ce qu'on rapporte de Saint Séverin et de Saint Paul Pascal.
  30. Nul n'est certain de la vérité de sa contrition ; encore moins peut-on l'être de l'entière rémission.
  31. Il est aussi rare de trouver un homme qui achète une vraie indulgence qu'un homme vraiment pénitent.
  32. Ils seront éternellement damnés avec ceux qui les enseignent, ceux qui pensent que des lettres d'indulgences leur assurent le salut.
  33. On ne saurait trop se garder de ces hommes qui disent que les indulgences du Pape sont le don inestimable de Dieu par lequel l'homme est réconcilié avec lui.
  34. Car ces grâces des indulgences ne s'appliquent qu'aux peines de la satisfaction sacramentelle établies par les hommes.
  35. Ils prêchent une doctrine antichrétienne ceux qui enseignent que pour le rachat des âmes du Purgatoire ou pour obtenir un billet de confession, la contrition n'est pas nécessaire.
  36. Tout chrétien vraiment contrit a droit à la rémission entière de la peine et du péché, même sans lettre d'indulgences.
  37. Tout vrai chrétien, vivant ou mort, participe à tous les biens de Christ et de l'Eglise, par la grâce de Dieu, et sans lettres d'indulgences.
  38. Néanmoins il ne faut pas mépriser la grâce que le Pape dispense ; car elle est, comme je l'ai dit, une déclaration du pardon de Dieu.
  39. C'est une chose extraordinairement difficile, même pour les plus habiles théologiens, d'exalter en même temps devant le peuple la puissance des indulgences et la nécessité de la contrition.
  40. La vraie contrition recherche et aime les peines ; l'indulgence, par sa largeur, en débarrasse, et à l'occasion, les fait haïr.
  41. Il faut prêcher avec prudence les indulgences du Pape, afin que le peuple ne vienne pas à s'imaginer qu'elles sont préférables aux bonnes oeuvres de la charité.
  42. Il faut enseigner aux chrétiens que dans l'intention du Pape, l'achat des indulgences ne saurait être comparé en aucune manière aux oeuvres de miséricorde.
  43. Il faut enseigner aux chrétiens que celui qui donne aux pauvres ou prête aux nécessiteux fait mieux que s'il achetait des indulgences.
  44. Car par l'exercice même de la charité, la charité grandit et l'homme devient meilleur. Les indulgences au contraire n'améliorent pas ; elles ne font qu'affranchir de la peine.
  45. Il faut enseigner aux chrétiens que celui qui voyant son prochain dans l'indigence, le délaisse pour acheter des indulgences, ne s'achète pas l'indulgence du Pape mais l'indignation de Dieu.
  46. Il faut enseigner aux chrétiens qu'à moins d'avoir des richesses superflues, leur devoir est d'appliquer ce qu'ils ont aux besoins de leur maison plutôt que de le prodiguer à l'achat des indulgences.
  47. Il faut enseigner aux chrétiens que l'achat des indulgences est une chose libre, non commandée.
  48. Il faut enseigner aux chrétiens que le Pape ayant plus besoin de prières que d'argent demande, en distribuant ses indulgences plutôt de ferventes prières que de l'argent.
  49. Il faut enseigner aux chrétiens que les indulgences du Pape sont bonnes s'ils ne s'y confient pas, mais des plus funestes, si par elles, ils perdent la crainte de Dieu.
  50. Il faut enseigner aux chrétiens que si le Pape connaissait les exactions des prédicateurs d'indulgences, il préfèrerait voir la basilique de Saint-Pierre réduite en cendres plutôt qu'édifiée avec la chair, le sang, les os de ses brebis.
  51. Il faut enseigner aux chrétiens que le Pape, fidèle à son devoir, distribuerait tout son bien et vendrait au besoin l'Eglise de Saint-Pierre pour la plupart de ceux auxquels certains prédicateurs d'indulgences enlèvent leur argent.
  52. Il est chimérique de se confier aux indulgences pour le salut, quand même le commissaire du Pape ou le Pape lui-même y mettraient leur âme en gage.
  53. Ce sont des ennemis de Christ et du Pape, ceux qui à cause de la prédication des indulgences interdisent dans les autres églises la prédication de la parole de Dieu.
  54. C'est faire injure à la Parole de Dieu que d'employer dans un sermon autant et même plus de temps à prêcher les indulgences qu'à annoncer cette Parole.
  55. Voici quelle doit être nécessairement la pensée du Pape ; si l'on accorde aux indulgences qui sont moindres, une cloche, un honneur, une cérémonie, il faut célébrer l'Evangile qui est plus grand, avec cent cloches, cent honneurs, cent cérémonies.
  56. Les trésors de l'Eglise, d'où le Pape tire ses indulgences, ne sont ni suffisamment définis, ni assez connus du peuple chrétien.
  57. Ces trésors ne sont certes pas des biens temporels ; car loin de distribuer des biens temporels, les prédicateurs des indulgences en amassent plutôt.
  58. Ce ne sont pas non plus les mérites de Christ et des saints ; car ceux-ci, sans le Pape, mettent la grâce dans l'homme intérieur, et la croix, la mort et l'enfer dans l'homme intérieur.
  59. Saint Laurent a dit que les trésors de l'Eglise sont ses pauvres. En cela il a parlé le langage de son époque.
  60. Nous disons sans témérité que ces trésors, ce sont les clefs données à l'Eglise par les mérites du Christ.
  61. Il est clair en effet que pour la remise des peines et des cas réservés, le pouvoir du Pape est insuffisant.
  62. Le véritable trésor de l'Eglise, c'est le très-saint Evangile de la gloire et de la grâce de Dieu.
  63. Mais ce trésor est avec raison un objet de haine car par lui les premiers deviennent les derniers.
  64. Le trésor des indulgences est avec raison recherché ; car par lui les derniers deviennent les premiers.
  65. Les trésors de l'Evangile sont des filets au moyen desquels on pêchait jadis des hommes adonnés aux richesses.
  66. Les trésors des indulgences sont des filets avec lesquels on pêche maintenant les richesses des hommes.
  67. Les indulgences dont les prédicateurs vantent et exaltent les mérites ont le très grand mérite de rapporter de l'argent.
  68. Les grâces qu'elles donnent sont misérables si on les compare à la grâce de Dieu et à la piété de la croix.
  69. Le devoir des évêques et des pasteurs est d'admettre avec respect les commissaires des indulgences apostoliques.
  70. Mais c'est bien plus encore leur devoir d'ouvrir leurs yeux et leurs oreilles, pour que ceux-ci ne prêchent pas leurs rêves à la place des ordres du Pape.
  71. Maudit soit celui qui parle contre la vérité des indulgences apostoliques.
  72. Mais béni soit celui qui s'inquiète de la licence et des paroles impudentes des prédicateurs d'indulgences.
  73. De même que le Pape excommunie justement ceux qui machinent contre ses indulgences,
  74. Il entend à plus forte raison excommunier ceux qui, sous prétexte de défendre les indulgences, machinent contre la sainte charité et contre la vérité.
  75. C'est du délire que d'exalter les indulgences du Pape jusqu'à prétendre qu'elles délieraient un homme qui, par impossible, aurait violé la mère de Dieu.
  76. Nous prétendons au contraire que, pour ce qui est de la coulpe, les indulgences ne peuvent pas même remettre le moindre des péchés véniels.
  77. Dire que Saint Pierre, s'il était Pape de nos jours, ne saurait donner des grâces plus grandes, c'est blasphémer contre Saint Pierre et contre le Pape.
  78. Nous disons au contraire que lui ou n'importe quel pape possède des grâces plus hautes, savoir : l'Evangile, les vertus, le don des guérisons, etc...(d'après 1 Cor. 12).
  79. Dire que la croix ornée des armes du Pape égale la croix du Christ, c'est un blasphème.
  80. Les évêques, les pasteurs, les théologiens qui laissent prononcer de telles paroles devant le peuple en rendront compte.
  81. Cette prédication imprudente des indulgences rend bien difficile aux hommes même les plus doctes, de défendre l'honneur du Pape contre les calomnies ou même contre les questions insidieuses des laïques.
  82. Pourquoi, disent-ils, pourquoi le Pape ne délivre-t-il pas d'un seul coup toutes les âmes du Purgatoire, pour les plus justes des motifs, par sainte charité, par compassion pour leurs souffrances, tandis qu'il en délivre à l'infini pour le motif le plus futile, pour un argent indigne, pour la construction de sa basilique ?
  83. Pourquoi laisse-t-il subsister les services et les anniversaires des morts ? Pourquoi ne rend-il pas ou ne permet-il pas qu'on reprenne les fondations établies en leur faveur, puisqu'il n'est pas juste de prier pour les rachetés.
  84. Et encore : quelle est cette nouvelle sainteté de Dieu et du Pape que, pour de l'argent, ils donnent à un impie, à un ennemi le pouvoir de délivrer une âme pieuse et aimée de Dieu, tandis qu'ils refusent de délivrer cette âme pieuse et aimée, par compassion pour ses souffrances, par amour et gratuitement ?
  85. Et encore : pourquoi les canons pénitentiels abrogés de droit et éteints par la mort se rachètent-ils encore pour de l'argent, par la vente d'une indulgence, comme s'ils étaient encore en vigueur ?
  86. Et encore : pourquoi le Pape n'édifie-t-il pas la basilique de Saint-Pierre de ses propres deniers, plutôt qu'avec l'argent des pauvres fidèles, puisque ses richesses sont aujourd'hui plus grandes que celles de l'homme le plus opulent ?
  87. Encore : pourquoi le Pape remet-il les péchés ou rend-il participants de sa grâce ceux qui par une contrition parfaite ont déjà obtenu une rémission plénière et la complète participation à ces grâces ?
  88. Encore : ne serait-il pas d'un plus grand avantage pour l'Eglise, si le Pape, au lieu de distribuer une seule fois ses indulgences et ses grâces, les distribuait cent fois par jour et à tout fidèle ?
  89. C'est pourquoi si par les indulgences le Pape cherche plus le salut des âmes que de l'argent, pourquoi suspend-il les lettres d'indulgences qu'il a données autrefois, puisque celles-ci ont même efficacité ?
  90. Vouloir soumettre par la violence ces arguments captieux des laïques, au lieu de les réfuter par de bonnes raisons, c'est exposer l'Eglise et le Pape à la risée des ennemis et c'est rendre les chrétiens malheureux.
  91. Si, par contre, on avait prêché les indulgences selon l'esprit et le sentiment du Pape, il serait facile de répondre à toutes ces objections ; elles n'auraient pas même été faites.
  92. Qu'ils disparaissent donc tous, ces prophètes qui disent au peuple de Christ : "Paix, paix" et il n'y a pas de paix !
  93. Bienvenus au contraire les prophètes qui disent au peuple de Christ : "Croix, croix" et il n'y a pas de croix !
  94. Il faut exhorter les chrétiens à s'appliquer à suivre Christ leur chef à travers les peines, la mort et l'enfer.
  95. Et à entrer au ciel par beaucoup de tribulations plutôt que de se reposer sur la sécurité d'une fausse paix.