<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: novembre 2015

vendredi 27 novembre 2015

Sola Scriptura et prédication





Parler de la prédication est, en protestantisme, parler du pilier de la sola Scriptura, l’Écriture seule, sur laquelle s'établit l’Église qui vit sola fide, par la foi seule. Deux piliers de la Réforme, parmi d'autres, dont cette clef de voûte : Soli Deo Gloria.

Une Église qui se réforme selon la sola Scriptura le fait comme Église, avec ce que cela suppose d'ecclésialité et de dimension communautaire. En premier lieu, et concernant la prédication, le « Sola Scriptura » parle d'une Écriture dans la langue du peuple, donc traduite, par un ou des traducteurs ayant une excellente connaissance des langues bibliques, l'hébreu et le grec (sans compter les quelques passages en araméen). L'immense majorité des chrétiens ne comprend pas ces langues – et les pasteurs qui en connaissent les bases n'ont pour la plupart pas une connaissance suffisante, ou une pratique suffisante, ou le temps suffisant, pour en être eux-mêmes traducteurs.

L'ecclésialité prend donc place au cœur de ce principe essentiel de la Réforme qu'est la sola Scriptura. C'est en regard de cela qu'il faut entendre la reprise par Calvin de la formule d'Augustin « nul ne peut avoir Dieu pour Père qui n'ait l’Église pour mère » : l’Écriture est traduite – en français pour les français –, signe de ce que, en Église, chacun est en communion, et en humilité, les uns par rapport aux autres. Cela n'empêche pas les pasteurs, et tout prédicateur ayant une connaissance des langues bibliques, de poser un regard éventuellement critique sur les traductions dont ils disposent. Ils n'en demeurent pas moins en vis-à-vis d'un texte, en français pour les francophones, par lequel ils sont en relation de confiance à l'égard des traducteurs. Un « Sola Scriptura » ecclésial, donc, quand l’Église est événement, née de la proclamation de la parole de Dieu confirmée par les sacrements : pour la Réforme, là où la parole de Dieu est droitement prêchée et où les sacrements sont administrés selon l'institution du Christ, là est l’Église.

Un « Sola Scriptura » ecclésial pour une prédication qui devra résonner dans la langue de ceux à qui elle s'adresse, et qui, pour l'immense majorité, n'ont aucune connaissance des langues bibliques. Et qui donc - étant au bénéfice de l’invention de l'imprimerie - méditent, en continuité avec la prédication ecclésiale, la Bible dans leur langue, condition pour que la parole de Dieu pénètre jusqu'aux plus enfouies des profondeurs de nos êtres, de nos inconscients – nous rêvons dans nos langues d'usage –, Parole de Dieu portée par l'Esprit saint.

Si la Réforme se développe en vis-à-vis de l’Église médiévale, dont la Réforme conserve, en plusieurs de ses courants, l’essentiel de la liturgie, elle s'ouvre d'emblée en faisant des livres de la Bible hébraïque les livres de son Ancien Testament, en vis-à-vis d'Israël, Israël ancien et Israël vivant, héritier et témoin des Écritures hébraïques, que Jésus appelait du nom que leur donne le judaïsme, selon le rangement juif de la Bible en cercles concentriques : la Loi, les Prophètes et les Psaumes (ou les Écrits, dont le Livre des Psaumes est le premier livre).

Matthieu 23, 2 & 3 : « Les scribes et les pharisiens sont assis dans la chaire de Moïse. Faites donc et observez tout ce qu’ils vous disent. »
Romains 9, 4 : « [Les] Israélites, à qui appartiennent l’adoption, et la gloire, et les alliances, et la loi, et le culte, et les promesses [...]. »
Matthieu 5, 17-19 : « Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes ; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir.
Car, je vous le dis en vérité, tant que le ciel et la terre ne passeront point, il ne disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre, jusqu’à ce que tout soit arrivé.
Celui donc qui supprimera l’un de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire de même, sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux ; mais celui qui les observera, et qui enseignera à les observer, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux. »

Quand la Réforme opte résolument pour les livres de la Bible hébraïque, elle est héritière de Jérôme, qui lui aussi, pour traduire la Bible en latin, avait opté pour les livres hébraïques – consultant même des rabbins – plutôt que pour la traditionnelle version grecque des Septante (LXX) largement citée dans le Nouveau Testament. Les Réformateurs et le protestantisme mènent cette démarche à son terme, puisque ceux des livres de la LXX que retient et canonise l’Église catholique romaine ne sont pas retenus comme canoniques par le protestantisme, même s'il les juge « utiles ». Outre le vis-à-vis ecclésial, le protestantisme se donne ipso facto, sans en avoir toujours pleinement conscience, un autre vis-à-vis, le vis-à-vis juif. Cela a pris une nouvelle portée avec les découvertes contemporaines, à Qumran notamment : les livres de la Bible hébraïque nous placent en vis-à-vis d'Israël tel qu'il continue de vivre dans la tradition rabbinique et pharisienne après la naissance de l’Église chrétienne.

Notons aussi à ce sujet le même niveau d’inspiration reconnu pour les livres de l'Ancien Testament et ceux du Nouveau, qui s'exprime en protestantisme dans l'égalité liturgique : on ne se lève pas pour la lecture des Évangiles. On écoute la lecture de tous les livres assis, la position assise étant celle de l'écoute d'un enseignement – la station debout étant celle de la position liturgique normale d'une Église en exode vers la Parousie. On s'assied au moment des lectures et de la prédication qui en proclame le message que l'Esprit saint – invoqué liturgiquement avant les lectures bibliques – fait vivre en nous comme Parole de Dieu.

La réorientation des livres bibliques hébraïques et juifs, l'ordre de leur rangement, héritier de celui de la LXX (avec une réorientation vers la reconnaissance du Dieu d’Israël par les nations), ordre de la LXX réorienté à nouveau vers Jésus-Christ, marque la lecture chrétienne qui en est faite : l'Ancien Testament chrétien se termine par le livre de Malachie, qui annonce la venue d’Élie que l’Évangile de Matthieu reconnaît d'entrée de Nouveau Testament en Jean le Baptiste. Ce rangement est commun aux Églises chrétiennes jusqu'à (pour la France) la TOB, qui reprend l'ordre hébraïque et juif.

Jésus-Christ au cœur de la prédication chrétienne, la lecture des Évangiles doit de la sorte se faire en regard positif permanent de la Bible hébraïque et d'Israël, veillant à éviter les contresens qui verraient dans les tensions internes au Nouveau Testament celles d'un conflit judéo-chrétien, alors que le christianisme comme religion n'existe pas encore !

Outre le vis-à-vis ecclésial et le vis-à-vis d’Israël, la prédication chrétienne nous situe au cœur d'un troisième vis-à-vis, celui du témoignage intérieur du Saint-Esprit (la formule est récurrente chez Calvin) et de la proclamation de la Parole de Dieu reçue dans la lecture des Écritures. C'est l'Esprit saint qui fait résonner les Écritures en nous comme parole de Dieu, parole vivante, vivifiée par l’Esprit et vivifiante, faisant naître en nous l'être de résurrection – cela signifié dans les sacrements comme concernant tout notre être –, à l'image du Ressuscité vivant en nous, selon cette expérience intime, subjective, du chrétien : la rencontre du Ressuscité donnée dans la foi en sa présence vivante, venant à nous comme don de notre présence devant Dieu, accueillis inconditionnellement, comme nous sommes : coram Deo sola fide vivere (une autre devise de la Réforme) : vivre devant Dieu par la foi seule.


RP, 21 novembre 2015
Formation diaconale – diocèse de Poitiers
« L'homélie, sa place son rôle dans la liturgie »


lundi 23 novembre 2015

Un Roi et des Mages





« Les Mages se mirent en route ; et voici que l'astre, qu'ils avaient vu à l'Orient, avançait devant eux jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant. » (Matthieu 2, 9)

Une prophétie de l'Avesta, le livre saint des Mages, prêtres de Ahura Mazda – selon le nom du Dieu unique dans la religion du prophète Zoroastre, en Perse d'où viennent les Mages – ; je cite : « À la fin des siècles, Ahura Mazda [Dieu] engagera une lutte décisive contre Ahriman [Le Mal] et l'emportera grâce à l'archange Sraoscha (l'obéissant), vainqueur du démon Ashéma. Une Vierge concevra alors un Messie, le Victorieux, le second Zoroastre qui fera ressusciter les morts ». En regard de cette prophétie, les Mages d'Iran oriental se recueillaient trois jours par an sur une montagne y guettant « l'étoile du grand roi », devant initier la nouvelle ère.

Matthieu fait bien référence à cette prophétie ! Ses mots l'indiquent : l'étoile « vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant ». Ce qui semble étrange, et qui le serait même pour Mathieu — une étoile ne s'arrêtant pas comme telle —, sauf à considérer que pour lui, il s'agit bien d'un tournant qui a lieu dans les repères des Mages : ce qu'ils reçoivent comme le signe du passage à la nouvelle ère prend fin à ce moment là : l'ère nouvelle, celle de la résurrection, commence et celui qui l'introduit se trouve ici : Jésus. L'astre les a conduits en Judée, à Jérusalem, chez le roi, Hérode, la prophétie biblique les mène à Bethléem. Et quand ils y sont, le phénomène qui les a menés en Judée pour y percevoir la nouvelle ère « s'arrête ».

Tout le récit s’explique alors. On comprend en passant qu'il ne s'agit pas de l'astrologie des horoscopes modernes. L'organisation du calendrier, le repère des ères, en regard des prophéties de l'Avesta, est d'un autre ordre : on ne décèle pas un destin fixé des individus en fonction de leurs « signes ». On est dans l’ordre du calendrier – cycles très courts : les jours solaires, cycles courts : semaines et nouvelles lunes, grandes ères : la lecture par les Mages du calendrier des constellations les induit à fixer aussi ces grands cycles. Le tout est, en regard de l'astrophysique, aussi arbitraire que la fixation des semaines à sept jours. On est dans le symbolique... Comme le nombre de trois Mages, absent chez Matthieu, viendra ensuite symboliser les « trois continents » d'alors, correspondant aux trois cadeaux de l'évangile... Les Mages de Matthieu eux, cherchent selon leur rite et ses recoupements dans l’influence réciproque avec les juifs, le signe de l'ère nouvelle dans un roi des Judéens.

Le message de Dieu a rompu les frontières : c'est ce qui est au cœur de ce récit : Dieu est manifesté au monde. D'une façon surprenante. Car voilà que face à la recherche de la sagesse, Dieu a opposé la folie de sa présence dans un enfant pauvre ; la foi miraculeuse à la faiblesse d’un enfant. À ce point, c’est à nous d’emboîter le pas des Mages et de leur histoire étrange. Voilà des Mages arrivés dans la ville royale, Jérusalem, s’attendant au palais d’Hérode — et qui se retrouvent dans un village pauvre. Les voilà qui, loin des honneurs royaux, repartent par un autre chemin.

Nous n’avons pas eu les mêmes routes que les Mages. Nous avons eu chacun nos chemins, ceux de nos espérances, de nos étoiles confuses, de nos religiosités, de nos soucis, de nos fardeaux, jusqu’à l’enfant, qui mystérieusement, nous a guidés et accompagnés jusqu'à lui. À présent l’étoile s’arrête, dévoilant l’enfant, nouveau chemin, lumineux, qui commence devant nous...


RP, Qdn Noël 2015


mardi 17 novembre 2015

Le religieux en ses dimensions objective et subjective





Le religieux doit se distinguer en objectif et subjectif. Le religieux comme réalité objective concerne la culture commune de l'humanité, en toutes ses traditions, religions et civilisations. Sous un autre angle, subjectif, il emporte les convictions, la croyance, la foi. Cette distinction entre objectif et subjectif peut éviter au religieux de devenir explosif, voire violent. En sa réalité objective, le religieux est l’expression factuelle d'une dimension de la structure des êtres humains, dimension de l'inconscient, au carrefour de l’inconscient personnel et de l’inconscient collectif.

On peut le penser en premier lieu comme expression d'une réalité archétypale se déployant selon la diversité des civilisations, sans y être étanche, loin s'en faut, aux apports non-autochtones. Le vocable renvoie aux archétypes selon C.G Jung, qui lui-même emprunte le terme à Platon. Lesdits archétypes présentés par Jung relèvent de la structure fondamentale des êtres humains, étant inscrits dans l'inconscient, et dans l'inconscient collectif. Ils prennent des figures diverses selon les lieux et civilisations, mais ils ont quelque chose de fondamentalement commun sous ces figures diverses. Ils se déploient dans le rêve et dans les mythes. Ce religieux archétypal existe dans tous les rites et religions et a partout une coloration autochtone, tout en n'étant pas limité à l’autochtonie. Des recoupements d'un pays à l'autre, d'une tradition religieuse ou culturelle à l'autre, sont possibles. C'est là un pôle fondamental du religieux.

Une autre pôle peut être appelé le pôle prophétique. Prophétique en ce sens qu'il porte une interrogation permanente sur le pôle archétypal, de l'ordre d'un approfondissement intuitif. Ce pôle est très prégnant dans les traditions se réclamant de la figure biblique d'Abraham, mais pas uniquement, bien sûr. Les remises en question prophétiques portées à ce pôle ne valent pas négation du pôle archétypal (bien qu'elles connaissent ce risque), ni a fortiori destruction de celui-ci, mais valent en regard des déploiements archétypaux dont le pôle prophétique participe aussi. Ainsi, ce pôle peut s'imposer de lui-même largement, voire universellement, au-delà de sa sphère d’émission première.

Un troisième pôle peut être appelé philosophique. Il relève, à partir des pôles archétypal et prophétique, d'un processus d'abstraction, d'un dégagement de principes, de relectures. Avec le risque de perdre de vue l'enracinement archétypal et prophétique de ce travail d'abstraction, voire la négation de leur légitimité. La notion de Dieu peut sans difficulté y être reçue, elle l'a souvent été, mais sans autre signification qu'une désignation du fait que les paramètres de ce qui advient nous débordent infiniment.

Les ruptures entre les trois pôles correspondent à des moments de désintégration dangereux.

Jusque là on est dans la dimension objective du religieux, n'impliquant ni adhésion à telle ou telle expression, ni croyance, ni foi, ni convictions - autant de réalités subjectives qui supposent un engagement, une implication ; qui supposent éventuellement jusqu'à la réception de Dieu non seulement comme désignant l'infinité des paramètres que nous ne maîtrisons pas, mais comme puissance favorable (acte de foi donc).

Lorsque la distinction n'est pas opérée entre l'aspect objectif et l'aspect subjectif, on est toujours menacé de glisser à des attitudes dangereuses, croire sa propre implication subjective susceptible de devoir être imposée, voire violemment, si on juge que les textes, par exemple, auxquels on se réfère, le requièrent, s'ils sont reçus comme donnant des indications quant à un mode de vivre la cité terrestre.


RP, 2.11.15
Lors du colloque 2015 du Conseil de l'Europe
sur la dimension religieuse du dialogue interculturel
"Construire ensemble des sociétés inclusives"
("Sur le rôle des religions et des convictions non-religieuses
dans la prévention de la radicalisation et de l'extrémisme violent")
Sarajevo 1-3 novembre 2015