Après m'être soumis avec application à la tâche qui m'est demandée : réfléchir avec les paroisses de notre Église et les autres délégués synodaux à la question de la bénédiction nuptiale, je termine cette réflexion en quatre volets par quelques propos plus sérieux sur le sujet…
« C’est à bon droit que dans les sectes où la fécondité était tenue en suspicion, chez les Bogomiles et les Cathares, on condamnait le mariage, institution abominable que toutes les sociétés protègent depuis toujours, au grand désespoir de ceux qui ne cèdent pas au vertige commun. » (Cioran, Le mauvais démiurge, NRF, p. 20.)
C'est un raccourci qu'effectue ici Cioran : les cathares n'étaient pas aussi… lucides, pas aussi fermes qu'il le suppose sur la condamnation du mariage… (Cioran reconnaît aimer les raccourcis : « ma passion du raccourci m’empêche d’écrire, puisque écrire c’est développer. » — Cahiers 1957-1972, Gallimard, 1977, p. 179.)
Mais l'idée est là : les cathares condamnent en tout cas le mariage religieux (et par avance son avatar protestant en forme de « bénédiction »). Chose profane, comme le dira Luther. Ils ont payé cher ce genre de lucidité.
Pour les cathares le rôle de l’Église n'est pas de gérer ces affaires temporelles, fruit, avec l'argent et la guerre, d'une catastrophe initiale indicible — suite à laquelle l'homme, « jeté sur la terre pour apprendre à opter, […] sera condamné à l'acte, à l'aventure […]. Le ciel seul permettant jusqu'à un certain point la neutralité, l'histoire, tout au rebours, apparaîtra comme la punition de ceux qui, avant de s'incarner, ne trouvaient aucune raison de se rallier à un camp plutôt qu'à un autre. On comprend pourquoi les humains sont si empressés d'épouser une cause, de s'agglutiner, de se rassembler autour d'une vérité. » (Cioran, Écartèlement, Œuvres, Gallimard, p. 1409.)
C'est par où le temps tente de se rattraper, court après l'éternité embourbée à travers l'interminable succession des générations, course dans laquelle il faut bien tenter de limiter les dégâts concernant la multitude de créatures jetées dans le temps via la procréation, en organisant leur accueil via l' « institution abominable » qu'il faut donc pourtant bien tolérer jusqu'à la rejonction de l'éternité, s'il y a lieu.
Organisation politique, institution politique. Mais que l’Église vient-elle faire ici ? — sinon répéter religieusement cette affaire profane, pactisant avec la déchéance. Les cathares avaient la lucidité de le savoir…
Et de pressentir sans doute que l'optimisme de l'acte ne se décourage jamais, poussant jusqu'à travers l’Église ses « bénédictions » qui nous ont valu des enthousiasmes autrement productifs que ceux du temps des cathares : des réussites européennes du XXe siècle de toutes les désolations et accumulations de cadavres à la merveille technologique d'Hiroshima — chargées invariablement des « bénédictions » émues des Églises de chaque camp, de 1914 à août 1945 (pour s'en tenir au seul XXe siècle)…
Alors si aujourd'hui, héritiers que nous sommes de cet optimisme qui à présent se contente de s'enthousiasmer tout à nouveau pour la merveille aboutie qu'est l' « institution abominable », ne nous formalisons pas… Si nous voulons remettre le couvert (qui n'a pas été levé) avec le mariage religieux, reçût-il le doux nom de « bénédiction » — une de ses figures seulement, il est vrai ; les bénédictions du XXe siècle ne nous auront donc rien appris sur le sérieux de ce mot —, soit : n'en faisons pas un drame, la fatigue des siècles aidant : tenons-nous dignement, en cathares fatigués de combattre l'histoire.
Eh ! C'était pour rire… (PDF général / en 4 points ICI)
« C’est à bon droit que dans les sectes où la fécondité était tenue en suspicion, chez les Bogomiles et les Cathares, on condamnait le mariage, institution abominable que toutes les sociétés protègent depuis toujours, au grand désespoir de ceux qui ne cèdent pas au vertige commun. » (Cioran, Le mauvais démiurge, NRF, p. 20.)
C'est un raccourci qu'effectue ici Cioran : les cathares n'étaient pas aussi… lucides, pas aussi fermes qu'il le suppose sur la condamnation du mariage… (Cioran reconnaît aimer les raccourcis : « ma passion du raccourci m’empêche d’écrire, puisque écrire c’est développer. » — Cahiers 1957-1972, Gallimard, 1977, p. 179.)
Mais l'idée est là : les cathares condamnent en tout cas le mariage religieux (et par avance son avatar protestant en forme de « bénédiction »). Chose profane, comme le dira Luther. Ils ont payé cher ce genre de lucidité.
Pour les cathares le rôle de l’Église n'est pas de gérer ces affaires temporelles, fruit, avec l'argent et la guerre, d'une catastrophe initiale indicible — suite à laquelle l'homme, « jeté sur la terre pour apprendre à opter, […] sera condamné à l'acte, à l'aventure […]. Le ciel seul permettant jusqu'à un certain point la neutralité, l'histoire, tout au rebours, apparaîtra comme la punition de ceux qui, avant de s'incarner, ne trouvaient aucune raison de se rallier à un camp plutôt qu'à un autre. On comprend pourquoi les humains sont si empressés d'épouser une cause, de s'agglutiner, de se rassembler autour d'une vérité. » (Cioran, Écartèlement, Œuvres, Gallimard, p. 1409.)
C'est par où le temps tente de se rattraper, court après l'éternité embourbée à travers l'interminable succession des générations, course dans laquelle il faut bien tenter de limiter les dégâts concernant la multitude de créatures jetées dans le temps via la procréation, en organisant leur accueil via l' « institution abominable » qu'il faut donc pourtant bien tolérer jusqu'à la rejonction de l'éternité, s'il y a lieu.
Organisation politique, institution politique. Mais que l’Église vient-elle faire ici ? — sinon répéter religieusement cette affaire profane, pactisant avec la déchéance. Les cathares avaient la lucidité de le savoir…
Et de pressentir sans doute que l'optimisme de l'acte ne se décourage jamais, poussant jusqu'à travers l’Église ses « bénédictions » qui nous ont valu des enthousiasmes autrement productifs que ceux du temps des cathares : des réussites européennes du XXe siècle de toutes les désolations et accumulations de cadavres à la merveille technologique d'Hiroshima — chargées invariablement des « bénédictions » émues des Églises de chaque camp, de 1914 à août 1945 (pour s'en tenir au seul XXe siècle)…
Alors si aujourd'hui, héritiers que nous sommes de cet optimisme qui à présent se contente de s'enthousiasmer tout à nouveau pour la merveille aboutie qu'est l' « institution abominable », ne nous formalisons pas… Si nous voulons remettre le couvert (qui n'a pas été levé) avec le mariage religieux, reçût-il le doux nom de « bénédiction » — une de ses figures seulement, il est vrai ; les bénédictions du XXe siècle ne nous auront donc rien appris sur le sérieux de ce mot —, soit : n'en faisons pas un drame, la fatigue des siècles aidant : tenons-nous dignement, en cathares fatigués de combattre l'histoire.
Eh ! C'était pour rire… (PDF général / en 4 points ICI)
RP, Poitiers, mars 2014
"Bénir", oui oui ? (1)
« "Bénir" pour tous » dans une civilisation libérale (2)
Quelle bénédiction en fin de compte ? (3)
"Bénir" : un peu de sérieux pour terminer (4)
"Bénir", oui oui ? (1)
« "Bénir" pour tous » dans une civilisation libérale (2)
Quelle bénédiction en fin de compte ? (3)
"Bénir" : un peu de sérieux pour terminer (4)
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire