Onus probendi… Telle est au fond la question qui se pose quand on ose rapprocher les termes cathares et protestants. Michel Jas ose, soulevant dès lors quantité de malentendus : car chacun veut entendre dans ce rapprochement une affirmation, voire une affirmation identitaire ! Facile, alors, de lire Michel Jas de travers. Or, ce n’est en aucun cas son propos.
Michel Jas se contente d’interroger son lecteur sur la charge de la preuve, l’Onus probendi. Il semble aujourd’hui acquis que la charge de la preuve revient à ceux qui osent rapprocher les deux termes, étant acquis en parallèle que se risquer à une telle gageure est évidemment perdu d’avance : aucun rapport entre les deux termes, circulez donc, il n’y a rien à voir.
Et tant pis pour les opiniâtres. Michel Jas en serait donc un ? C’est qu’à bien y regarder, il y a tout de même matière à opiniâtreté. Et de la matière, il en avance, et pas qu’un peu, au fil d’une lecture minutieuse des textes, qui finissent par interroger : et si l’acquis n’était pas aussi acquis qu’on nous l’assène ? Et pourquoi est-ce aussi évidemment acquis ? Ne pourrait-on pas s’interroger ? Michel Jas s’interroge, et nous interroge, nous conduisant à revenir sur l’acquis.
Qui s’est intéressé à la question cathare, et à la lecture du catharisme, voit alors resurgir de sa mémoire un fait incontestable de l’historiographe du catharisme, le seul peut-être ! À savoir : ladite historiographie est sujette à une redoutable variabilité, variabilité au moins aussi considérable que celle que voyait Bossuet dans les insupportables variations des « sectes protestantes » qu’il détaillait méticuleusement — mais sans doute pas exhaustivement.
Bossuet, justement, plaçait les cathares parmi les innombrables « sectes protestantes » ! C’est ce même Bossuet, pourtant, qui pose irréfutablement une claire distinction entre cathares et vaudois — distinction qu’auparavant les protestants français ne faisaient pas toujours, voyant chez les uns comme les autres des sortes d’ancêtres spirituels. La chose pouvait être évidente concernant les vaudois, qui avaient indubitablement rallié la Réforme depuis le XVIe siècle.
Mais l’évêque Bossuet, ayant, dans son apologétique anti-protestante, établi indiscutablement que les cathares se distinguaient des vaudois par leur « dualisme », à savoir leur pessimisme radical quant à ce monde, il devenait imprudent de se réclamer d’une hérésie aussi redoutable !
Un tournant était pris, qui verrait les protestants français laisser dans l’ombre une ancienne revendication. Et c’est un protestant qui lui donnerait, plus tard, le coup de grâce : l’historien Charles Schmidt, professeur à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg. Au terme d’un travail considérable il faisait ressortir la distance dogmatique considérable, sans doute infranchissable, qui sépare les hérétiques médiévaux des christianismes catholiques ou protestants.
Qu’importent alors les nostalgies, souvent protestantes en effet. Qu’importent donc les envolées lyriques d’un Napoléon Peyrat : la rigueur scientifique les regardera désormais au mieux avec une sympathie condescendante, à l’instar des mystérieux ésotérismes qui s’emparent des cathares et de Montségur d’un côté, du roman du Graal de l’autre, ou des deux à la fois, pour une mythologie « solaire » qui ne laisse décidément de sérieux qu’aux seuls héritiers universitaires des anciens contempteurs des cathares.
La problématique « cathares et protestants » en est souvent restée là, parfois jusqu’à nos jours, en dépit de nouvelles ouvertures offertes par de nouvelles découvertes et une nouvelle recherche historienne, qui admet aujourd’hui que les choses sont moins simples que ce qu’avait posé l’histoire du XIXe siècle.
La littérature issue des anciens contempteurs, la littérature inquisitoriale elle-même est devenue une source précieuse, au delà des traités et rituels cathares découverts depuis le fin du XIXe siècle et tout le XXe siècle.
Et on apprend à reconnaître que si les cathares n’étaient pas protestants au plan doctrinal ou ecclésiologique, c’est certain !, ils n’en étaient pas moins chrétiens, ce qu’il eût été plus difficile d’admettre au XIXe siècle. C’est au point qu’on sait désormais que le vocable même de « cathares » est dû aux ennemis médiévaux des cathares, d’origine rhénane, et largement popularisé depuis via la recherche germanique du XIXe siècle et l’université française via Schmidt. C’est au point que ce vocable-même ne les désigne que par convention. Eux ne se veulent que chrétiens — c’est désormais un acquis — tenants en plein Moyen Âge, d’un christianisme alternatif face au christianisme dont la clef de voûte est l’Église romaine.
Quelle que soit l’étrangeté — à nos yeux de modernes — de leur christianisme, voilà qu’ils s’avèrent être, au cœur même de leur stigmatisation comme hérétiques, une Église alternative, la seule en ce temps-là, durement réprimée, exterminée quant à son clergé. Leur ecclésiologie rend depuis lors impossible leur existence comme Église.
On est au XIVe siècle. Quid alors des populations touchées par le message des clercs cathares désormais irrémédiablement absents ? Plus de traités et de rituels ! Bientôt le travail inquisitorial de mise en textes des interrogatoires va se taire.
Ces sources des historiens devenues silencieuses disent-elles pour autant que tout souvenir hérétique et blessé a disparu ?
C’est cette certitude tacite que Michel Jas interroge, attentivement, alignant texte après texte, mettant en question une histoire à long terme toujours en risque de ronronner. Et voilà que sa mise en question de cette histoire par le très court terme fait apparaître en filigrane une histoire du très long terme, celle des continuités souterraines suffisamment étendues pour que se conçoive la perte de la mémoire des continuités dogmatiques du relativement long terme et du moyen terme.
Ce n’est pas, au bout du compte, une affirmation que pose Michel Jas, mais bien une question au cœur du procès d’une histoire qu’on aurait pu croire acquise…
Au point, peut-être, qu’au bout de son parcours Michel Jas pourrait bien avoir renversé dans l’esprit de son lecteur l’Onus probendi, la charge de la preuve : on va répétant que les termes cathares et protestants ne sauraient être rapprochés ? Mais peut-être faudrait-il le prouver ?
Michel Jas se contente d’interroger son lecteur sur la charge de la preuve, l’Onus probendi. Il semble aujourd’hui acquis que la charge de la preuve revient à ceux qui osent rapprocher les deux termes, étant acquis en parallèle que se risquer à une telle gageure est évidemment perdu d’avance : aucun rapport entre les deux termes, circulez donc, il n’y a rien à voir.
Et tant pis pour les opiniâtres. Michel Jas en serait donc un ? C’est qu’à bien y regarder, il y a tout de même matière à opiniâtreté. Et de la matière, il en avance, et pas qu’un peu, au fil d’une lecture minutieuse des textes, qui finissent par interroger : et si l’acquis n’était pas aussi acquis qu’on nous l’assène ? Et pourquoi est-ce aussi évidemment acquis ? Ne pourrait-on pas s’interroger ? Michel Jas s’interroge, et nous interroge, nous conduisant à revenir sur l’acquis.
Qui s’est intéressé à la question cathare, et à la lecture du catharisme, voit alors resurgir de sa mémoire un fait incontestable de l’historiographe du catharisme, le seul peut-être ! À savoir : ladite historiographie est sujette à une redoutable variabilité, variabilité au moins aussi considérable que celle que voyait Bossuet dans les insupportables variations des « sectes protestantes » qu’il détaillait méticuleusement — mais sans doute pas exhaustivement.
Bossuet, justement, plaçait les cathares parmi les innombrables « sectes protestantes » ! C’est ce même Bossuet, pourtant, qui pose irréfutablement une claire distinction entre cathares et vaudois — distinction qu’auparavant les protestants français ne faisaient pas toujours, voyant chez les uns comme les autres des sortes d’ancêtres spirituels. La chose pouvait être évidente concernant les vaudois, qui avaient indubitablement rallié la Réforme depuis le XVIe siècle.
Mais l’évêque Bossuet, ayant, dans son apologétique anti-protestante, établi indiscutablement que les cathares se distinguaient des vaudois par leur « dualisme », à savoir leur pessimisme radical quant à ce monde, il devenait imprudent de se réclamer d’une hérésie aussi redoutable !
Un tournant était pris, qui verrait les protestants français laisser dans l’ombre une ancienne revendication. Et c’est un protestant qui lui donnerait, plus tard, le coup de grâce : l’historien Charles Schmidt, professeur à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg. Au terme d’un travail considérable il faisait ressortir la distance dogmatique considérable, sans doute infranchissable, qui sépare les hérétiques médiévaux des christianismes catholiques ou protestants.
Qu’importent alors les nostalgies, souvent protestantes en effet. Qu’importent donc les envolées lyriques d’un Napoléon Peyrat : la rigueur scientifique les regardera désormais au mieux avec une sympathie condescendante, à l’instar des mystérieux ésotérismes qui s’emparent des cathares et de Montségur d’un côté, du roman du Graal de l’autre, ou des deux à la fois, pour une mythologie « solaire » qui ne laisse décidément de sérieux qu’aux seuls héritiers universitaires des anciens contempteurs des cathares.
La problématique « cathares et protestants » en est souvent restée là, parfois jusqu’à nos jours, en dépit de nouvelles ouvertures offertes par de nouvelles découvertes et une nouvelle recherche historienne, qui admet aujourd’hui que les choses sont moins simples que ce qu’avait posé l’histoire du XIXe siècle.
La littérature issue des anciens contempteurs, la littérature inquisitoriale elle-même est devenue une source précieuse, au delà des traités et rituels cathares découverts depuis le fin du XIXe siècle et tout le XXe siècle.
Et on apprend à reconnaître que si les cathares n’étaient pas protestants au plan doctrinal ou ecclésiologique, c’est certain !, ils n’en étaient pas moins chrétiens, ce qu’il eût été plus difficile d’admettre au XIXe siècle. C’est au point qu’on sait désormais que le vocable même de « cathares » est dû aux ennemis médiévaux des cathares, d’origine rhénane, et largement popularisé depuis via la recherche germanique du XIXe siècle et l’université française via Schmidt. C’est au point que ce vocable-même ne les désigne que par convention. Eux ne se veulent que chrétiens — c’est désormais un acquis — tenants en plein Moyen Âge, d’un christianisme alternatif face au christianisme dont la clef de voûte est l’Église romaine.
Quelle que soit l’étrangeté — à nos yeux de modernes — de leur christianisme, voilà qu’ils s’avèrent être, au cœur même de leur stigmatisation comme hérétiques, une Église alternative, la seule en ce temps-là, durement réprimée, exterminée quant à son clergé. Leur ecclésiologie rend depuis lors impossible leur existence comme Église.
On est au XIVe siècle. Quid alors des populations touchées par le message des clercs cathares désormais irrémédiablement absents ? Plus de traités et de rituels ! Bientôt le travail inquisitorial de mise en textes des interrogatoires va se taire.
Ces sources des historiens devenues silencieuses disent-elles pour autant que tout souvenir hérétique et blessé a disparu ?
C’est cette certitude tacite que Michel Jas interroge, attentivement, alignant texte après texte, mettant en question une histoire à long terme toujours en risque de ronronner. Et voilà que sa mise en question de cette histoire par le très court terme fait apparaître en filigrane une histoire du très long terme, celle des continuités souterraines suffisamment étendues pour que se conçoive la perte de la mémoire des continuités dogmatiques du relativement long terme et du moyen terme.
Ce n’est pas, au bout du compte, une affirmation que pose Michel Jas, mais bien une question au cœur du procès d’une histoire qu’on aurait pu croire acquise…
Au point, peut-être, qu’au bout de son parcours Michel Jas pourrait bien avoir renversé dans l’esprit de son lecteur l’Onus probendi, la charge de la preuve : on va répétant que les termes cathares et protestants ne sauraient être rapprochés ? Mais peut-être faudrait-il le prouver ?
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