<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: 2014

mardi 21 octobre 2014

Rupture ou continuité...




(Photo ici)


... entre philosophe et chrétien ?

Se poser la question sous-jacente au titre proposé pour cette rencontre — « philosophe et chrétien » —, c'est être héritier d'un processus de dissociation avant lequel cette question n'eût pas semblé évidente. Un processus de dissociation entre foi et raison, entre nature et sur-nature, entre raison naturelle et révélation, voire entre religieux et séculier, qui trouve un aboutissement au XIIIe siècle, avec Thomas d'Aquin, dont nous sommes dès lors en Occident probablement tous héritiers.

Thomas d'Aquin opte pour prendre radicalement en compte la philosophie d'Aristote dont le corpus reçu du monde arabe, travaillé par les philosophes musulmans et juifs, apparaît alors comme donnée scientifique, lecture de la nature incontournable. Cela en vis-à-vis d'enseignements chrétiens qui semblent incompatibles avec la philosophie naturelle, ou tout au moins inaccessibles à ses investigations — c'est ce que Thomas s'efforce de montrer : inaccessibles mais point en contradiction avec la philosophie naturelle. Exemples connus : on peut pour lui, via Aristote, démontrer l'existence de Dieu, mais la Trinité doit être crue ; l'immortalité de l'âme, mais la résurrection doit être crue ; etc.

On a donc désormais une distinction nette (quoique sans contradiction pour Thomas, contrairement à d’autres) entre la foi chrétienne et la philosophie. Ainsi, philosophe et chrétien peuvent apparaître comme deux choses distinctes, pas conformément contradictoires, mais distinctes — fonctionnant sur deux bases différentes : la révélation biblique et apostolique d'une part, la nature de l'autre. Cette distinction n'a pas toujours été à l'ordre du jour auparavant.

*

Auparavant, la façon la plus classique d'aborder le monde, les différentes approches du monde, les différentes façons dont on le pense, relèvent plutôt de différentes traditions — qu'il n'y a aucun inconvénient à appeler indifféremment philosophiques ou religieuses —, qui représentent autant de portes d'entrée du réel et de la façon dont on le lit, traditions qui ne voient aucun inconvénient à recevoir les leçons des autres.

Pour la porte d'entrée hébraïque je pense au livre du Qohéleth, traduit en français par « L’Ecclésiaste », qui ne postule aucun acte de foi en une révélation inaccessible à la raison. C'est un livre philosophique inscrit dans un héritage hébraïque revendiqué, et qui ne rejette pas pour autant les proximités qui peuvent être induites avec d’autres traditions. On retrouve cela dans le Nouveau Testament, et dans les autres traditions du bassin méditerranéen. Par exemple Moïse instruit dans toute la sagesse de l’Égypte selon le livre des Actes des Apôtres (ch. 7), et Pythagore de même selon la tradition hellénique — lequel aurait même dialogué avec Jérémie exilé en Égypte, selon une tradition qui s'est propagée.

Dans le christianisme ancien, cette lignée d'approche ne pose aucun problème. Ainsi, cas connu, Justin Martyr (IIe s.) s'est rattaché à plusieurs écoles philosophiques antiques, du platonisme à l'aristotélisme et au stoïcisme, qui s’empruntaient sans problème les unes aux autres, avant de se rattacher au christianisme qu'il conçoit comme une école philosophique, et qu'il vit revêtu du pallium, le vêtement des philosophes.

C'est là une approche qui n'est pas du tout isolée, et qui, concernant le christianisme, s'enracine dans le Nouveau Testament, enraciné lui même dans la tradition juive, dans plusieurs traditions juives : par exemple, il est admis par l'exégèse actuelle que l’Épître aux Hébreux relève d'une pensée proche du philosophe juif hellénistique Philon d'Alexandrie, dans une lignée globalement néo-platonicienne, et donc dotée de diverses influences, celle de divers courants de la philosophie.

Une attitude que l'on retrouve chez les Alexandrins chrétiens, comme Clément d'Alexandrie (IIe s.) et Origène (IIe–IIIe s.), qui ne craignent pas de dialoguer avec leur homologues juifs et païens, dans un cadre philosophique partagé. Un cadre qui fait qu'il n'y a pas rupture entre les diverses approches, et même avec le vocabulaire. Par exemple le vocable théologie n'est pas réservé au domaine de la foi, et a fortiori pas au domaine de la foi chrétienne.

Déjà Aristote, au IVe s. av. JC, employait ce terme pour désigner les choses célestes et divines, des astres aux intelligences célestes (anges ou dieux dans les vocables communs). Aristote rangeait la connaissance du monde en deux domaines généraux, la physique, c'est-à-dire la nature, les sciences de la nature, et ce qui venait après la physique dans cette classification : en grec la métaphysique, ce qui vient après la physique, au-delà de la physique. La physique étant ce qui est accessible aux sens, la métaphysique ce à quoi les sens n'ont pas accès. Pour métaphysique, on peut aussi dire « philosophie première », ou théologie, c'est-à-dire sciences des choses célestes ou divines — ça concerne donc tout le monde céleste, des planètes aux dieux et à Dieu, le premier moteur du monde pour Aristote.

*

Dans le christianisme se sont aussi développées des pensées de rupture, qui ont fini par triompher. Un même auteur peut être à la fois dans la continuité philosophique et dans la rupture. Je pense à Paul, qui s'inscrit dans une lignée d'approche philosophique, non seulement lorsque le livre des Actes le présente dialoguant, sans succès, avec les philosophes d’Athènes (Actes 17), mais plus précisément sans doute, lorsqu'il argumente, en 1 Corinthiens 15, en faveur de la doctrine de la résurrection, qui avant d'être foi au relèvement du Christ d'entre les morts, est un concept philosophique développé dans les traditions juive et persane, comme l'a montré remarquablement Henry Corbin dans ses études sur la réception de ce concept dans plusieurs courants mystiques de l’islam, où l'on n'est pas très loin de l’argumentation de Paul aux Corinthiens.

Mais le même Paul, dans la même épître aux Corinthiens, adopte aussi une pensée de rupture, aux chapitres 1 et 2, peut-être pas étrangère aux constats d'échec de son argumentation auprès d’autres philosophes, comme à Athènes selon Actes 17. Au début de 1 Co Paul en effet oppose la folie de la croix à la sagesse de la raison. On entre dans un autre type de lignée philosophique, celle du paradoxe, que les Grec prisaient assez peu !

Une lignée qui va voir se développer les pensées de rupture : avec des figures connues comme Tertullien (IIIe s.) ou, plus tard, d'une autre façon, Augustin (IVe-Ve s.).

Il sera désormais plus ou moins acquis en Occident chrétien qu'il y a une pensée révélée, à laquelle sera réservé le vocable « théologie », qui excède la raison naturelle, qui s'exerce elle dans la philosophie. Ce qui n’entraîne pas un rejet, mais au moins une hiérarchie, la révélation étant au-dessus. On connait la formule célèbre d'Augustin : philosophia ancilla theologiae — la philosophie servante de la théologie. Il s'agit alors d'utiliser les concepts et instruments mis en place par la philosophie (i.e. grecque), au service de la théologie, c'est-à-dire pour penser la révélation biblique et ecclésiale.

Une distinction nette est désormais établie, qui débouche sur la distinction entre philosophe et chrétien, ou au moins entre philosophie et théologie — on peut certes être les deux, mais on est censé ne pas travailler sur le même matériau : la nature d'un côté, la révélation biblique de l'autre.

Avec Thomas d'Aquin (XIIIe s.), dont nous sommes tous plus ou moins héritiers sous cet angle, la distinction est acquise — on l'a dit : la nature concernant la philosophie, nature dont le penseur essentiel est Aristote, la sur-nature dont l’accès relève de la révélation, sur-nature qui excède la philosophie sans pour autant la contredire.

Thomas d'Aquin, pour cela, est héritier de philosophes arabes comme le musulman Averroès (XIIe s.) et le juif Maïmonide (XIIe s.), qui mutatis mutandis, connaissent les mêmes distinctions, qui existent donc aussi à l'époque en judaïsme et en islam.

En Occident chrétien, cette rupture entre deux domaines se creusera, devenant rupture effective, jusqu'à rendre parfois presque incongrus la juxtaposition des termes philosophe et chrétien. Creusements jusqu'en oppositions qui culminent avec les différents rationalismes et empirismes et leurs héritages, critiques ou pas.

*

Cette pensée de rupture sera cependant souvent nuancée, et même mise en question, voire mise en question en étant poussée à terme.

L'idée de rupture est, me semble-t-il, nuancée par un Montaigne (XVIe s) par exemple, en ce qu'il remet en honneur un certain éclectisme qui n'est pas sans rapprocher de celui de l'Antiquité. Ne reniant pas son christianisme, Montaigne ne s'en réclame pas moins des stoïciens ou des épicuriens, que confrontait Paul sur l'Aréopage d'Athènes (Ac 17).

Et puis on assiste à une véritable mise en question de cette rupture, via le paradoxe, qui relève lui-même de l'idée de rupture ! — avec Kierkegaard (XIXe s.), qui questionne la capacité de la pensée philosophique à atteindre le réel, qui, lui, relève du vécu, existentiel, toujours exceptionnel et unique, là où la pensée n'atteint que le général, qui n'existe pas dans le réel.

Enfin, dans une autre perspective, on a parlé d'Henry Corbin (XXe s.), qui réinscrit dans la légitimité de la pensée philosophique des concepts comme le concept de résurrection.


R.P.
Philosophe et chrétien
Aumônerie universitaire protestante,
Poitiers, La Croix de Beaulieu, 21/10/2014


vendredi 10 octobre 2014

Discours d'Aristophane







Court métrage de Pascal Szidon d'après le Banquet de Platon (189d-191d). Voix d'Aristophane : Jean-François Balmer. Traduction : Luc Brisson.
© M.Prokosh Films Productions

dimanche 21 septembre 2014

Sur l'interaction entre culture et religion - du cas protestant français



La société laïque actuelle pose comme clef de voûte de la cité des principes qui font qu'aucune des religions qui ont traditionnellement pu structurer la cité n'y exerce ce rôle. On pourrait noter que cela déplace le sens que nous continuons pourtant de donner au mot religion. Si au plan de la cité le terme suppose faire lien commun (selon une des étymologies - relier - du mot religion), aucune religion ne joue plus ce rôle aujourd'hui.

Le protestantisme est en France très minoritaire, mais il a joué un rôle dans la mise en place du système laïque actuel dans le cadre duquel la Fédération Protestante représente les Églises qui en sont membres.

Le protestantisme français porte l'héritage d'une minorité persécutée, ayant connu sous l'Ancien Régime plus d'un siècle de clandestinité (de la révocation, en 1685, de l’Édit de tolérance dit Édit de Nantes, à un nouvel Édit de tolérance en 1687). On est en un temps où une religion majoritaire fait clef de voûte de la cité.

Les choses changent lors de la Révolution française, où la minorité protestante va réclamer plus que la tolérance, la liberté.

Un pasteur, député à l'Assemblée constituante de 1789, le pasteur Rabaut Saint-Étienne, sera le porte-parole de cette revendication. Rabaut Saint-Étienne a joué un rôle significatif dans l'adoption de l'article X de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 (qui est en arrière-plan de l'article XVIII de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948) dans la forme qui est la sienne : « nul de doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu qu'elles ne troublent pas l'ordre public ». L'incise « même religieuses » est due au pasteur Rabaut Saint-Étienne : nous voulons la liberté et pas seulement la tolérance.

L’articulation entre tolérance et liberté, qui ne relève pas d'une majorité qui octroierait cette tolérance à des minorités, apparaît dans la la fin de l'article : « pourvu qu'elles ne troublent pas l'ordre public ».

La minorité protestante, sortant alors de la clandestinité et de la persécution, se reconnaît dans une revendication de liberté, et pas seulement de tolérance, qui vaut pour toutes les autres minorités - selon la lecture que les protestants persécutés faisaient des textes de la Bible hébraïque rappelant l'exigence de respect de la dignité de quiconque : car toi aussi tu as été étranger au pays de l'esclavage (cf. Deutéronome 10, 19).

C'est ainsi qu'il me semble que le témoignage particulier de la minorité protestante française au sein d'une assemblée comme la nôtre est précisément celui d'une minorité, qui comme telle revendique la liberté de culte et de conscience. La question restant celle de l’articulation de cette liberté avec sa limite qu'est la tolérance : pourvu que ne soit pas troublé l'ordre public - qui décide ce qui est tolérable et ce qui ne l'est pas ?


RP
« Le dialogue interculturel : interaction entre culture et religion »
Rencontres du Conseil de l'Europe sur la dimension religieuse du dialogue interculturel
Bakou, Azerbaïdjan, 1-2 septembre 2014


dimanche 13 juillet 2014

"Ne les craignez donc pas !"




Jérémie, 20, 7-13
10  J’entends les propos menaçants de la foule - c’est partout l’épouvante : "Dénoncez-le !" - Oui, nous le dénoncerons ! Tous mes intimes guettent mes défaillances : "Peut-être se laissera-t-il tromper dans sa naïveté, et nous arriverons à nos fins, nous prendrons notre revanche."
11  Mais le SEIGNEUR est avec moi comme un guerrier redoutable ; mes persécuteurs trébucheront et n’arriveront pas à leurs fins. Ils seront couverts de honte - ils ne réussiront pas. Déshonneur à jamais ! On ne l’oubliera pas.
12  SEIGNEUR tout-puissant, toi qui examines le juste, qui vois sentiments et pensées, je verrai ta revanche sur eux, car c’est à toi que je remets ma cause.
13  Chantez au SEIGNEUR ! Louez le SEIGNEUR ! Il délivre la vie des pauvres de la main des malfaiteurs.


Matthieu 10, 26-33
26  "Ne les craignez donc pas ! Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est secret qui ne sera connu.
27  Ce que je vous dis dans l’ombre, dites-le au grand jour ; ce que vous entendez dans le creux de l’oreille, proclamez-le sur les terrasses.
28  Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l’âme ; craignez bien plutôt celui qui peut faire périr âme et corps dans la géhenne.
29  Est-ce que l’on ne vend pas deux moineaux pour un sou ? Pourtant, pas un d’entre eux ne tombe à terre indépendamment de votre Père.
30  Quant à vous, même vos cheveux sont tous comptés.
31  Soyez donc sans crainte : vous valez mieux, vous, que tous les moineaux.
32  Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, je me déclarerai moi aussi pour lui devant mon Père qui est aux cieux ;
33  mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai moi aussi devant mon Père qui est aux cieux."


*

« Ne les craignez donc pas ! » — « Ne craignez pas » — « Soyez donc sans crainte » : le leitmotiv revient trois fois dans notre passage de l’Évangile de Matthieu.

Sachant la façon dont ils ont traité le maître (tel est l’arrière-plan), sachant cela :

« Ne les donc craignez pas », dit Jésus une première fois :
— Ne craignez pas de dire la parole pour laquelle vous êtes envoyés ; même si, et notamment face aux menaces, ce n’est pas facile.
Ne craignez pas, car tout sera dévoilé :
— l’enseignement d’abord confidentiel (éventuellement au désert) — est appelé à devenir culte public (dans un temple ouvert sur la ville, sans la menace de trouver une foule ennemie et hargneuse à la sortie) ;
— mais aussi, peut-être, c'est cela aussi qui sera dévoilé, le cœur des persécuteurs : la justice de Dieu est là comme instance suprême, par delà les tribunaux des persécuteurs. Dans la foi en Dieu, ne craignez pas.

« Ne craignez pas », a donc souligné Jésus, les menaces des persécuteurs, qui n’ont de pouvoir, au pire, que sur la vie terrestre.

Voilà qui est pour nous d’une actualité criante ! Nous avons besoin d’entendre ces paroles, n’est-ce pas ? Nous sommes en effet en grand danger ! Vous le savez comme moi. Nous chrétiens, protestants, en France au XXIe siècle sommes particulièrement menacés ! Menaces terribles ! Par exemple : on risque de nous trouver ringards… Peu de doute, on croit en effet de moins en moins. Oui, on risque bel et bien de nous trouver ringards… Crainte ridicule, je ne vous le fais pas dire ! Eh bien, après tout, nous avons du coup peut-être particulièrement besoin d’entendre cette parole : « ne craignez pas ».

Face à la crainte, la vraie menace est peut-être celle qui rend captives nos imaginations. Nous avons tous fait cette expérience : fermer les yeux aux moments les plus redoutables d’un film d’épouvante. La peur est pire : pouvoir terrorisant de l’imagination.

Cela vaut aussi pour la douleur, au point qu’un écrivain du XXe siècle — Emil Cioran — a pu dire que les douleurs imaginaires sont de loin les plus réelles puisqu’on en a besoin au point de les inventer. Peut-être en sommes-nous là. Gens d’une civilisation de l’image — et donc de l’imagination, bardée de peurs imaginaires. Gens d’une civilisation du virtuel au point que nous finissons par confondre virtuel et réel — à juste titre quand le virtuel devient notre seul réel. Quand le virtuel devient l’amorce de l’entrée dans le réel.

Quand le virtuel et l'imaginaire se confondent, ce qui n'est pas si faux, avec le réel. Un peu comme les guides habiles font visiter aux touristes du château d’If la cellule, présentée comme réelle, du tout imaginaire comte de Monte-Christo d’Alexandre Dumas ! Ou comme certains amateurs d’ésotérisme cherchent vraiment — comme des archéologues ! — la coupe du saint Graal, mythique symbole d’un roman médiéval…

Pour en rester à notre époque, il semble que l’absence de menace réelle, l’absence de ce piment du danger réel dans nos vies et nos fois, nous précipite dans l’imaginaire, bien plus redoutable que le réel, imaginaire où le simple risque de passer pour ringard, nous paralyse bien au-delà que la menace de la persécution réelle, qui n’a pas entravé le témoignage de nos ancêtres spirituels.

« Ne craignez pas » vaut peut-être donc à plus forte raison, en ce qui concerne les temps et lieux comme les nôtres où il n’y a pas, du moins en Occident, de menace physique, cela vaut pour les menaces des chercheurs de poux dans la tête et autres chicaneurs ou moqueurs. Qui au pire nous imposent, c'est vrai, des tracasseries administratives. Particulièrement agaçantes certes, et contre lesquelles il faut certes se faire entendre.

*

Et si, du coup, les prophètes avaient préfiguré notre situation de terreur virtuelle ? Je pense à Jérémie que nous avons lu, qui certes était aux prises, lui, avec une menace réelle, comme — menace réelle contemporaine de notre menace virtuelle — comme le sont aussi de nos jours la plupart des chrétiens de la planète, réellement persécutés.

Rien de bien nouveau hélas, me direz-vous, en matière de persécution et de violence, contre quiconque d'ailleurs, depuis les jours de la Réforme : Luther a neuf ans en 1492, l'année qui voyait l'expulsion des juifs et des musulmans d'Espagne, la découverte de l'Amérique, bientôt au grand dam des Indiens. La discrimination religieuse se répand alors en Europe, outre l'Espagne. En France, bientôt la St-Barthélémy. Discrimination religieuse. Discrimination qui se déchaînait déjà dans la persécution des cathares et qui se mue en discrimination raciale : l'Inquisition espagnole, héritière de celle de l'Occitanie du XIIIe siècle, apprend à distinguer les hérétiques comme sang-mêlé en recherchant des ancêtres juifs ou maures aux chrétiens dont le catholicisme est suspect. Au profit des colonies du Nouveau Monde, l'esclavage enseigne à distinguer entre les races, opérant la traite meurtrière que l'on sait, exil généralisé, étendu à l'échelle industrielle, frappant pour des siècles tout un continent.

Tout un cortège macabre débouchant sur le XXe siècle de l'horreur et du silence glacial qui pèse sur des déserts infernaux. Auschwitz, symbole définitif, après lequel la théologie ne sait plus que boiter. Symbole définitif au point qu'il n'a pas même la force d'être leçon définitive. Le goulag y a survécu, puis d'autres génocides. Ce XXe siècle de l'enfer méthodiquement et scientifiquement poursuivi qui débouche sur notre XXIe siècle.

Cette réalité accompagne bien aujourd'hui encore notre vécu de la foi — assez paisible nous concernant — ce vécu de la foi qui était déjà celle de nos prédécesseurs.

*

On a lu Jérémie. Déjà la menace qui pesait sur Jérémie était réelle. Mais elle s’accompagnait en outre de celle qui pesait sur son imagination d’adolescent timide terrorisé par la vocation que lui adressait Dieu de s’adresser aux grands de son monde. C’est ainsi qu’on se moque de Jérémie. Et pourtant il doit parler, il ne peut pas se taire. Et nous ?

La crainte concernant Jérémie, qui peut nous atteindre aussi, est certes plus sérieuse que celle que nous connaissons en France d'aujourd'hui. Elle n’en est pas totalement séparée : crainte de passer pour un fou alarmiste. Car aujourd’hui comme pour les contemporains de Jérémie, tout va bien n’est-ce pas ? Pas lieu de s'alarmer...

Cela me rappelle une histoire concernant un autre prophète, plus récent, Kierkegaard, qui « nous demande d'imaginer un très grand navire confortablement aménagé. C'est vers le soir. Les passagers s'amusent, tout resplendit. Ce n'est que liesse et réjouissance. Mais sur le pont, le capitaine voit un point blanc grossir à l'horizon et dit : "La nuit sera terrible". Il distribue les ordres nécessaires aux membres de l'équipage. Puis, ouvrant sa Bible, il lit juste ce passage : "Cette nuit-même, ton âme te sera redemandée". Pendant ce temps. Dans les salons on continue de festoyer. Les bouchons de champagne sautent. L’orchestre joue de plus en plus fort. On boit à la santé du capitaine. Et "La nuit sera terrible".
« Kierkegaard imagine alors une situation plus effrayante encore. Les conditions sont exactement les mêmes avec cette différence que, cette fois-ci, le capitaine est au salon, rit et danse, il est même le plus gai de tous. C'est un passager qui voit le point menaçant à l'horizon. Il fait demander au capitaine de monter un instant sur le pont. Il tarde ; enfin il arrive. Mais il ne veut rien entendre et plaisantant, il se hâte de rejoindre en bas la société bruyante et désordonnée des passagers qui boivent à sa santé dans l'allégresse générale. Et il adresse ses remerciements chaleureux".
« Le monde occidental en général et ses Églises en particulier — commente Jean Brun qui cite Kierkegaard en 1976 — ressemblent de plus en plus à ce navire que le point menaçant à l'horizon engloutira lorsqu'il deviendra typhon. Tout le monde danse dans les salons. Les capitaines sablent le champagne et maudissent les pessimistes qui scrutent l'horizon et qui n'ont confiance ni dans le dieu Progrès ni dans les capacités des Grands Timoniers qui prétendent tenir solidement la barre et diriger fermement le navire social alors qu'ils ne font que l'infléchir selon les courants définis par les sondages d'opinions, cette boussole sans Nord prise aujourd'hui comme compas suprême. » (S. Kierkegaard, Note du Journal de 1855 in L'Instant, trad. P.-H. Tisseau, Bazoges-en-Pareds 1948, p. 247 — cité par J. Brun, « Sablons le champagne », Foi et vie, Janvier-Février 1976.)

Revenons à Jérémie. Lui aussi doit annoncer ce qu’on a appelé des paroles de malheur, les menaces qui pèsent. Mais comment Jérusalem à laquelle il prêche, elle qui, comme la plupart des vivants, n'a pas perçu la source éternelle de ses joies passagères, comment pourrait-elle accueillir de telles jérémiades ? Comment pourrait-elle accepter la parole de son malheur ?

Alors tout plutôt que cela : jusqu'à payer des faux prophètes ; mais surtout faire taire ce rabat-joie. Et la suite du livre rappelle qu’on l’a bien fait : on a payé des faux prophètes pour qu’ils donnent des paroles rassurantes, séduisantes, mais creuses, fausses, pour remplacer la parole du prophète qui dérange parce qu’elle est vraie. Remarquez que lui aussi serait le premier à vouloir se taire, à voir cesser sa honte, le mépris qu’on lui porte. Car de lui, on se moque. Et c’est à cause de sa vocation qu’on le méprise. Pensez : il dit la vérité. Et nous ?

Mais comment accepter cette parole qui nous dérange tant ? On veut être flatté. Or la vérité ne sait pas flatter ! Alors, à moins de se rendre à l'acceptation de la douleur qui tenaille le prophète, on préférera s’illusionner : j'ai faim, j’ai soif, je veux des citernes crevassées, je veux courges et cailles, je préfère l'Égypte de mon esclavage, plutôt que le désert de la Vérité. Mais pour Jérémie, Dieu l'a saisi, et il ne pourra pas se taire. Et supportera la moquerie et les insultes. Et nous ?

Les exemples ne manqueraient pas, concernant cette espèce de moqueurs (il y a du monde sur leur banc — Ps 1), que sont de tous temps les spécialistes universels auto-proclamés ès vérités ; — ne craignez pas les menaces des persécuteurs et autres moqueurs, mais Dieu seul qui a pouvoir éternel sur toute vie ; et qui confère sa valeur à toute vie.

Alors, « Soyez donc sans crainte » dit Jésus une troisième fois :
— forts de la valeur éminente que vous confère votre statut de confesseurs (vous valez mieux que tous les moineaux) ;
— statut de confesseurs que la crainte pourrait vous faire perdre ! (à quoi sert un confesseur qui ne confesse pas ?)

Spécificité de tout ce qui sert Dieu (des moineaux jusqu’aux confesseurs) — spécificité (qui qualifie là ce qui est précieux) qui ne doit donc pas être annulée par un reniement, un abandon (qui la ferait perdre) : un confesseur de la foi est placé où il est pour dire ce que personne ne peut dire à sa place.

Au cœur de tout cela, être ce qu’on est, tout simplement, établis en Christ.


RP, Le Bois-Tiffrais,
Musée de la France Protestante de l'Ouest,
13.07.14


dimanche 29 juin 2014

Psaumes et liturgie





« Le livre des Psaumes a été ainsi dénommé en raison d’une traduction trop littérale du grec Biblos Psalmôn et du latin Liber Psalmorum. En grec, psalmos désigne un air joué sur l’instrument à cordes appelé psaltérion. Ainsi les versions ont-elles donné au contenu du recueil dont nous parlons un nom évoquant la manière dont ses éléments peuvent être chantés, plutôt que la nature même de ceux-ci. L’hébreu, lui, dit Tehilîm, mot qui dérive de la racine hll, louanger ; d’où le titre que nous avons adopté : Louanges, mot splendide, mot rempli d’un contenu émotionnel certain, bien fait pour désigner des poèmes tout orientés vers la louange de IHVH-Adonaï » (André Chouraqui).

Un recueil liturgique communautaire — compilant sans doute d’autres recueils —, chanté, utilisé depuis des millénaires par les juifs puis les chrétiens, même chez les plus réservés parmi ces derniers à l’égard de l’usage de la musique — les Églises latines notamment ont été d'abord très réservées. (« Comment chanterions-nous les cantiques du Seigneur sur une terre étrangère ? » / en un temps d'exil — Ps 137, 4. « Les jours viendront où l’époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront » — Marc 2, 20.)

Parmi ces latins, Augustin relate un événement capital pour l'histoire de la musique (Confessions IX, livre VII) : Ambroise de Milan est dans une église avec ses fidèles, à la tête d’une manifestation contre la volonté impériale d’en faire un lieu de culte arien : « Le peuple plein de zèle, résolu de mourir pour son évêque, passait les nuits entières à l'église. Pour empêcher que le peuple ne s'ennuyât d'un si long et pénible travail, on ordonna qu'on chanterait des psaumes et des hymnes selon l'usage de l’Église d'Orient ». Quelques années avant, des œuvres poétiques versifiées en langue vernaculaire, pourvues d'une mélodie syllabique (une note par syllabe) identique pour toutes les strophes, les hymnes étaient utilisées à Poitiers par Hilaire, depuis son retour d'exil oriental (vers 356).

Il ne s’agit pas forcément des Psaumes uniquement. Mais, poèmes bibliques, les Psaumes finiront par convaincre les plus réservés, jusqu'à ceux qui s'y limiteront.

Les chants sont alors autant de reprises de traditions antécédentes qui (en un temps où les modifications diverses ne sont pas aussi prisées que de nos jours) permettent de considérer que le type de mélodies qui évoluent du chant grégorien aux premiers chants polyphoniques de la Renaissance ne sont peut-être pas si éloignées de ce qu’il en est dans le judaïsme antique héritier des liturgies du Premier Temple de Jérusalem…

*

On retrouve la réserve d’Augustin chez Zwingli, qui se distancie de Luther — lequel opte pour l’usage des mélodies populaires pour porter la louange de Dieu. Calvin, entre les deux, est à l’origine du Psautier genevois — « les Psaumes du prophète David, comme l’écrivait Tertullien, plus sûr que les improvisations », à tout le moins extra-ecclésiales.

Des Psaumes avant tout, mais on trouve traditionnellement aussi des hymnes, dans la mesure où ils entrent dans le chant liturgique commun, étant appelés à porter la théologie ecclésiale… Perspective héritée via Luther et que l'on retrouve,de l’anglicanisme au méthodisme, grand pourvoyeur de chants s’ajoutant aux Psaumes dans nos recueils de cantiques modernes — qui sont au départ, comme une continuation du Psautier.

Les Psaumes sont à la racine de traditions qui en reviennent toujours à ce recueil de prières et de louanges inspirées, fondées au départ dans des situations historiques diverses que les exégètes modernes se sont attachés à dégager. 

*

En-deçà de leur devenir comme livre de prières communes, aspect décisif, les Psaumes expriment, quant à leur contenu, le combat individuel de la prière, un combat avec Dieu, et contre le mal, qui de circonstances précises nous font déboucher sur des vérités archétypales. Par exemple, le Psaume 51, prière de repentance de David suite à son adultère doublé d’un meurtre, devenant une prière-type de confession de péché. Ou, face à l’oppression d’un ennemi du peuple ou du roi, on découvre qu’il est question de l’oppression du « mauvais », du « méchant » archétypique trouvant dans les Psaumes une expression concrète.

Autant de clefs de lecture, devant Dieu, de notre vie dans ses difficultés, via des psalmistes qui nous rejoignent, qui ont partagé des difficultés de tous ordres et dont les chants les élèvent devant Dieu dans l’attente espérée de son juste jugement, justifiant le juste face à toute oppression et tout oppresseur, Dieu seul vengeur.

« Je trouverais moi-même très difficile de me faire l’écho de pareils sentiments, écrit un commentateur. Non parce qu’ils seraient trop bas pour moi, mais bien plutôt parce qu’ils me dépassent… Je ne parviens pas à désirer le jugement divin sans une pensée vindicative ni affirmer ma propre droiture sans orgueil » (J. Stott).

Les Psaumes deviennent alors chemin de purification de nos désirs dans l’espérance de celui qui vient faire éclater la vérité, Dieu de l’univers — c’est le parcours des cinq livres des Psaumes depuis la confrontation du mal, le mal voie de perdition alternative à la voie de celui qui est heureux (Ps 1), jusqu’à la louange finale du cinquième livre, en passant par tout le cheminement de l’attente de Dieu.

*

On les connaît, ces textes qui nous semblent si difficiles dans les Psaumes :

Psaume 110 :
4 Le SEIGNEUR l'a juré, il ne le regrettera pas : Tu es prêtre pour toujours, à la manière de Malki-Tsédeq.
5 Le Seigneur est à ta droite, il brise des rois au jour de sa colère.
6 Il exerce le jugement parmi les nations : tout est plein de cadavres ; il brise le chef d'un vaste pays.
7 En chemin il boit au torrent : c'est pourquoi il relève la tête.


Psaume 137 :
8 Babylone la belle, toi qui vas être ravagée, heureux qui te paiera de retour pour le mal que tu nous as fait !
9 Heureux qui saisira et dispersera ta progéniture face au roc !


Voir aussi le Psaume 68, v. 22 :
Dieu détruit la tête de ses ennemis,
le poil de celui qui vit dans ses crimes. 


On peut toutefois noter qu'on peut lire « principe » au lieu de « tête » — c'est le même mot — ; entendre par « roc » le « roc » qu'est le Dieu protecteur au lieu de « roc de pierre » — cela est tout-à-fait possible : le texte ouvre lui-même à la transposition spirituelle au-delà d'une matérialité qui peut sembler choquante. Le Mauvais n'est pas nommé personnellement. Le texte renvoie au Mauvais comme principe — comme dans le Notre Père : « délivre-nous du Mauvais », littéralement. Au fond c'est bien du satan qu'il s'agit (A. Chouraqui, « Liminaire pour Louanges », Les Psaumes, éd. du Rocher, p. 21sq.).

Cela précisé, il y a dans les Psaumes la sincérité de l’épanchement d'une prière devant Dieu ; l'épanchement de tout ce que nous sommes, jusqu’à nos désirs de vengeance les plus « imbuvables » (où le contexte guerrier, la violence des persécuteurs, ne doivent pas non plus être négligés), fait partie intégrante de l'utilité des Psaumes : nous sommes invités à la même sincérité, fût-elle choquante (éventuellement, même, efficace substitut contre le passage à l’acte !), et à recevoir l'exaucement de Dieu seul (à la fois seul vengeur et consolateur qui permet de dépasser le désir de vengeance). S'en remettre à Dieu seul en toute chose...

*

Les Psaumes étant le recueil des prières de Jésus, on peut, comme chrétiens, franchir un pas de plus avec lui en quelque sorte : Jésus priant les Psaumes récapitule l'humanité devant Dieu et ipso facto pose Israël peuple des Psaumes comme archétype de l’humanité réconciliée.

Le Christ priant les Psaumes nous rejoint au point que, lui qui n'a pas commis de péché, Paul en dira qu' « il a été fait péché pour nous » (1 Corinthiens 5, 21) ! Il nous rejoint jusqu'en ce que nous — voire nos prières — avons de plus trouble, il se repent de nos péchés ! Il se solidarise avec nous à ce point !

Voilà qui nous dit pourquoi des prières comme les Psaumes, emplies de paroles de repentance, sont vraiment et sérieusement les prières de Jésus : avec les Psaumes, Jésus, qui n'a jamais commis le péché, se repent sérieusement en solidarité avec nous : il a pris nos péchés à ce point-là !

*

Les Psaumes parlent aussi d’un Dieu personnel, on y prie un Dieu personnel, qui se dessine pour David comme « archétype » parfait (cf. Psaume 110, 1) de sa propre figure messianique, imparfaite, elle, à ses propres yeux — combien de fois ne se repend-il pas ?

Apparaît donc une figure archétypique, l’image éternelle et divine de lui-même, le Seigneur personnel de sa propre existence, et de là, de toute existence, l’Ange de l’Éternel, manifestation personnelle du Dieu qui est au-delà de toute compréhension. C’est là l’image éternelle de Dieu dont les premiers disciples du Ressuscité ont reconnu l’Incarnation et l’avènement en Jésus. D’où la lecture donnée par l’Épître aux Hébreux, qui permet de reprendre non seulement toutes les applications christologiques des Psaumes, — comme le Psaume 22 (entre autres) prononcé du haut de la croix —, mais d’autres textes prophétiques où Jésus ratifie lui-même cette lecture christologique. Comme une légitimation de ce que la prière puisse lui être adressée à lui — Étienne priant : « Seigneur Jésus, reçois mon esprit » (Actes 7, 59).

*

Si l’institution des chantres et le recueil des Psaumes relèvent de la royauté — les Psaumes de David, le roi David —, on se trouve avec une royauté chargée d’une visée eschatologique — messianique. Le roi est messie/oint et vise un roi à la fois juste et incontesté. Le Messie attendu. Où les Psaumes royaux sont aussi empreints de nostalgie. Apparaît un autre sens des chants guerriers, des chants de triomphe, où du cœur de la faiblesse du roi jaillit la marque nostalgique d’un autre combat, d’autres victoires que celle qui engloutit les troupes de Pharaon…

*

« Dès le début, nous sommes placés en face d'un monde qui exclut l'indifférence. Il y a deux Voies. Non pas trois ou quatre ou autant que l'on voudra. Nous sommes avertis : le monde est cassé en deux. Le choix devient nécessaire ; il est l'exigence et le risque de cette brisure. La poésie n'est que la parure de l'enseignement : la Voie des Ténèbres et la Voie de la Lumière se partagent l'universalité du réel. Nous sommes au seuil d'une science qui se sait la plus vraie et se veut la plus exhaustive. Deux voies inégales et ennemies, mais qui coexistent dans le temps et dans l'espace où elles définissent la frontière d'une guerre ; sur cette ligne s'inscrivent les déchirements de l'Histoire. La plénitude des temps, la réalisation des promesses messianiques pourront seules faire cesser le meurtrier combat dont l'innocent demeure l'otage.
« Un Écrivain sublime anime ce drame dont l'enjeu est l'accomplissement et la libération de l'Homme. Les deux acteurs de ce duel, aux frontières de la vie et de la mort et qui s'affrontent du commencement à la fin, sont l'Innocent et le Révolté. Tous deux disent non. L'un refuse la voie de la lumière ; l'autre les ténèbres. L'un dit non à l'iniquité du monde ; l'autre à l'éternité de Dieu. Ces refus se situent à la source de la tragédie. Le conflit de deux négations contradictoires, qu'une liberté permet, définit l'axe où l'horreur assaille et meurtrit la joie. » (Chouraqui, « Liminaire pour Louanges »)

*

Les cinq livres des Psaumes sont reçus dans le judaïsme comme correspondant aux cinq livres de la Torah — chacun des livres des Psaumes à un de ces livres d'enseignement de la liberté. Les Psaumes prient ainsi l'espérance de la délivrance de la captivité, de toutes les captivités, l'espérance de la Terre promise.

Le Notre Père en apparaît comme un condensé ! Comme en écho aux cinq livres de la délivrance de la captivité et de l'esclavage, et comme en écho aux cinq livres des Psaumes, il se déploie en cinq demandes (chez Luc — dont deux sont dédoublées chez Mathieu : les cinq demandes en devenant donc sept, ou cinq dont deux dédoublées).

Le Notre Père est lui aussi une demande de délivrance adressée au Dieu dont la sainteté de son Nom (1ère demande / cf. Ézéchiel 36) sera ainsi dévoilée, par la venue de son Règne (2ème demande), jusqu'à (5ème demande / 7ème chez Mathieu) la délivrance totale du mal. Voilà ce qu'est en fin de compte appelée à être la prière de l’Église, sa liturgie.


RP,
Exoudun, fête d'été du Consistoire du Poitou,
29/06/14


jeudi 26 juin 2014

Réception cathare de l'"Ancien Testament"



(photo ici)

Ancien Testament et cathares. Voilà qui a priori peut sembler étrange, pour ne pas dire une gageure, quand on a longtemps pensé que les cathares rejetaient l’ « Ancien Testament » — je vais revenir sur l'expression et la raison pour laquelle je l'ai mise entre guillemets, et sur le rapport entre Ancien Testament et Bible hébraïque. Ancien Testament et cathares. Gageure apparemment quand on sait par ailleurs que l'Occitanie médiévale où les cathares sont devenus célèbres du fait de la Croisade qui a été déclarée contre les terres d'Oc pour les exterminer et quand on sait qu'ils ont été l'occasion de la mise en place de l'inquisition — ; cette terre a été un temps un lieu de tolérance relative de l’hérésie, et elle a permis l’existence d'un judaïsme florissant. Voilà le nœud où je vous propose d'entrer pour voir ce qu'on peut en recevoir quant à nos rapports contemporains entre juifs et chrétiens — via la Bible. Car les cathares contrairement à ce qu'on a longtemps pensé étaient des chrétiens, dont les textes découverts depuis le XXe siècle nous informent du fait qu'ils lisaient l'Ancien Testament — et qu'ils sont des témoins d'une des formes anciennes du christianisme.


Le catharisme comme branche de l'origénisme

Les cathares sont les témoins tardifs d’une forme de christianisme ancien — des historiens ont parfois nommé leur foi un paléo-christianisme —, dont l'initiateur le plus célèbre fut le père de l’Église Origène, qui vivait en Égypte à Alexandrie aux IIe-IIIe siècles. Les cathares sont des héritiers lointains, à leur façon, de ce christianisme d'une mouvance dont Origène est une figure significative, bien que pas la seule. Il joue un rôle décisif dans l’Église ancienne, étant un des premiers théologiens chrétiens a avoir eu une influence réellement universelle. Élément essentiel pour notre sujet, Origène enseignait que nos âmes préexistaient dans le paradis céleste et que suite à un péché commis dans ce paradis, elles sont déchues dans des corps terrestres, nos corps, lieu de leur châtiment — ces corps que les cathares appelaient « tuniques d’oubli ». C'est cet enseignement, certes durci, qui fera l’essentiel de ce qu'on appelle le dualisme cathare, qu'on a cru antan être un manichéisme.

Cet enseignement de la préexistence des âmes et de leur chute dans des corps, très largement répandu dans l’Église ancienne — connu aussi dans le judaïsme —, a fini par être marginalisé, recouvert par d’autres explications chrétiennes du récit de la faute d'Adam, et notamment d’autres explications des tuniques de peau dont sont revêtus Adam et Ève suite à leur faute. L’enseignement officiel cesse bientôt de lire le texte ainsi. Mais parmi les courants chrétiens qui l’avaient fait leur, tous n’abandonnent pas cet enseignement sur les tuniques de peau de la Genèse, perçues comme tuniques d’oubli de notre éternité perdue pour les cathares. (On voit déjà qu'il est question d'Ancien Testament, ici la Genèse.)

C’est largement là que s’origine le catharisme — et son équivalent bogomile de la Bulgarie à la côte adriatique : des chrétiens attachés à un ancien enseignement. Ce qui permet de percevoir une des façons anciennes, dans le christianisme, de lire les Écritures, et les livres qui sont désormais reçus comme Ancien Testament.

Un enseignement chargé certes de potentialités dualistes (mais pas manichéennes) que dénonceront ses ennemis. Une dualité entre notre éternité perdue d'un côté et l’enfer récurrent, ou à tout le moins le purgatoire, de notre triste condition terrestre de l'autre.

Toute la question est alors : comment se libérer de cette condition, comment réintégrer la mémoire perdue de notre éternité ? La réponse des cathares : par le don du Saint Esprit, recevoir la lumière du Christ, venu vers nous depuis ce paradis céleste dont lui n’est pas déchu (de là les remarques des ennemis des cathares sur ce qui serait leur docétisme : l’idée que le Christ n’a pas revêtu, sinon en apparence, la même chair que nous).

Pour ce qui concerne les autres êtres humains, il n'y a d'issue que de recevoir cette lumière apportée par le Christ, par le don de l’Esprit saint signifié par l’imposition des mains d’un « parfait » comme les textes d’Inquisition nomment les cathares ordonnés, d’un « bon homme », ou d’une « bonne femme » selon l’appellation que préfèrent leurs croyants.

Le rite de cette imposition des mains, signe du « baptême spirituel », est appelé le consolament en occitan, consolamentum en latin — on pourrait traduire « consolation » en français. On est dans une interprétation de la promesse de Jésus : je vous enverrai le consolateur, à savoir l’Esprit saint, de la part du Père.

Le don de l’Esprit comme baptême spirituel fait accéder au statut d'ordonné, de « parfait », appelant à vivre désormais une ascèse de type monastique. Jusque là les croyants cathares vivent comme tout un chacun.

Ce don de l’Esprit saint, ce baptême spirituel, est la seule voie du salut — jusque là nous demeurons englués dans l’oubli de notre véritable nature, jusque là nous prenons pour réalité ce qui n’est qu’illusion, création du diable : la vie terrestre, la vie de ce monde.

Le consolament est la porte de la réintégration de la mémoire perdue, la porte des cieux, la porte du paradis oublié, la porte du salut, le mariage spirituel avec notre esprit, notre esprit saint demeuré au ciel lors de notre chute — car l'Esprit saint est donné, réintégré, comme esprit personnel. Seul un « parfait » peut conférer le sacrement de ce baptême spirituel…

En tout cela, aucun rejet — j'y reviens — de l'Ancien Testament, comme on l'a souvent dit et cru, mais un type de lecture « spirituelle » que l'on peut percevoir, une lecture transposée de la lettre historique correspondant à l'histoire maléfique de ce monde, au plan céleste, celui de la préexistence et de la réintégration de cet état d’avant la chute des âmes (c'est en ce sens que l'on peut employer les guillemets : le texte pour lui-même se voit préférer une relecture parlant d'événements célestes).

L'héritage origénien déjà permet de le soupçonner, mais en outre depuis 1939 et la découverte d'un important traité cathare — Le livre des deux Principes —, on sait qu’il n'y a pas de doute : les cathares lisaient l'Ancien Testament. Mais qu'est l'Ancien Testament ? Quel rapport a-t-il avec la Bible hébraïque ? Question étrange tant on considère que ce sont là deux noms pour désigner la même chose...


Bible hébraïque et Ancien Testament

Le travail effectué à travers le dialogue judéo-chrétien nous permet de dire aujourd'hui que Bible hébraïque et Ancien Testament sont deux choses distinctes. Certes les livres sont les mêmes (en tout cas pour le canon protestant), mais ils sont compris de façon telle qu'ils désignent au fond des réalités distinctes.

Contrairement à l'Ancien Testament, qui suppose un Nouveau !, la Bible hébraïque — je ne vous apprend rien — se suffit à elle-même. La Bible hébraïque est la Bible de Jésus aussi, qui cite La Loi et les Prophètes, ou La Loi les prophètes et les Psaumes (les Psaumes qui sont le premier livre des Écrits). Bref quand Jésus cite la Bible dans les Évangiles — il suffit de les lire — il cite ce qui se résume dans l'expression le Tanakh, soit la Bible hébraïque, qu'il reçoit comme elle est donnée avec la Torah en son cœur, puis, comme en cercles concentriques, les Prophètes et les Écrits (ou selon le nom du premier livre, les Psaumes).

Le Nouveau Testament cite aussi une autre Bible, qui sera celle de l’Église primitive étendue à l'Empire romain de langue grecque, la Bible des LXX — celle de plusieurs livres du Nouveau Testament grec, une Bible traduite en grec au IIe siècle avant Jésus-Christ sous l'égide du roi grec d’Égypte Ptolémée, une Bible très importante alors pour le judaïsme de langue grecque, centré à Alexandrie. La Bible des LXX range les livres dans un autre ordre que la Bible hébraïque, et ce n'est pas indifférent — l'ordre en question, essai de rangement historique, débouche sur la conversion du roi Cyrus au monothéisme donnée dans une version grecque du livre de Daniel, plus longue que celle de Bible hébraïque.

La LXX contient en plus des livres de la Bible hébraïque des livres qui ont été retenus par les Églises orthodoxes qui les intitulent « autorisés à la lecture ». (L’Église éthiopienne en a quelques autres en plus de ceux de la LXX.) Certains des livres de la LXX ont été retenus par l’Église catholique qui les a canonisés au XVIe siècle au Concile de Trente et les a donc intitulés « deutérocanoniques ». Elle hérite du retour relatif à la Bible hébraïque consécutive au travail de saint Jérôme (Ve siècle) et de la traduction latine, la Vulgate. Les protestants n'ont retenu que les livres de la Bible hébraïque.

Mais les uns comme les autres offrent un autre ordre de classement des livres, ordre inspiré en partie de la LXX, mais qui débouche sur l'idée que les livres de la Bible hébraïque ouvrent sur l’attente du Nouveau Testament : c'est cela l’Ancien Testament : la reprise des livres de la Bible hébraïque (plus quelques autres pour les non-protestants) avec le Prophète Malachie en dernier, perçu comme annonçant Jean le Baptiste qui ouvre le Nouveau Testament. (L'ordre hébraïque a été repris seulement dans la deuxième moitié du XXe siècle dans des traductions comme la TOB.)

Ces quelques éléments d’histoire des livres permettent de comprendre que la Bible hébraïque et l'Ancien Testament sont deux réalités distinctes, à savoir deux types de perception des mêmes livres (à quelques livres près si l'on considère la version des LXX).

Le Nouveau Testament ne connaît pas encore d'Ancien Testament proprement dit. On n'y trouve que la Bible hébraïque sous les mots de Jésus, et la Bible des LXX, citée dans quelques livres. Et on y trouve les racines exégétiques qui verront la Bible hébraïque et la LXX devenir l’Ancien Testament des chrétiens, ce qui suppose nécessairement un Nouveau par rapport auquel il est Ancien. La notion d'Ancien Testament relève d'un type chrétien d’exégèse, de lecture de la Bible, dont les cathares sont des témoins, spécifiques certes, mais fort utiles pour comprendre la façon chrétienne traditionnelle en général de recevoir les textes bibliques. C'est dans cette mouvance que se situent les cathares qui lisent l'Ancien Testament dans la version latine d'alors.


L’œuvre d'Origène et les cathares

Il s'agit d'une exégèse dite spirituelle spécifique, distincte, quoique parfois proche, des lectures spirituelles du judaïsme. Une exégèse sous plusieurs angles classique en christianisme. L'exégèse spirituelle en question dans le christianisme réfère à Jésus-Christ bien sûr, Jésus-Christ perçu comme clé de Bible, inaugurant un monde nouveau, et de ce fait, cette lecture entre dans les composantes du dualisme entre les deux mondes, celui d'ici bas et celui d'en haut que Jésus inaugure ici-bas. On perçoit ici deux niveaux de sens des Écritures, au-delà du sens naturel un sens spirituel spécifique. On verra qu'il faudra dire en fait trois (naturel, psychique et spirituel), puis, plus tard, quatre. Cela dit, ce type de lecture rejoint un classique dès le judaïsme hellénistique, depuis Philon d'Alexandrie notamment — figure clé de ce judaïsme du monde grec d'alors, vivant au premier siècle de notre ère, contemporain de Jésus —, jusque dans la future orthodoxie chrétienne ancienne, héritière d'Origène d’Alexandrie, en passant par les diverses gnoses.

Philon déjà, outre le sens naturel ou historique, discerne deux autres sens de l’Écriture, un sens moral et un sens spirituel. Les trois sens correspondent à la tripartition de l'homme comme corps, âme, esprit, fondant respectivement les sens naturel, psychique, spirituel.

Chez Philon, le sens psychique et le sens spirituel que l'intellect discerne sous le sens naturel et sous son expression rituelle, ne les nient pas. C'est le cas aussi de l'Épître aux Hébreux, d'une pensée de la mouvance de Philon, qui elle, y prend cependant l'occasion de relativiser par anticipation l'importance du rite juif, vu sa foi en l’imminence de l'avènement du Royaume, ceci en commun avec le courant majoritaire du christianisme primitif. Cette attitude qui permet l'intégration des païens, est encore celle d’Origène bien qu'alors, la relativisation du rite et de la lettre qui le portait se soit accentuée.

Déjà la distance s'était creusée entre d'une part le spiritualisme de Philon et du Nouveau Testament, et d'autre part son débouché en une relativisation de la valeur de la lettre. C'est là un point de contact avec les gnoses pour lesquelles relativisation du sens naturel devient attribution de la création de ce monde à un démiurge inférieur. Puisque les trois sens recoupent aussi trois puissances à l’œuvre dans la création, ce que l'on trouve chez Philon : le logos, la puissance poétique et la puissance royale, cette dernière recoupant le démiurge des gnostiques, ce créateur de notre monde inférieur.

La réaction anti-gnostique que l'on trouve dans une lignée des Pères de l'Église qui va de Justin Martyr à Irénée tient à souligner la continuité historique entre l'Ancien et le Nouveau Testaments : apparemment positive, cette lignée est assez ambiguë puisqu'elle est liée à la théologie de la substitution : la continuité historique devenant aisément en soi substitution !

À côté de cela, reste toutefois la dualité entre le sens historique et les autres sens : c'est là la certitude de toute exégèse chrétienne ancienne dont Origène reste le grand Maître.

Origène est un grand bibliste. On connaît ses Hexaples, une vaste synopse où il met en parallèle les six grandes versions de la Bible alors connues, de la Bible hébraïque à la LXX. On connaît son œuvre immense d'exégèse et de commentaires.

Si Origène lui-même ne nie pas la valeur historique du texte, il n'en reste pas moins que son legs de la pratique systématique du dualisme exégétique au très grand profit du sens spirituel, porte la question de la valeur — nécessairement moindre — du sens naturel et du monde physique et historique qui lui correspondent.

Cette pratique de la Bible se généralise dans le christianisme ancien, pratique d'héritage origénien en grande partie donc, qui lorsque l'origénisme est condamné en 553, n'a pas pour autant spontanément disparu. Une forte influence qui marque aussi l'Occident.

Cette influence de la tradition du maître alexandrin ne doit pas être perçue comme une fidélité scrupuleuse à une synthèse dogmatique, mais comme libre spéculation sur un mode théologique dont il est une figure marquante — et cela en héritier lui-même (on a parlé de Philon, on pourrait aussi parler de Paul). Origène représente éminemment une tradition qui n'a rien d'isolée.

Une tradition qui est ancrée dans relativisation progressive du rite juif par le christianisme primitif — mais qui n'est pas substitution. Relativisation lente et progressive. Ainsi l'Épître aux Hébreux, relativisant la nécessité de l'expression littérale du cérémonial mosaïque — le Royaume de Dieu s'étant approché — n'entend probablement pas remplacer ce rituel — qui est sien, les éléments particulier du culte chrétien primitif n'ayant de sens que par rapport au rite hébraïque — par un autre cérémonial similaire. Et toutefois le christianisme y viendra, parallèlement à sa perte du sens l'imminence de la Parousie et de l'avènement déjà quasi-actuel de la fin du vieux monde.

Bientôt l'attente accentue sa verticalité : l'attente de l'instauration du Royaume s'estompe pour être après le IVe siècle, généralement abandonnée. À cette époque la dimension horizontale de l'attente est d'une certaine façon réalisée dans la Pax christiana romana de l’Empire converti, qui déçoit forcément ! Place alors à la dimension verticale de l'espérance.

*

Le système théologique d'Origène fournit des éléments importants à cette espérance verticale. Son système est développé dans un ouvrage dont nous est restée la version latine : De Principiis, d'un écrit grec — Peri Archon (i.e. Des Principes). Un ouvrage important basé sur une exégèse spirituelle de la Bible, où l'on voit l'héritage d'Origène chez les cathares. Origène enseigne que l'Histoire du salut est celle du retour de nos âmes déchues à leur état céleste originel. On peut reconnaître dans cet enseignement d'Origène plusieurs éléments présents aussi parfois dans le judaïsme. Origène ne crée pas son système de toute pièce...

Origène enseigne que Dieu a créé un nombre déterminé d'âmes, les nôtres, qui suite a un péché commis au ciel, ou à une imprudence au temps heureux de cette préexistence, ont été précipitées, en punition, au statut de démon pour les pires, dans des « tuniques de peau » que sont nos corps, pour les moins fautives. C'est ainsi qu'Origène interprète, à la suite de nombreux exégètes juifs, le texte de la Genèse sur les tuniques de peaux : « Dieu vit que l'homme et la femme étaient nus, et qu'ils en avaient honte, et leur fit des tuniques de peau ». Origène avait la sagesse de refuser d'imaginer que les tuniques en question avaient été cousues par Dieu après qu'il eut égorgé quelque animal. Origène y voyait tout simplement nos corps, retenant l'idée rabbinique que nos corps originels, avant cette chute, étaient des corps de lumière, des corps célestes, tels que Paul les promet aux Corinthiens pour la résurrection (1 Corinthiens 15). À l'inverse, la faute nous avait vu déchoir dans des tuniques de peau, corps lourds, charnels, corruptibles, mortels, tragiques, en proie à d'épouvantables maladies, des corps reçus, certes de la charité de Dieu, mais en conséquence d'une faute indicible. Une faute céleste indicible dont l'initiateur, le plus coupable de tous, le père du mensonge, du péché, est devenu le diable, selon la lecture allégorique qu'Origène fait d'Ésaïe 14 : astre brillant, lumière du matin — ce qui est traduit par « Lucifer » en latin —, qui as voulu t'égaler à Dieu, tu as été précipité... la chute.

Tous les esprits célestes n'ont pas péché : ceux qui n'ont pas péché sont les bons anges, auxquels sont semblables les fils de la résurrection selon Luc. À la tête de ceux qui n'ont pas péché, Jésus, Fils éternel de Dieu, uni à sa Parole. C'est lui que Dieu envoie pour racheter, pour ramener à son Royaume céleste ceux qui sont déchus.

Tel est globalement le système d'Origène, en partie abandonné, ou redit en d'autres termes dans le christianisme catholique du Moyen Âge, mais développé et accentué chez les cathares. Par exemple, pour les catholiques, on ne parle plus de préexistence, mais on continue à croire à la chute de Lucifer. Pour les cathares, on maintient globalement le système, mais on précise, par exemple, ce qu'Origène ne faisait pas, que le monde mauvais dans lequel nous sommes déchus ne peut pas être tel qu'il est l’œuvre du Dieu bon : c'est dans un monde tellement diabolique que nous avons été précipités que le diable doit d'une façon ou d'une autre y avoir mis la main à la pâte. C'est là une pâle imitation du monde céleste promis d'où nous sommes déchus.

*

En Occitanie médiévale. Le moment cathare : de mi-XIe et racines jusqu'à début XIVe

Le catharisme, qui n'est pas uniquement occitan, loin s'en faut, n’apparaît pas en Occident avant l’an mil — et même avant le milieu du XIIe siècle pour le catharisme proprement dit.

Aux alentours de l’an mil, on a les premiers bûchers d’hérétiques, que les textes appellent volontiers « manichéens ». Puis les traces de l’hérésie disparaissent pour un siècle — tout au long de la réforme dite grégorienne durant laquelle la papauté et notamment le pape Grégoire VII qui donnera son nom à la réforme, reprend les revendications, les exigences de plus de pureté de l’Église, qui sont celles des hérétiques. Plusieurs historiens y ont vu un rapport avec la disparition momentanée de l’hérésie.

Au XIIe siècle, le catharisme proprement dit apparaît dans les textes, selon ce nom — cathares — jamais revendiqué par les hérétiques, mais que leur donne en premier un clerc allemand, abbé prémontré, Eckbert de Schönau en 1163.

Les hérétiques en question sont combattus alors principalement par les cisterciens, avec Bernard de Clairvaux : on les trouve sous sa plume dès 1145.

Les hérétiques en question connaissent un lien ecclésial attesté avec l’hérésie bogomile qui va de la Bulgarie à Constantinople et jusqu’à la côte adriatique, notamment la Bosnie. On date parfois ce lien de 1167, la date, selon un document (intitulé la charte de Nicétas) toutefois parfois contesté, d’un « concile » cathare réuni à St-Félix dans le Lauragais près de Toulouse en présence d’un évêque bogomile, Nicétas. En sa présence et avec son aval sont organisés, selon le document, les évêchés cathares occidentaux. Quoiqu'il en soit de ce document, le lien avec les Bogomiles est largement attesté par ailleurs.

L’hérésie bogomile était signalée, elle, en Orient chrétien depuis le milieu du Xe siècle, soit un siècle avant les premiers bûchers en Occident et plus de deux siècles avant que la rencontre bogomilo-cathare soit attestée.

L’importance de l’hérésie cathare en Occident est devenue telle que Rome juge bientôt nécessaire de déclencher une Croisade, en 1209, contre les terres de Toulouse et Carcassonne où l’hérésie est prospère et où elle est de fait tolérée. Croisade déclenchée au motif officiel de l’assassinat sur les terres d’Oc du légat pontifical, Pierre de Castelnau.

Auparavant la prédication anti-cathare s’est développée, d’abord de la part des cisterciens, mais elle n’a pas eu le succès escompté. Puis un ordre a été créé à ce propos : les dominicains. Parmi les mouvements prédicateurs anti-cathares ou concurrents, mentionnons aussi les vaudois et les franciscains. De ce côté (parfois côté franciscains spirituels), surtout côté vaudois, qui seront interdits et connaîtront la persécution à leur tour, on assiste par la suite à un rapprochement d’avec les cathares (ce qu’on a appelé la solidarité hérétique).

La croisade, à laquelle dans un premier temps, la royauté française ne se joint pas très volontiers — avec Philippe Auguste qui traîne les pieds ; seuls des vassaux s’engagent —, la croisade prospère dans un bain de sang.

Le massacre de Béziers est resté célèbre avec son fameux « tuez-les tous Dieu reconnaîtra les siens » prononcé par le nouveau légat du pape, le cistercien Arnaud Amaury. On a glosé sur l’authenticité de la déclaration, pour l’admettre finalement : c’est bien dans des textes catholiques qui en font la louange qu’on la trouve.

Le comte de Toulouse finira par être destitué au profit du croisé Simon de Montfort. Le transfert d’autorité est entériné par le IVe concile de Latran, en 1215. Mais le comte jusque là légitime, de la dynastie des Raimond, ne l’entend pas de cette oreille. Raimond VII réintégrera son titre au traité de Paris après la croisade royale lancée en 1226 par Louis VIII. Le traité de Paris, ou de Meaux, ou Meaux-Paris, passé sous Louis IX (saint Louis), scellera les conditions de la défaite et de la réintégration de Raimond VII de Toulouse. Cela débouchera sur le rattachement, ou faut-il dire l’annexion, l’intégration en tout cas, du comté de Toulouse au Royaume de France via mariage : il est prévu par le traité qu’Alphonse de Poitiers, le frère du roi de France Louis IX, épouse la fille et seule héritière du comte de Toulouse Raimond VII, Jeanne de Toulouse. À la mort d’Alphonse, en 1271, les terres de Toulouse entrent définitivement dans le domaine royal français. Et Avignon ira à la Papauté.

Les cathares, eux n’ont pas disparu pour autant, et se sont organisés, dès 1229 avec la capitulation de Raimond VII, en Église clandestine ayant son siège sur la butte de Montségur, qui sera défaite en 1244 au prix du bûcher, devenu célèbre, des 225 « parfaits » qui y sont réfugiés.

Auparavant, puisque la croisade, qui a abattu Toulouse, n’est pas pour autant venue à bout de l’hérésie, on a organisé la répression. Moment significatif : la création de l’Inquisition pontificale, en 1233, par le pape Grégoire IX. Sa gestion est confiée aux dominicains (Dominique n’en est évidemment pas le créateur : il est alors déjà mort ! — depuis 1221).

L’Inquisition, au prix d’un « travail » redoutable, véritable prodrome des totalitarismes modernes, instaurant la suspicion et la délation, viendra à bout du catharisme, malgré la persévérance d’une hérésie qui parvient même à se revivifier sous l’impulsion et avec la prédication des frères Authié. Mais en 1321, avec le bûcher du dernier parfait, c’en est fini de l’hérésie, même s’il reste encore des croyants — même si une Église se survit encore en Bosnie jusqu’au XVe siècle, où elle sera engloutie dans les conquêtes turco-musulmanes.


Cathares : exégèse chrétienne classique et spécifique à la fois. Les quatre sens de l’Écriture

Revenons à la question des Écritures. Le Moyen Âge propose plusieurs option de subdivision des sens des Écritures. Le P. Henri de Lubac, dans son livre Exégèse médiévale, les quatre sens de l’Écriture, décrit le processus historique de cette approche : « Les uns à la suite d'Origène et de Jérôme, retiennent la trichotomie : histoire, morale ou tropologie, mystique ou allégorie ; les autres exploitent la quadruple distinction de Cassien et Augustin, reprise par Bède et Raban Maur : histoire, allégorie, tropologie, anagogie. » Il s’agit d'un dédoublement du troisième sens, pour en faire un quatrième. C'est, précise De Lubac, Bède le Vénérable (672-735) qui « en a frappé la formule définitive ». Notons qu'en perspective chrétienne, trois ou quatre sens reviennent fondamentalement à deux : la lettre d'un côté, le sens historique ; l'esprit de l'autre, les deux ou trois autres sens... correspondant finalement grosso modo aux deux Testaments. La différence entre allégorie et anagogie est que si celle-là concerne l’Église, cette dernière concerne le monde à venir, la Jérusalem céleste.

« Tout vient du hiatus qu'il a bien fallu constater dès le premier jour entre les deux avènements du Christ. Étant donné ce hiatus, le sens spirituel de la Bible, qui était un sens eschatologique, devait nécessaire se subdiviser en trois » — ce qui, avec le sens naturel fait quatre : sens naturel ou historique, sens moral, sens allégorique, sens anagogique. C'est ce quatrième sens qui sera retenu et privilégié par les cathares, les trois autres concernant d'une façon ou d'une autre la création diabolique, l'enfer de ce bas monde où nous sommes déchus, monde façonné d'une manière ou d'une autre par le diable — la violence persécutrice en apporte, si besoin était, une preuve supplémentaire.

Comme tout ce qui touche au monde de la chair est frappé de la griffe diabolique, tout ce qui y réfère dans les Écritures en est touché aussi. Cela ne concerne pas seulement l'Ancien Testament, mais aussi le Nouveau. Cela concerne les trois premiers sens, le sens naturel ou historique, qui concerne ce monde déchu, le sens moral qui enseigne comment y vivre, le sens allégorique, qui revient à l'histoire du monde déchu puisque Jérusalem y devient l’Église historique, substituée à Israël — on voit qu'une théologie de la substitution n'est pas tant le fait des cathares que de leurs ennemis. Seule la dimension radicalement spirituelle portée par le sens anagogique relève du Dieu bon. Les cathares sont plutôt dans une théologie et une exégèse de la transposition : l'héritage historique ne les intéresse pas. C'est ainsi qu'on peut voir qu'il y a une autre lignée de lecture chrétienne de l'Ancien Testament, remontant aux origines chrétiennes, et qui n'est pas en soi de l'ordre de la substitution, mais d'un choix de lecture spirituelle parmi celles que pratiquait à l'époque le judaïsme.

La Bible est donc lue par les cathares en regard de la chute initiale dans ce monde infernal. Et tout y est référable. Lire la Bible comme processus historique en ce temps avec ces violences relève certes de l’inspiration diabolique, une lecture qui ne délivre pas de ce monde, mais y laisse captif celui qui ne perçoit pas la dimension spirituelle. Mais une autre lecture est possible, une lecture strictement spirituelle, selon le sens anagogique : les appels à la délivrance dans les Psaumes sont appels à la délivrance de la captivité dans la chair, Babylone est ce bas monde, que ce soit chez les Prophètes ou dans le livre de l'Apocalypse. L'Exode est lue comme délivrance de ce monde de péché, toujours compris comme expression de la chute en ce monde. Une lecture de la Bible en vue de libérer les âmes de ce monde, telle est la lecture cathare, qui concerne l'Ancien Testament comme le Nouveau.


RP,
Réception de l'"Ancien Testament"
en Occitanie médiévale : le moment cathare

AJC Antibes, 26/06/14



mardi 17 juin 2014

Le départ du Christ et le don de l'Esprit





Si Dieu est présent partout, et si le Christ ressuscité est lui-même présent, il est aussi depuis l'Ascension, comme le Père, absent, caché.

« Vous ne me verrez plus », disait Jésus de sa mort, puis « encore un peu de temps et vous me verrez », disait-il de sa résurrection (Jean 16, 16). L'Ascension, comme la mort, est tout d'abord la marque d'une absence : « Vous ne me verrez plus » : « une nuée le déroba à leurs yeux » (Actes 1, 9) ; « puis vous me verrez encore » : bientôt la venue en gloire.

Dans le départ du Christ, c'est une réalité essentielle de la vie de Dieu avec le monde qui est exprimée : son retrait, son absence.

Mais le départ de Jésus, avec l'absence qui s'en suit, est en relation précise avec la venue de l'Esprit : « si je ne m'en vais pas, disait Jésus avant sa crucifixion, l’Esprit Saint ne viendra pas » (Jean 16, 7). C'est que le don de l'Esprit est présence de l'Absent, présence dans l'absence, par l'absence, et partage de sa vie.

Jésus présent, Jésus dans ce monde, est celui qu’on voulait fixer sur un trône palpable, lors des Rameaux, il est celui qu'on croyait fixer, par la crucifixion ; ou celui dont on voudrait se faire un Dieu commode, saisissable, visible, en somme. Or Jésus manifeste le Dieu insaisissable, invisible, celui qui nous échappe, qui échappe à nos désirs de nous en fixer la forme, d'en faire une idole ! Dès qu’il échappe aux hommes, ils lui en veulent. C’est là l’Esprit du monde.

L’Esprit saint est celui qui nous communique cette impalpable, imperceptible présence de l'Absent, nous place dans l'intimité de l'insaisissable. C'est pourquoi sa venue est liée au départ de Jésus... Qui fait écho au retrait de Dieu dans son repos à la fin du récit de la création : Dieu créant le monde s'est retiré pour laisser la place au monde, pour que le monde puisse advenir. Et on lit dans la Genèse que Dieu est entré dans son repos. Dieu s'est retiré pour que nous puissions être, comme le Christ s'en va pour que vienne l'Esprit qui nous fasse advenir, devenir nous-mêmes en Dieu. Avec un risque terrible : Dieu retiré du monde y laisse de la place aussi au risque du mal.

Le mal dont Jésus subira les assauts : le départ du Christ, avant l'Ascension, est d'abord sa crucifixion. Parti, mais dès lors, nous laissant la place, il nous permet de devenir par l'Esprit saint ce à quoi Dieu nous destine, ce pourquoi il nous a créés.

C'est en quelque sorte l'étape ultime de la création qui se met en place. Le jour est venu de son entrée dans le repos de Dieu. En se retirant, ultime humilité à l'image de Dieu, le Christ, Dieu créant le monde, nous laisse la place pour qu'en nous retirant à notre tour de nous-mêmes, nous devenions, par l'Esprit, par son souffle mystérieux, ce que nous sommes de façon cachée.


lundi 19 mai 2014

Aspects d'une spiritualité protestante





Je ne dirai pas tout de ce qui fait à mes yeux une spiritualité protestante, qui me semble condensé dans la formule de la Réforme « coram Deo sola fide vivere » — « vivre devant Dieu par la foi seule » —, mais on peut en approcher en en considérant certains aspects.

Je me contenterai donc de tenter de dire certains aspects d'une spiritualité protestante, « une » spiritualité, à savoir la mienne ! Vivre devant Dieu par la foi seule implique quelque chose d'extrêmement subjectif, qui signifie le cœur d'un vécu (vivre devant Dieu), cœur sans lequel tout n'est que dispersion — le cœur d'un vécu que l'on peut donc appeler, faute de mieux, « spiritualité » : il n'y a de vécu protestant que comme déploiement d'un vis-à-vis (ultimement « devant Dieu ») qui peut être appelé spiritualité.

Je ne peux donc que parler de moi, au fond, via le détour par un récit, donnant éventuellement des figures historiques, des grands repères, tels que je les perçois, et qui n'ont rien d'exhaustifs, loin s'en faut. Une perception donc extrêmement subjective de toute façon, sans quoi ce serait d'ailleurs au fond sans intérêt, de ce qu'est un vécu protestant, déploiement d'une spiritualité protestante qui en est au cœur.

« Vivre devant Dieu par la foi seule ». On se trouve ipso facto avec cette formule où se reconnaissent communément ceux qui se réclament de la Réforme : sola fide — par la foi seule. Et un vis-à-vis de ce sola fide : coram Deo, « devant Dieu » — qui concrètement se retrouve dans l'autre grand terme de la Réforme : sola sriptura, l’Écriture seule, par laquelle m'advient la Parole qui me dit Dieu, via l'écho de sa lecture, de l'héritage de ses lectures, ce qui est au fond la religion, selon celle de ses étymologies qui la rattache à : relire.

Le Dieu devant lequel je vis par la foi seule est celui dont la reconnaissance se fait dans les Écritures, qui sont d'abord celles d'Israël qui reçoit comme Révélation l'intuition d’Abraham comme figure fondatrice — cela à travers l’histoire de ses relectures — religions. Un vis-à-vis fondamental : sola fide et sola scriptura. Et c'est au cœur des Écritures que l'on trouve le sola fide : livre du prophète Habacuc, ch. 2, v. 4, relu par l’Apôtre Paul (Romains 1, 17) puis par Martin Luther : « le juste vivra par la foi ».

Ce vis-à-vis fondamental sola fide / sola scriptura est au cœur d'une spiritualité, d'une religiosité toujours en vis-à-vis, pour d’autres vis-à-vis. Une réalité, ce vis-à-vis, qui recevra ensuite des noms, comme celui de « dialectique ».

Où on a nommé une des figures connues de cet avènement de la conscience de cette caractéristique d'une spiritualité protestante : celle de ce luthérien exigeant du XIXe siècle qu'est Søren Kierkegaard. Vivre devant Dieu par la foi seule apparaît chez lui comme révélation de son unicité devant Dieu, de l'unicité devant Dieu de chacun, à l'image du Christ, tel qu'il est donné dans les Écritures, et dans le Nouveau Testament. D'une orthodoxie protestante imperturbable — adhérant sans réserve aux faits chrétiens reçus du Nouveau Testament, fussent-ils des plus scandaleux pour la raison, Kierkegaard y fonde paradoxalement sa conception de la subjectivité de la vérité.

Un donné hérité, l'enseignement chrétien via l’Écriture, pour un vécu, une spiritualité, d'une subjectivité qui seule en fait la vérité.

*

Il me semble donc qu'au cœur d'une spiritualité protestante quelle qu'elle soit se trouve nécessairement la conscience, ou au moins l'intuition, d'être en vis-à-vis. Cette conscience, cette intuition en vient à revêtir plusieurs aspects.

Le protestantisme est issu d'une spiritualité, d'une expérience spirituelle, advenue en vis-à-vis : l'expérience de Martin Luther, au XVIe siècle, en vis-à-vis d'un christianisme qui restera le sien, celui de l’Église qui était la sienne.

Puis d’autres vis-à-vis vont naître, entre autres du recentrement biblique occasionné par la Réforme protestante. Ainsi Jean Calvin repense l'héritage chrétien en vis-à-vis de la Bible hébraïque et donc de la foi d'Israël.

Une troisième figure importante de l'histoire protestante, John Wesley, au XVIIIe siècle, déploie une spiritualité ancrée dans le vis-à-vis de l’Église anglicane et de son protestantisme épiscopal.

Des vis-à-vis pour un vécu qui n'a de sens que comme spiritualité, comme relevant de ce qui sera appelé ensuite existentiel et dialectique.

Le protestantisme est très vite devenu aussi diverses structures religieuses — et étatiques, historiques et identitaires. Autant de faits qui demeurent seconds en perspective protestante (qui appelle cela adiaphora — mot grec pour dire « choses indifférentes »). Des faits pas nécessairement secondaires, mais seconds, l'ancrage comme spiritualité étant lui ce qui fait le christianisme protestant. Un christianisme en vis-à-vis, ses différents déploiements religieux et rituels étant des déploiements d'emprunt, essentiellement à la tradition chrétienne antécédente et à la tradition hébraïque.

Ces deux vis-à-vis donnent les colorations de deux lignées de la religion, des religions protestantes — deux esthétiques : la lignée globalement épiscopale, et la lignée qui sera appelée « puritaine », et qui est à l'origine des démocraties modernes.

Mais ces deux types de coloration sont seconds, sont à leur tour autant de vis-à-vis de ce qui est au cœur et qui permet au protestantisme de se diversifier (selon que « tout scribe instruit de ce qui regarde le royaume des cieux est semblable à un maître de maison qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes » — Matthieu 13:52). Dans les deux cas cependant, une esthétique de l'élagage, puisque cela reste second, et à même de voiler (indûment) ce qui est premier. D'où cette sobriété reçue comme caractéristique.

En son cœur, le protestantisme ne montre aucune crainte à emprunter ici ou là quand cela conduit au cœur, et enrichit ce qui est un vécu de disciple du Christ (colorant la première esthétique, ici plus de chrétienté) et d'un Christ juif (la seconde esthétique, plus biblique).

Les diverses esthétiques, donc, demeurent secondes : ce qui est essentiel relève du religieux (au sens de reliant avec Dieu via une relecture permanente d'expérience de la foi), se déployant aussi en éthique — pour reprendre les trois stades de Kierkegaard : esthétique, éthique, religieux. Avec Kierkegaard, je l'ai dit, on est dans la conscience de ce qui fait une spiritualité protestante, toujours dialectique et existentielle — et avec lui on trouve les mots qui la disent, mais qui correspondent à un vécu qui les précède (via des mots qui précèdent leur qualification : Kierkegaard est redevable pour son usage du mot « dialectique » au protestant Hegel.

*

Cette intuition d'être en vis-à-vis s'étend à la perception de toute compréhension de soi et du monde comme en relevant. On pense « de quelque part ». Là, on pense depuis une foi incontournablement en vis-à-vis.

En ressort une relecture (religion) de toutes choses comme en vis-à-vis, à savoir dialectique. Le christianisme protestant en vis-à-vis du reste du christianisme et en vis-à-vis du judaïsme.

Le christianisme en général dans ce même vis-à-vis est donc incompréhensible sans le judaïsme. Le judaïsme en vis-à-vis des traditions dans lesquelles il s'est déployé. Elles-mêmes en lien avec les traditions antécédentes jusqu'à l'humanité en relation de vis-à-vis d'une nature qui en devient ipso facto lecture qu'en font les hommes, et donc elle-même culture, et dans les relectures des traditions d'Abraham, Création.

Et au fond, plus fondamental, le vis-à-vis qui est au cœur de l'humain.

*

Il importe de dire que le protestantisme est aussi un héritage, qu'il n'est pas né ex nihilo au XVIe siècle. Il est d'abord un christianisme et en tant que tel un héritier et un vis-à-vis des traditions hébraïque et juive.

Et en tant que réalité institutionnelle sans quoi il n'eut pas été une ou des religions, le protestantisme est héritier d'un processus historique qui s'enracine dans les dissidences et hérésies médiévales — depuis le début du deuxième millénaire après Jésus-Christ, dans la sphère de la chrétienté latine.

Les hérésies et dissidences médiévales (à ne pas confondre avec celles de l’Église du premier millénaire, visées par les grands Conciles) n'ont cessé de prendre de l’importance face à la prise de pouvoir total de l’Église romaine suite à la réforme grégorienne. Lorsqu'à partir de la progressive prise de pouvoir à la suite du pape Grégoire VII des alternatives tentent de se mettre en place, elles sont d'abord réprimées sévèrement, sous divers motifs, dont leur classification dans l'hérésie... Hérésie qui va s'avérer recouvrir en dernière instance la réticence par rapport à la soumission à ce pouvoir romain total.

On a nommé bien sûr les cathares, mais aussi les vaudois, puis les mouvements de John Wicliff, puis Jan Huss pour les plus connus. Où apparaît qu'au fur et à mesure que se diversifie et croît cette résistance, elle révèle sa dimension politique : le valdo-hussisme débouche sur la révolution tchèque, dotée de son appui politique, qui apparaît comme précurseur de l'appui politique des Réformateurs du XVIe sans lequel la Réforme eût pu être étouffée. Ambiguïté de toute réussite temporelle, qui conditionne la possibilité d'une spiritualité qui en tant que telle est étrangère, voire en son cœur en opposition radicale à la compromission qui permet son existence ! Pensons à la forte opposition de Kierkegaard à la compromission de l’Église qui reste la sienne, à ses liens avec l’État sans lesquels elle n'eût pas été...

*

C'est dans le cadre de ce déploiement dans le temps que le protestantisme va se concrétiser jusqu'au XXIe siècle en six grandes branches principales, elles-mêmes subdivisées presqu'à l'infini... Luthéranisme (d'abord Europe du Nord), calvinisme / réformés (d'abord Europe du Sud, Pays-Bas, Nord de la grande-Bretagne / Écosse, etc.), anglicanisme, baptisme, méthodisme (autan d'aspect qui font apparaître et le vis-à-vis et le lien avec les question de la vie de la Cité), et depuis le XXe siècle, cette autre branche issue du méthodisme, le pentecôtisme.

Ça me semble être les six grandes branches principales, toujours mouvantes, au gré des subdivisions ou, actuellement, des unifications (comme en France celle des luthériens et des réformés).

Six branches traversées par trois grands courants, orthodoxie, libéralisme, piétisme...

En commun, me semble-t-il, même si cela se déploie de façons souvent très différentes, même si la conscience n'en est pas toujours nette, cette spiritualité du vis-à-vis, dont les deux axes centraux sont le sola fide et le sola scriptura. Ce qui produit dans tous les cas cette esthétique de l' « élagage », cette fameuse « sobriété protestante », où effectivement on ne trouve pas aisément de culte des saints, par exemple, ni beaucoup d'images — ce qui concrétise une volonté de s'en tenir au combat biblique contre les idoles exprimé dans le commandement contre les représentations. Et qui suppose une lutte constante jusqu’au cœur de soi-même.

*

Car au fond, ce vis-à-vis est au cœur de l'être humain. Dans la dualité féminin / masculin. Dans la dialectique rigueur / tolérance, etc.

Chez Luther ce couple duel apparaissait dans son nominalisme face son ancrage mystique. Le nominalisme, selon sa formation philosophique, qui fait apparaître un Dieu de rigueur, relégué dans un absolu et dans un arbitraire qui laisse un fidèle à l'âme sensible dans l'incertitude la plus totale quant à la satisfaction, ou pas, de Dieu à son égard. Face à cela, la mystique de Luther, de tradition rhénane, qui ouvre à l’union intérieure du fidèle à Dieu est un enracinement théologique de ce qui deviendra le sola fide, et la justification par la foi.

On pourrait le dire de la plupart des figures marquantes de l'histoire protestante, et bien sûr, pour la modernité, de Kierkegaard, on l'a vu, où face à l'éthique qui concerne le général et non le particulier, Kierkegaard affirme en strict luthérien que c'est le subjectif, toujours exceptionnel, qui est le lieu du vrai, faisant de chacun, à l'image du Christ, un unique devant Dieu.

On pourrait donner un troisième exemple, avec La dialectique du moi et de l’inconscient selon le titre du livre de ce fis de pasteur qu'est C.-G. Jung, une relecture en psychologie des profondeurs de ce même thème, qui se déploie à l'aune d'une lecture de l'anima, l'âme, comme figure féminine, se révélant éventuellement à l'occasion d'une figure féminine concrète. Dès lors, on le voit, ce thème fondamental déborde le cadre originel d'une spiritualité protestante.

Où, sous cet aspect d'une spiritualité protestante, on se trouve finalement tout simplement au cœur de l'humain ; le protestantisme, s'il est en quelque sorte contraint par sa relativité historique à une spiritualité du vis-à-vis, n'en étant ni le dépositaire, surtout pas exclusif, ni l'inventeur.


RP, Poitiers, 19 mai 2014


samedi 17 mai 2014

"Marie-Madeleine" et Jésus : bénir ?





On ne sait pas toujours qu’à l’arrière plan du mythe « Marie-Madeleine » épouse Jésus, et du Da Vinci Code qui l’a initié, se trouve un roman, intitulé L’or de Rennes (Julliard, 1967), écrit par Gérard de Sède, mettant en scène autour d’un « mystérieux » abbé Bérenger Saunière, un non moins « mystérieux » manuscrit.

L’abbé Saunière, lui, a existé — né en 1852, mort en 1917 —, curé, à partir de 1885, de Rennes-le-Château dans le sud de la France, département de l’Aude. L’abbé est devenu célèbre pour s’être suffisamment enrichi pour entreprendre des travaux de construction dans et autour de son église. Et on ne sait pas trop comment il a réalisé sa petite fortune. D’où les spéculations sur un trésor, qu’il aurait trouvé — trésor d’abord matériel et financier ; puis (c’est souvent le destin des trésors, surtout en ces terres mystérieuses qui ont connu les cathares) le trésor a glissé au trésor mystique, avec manuscrit secret dont l’imagination de chacun amplifie le contenu fantastique.

L’affaire est expliquée dans un article de Jean-Jacques Bédu, reproduit dans les actes d’un colloque de 1994 : Catharisme : l’édifice imaginaire, actes édités à Carcassonne en 1998. Dans cet article, intitulé « La création d’un mythe, le trésor de Rennes-le-Château », J.-J. Bédu donne des précisions, p. 404, sur ce manuscrit « laissant entendre qu'il demeure en ce monde un roi perdu, issu d'une lignée qui remonterait jusqu'à Jésus en passant par les mérovingiens et parvenant jusqu'à nous au travers des membres d'une mystérieuse organisation secrète : Le prieuré de Sion. Nous sommes en plein délire politico-mystique ! En réalité, cette énigme des parchemins est une gigantesque farce, puisque la version qui a servi de base de travail à Gérard de Sède, et surtout aux auteurs de L'Énigme Sacrée, a été fabriquée de toutes pièces pour l'émission de Francis Blanche, «Signé Furax». Ce qui fit dire à leur auteur (le marquis de Cherisey) [dépêché donc pour ce faire par le célèbre humoriste Francis Blanche] : "J'ai profité de l'occasion pour inventer que le maire s'était fait délivrer un calque des parchemins découverts par l'abbé. Alors sur une idée de Francis Blanche, je me suis mis en devoir de composer un calque codé sur des passages d'évangiles et de décoder moi-même ce que j'avais codé. Enfin, par voie détournée, je faisais parvenir à Gérard de Sède le fruit de mes veilles. Cela a marché au-delà de mes espoirs. Ces parchemins ont été fabriqués par moi, dont j'ai pris le texte antique en onciale, à la bibliothèque nationale sur l'ouvrage de Dom Cabrol" [à savoir un Dictionnaire d'archéologie chrétienne]. »

Le texte de Bédu ci-dessus date de 1994, soit près de dix ans avant le roman de Dan Brown ! — et relate une histoire datant des années 1950-1960 (époque de l’émission de Francis Blanche). C’est ce que Dan Brown — sans le dire, lui — met en scène en 2003, dans un roman où l’on trouve un certain… Saunière (Jacques celui-là — on trouve aussi dans le roman un commissaire, non pas exactement Bédu, mais Bézu ; nom correspondant en outre à un site près de Rennes-le-Château, Le Bézu, où il y eut des Templiers — cf. l'article de Georges Passerat, « Cathares et Templiers  », dans le même volume, L'édifice imaginaire, op. cit., p. 192) !… Sans compter le « Prieuré de Sion ». Ce qui laisserait à penser que Dan Brown est lui aussi un farceur qui se garde bien de le laisser paraître aux yeux de ceux dont il se joue — le grand public mondial, et aussi les cinéastes qui l’ont repris : Howard, puis Cameron).

Entre temps, avant Dan Brown, le mythe monté via le « manuscrit » confectionné pour Francis Blanche s’est amplifié. Entre autres exemples, un Jean Markale (dans son livre Montségur et l'énigme Cathare, de 1997) y a donné un rôle aux cathares, en faisant un lieu de passage d’un « secret mérovingien », entre autres sur Jésus et « Marie-Madeleine » — ce personnage composite de la piété médiévale, élaboré sur le nom de Marie de Magdala à partir de plusieurs personnages féminins du Nouveau Testament, parmi lesquels — ni dans le Nouveau Testament, ni au Moyen Âge — aucune « épouse de Jésus » !… Jusqu'à aujourd'hui, où on nous donne via des textes gnostiques parlant d'un Jésus au corps purement spirituel, une affaire matrimoniale dans des baisers à Marie de Magdala donnée comme sa femme ! On sait que c'est au goût de notre temps, quand la compréhension gnostique des corps spirituels est devenu totalement incompréhensible à la plupart…

Reste qu'il y a donc peu de doutes que le romancier Dan Brown est malgré lui l’avant-dernière étape (les cinéastes Ron Howard/Da Vinci Code et Cameron/Talpiot en étant, en 2006 et 2007, les dernières — on ne dira pas victimes : ça leur a bien rapporté…) d’une farce qui ignore désormais qu’elle s’origine, non pas dans quelque mystérieuse tradition, mais dans une plaisanterie de l'humoriste Francis Blanche ! Et que nous ressert à sa façon, donc, en 2007, le cinéaste Cameron mettant en scène un ossuaire de « Marie-Madeleine » qu’il déclare épouse de Jésus à côté d’un ossuaire décrété ossuaire de son divin époux ! (sic !)

Quant au «mystérieux» manuscrit à l’origine de tout cela, il est du même tonneau que le sketch du « Sar Rabindranath Duval » où Francis Blanche ironisait via ce personnage sur les supercheries mystico-ésotériques diverses…

Une autre étude, de Philippe Marlin (auteur du livre Comment fabriquer un mythe ?, éd. L’œil du Sphinx, 2004), confirme et donne des précisions supplémentaires fournies par des témoins de la mise en place de la supercherie :

« […] C’est Gérard de Sède qui dans L’Or de Rennes (Julliard, 1967) va donner toute sa dimension à ces documents, en en proposant une reproduction, et en précisant qu’ils ont été soumis à un expert militaire du chiffre. Mais sans en donner à ce moment, suspense oblige, le décryptage. Et l’auteur du reste d’enrichir la collection par un troisième document, dit "manuscrit du Sôt Pêcheur", qui fera le bonheur des exégètes de tous poils !
Inutile de dire que personne n’a jamais vu les originaux de ces documents… Encore que le journaliste Jean-Luc Chaumeil exhibe volontiers les "grand et petit parchemins" [de l’abbé Saunière], en expliquant que ce sont des faux fabriqués par Philippe de Cherisey, personnage haut en couleur. Il affirme de surcroît avoir la copie d’un manuscrit de ce dernier, Pierre et Papier, dans lequel le mystificateur explique comment il a fabriqué et codé ces pièces. Le chercheur Jean Robin, dans La Colline Envoûtée (Trédaniel 1982), retrace avec beaucoup d’humour les propos de notre farceur érudit :

"M'étant rendu à Rennes les Bains en 1961 et ayant appris qu’après la mort de l'abbé la mairie de Rennes-le-Château avait brûlé (avec ses archives), j'ai profité de l'occasion pour inventer que le maire s'était fait délivrer un calque des Parchemins découverts par l'abbé. Alors sur l'idée de Francis Blanche, je me suis mis en devoir de composer un calque codé sur des passages d'évangiles et de décoder moi-même ce que j'avais codé. Enfin par voie détournée je faisais parvenir à Gérard de Sède le fruit de mes veilles. Cela a marché au-delà de mes espoir." En effet…
Comme nos lecteurs seront peut-être surpris par cette apparition inattendue du fantaisiste Francis Blanche, nous nous en voudrions de ne pas leur citer le récit que fit le marquis de Chérisey - journaliste puis acteur - de sa rencontre avec l'immortel auteur de
Signé Furax : "Je l'ai rencontré pour la première fois dans un night-club proche de la place Saint Georges à Paris. Il jouait à faire peur et y réussissait".
"Il a joué un grand rôle dans ma vie d'acteur à Bruxelles en 1961, à l'occasion du tournage de Vive le Duc, un film belge dont le moins on dira, mieux vaudra [sic]. Ensuite nous nous sommes rencontrés chez Cornehs, un spécialiste des marionnettes puis encore dans un night-club de la gare du Nord, aujourd'hui aboli. Il me fit raconter mes histoires de trésor, celle des rouleaux de bois d'où l'abbé Bérenger Saunière avait sorti des Parchemins qui depuis s'étaient éclipsés Pour rejoindre les coffres d'une banque anglaise.
Fabrique-moi ça. Je suis preneur…
Fabriquer quoi ?
Des parchemins. Torche-moi cette farce et adresse-la chez Arnaud de Chassipoulet. Elle paraîtra dans mon feuilleton radiophonique.
‘Signé Furax’ était le nom de ce feuilleton radiophonique qui a laissé quelques traces dans la mémoire des auditeurs. Croirait-on pourtant que Pierre-Arnaud de Chassipoulet (avec un nom pareil) existât vraiment ? J'ai rencontré ce monsieur qui avait un magasin de magnétophones près de la rue de la Boëtie, mais sans rien lui remettre. Les pseudo-parchemins avaient occupé une part si importante de mes activités, que leur histoire dépassait le cadre d'un feuilleton".
Telle est donc la genèse des célèbres Parchemins de l'abbé Saunière »
, conclut Philippe Marlin.

Voilà donc la genèse du Da Vinci Code, des lectures « matrimoniales » des manuscrits gnostiques, et du couple du caveau de Talpiot : Jésus et « Marie-Madeleine » avec leur fils Judas (sic). Où un mythe bâti sur une farce tente de devenir histoire et archéologie !


R.P. (reprise d'un texte de 2007)