Jérémie, 20, 7-13
10 J’entends les propos menaçants de la foule - c’est partout l’épouvante : "Dénoncez-le !" - Oui, nous le dénoncerons ! Tous mes intimes guettent mes défaillances : "Peut-être se laissera-t-il tromper dans sa naïveté, et nous arriverons à nos fins, nous prendrons notre revanche."
11 Mais le SEIGNEUR est avec moi comme un guerrier redoutable ; mes persécuteurs trébucheront et n’arriveront pas à leurs fins. Ils seront couverts de honte - ils ne réussiront pas. Déshonneur à jamais ! On ne l’oubliera pas.
12 SEIGNEUR tout-puissant, toi qui examines le juste, qui vois sentiments et pensées, je verrai ta revanche sur eux, car c’est à toi que je remets ma cause.
13 Chantez au SEIGNEUR ! Louez le SEIGNEUR ! Il délivre la vie des pauvres de la main des malfaiteurs.
Matthieu 10, 26-33
26 "Ne les craignez donc pas ! Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est secret qui ne sera connu.
27 Ce que je vous dis dans l’ombre, dites-le au grand jour ; ce que vous entendez dans le creux de l’oreille, proclamez-le sur les terrasses.
28 Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l’âme ; craignez bien plutôt celui qui peut faire périr âme et corps dans la géhenne.
29 Est-ce que l’on ne vend pas deux moineaux pour un sou ? Pourtant, pas un d’entre eux ne tombe à terre indépendamment de votre Père.
30 Quant à vous, même vos cheveux sont tous comptés.
31 Soyez donc sans crainte : vous valez mieux, vous, que tous les moineaux.
32 Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, je me déclarerai moi aussi pour lui devant mon Père qui est aux cieux ;
33 mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai moi aussi devant mon Père qui est aux cieux."
« Ne les craignez donc pas ! » — « Ne craignez pas » — « Soyez donc sans crainte » : le leitmotiv revient trois fois dans notre passage de l’Évangile de Matthieu.
Sachant la façon dont ils ont traité le maître (tel est l’arrière-plan), sachant cela :
« Ne les donc craignez pas », dit Jésus une première fois :
— Ne craignez pas de dire la parole pour laquelle vous êtes envoyés ; même si, et notamment face aux menaces, ce n’est pas facile.
Ne craignez pas, car tout sera dévoilé :
— l’enseignement d’abord confidentiel (éventuellement au désert) — est appelé à devenir culte public (dans un temple ouvert sur la ville, sans la menace de trouver une foule ennemie et hargneuse à la sortie) ;
— mais aussi, peut-être, c'est cela aussi qui sera dévoilé, le cœur des persécuteurs : la justice de Dieu est là comme instance suprême, par delà les tribunaux des persécuteurs. Dans la foi en Dieu, ne craignez pas.
« Ne craignez pas », a donc souligné Jésus, les menaces des persécuteurs, qui n’ont de pouvoir, au pire, que sur la vie terrestre.
Voilà qui est pour nous d’une actualité criante ! Nous avons besoin d’entendre ces paroles, n’est-ce pas ? Nous sommes en effet en grand danger ! Vous le savez comme moi. Nous chrétiens, protestants, en France au XXIe siècle sommes particulièrement menacés ! Menaces terribles ! Par exemple : on risque de nous trouver ringards… Peu de doute, on croit en effet de moins en moins. Oui, on risque bel et bien de nous trouver ringards… Crainte ridicule, je ne vous le fais pas dire ! Eh bien, après tout, nous avons du coup peut-être particulièrement besoin d’entendre cette parole : « ne craignez pas ».
Face à la crainte, la vraie menace est peut-être celle qui rend captives nos imaginations. Nous avons tous fait cette expérience : fermer les yeux aux moments les plus redoutables d’un film d’épouvante. La peur est pire : pouvoir terrorisant de l’imagination.
Cela vaut aussi pour la douleur, au point qu’un écrivain du XXe siècle — Emil Cioran — a pu dire que les douleurs imaginaires sont de loin les plus réelles puisqu’on en a besoin au point de les inventer. Peut-être en sommes-nous là. Gens d’une civilisation de l’image — et donc de l’imagination, bardée de peurs imaginaires. Gens d’une civilisation du virtuel au point que nous finissons par confondre virtuel et réel — à juste titre quand le virtuel devient notre seul réel. Quand le virtuel devient l’amorce de l’entrée dans le réel.
Quand le virtuel et l'imaginaire se confondent, ce qui n'est pas si faux, avec le réel. Un peu comme les guides habiles font visiter aux touristes du château d’If la cellule, présentée comme réelle, du tout imaginaire comte de Monte-Christo d’Alexandre Dumas ! Ou comme certains amateurs d’ésotérisme cherchent vraiment — comme des archéologues ! — la coupe du saint Graal, mythique symbole d’un roman médiéval…
Pour en rester à notre époque, il semble que l’absence de menace réelle, l’absence de ce piment du danger réel dans nos vies et nos fois, nous précipite dans l’imaginaire, bien plus redoutable que le réel, imaginaire où le simple risque de passer pour ringard, nous paralyse bien au-delà que la menace de la persécution réelle, qui n’a pas entravé le témoignage de nos ancêtres spirituels.
« Ne craignez pas » vaut peut-être donc à plus forte raison, en ce qui concerne les temps et lieux comme les nôtres où il n’y a pas, du moins en Occident, de menace physique, cela vaut pour les menaces des chercheurs de poux dans la tête et autres chicaneurs ou moqueurs. Qui au pire nous imposent, c'est vrai, des tracasseries administratives. Particulièrement agaçantes certes, et contre lesquelles il faut certes se faire entendre.
Et si, du coup, les prophètes avaient préfiguré notre situation de terreur virtuelle ? Je pense à Jérémie que nous avons lu, qui certes était aux prises, lui, avec une menace réelle, comme — menace réelle contemporaine de notre menace virtuelle — comme le sont aussi de nos jours la plupart des chrétiens de la planète, réellement persécutés.
Rien de bien nouveau hélas, me direz-vous, en matière de persécution et de violence, contre quiconque d'ailleurs, depuis les jours de la Réforme : Luther a neuf ans en 1492, l'année qui voyait l'expulsion des juifs et des musulmans d'Espagne, la découverte de l'Amérique, bientôt au grand dam des Indiens. La discrimination religieuse se répand alors en Europe, outre l'Espagne. En France, bientôt la St-Barthélémy. Discrimination religieuse. Discrimination qui se déchaînait déjà dans la persécution des cathares et qui se mue en discrimination raciale : l'Inquisition espagnole, héritière de celle de l'Occitanie du XIIIe siècle, apprend à distinguer les hérétiques comme sang-mêlé en recherchant des ancêtres juifs ou maures aux chrétiens dont le catholicisme est suspect. Au profit des colonies du Nouveau Monde, l'esclavage enseigne à distinguer entre les races, opérant la traite meurtrière que l'on sait, exil généralisé, étendu à l'échelle industrielle, frappant pour des siècles tout un continent.
Tout un cortège macabre débouchant sur le XXe siècle de l'horreur et du silence glacial qui pèse sur des déserts infernaux. Auschwitz, symbole définitif, après lequel la théologie ne sait plus que boiter. Symbole définitif au point qu'il n'a pas même la force d'être leçon définitive. Le goulag y a survécu, puis d'autres génocides. Ce XXe siècle de l'enfer méthodiquement et scientifiquement poursuivi qui débouche sur notre XXIe siècle.
Cette réalité accompagne bien aujourd'hui encore notre vécu de la foi — assez paisible nous concernant — ce vécu de la foi qui était déjà celle de nos prédécesseurs.
On a lu Jérémie. Déjà la menace qui pesait sur Jérémie était réelle. Mais elle s’accompagnait en outre de celle qui pesait sur son imagination d’adolescent timide terrorisé par la vocation que lui adressait Dieu de s’adresser aux grands de son monde. C’est ainsi qu’on se moque de Jérémie. Et pourtant il doit parler, il ne peut pas se taire. Et nous ?
La crainte concernant Jérémie, qui peut nous atteindre aussi, est certes plus sérieuse que celle que nous connaissons en France d'aujourd'hui. Elle n’en est pas totalement séparée : crainte de passer pour un fou alarmiste. Car aujourd’hui comme pour les contemporains de Jérémie, tout va bien n’est-ce pas ? Pas lieu de s'alarmer...
Cela me rappelle une histoire concernant un autre prophète, plus récent, Kierkegaard, qui « nous demande d'imaginer un très grand navire confortablement aménagé. C'est vers le soir. Les passagers s'amusent, tout resplendit. Ce n'est que liesse et réjouissance. Mais sur le pont, le capitaine voit un point blanc grossir à l'horizon et dit : "La nuit sera terrible". Il distribue les ordres nécessaires aux membres de l'équipage. Puis, ouvrant sa Bible, il lit juste ce passage : "Cette nuit-même, ton âme te sera redemandée". Pendant ce temps. Dans les salons on continue de festoyer. Les bouchons de champagne sautent. L’orchestre joue de plus en plus fort. On boit à la santé du capitaine. Et "La nuit sera terrible".
« Kierkegaard imagine alors une situation plus effrayante encore. Les conditions sont exactement les mêmes avec cette différence que, cette fois-ci, le capitaine est au salon, rit et danse, il est même le plus gai de tous. C'est un passager qui voit le point menaçant à l'horizon. Il fait demander au capitaine de monter un instant sur le pont. Il tarde ; enfin il arrive. Mais il ne veut rien entendre et plaisantant, il se hâte de rejoindre en bas la société bruyante et désordonnée des passagers qui boivent à sa santé dans l'allégresse générale. Et il adresse ses remerciements chaleureux".
« Le monde occidental en général et ses Églises en particulier — commente Jean Brun qui cite Kierkegaard en 1976 — ressemblent de plus en plus à ce navire que le point menaçant à l'horizon engloutira lorsqu'il deviendra typhon. Tout le monde danse dans les salons. Les capitaines sablent le champagne et maudissent les pessimistes qui scrutent l'horizon et qui n'ont confiance ni dans le dieu Progrès ni dans les capacités des Grands Timoniers qui prétendent tenir solidement la barre et diriger fermement le navire social alors qu'ils ne font que l'infléchir selon les courants définis par les sondages d'opinions, cette boussole sans Nord prise aujourd'hui comme compas suprême. » (S. Kierkegaard, Note du Journal de 1855 in L'Instant, trad. P.-H. Tisseau, Bazoges-en-Pareds 1948, p. 247 — cité par J. Brun, « Sablons le champagne », Foi et vie, Janvier-Février 1976.)
Revenons à Jérémie. Lui aussi doit annoncer ce qu’on a appelé des paroles de malheur, les menaces qui pèsent. Mais comment Jérusalem à laquelle il prêche, elle qui, comme la plupart des vivants, n'a pas perçu la source éternelle de ses joies passagères, comment pourrait-elle accueillir de telles jérémiades ? Comment pourrait-elle accepter la parole de son malheur ?
Alors tout plutôt que cela : jusqu'à payer des faux prophètes ; mais surtout faire taire ce rabat-joie. Et la suite du livre rappelle qu’on l’a bien fait : on a payé des faux prophètes pour qu’ils donnent des paroles rassurantes, séduisantes, mais creuses, fausses, pour remplacer la parole du prophète qui dérange parce qu’elle est vraie. Remarquez que lui aussi serait le premier à vouloir se taire, à voir cesser sa honte, le mépris qu’on lui porte. Car de lui, on se moque. Et c’est à cause de sa vocation qu’on le méprise. Pensez : il dit la vérité. Et nous ?
Mais comment accepter cette parole qui nous dérange tant ? On veut être flatté. Or la vérité ne sait pas flatter ! Alors, à moins de se rendre à l'acceptation de la douleur qui tenaille le prophète, on préférera s’illusionner : j'ai faim, j’ai soif, je veux des citernes crevassées, je veux courges et cailles, je préfère l'Égypte de mon esclavage, plutôt que le désert de la Vérité. Mais pour Jérémie, Dieu l'a saisi, et il ne pourra pas se taire. Et supportera la moquerie et les insultes. Et nous ?
Les exemples ne manqueraient pas, concernant cette espèce de moqueurs (il y a du monde sur leur banc — Ps 1), que sont de tous temps les spécialistes universels auto-proclamés ès vérités ; — ne craignez pas les menaces des persécuteurs et autres moqueurs, mais Dieu seul qui a pouvoir éternel sur toute vie ; et qui confère sa valeur à toute vie.
Alors, « Soyez donc sans crainte » dit Jésus une troisième fois :
— forts de la valeur éminente que vous confère votre statut de confesseurs (vous valez mieux que tous les moineaux) ;
— statut de confesseurs que la crainte pourrait vous faire perdre ! (à quoi sert un confesseur qui ne confesse pas ?)
Spécificité de tout ce qui sert Dieu (des moineaux jusqu’aux confesseurs) — spécificité (qui qualifie là ce qui est précieux) qui ne doit donc pas être annulée par un reniement, un abandon (qui la ferait perdre) : un confesseur de la foi est placé où il est pour dire ce que personne ne peut dire à sa place.
Au cœur de tout cela, être ce qu’on est, tout simplement, établis en Christ.
10 J’entends les propos menaçants de la foule - c’est partout l’épouvante : "Dénoncez-le !" - Oui, nous le dénoncerons ! Tous mes intimes guettent mes défaillances : "Peut-être se laissera-t-il tromper dans sa naïveté, et nous arriverons à nos fins, nous prendrons notre revanche."
11 Mais le SEIGNEUR est avec moi comme un guerrier redoutable ; mes persécuteurs trébucheront et n’arriveront pas à leurs fins. Ils seront couverts de honte - ils ne réussiront pas. Déshonneur à jamais ! On ne l’oubliera pas.
12 SEIGNEUR tout-puissant, toi qui examines le juste, qui vois sentiments et pensées, je verrai ta revanche sur eux, car c’est à toi que je remets ma cause.
13 Chantez au SEIGNEUR ! Louez le SEIGNEUR ! Il délivre la vie des pauvres de la main des malfaiteurs.
Matthieu 10, 26-33
26 "Ne les craignez donc pas ! Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est secret qui ne sera connu.
27 Ce que je vous dis dans l’ombre, dites-le au grand jour ; ce que vous entendez dans le creux de l’oreille, proclamez-le sur les terrasses.
28 Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l’âme ; craignez bien plutôt celui qui peut faire périr âme et corps dans la géhenne.
29 Est-ce que l’on ne vend pas deux moineaux pour un sou ? Pourtant, pas un d’entre eux ne tombe à terre indépendamment de votre Père.
30 Quant à vous, même vos cheveux sont tous comptés.
31 Soyez donc sans crainte : vous valez mieux, vous, que tous les moineaux.
32 Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, je me déclarerai moi aussi pour lui devant mon Père qui est aux cieux ;
33 mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai moi aussi devant mon Père qui est aux cieux."
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« Ne les craignez donc pas ! » — « Ne craignez pas » — « Soyez donc sans crainte » : le leitmotiv revient trois fois dans notre passage de l’Évangile de Matthieu.
Sachant la façon dont ils ont traité le maître (tel est l’arrière-plan), sachant cela :
« Ne les donc craignez pas », dit Jésus une première fois :
— Ne craignez pas de dire la parole pour laquelle vous êtes envoyés ; même si, et notamment face aux menaces, ce n’est pas facile.
Ne craignez pas, car tout sera dévoilé :
— l’enseignement d’abord confidentiel (éventuellement au désert) — est appelé à devenir culte public (dans un temple ouvert sur la ville, sans la menace de trouver une foule ennemie et hargneuse à la sortie) ;
— mais aussi, peut-être, c'est cela aussi qui sera dévoilé, le cœur des persécuteurs : la justice de Dieu est là comme instance suprême, par delà les tribunaux des persécuteurs. Dans la foi en Dieu, ne craignez pas.
« Ne craignez pas », a donc souligné Jésus, les menaces des persécuteurs, qui n’ont de pouvoir, au pire, que sur la vie terrestre.
Voilà qui est pour nous d’une actualité criante ! Nous avons besoin d’entendre ces paroles, n’est-ce pas ? Nous sommes en effet en grand danger ! Vous le savez comme moi. Nous chrétiens, protestants, en France au XXIe siècle sommes particulièrement menacés ! Menaces terribles ! Par exemple : on risque de nous trouver ringards… Peu de doute, on croit en effet de moins en moins. Oui, on risque bel et bien de nous trouver ringards… Crainte ridicule, je ne vous le fais pas dire ! Eh bien, après tout, nous avons du coup peut-être particulièrement besoin d’entendre cette parole : « ne craignez pas ».
Face à la crainte, la vraie menace est peut-être celle qui rend captives nos imaginations. Nous avons tous fait cette expérience : fermer les yeux aux moments les plus redoutables d’un film d’épouvante. La peur est pire : pouvoir terrorisant de l’imagination.
Cela vaut aussi pour la douleur, au point qu’un écrivain du XXe siècle — Emil Cioran — a pu dire que les douleurs imaginaires sont de loin les plus réelles puisqu’on en a besoin au point de les inventer. Peut-être en sommes-nous là. Gens d’une civilisation de l’image — et donc de l’imagination, bardée de peurs imaginaires. Gens d’une civilisation du virtuel au point que nous finissons par confondre virtuel et réel — à juste titre quand le virtuel devient notre seul réel. Quand le virtuel devient l’amorce de l’entrée dans le réel.
Quand le virtuel et l'imaginaire se confondent, ce qui n'est pas si faux, avec le réel. Un peu comme les guides habiles font visiter aux touristes du château d’If la cellule, présentée comme réelle, du tout imaginaire comte de Monte-Christo d’Alexandre Dumas ! Ou comme certains amateurs d’ésotérisme cherchent vraiment — comme des archéologues ! — la coupe du saint Graal, mythique symbole d’un roman médiéval…
Pour en rester à notre époque, il semble que l’absence de menace réelle, l’absence de ce piment du danger réel dans nos vies et nos fois, nous précipite dans l’imaginaire, bien plus redoutable que le réel, imaginaire où le simple risque de passer pour ringard, nous paralyse bien au-delà que la menace de la persécution réelle, qui n’a pas entravé le témoignage de nos ancêtres spirituels.
« Ne craignez pas » vaut peut-être donc à plus forte raison, en ce qui concerne les temps et lieux comme les nôtres où il n’y a pas, du moins en Occident, de menace physique, cela vaut pour les menaces des chercheurs de poux dans la tête et autres chicaneurs ou moqueurs. Qui au pire nous imposent, c'est vrai, des tracasseries administratives. Particulièrement agaçantes certes, et contre lesquelles il faut certes se faire entendre.
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Et si, du coup, les prophètes avaient préfiguré notre situation de terreur virtuelle ? Je pense à Jérémie que nous avons lu, qui certes était aux prises, lui, avec une menace réelle, comme — menace réelle contemporaine de notre menace virtuelle — comme le sont aussi de nos jours la plupart des chrétiens de la planète, réellement persécutés.
Rien de bien nouveau hélas, me direz-vous, en matière de persécution et de violence, contre quiconque d'ailleurs, depuis les jours de la Réforme : Luther a neuf ans en 1492, l'année qui voyait l'expulsion des juifs et des musulmans d'Espagne, la découverte de l'Amérique, bientôt au grand dam des Indiens. La discrimination religieuse se répand alors en Europe, outre l'Espagne. En France, bientôt la St-Barthélémy. Discrimination religieuse. Discrimination qui se déchaînait déjà dans la persécution des cathares et qui se mue en discrimination raciale : l'Inquisition espagnole, héritière de celle de l'Occitanie du XIIIe siècle, apprend à distinguer les hérétiques comme sang-mêlé en recherchant des ancêtres juifs ou maures aux chrétiens dont le catholicisme est suspect. Au profit des colonies du Nouveau Monde, l'esclavage enseigne à distinguer entre les races, opérant la traite meurtrière que l'on sait, exil généralisé, étendu à l'échelle industrielle, frappant pour des siècles tout un continent.
Tout un cortège macabre débouchant sur le XXe siècle de l'horreur et du silence glacial qui pèse sur des déserts infernaux. Auschwitz, symbole définitif, après lequel la théologie ne sait plus que boiter. Symbole définitif au point qu'il n'a pas même la force d'être leçon définitive. Le goulag y a survécu, puis d'autres génocides. Ce XXe siècle de l'enfer méthodiquement et scientifiquement poursuivi qui débouche sur notre XXIe siècle.
Cette réalité accompagne bien aujourd'hui encore notre vécu de la foi — assez paisible nous concernant — ce vécu de la foi qui était déjà celle de nos prédécesseurs.
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On a lu Jérémie. Déjà la menace qui pesait sur Jérémie était réelle. Mais elle s’accompagnait en outre de celle qui pesait sur son imagination d’adolescent timide terrorisé par la vocation que lui adressait Dieu de s’adresser aux grands de son monde. C’est ainsi qu’on se moque de Jérémie. Et pourtant il doit parler, il ne peut pas se taire. Et nous ?
La crainte concernant Jérémie, qui peut nous atteindre aussi, est certes plus sérieuse que celle que nous connaissons en France d'aujourd'hui. Elle n’en est pas totalement séparée : crainte de passer pour un fou alarmiste. Car aujourd’hui comme pour les contemporains de Jérémie, tout va bien n’est-ce pas ? Pas lieu de s'alarmer...
Cela me rappelle une histoire concernant un autre prophète, plus récent, Kierkegaard, qui « nous demande d'imaginer un très grand navire confortablement aménagé. C'est vers le soir. Les passagers s'amusent, tout resplendit. Ce n'est que liesse et réjouissance. Mais sur le pont, le capitaine voit un point blanc grossir à l'horizon et dit : "La nuit sera terrible". Il distribue les ordres nécessaires aux membres de l'équipage. Puis, ouvrant sa Bible, il lit juste ce passage : "Cette nuit-même, ton âme te sera redemandée". Pendant ce temps. Dans les salons on continue de festoyer. Les bouchons de champagne sautent. L’orchestre joue de plus en plus fort. On boit à la santé du capitaine. Et "La nuit sera terrible".
« Kierkegaard imagine alors une situation plus effrayante encore. Les conditions sont exactement les mêmes avec cette différence que, cette fois-ci, le capitaine est au salon, rit et danse, il est même le plus gai de tous. C'est un passager qui voit le point menaçant à l'horizon. Il fait demander au capitaine de monter un instant sur le pont. Il tarde ; enfin il arrive. Mais il ne veut rien entendre et plaisantant, il se hâte de rejoindre en bas la société bruyante et désordonnée des passagers qui boivent à sa santé dans l'allégresse générale. Et il adresse ses remerciements chaleureux".
« Le monde occidental en général et ses Églises en particulier — commente Jean Brun qui cite Kierkegaard en 1976 — ressemblent de plus en plus à ce navire que le point menaçant à l'horizon engloutira lorsqu'il deviendra typhon. Tout le monde danse dans les salons. Les capitaines sablent le champagne et maudissent les pessimistes qui scrutent l'horizon et qui n'ont confiance ni dans le dieu Progrès ni dans les capacités des Grands Timoniers qui prétendent tenir solidement la barre et diriger fermement le navire social alors qu'ils ne font que l'infléchir selon les courants définis par les sondages d'opinions, cette boussole sans Nord prise aujourd'hui comme compas suprême. » (S. Kierkegaard, Note du Journal de 1855 in L'Instant, trad. P.-H. Tisseau, Bazoges-en-Pareds 1948, p. 247 — cité par J. Brun, « Sablons le champagne », Foi et vie, Janvier-Février 1976.)
Revenons à Jérémie. Lui aussi doit annoncer ce qu’on a appelé des paroles de malheur, les menaces qui pèsent. Mais comment Jérusalem à laquelle il prêche, elle qui, comme la plupart des vivants, n'a pas perçu la source éternelle de ses joies passagères, comment pourrait-elle accueillir de telles jérémiades ? Comment pourrait-elle accepter la parole de son malheur ?
Alors tout plutôt que cela : jusqu'à payer des faux prophètes ; mais surtout faire taire ce rabat-joie. Et la suite du livre rappelle qu’on l’a bien fait : on a payé des faux prophètes pour qu’ils donnent des paroles rassurantes, séduisantes, mais creuses, fausses, pour remplacer la parole du prophète qui dérange parce qu’elle est vraie. Remarquez que lui aussi serait le premier à vouloir se taire, à voir cesser sa honte, le mépris qu’on lui porte. Car de lui, on se moque. Et c’est à cause de sa vocation qu’on le méprise. Pensez : il dit la vérité. Et nous ?
Mais comment accepter cette parole qui nous dérange tant ? On veut être flatté. Or la vérité ne sait pas flatter ! Alors, à moins de se rendre à l'acceptation de la douleur qui tenaille le prophète, on préférera s’illusionner : j'ai faim, j’ai soif, je veux des citernes crevassées, je veux courges et cailles, je préfère l'Égypte de mon esclavage, plutôt que le désert de la Vérité. Mais pour Jérémie, Dieu l'a saisi, et il ne pourra pas se taire. Et supportera la moquerie et les insultes. Et nous ?
Les exemples ne manqueraient pas, concernant cette espèce de moqueurs (il y a du monde sur leur banc — Ps 1), que sont de tous temps les spécialistes universels auto-proclamés ès vérités ; — ne craignez pas les menaces des persécuteurs et autres moqueurs, mais Dieu seul qui a pouvoir éternel sur toute vie ; et qui confère sa valeur à toute vie.
Alors, « Soyez donc sans crainte » dit Jésus une troisième fois :
— forts de la valeur éminente que vous confère votre statut de confesseurs (vous valez mieux que tous les moineaux) ;
— statut de confesseurs que la crainte pourrait vous faire perdre ! (à quoi sert un confesseur qui ne confesse pas ?)
Spécificité de tout ce qui sert Dieu (des moineaux jusqu’aux confesseurs) — spécificité (qui qualifie là ce qui est précieux) qui ne doit donc pas être annulée par un reniement, un abandon (qui la ferait perdre) : un confesseur de la foi est placé où il est pour dire ce que personne ne peut dire à sa place.
Au cœur de tout cela, être ce qu’on est, tout simplement, établis en Christ.
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