Le fait que, protestant et pasteur, je puisse tenir le propos que je vais tenir sur la question de la foi devant des prêtres de l’Église catholique romaine, à votre invitation, dont je vous remercie vivement, est en soi le signe de ce que nos mots sont des signes et que l’on en a pris conscience à un degré que l’on avait sans doute, auparavant, oblitéré.
La déclaration commune / ou conjointe luthéro-catholique (qui vaut pour l’EPUdF y compris en sa composante réformée) sur la justification en est elle-même un signe éloquent : nous sommes en un temps héritier d’une certaine prise de distance quand au sens que nous donnons et avons donné au mot foi. La déclaration commune précise que les anathèmes réciproques du XVIe siècle, s’ils gardent leur légitimité ! — ne valent toutefois plus pour ceux qui se reconnaissent dans cette déclaration !
Ce que je vais développer est aussi sous un certain angle une lecture, d’un point de vue protestant, du processus par lequel nos Églises respectives en sont venues auparavant à ne plus entendre les mêmes sens sous les mêmes mots — ici le mot foi.
La Réforme a d’emblée perçu le mot comme étant d’ordre relationnel, et en l’occurrence une relation existentielle : la foi comme réalité relationnelle, en l’occurrence comme recours, en quelque sorte.
L’idée apparaît dans le vocabulaire biblique — dans un vocabulaire qui n’est d’ailleurs pas d’abord forcément religieux.
Les termes bibliques — emounah / pistis / fides = foi comme confiance — batach / elpizo = confiance connotée d’espérance — chasah = chercher refuge —… parlent de relation. Concernant la dimension religieuse, de relation à Dieu.
Cela se signifie notamment dans le eis grec qui accompagne le mot pistis, foi. En français, je crois en. Écho au latin credo in. Le choix du verbe credo pour un mot qui se traduirait plutôt par fides n’est sans doute pas indifférent et n’est pas sans être indicatif d’un possible glissement de sens, glissement vers une compréhension préférentiellement intellectuelle du mot foi. J’y reviens. Glissement toutefois corrigé par le en : je crois en.
Une anecdote pour illustrer cela : les premiers vaudois, comparaissant au IIIe Concile du Latran, en 1179, subissaient un interrogatoire où on leur demandait s'ils croyaient en Dieu le Père, en Dieu le Fils, en Dieu le Saint Esprit, et en la Vierge Marie. Ayant répondu successivement chaque fois «oui», ils provoquaient l'hilarité de leurs juges les trouvant bien naïfs — pour avoir professé croire en la Vierge Marie. C'est pour les vaudois le point de départ d'un discrédit qui les mènera à leur condamnation. Les théologiens qui les ont interrogés savent qu'on croit en Dieu seul. Pour le reste, on croit que.
Le choix de traduire credere répond toutefois sans doute, donc, au choix entre intellect (influence philosophique) et/ou volonté — opportet addiscentem credere (Aristote cité par Thomas). Il est question partage de convictions communes (essentiellement non-religieuses) quant à des choses qui ne se voient pas spontanément, ou que le maître comprend tandis que le disciple ne fait encore que les croire, sur la parole du maître.
N’oublions pas, cela dit, que l’existence de Dieu est connue pour Thomas (mais il n’est pas le seul à l’affirmer) par la raison — la foi concerne ce qui est révélé de lui.
La Foi (avec majuscule en français) est ici d’abord un donné (Fides quae creditur — le donné de la Foi, le contenu du credo) — qui se distingue de la foi (avec une minuscule en français) subjective (fides qua creditur).
La foi subjective apparaît alors d’abord comme une adhésion en premier lieu intellectuelle à un donné, celui de la Foi comme contenu de l’enseignement de l’Église. Une foi qui consiste donc à reconnaître la vérité d’un enseignement. Une foi qui peut donc être théorique, et qui comme telle, ne saurait être à proprement parler salvifique.
D’où l’affirmation que l’on trouve chez Thomas (mais pas seulement — c’est un lieu commun de la scolastique) qui veut que la foi suave si elle est « informée » par la charité — fides caritate formata. D’où l’usage de l’épître de Jacques 4, 26 : la foi sans les oeuvres est mortes, où l’on trouve déjà la mise en garde contre une foi qui ne serait que croyance.
Face à cela, et suite aux glissements en désespoir induits dans la scolastique tardive, la réforme renoue, en quelque, sorte, et avec insistance, avec la foi comme fiducia — confiance — selon une acception plus paulinienne, plus proche des Psaumes aussi, de la notion de foi comme confiance, comme recours. Une confiance telle qu’elle est foi en Christ et/ou à la fois : foi du Christ (Gal 2, 16 ; Ro 3, 21 sq.). Sauvés par la foi du Christ ! Ce qu’induit cette ambivalence de l’expression paulinienne est que la foi me décentre de moi-même. On et au cœur de l’insistance réformatrice et luthérienne — dans l’héritage paulinien et augustinien.
C’est ainsi que mutatis mutandis on retrouve cette volonté de décentrement chez l’augustinien Pascal (cf. Provinciales II).
Ici la foi est donnée comme antithèse du péché qui me condamne — et mesurer son salut à la lumière de ses mérites ou de son péché est parfaitement mortifère pour une âme inquiète : je ne suis en effet jamais à la hauteur des exigences de Dieu ! Ce qui situe la foi en vis-à-vis du péché. Luther est à ce point significatif, qui se situe dans la perspective de Paul d’Augustin — lequel a fourni à Luther le vocable de serf-arbitre : nous sommes captifs du péché au point que le seul recours que nous ayons est la grâce seule reçue par la foi seule. Kierkegaard, plus tard souligne cela et signalant que l’opposé du péché n’est pas la vertu, mais la foi.
Ce qui du coup situe aussi la foi en regard de la grâce qui précède la foi et la suscite. C’est l’insistance particulière de Calvin lui aussi dans l’héritage d’Augustin.
La foi apparaît alors comme la face positive — le recours — de la conversion, du repentir dont la face négative est le détournement de la faute reconnue.
La déclaration commune / ou conjointe luthéro-catholique (qui vaut pour l’EPUdF y compris en sa composante réformée) sur la justification en est elle-même un signe éloquent : nous sommes en un temps héritier d’une certaine prise de distance quand au sens que nous donnons et avons donné au mot foi. La déclaration commune précise que les anathèmes réciproques du XVIe siècle, s’ils gardent leur légitimité ! — ne valent toutefois plus pour ceux qui se reconnaissent dans cette déclaration !
Ce que je vais développer est aussi sous un certain angle une lecture, d’un point de vue protestant, du processus par lequel nos Églises respectives en sont venues auparavant à ne plus entendre les mêmes sens sous les mêmes mots — ici le mot foi.
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La Réforme a d’emblée perçu le mot comme étant d’ordre relationnel, et en l’occurrence une relation existentielle : la foi comme réalité relationnelle, en l’occurrence comme recours, en quelque sorte.
L’idée apparaît dans le vocabulaire biblique — dans un vocabulaire qui n’est d’ailleurs pas d’abord forcément religieux.
Les termes bibliques — emounah / pistis / fides = foi comme confiance — batach / elpizo = confiance connotée d’espérance — chasah = chercher refuge —… parlent de relation. Concernant la dimension religieuse, de relation à Dieu.
Cela se signifie notamment dans le eis grec qui accompagne le mot pistis, foi. En français, je crois en. Écho au latin credo in. Le choix du verbe credo pour un mot qui se traduirait plutôt par fides n’est sans doute pas indifférent et n’est pas sans être indicatif d’un possible glissement de sens, glissement vers une compréhension préférentiellement intellectuelle du mot foi. J’y reviens. Glissement toutefois corrigé par le en : je crois en.
Une anecdote pour illustrer cela : les premiers vaudois, comparaissant au IIIe Concile du Latran, en 1179, subissaient un interrogatoire où on leur demandait s'ils croyaient en Dieu le Père, en Dieu le Fils, en Dieu le Saint Esprit, et en la Vierge Marie. Ayant répondu successivement chaque fois «oui», ils provoquaient l'hilarité de leurs juges les trouvant bien naïfs — pour avoir professé croire en la Vierge Marie. C'est pour les vaudois le point de départ d'un discrédit qui les mènera à leur condamnation. Les théologiens qui les ont interrogés savent qu'on croit en Dieu seul. Pour le reste, on croit que.
Le choix de traduire credere répond toutefois sans doute, donc, au choix entre intellect (influence philosophique) et/ou volonté — opportet addiscentem credere (Aristote cité par Thomas). Il est question partage de convictions communes (essentiellement non-religieuses) quant à des choses qui ne se voient pas spontanément, ou que le maître comprend tandis que le disciple ne fait encore que les croire, sur la parole du maître.
N’oublions pas, cela dit, que l’existence de Dieu est connue pour Thomas (mais il n’est pas le seul à l’affirmer) par la raison — la foi concerne ce qui est révélé de lui.
La Foi (avec majuscule en français) est ici d’abord un donné (Fides quae creditur — le donné de la Foi, le contenu du credo) — qui se distingue de la foi (avec une minuscule en français) subjective (fides qua creditur).
La foi subjective apparaît alors d’abord comme une adhésion en premier lieu intellectuelle à un donné, celui de la Foi comme contenu de l’enseignement de l’Église. Une foi qui consiste donc à reconnaître la vérité d’un enseignement. Une foi qui peut donc être théorique, et qui comme telle, ne saurait être à proprement parler salvifique.
D’où l’affirmation que l’on trouve chez Thomas (mais pas seulement — c’est un lieu commun de la scolastique) qui veut que la foi suave si elle est « informée » par la charité — fides caritate formata. D’où l’usage de l’épître de Jacques 4, 26 : la foi sans les oeuvres est mortes, où l’on trouve déjà la mise en garde contre une foi qui ne serait que croyance.
Face à cela, et suite aux glissements en désespoir induits dans la scolastique tardive, la réforme renoue, en quelque, sorte, et avec insistance, avec la foi comme fiducia — confiance — selon une acception plus paulinienne, plus proche des Psaumes aussi, de la notion de foi comme confiance, comme recours. Une confiance telle qu’elle est foi en Christ et/ou à la fois : foi du Christ (Gal 2, 16 ; Ro 3, 21 sq.). Sauvés par la foi du Christ ! Ce qu’induit cette ambivalence de l’expression paulinienne est que la foi me décentre de moi-même. On et au cœur de l’insistance réformatrice et luthérienne — dans l’héritage paulinien et augustinien.
C’est ainsi que mutatis mutandis on retrouve cette volonté de décentrement chez l’augustinien Pascal (cf. Provinciales II).
Ici la foi est donnée comme antithèse du péché qui me condamne — et mesurer son salut à la lumière de ses mérites ou de son péché est parfaitement mortifère pour une âme inquiète : je ne suis en effet jamais à la hauteur des exigences de Dieu ! Ce qui situe la foi en vis-à-vis du péché. Luther est à ce point significatif, qui se situe dans la perspective de Paul d’Augustin — lequel a fourni à Luther le vocable de serf-arbitre : nous sommes captifs du péché au point que le seul recours que nous ayons est la grâce seule reçue par la foi seule. Kierkegaard, plus tard souligne cela et signalant que l’opposé du péché n’est pas la vertu, mais la foi.
Ce qui du coup situe aussi la foi en regard de la grâce qui précède la foi et la suscite. C’est l’insistance particulière de Calvin lui aussi dans l’héritage d’Augustin.
La foi apparaît alors comme la face positive — le recours — de la conversion, du repentir dont la face négative est le détournement de la faute reconnue.
R.P.
Ligugé, récollection des prêtres de Poitiers, 19.03.13
Ligugé, récollection des prêtres de Poitiers, 19.03.13
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