<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: Des anges et des sens

jeudi 21 mars 2013

Des anges et des sens




On estime aujourd’hui que l'Univers observable compte quelques centaines de milliards de galaxies de « masse significative », c’est-à-dire contenant quelques centaines de milliards d’étoiles. Ce nombre n’est toutefois pas limitatif, puisque le nombre d’étoiles des galaxies dites « naines », c’est-à-dire ne comptant « que » quelques millions d'étoiles, est difficile à déterminer du fait de leur masse et de leur luminosité « très faibles », et qu’en outre d’autres, trop lointaines, échappent à notre observation. L'Univers dans son ensemble, dont l'extension réelle n'est pas connue, est susceptible de compter un nombre immensément plus grand de galaxies. Bref, quelques centaines de milliards de galaxies de masse significative sans compter les galaxies moins grandes, et donc plus difficilement observables, et les autres qui nous échappent !

Notre galaxie, la Voie lactée, est une des centaines de milliards de galaxies observables, et de masse dite « significative ». La Voie lactée a une extension de l'ordre de 100 000 années-lumière. C’est-à-dire que l’on perçoit les étoiles lointaines de notre seule galaxie comme elles étaient il y a 100 000 ans. Et notre galaxie est donc une seule de ces galaxies de quelques centaines de milliards d'étoiles.

Le soleil est une des centaines de milliards d’étoiles de cette galaxie, elle-même une parmi quelques centaines de milliards de galaxies semblables observables. Le soleil est donc l’étoile de notre système solaire, autour duquel tourne la terre — sur laquelle nous nous questionnons sur tout cela aujourd’hui... Selon une logique relative, en cohérence avec le monde d’Einstein et la théorie de la relativité.

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De l’Antiquité à la Renaissance, la clef de lecture du monde est la logique non-relativiste d’Aristote (IVe s. av. JC) : logique de non-contradiction, qui pose la connaissance comme « adéquation de la chose et de l’intellect ».

Cela s’opère en cohérence avec le système de ce monde aristotélicien : une terre sphérique (avant Aristote la terre n’est pas encore forcément ronde) à un pôle (au centre), à l’autre pôle le « ciel empyrée » et le « trône de Dieu ». Le « ciel empyrée » est le « dixième ciel » le Paradis, les autres cieux étant ceux des sept « planètes » observables à l’œil nu (Lune, Mercure, Venus, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne), plus le ciel des étoiles fixes (le zodiaque) et le ciel du mouvement diurne. La matière céleste est l’éther (la cinquième essence, la quintessence, matière spirituelle et lumineuse), au-delà des quatre autres « essences » ou éléments : terre, eau, air, feu — matière de notre ici-bas. Ce monde céleste dont la matière est l’éther est mû par les Intelligences célestes, les anges chez Thomas d’Aquin, imitant la perfection de Dieu en imprimant aux sphères leur mouvement circulaire.

Les neuf cieux inférieurs au ciel du Paradis correspondent aux neuf ordres de la hiérarchie angélique de Denys l’Aréopagite (Ve s. ap. JC), qui toutefois lie moins strictement aux sphères des planètes qui les symbolisent, ces garants de la distance entre Dieu et le monde.

La structure intelligible des choses, leur substance intellectuelle, sous-tend les êtres matériels, connaissables parce que dotés de cette structure intelligible. Substance (ce qui se tient en dessous) intelligible aussi, l’intelligence a pour rôle « de capter des êtres, non de fabriquer des concepts ou d’ajuster des énoncés » (Pierre Rousselot, L’intellectualisme de S. Thomas).

Cela est ajusté sur le monde hiérarchique intelligible. Les hommes en sont l’expression la plus humble, dans la matière, « la poussière », d’où, dans le monde des êtres intelligents, partagé par Dieu et les anges, la caractéristique de la raison, son humilité de réalité humaine : l’être rationnel, l’homme, est obligé de procéder par abstraction là où les êtres immatériels ont une connaissance intuitive, immédiate.

La raison humaine n’en participe par moins du monde intellectuel, à son humble mesure, évoluant, se mouvant dans le monde sensible, le monde sub-lunaire, quand les anges occupent le monde supra-lunaire, dont la matière parfaite est l’éther. Exempts eux-mêmes de matière, même spirituelle, les anges meuvent le monde supérieur, les orbes célestes, dont certaines sont celles sur lesquelles tournent les corps célestes composés d’éther (les planètes).

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C’est là le monde d’Aristote (cf. Métaphysique) repris par Thomas d’Aquin. Dans ce monde, affirmer l’existence de Dieu relève non de la foi, mais de la raison. La foi est requise pour recevoir Dieu comme Trinité, incarné, pour recevoir une révélation comme celle de la résurrection du Christ... — on peut dire aussi pour recevoir Dieu, la cause ultime, comme bon et favorable. Mais la foi n’est pas requise — la raison suffit — pour recevoir l’idée qu’il y a une cause première de tous les paramètres causaux de ce qui advient.

Ce qui advient dépend de nombreux paramètres, de causes, dont la cause ultime est ce à quoi on donne le nom « Dieu »… Pour Thomas, en temps aristotéliciens, cela est lié précisément à la logique et à la cosmologie en place. Ce monde perdure jusqu’en 1609…

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Lorsque, dans les années 1609-1610, Galilée braque sa lunette astronomique vers les sphères célestes, il découvre et révèle au monde que celles-ci ne sont pas faites d’éther, mais de la même matière que celle qui compose notre monde, qui se meut au-dessous de la lune, le monde sublunaire.

Le monde mû les anges est dès lors irrémédiablement ébranlé : cet effondrement du monde aristotélicien est, au sens littéral, un véritable « ébranlement des puissances des cieux ». Le monde va désormais devoir se penser sur un mode autre que celui de l’harmonie géocentrique, avec un Dieu garant de cette harmonie, via éventuellement son représentant, le pape, qui lui-même a été fortement ébranlé par la Réforme.

Suite à Descartes (XVIIe s.) apparaissent d’autres propositions de systèmes du monde que le système aristotélicien sur lequel s’appuyaient aussi les systèmes théologiques. Le pôle central du système nouveau est le sujet : « je pense donc je suis » (formule reprise d’Augustin, mais désormais centrale et fondatrice).

Newton vient à son tour proposer l’alternative de la force gravitationnelle pour expliquer la rotation des planètes mues auparavant, dans le système aristotélicien / ou ptoléméen, par les anges — intelligences célestes.

Un monde s’est bel et bien écroulé, entraînant des ruptures en matière de connaissance, ruptures épistémologiques qui maintiennent toutefois la logique d’Aristote, logique de non-contradiction, selon un autre cadre, d’autres systèmes.

Une nouvelle rupture intervient au début du XXe s. avec Einstein et la théorie de la relativité.

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Mais dès Galilée, exit cet éther, la cinquième essence, la quinte essence, qui couronnait antan les quatre éléments, terre, eau, air, feu, de notre monde sensoriel.

Exit du même coup le monde des Intelligences célestes, les anges, chargés encore dans Le Paradis de Dante de mouvoir les cieux inférieurs au paradis des Bienheureux et dont l’éther des planètes était le signe : ces Intelligences angéliques qui y étaient préposées leur imprimaient alors leur mouvement circulaire reflétant leur imitation de la perfection divine.

Vidés de ces esprits purs, les cieux nous renvoyant désormais à notre seule humanité perdaient du même coup leur dimension de signe et de reflet de ce que notre intelligence n’est que celle, humble, d’être sensoriels.

Auparavant cela avait été le lot d’un Thomas d’Aquin de léguer au monde latin la leçon reçue d’un philosophe iranien, Avicenne, de ce qu’est un être exempt de nos cinq sens corporels : les anges faisaient écho au fait que notre intelligence est cantonnée à nos cinq sens, qui nous contraignent à user de notre raison puisque nous ne bénéficions pas de la pure intuition intellectuelle de nos homologues Intellects purs. Le détour par l’intelligence pure de l’ange dévoilait comme en reflet l’humble réalité de l’humanité dotée de sens : cette humilité de l’être d’humus, l’humain, qui est aussi sa richesse…

Car, comme nous l’a enseigné le film Les Ailes du désir de Wim Wenders, voilà que peut-être les anges désirent plonger leur regard vers l’humain, à la découverte de la richesse de notre sensorialité…

Cette découverte a aussi son aspect tragique, souligné par le cathare Guillaume Bélibaste : « Satan […] alla à la porte du Royaume du Père et s'y tint pendant trente-deux ans. On ne lui permettait pas d'entrer. A la fin, le gardien de cette porte, voyant qu'il avait attendu longtemps sans avoir la permission d'entrer, le fit entrer dans le Royaume du Père saint.
[Où il promet alors en cachette aux bons esprits que, mieux que ce qu’ils ont dans le Royaume céleste,] « il leur donnerait des champs, des vignes, des eaux, des prés, des fruits, de l'or, de l'argent, et tous les biens de cette nature matérielle, et de plus, à chacun d'eux, des épouses. Et il se mit à faire un grand éloge des épouses et des plaisirs charnels que l'on a avec des femmes, et les esprits lui demandèrent ce que c'était que des épouses. Il leur répondit que c'étaient des femmes, et que s'ils voulaient voir une de celles qu'il promettait de leur donner, il leur en amènerait une, pour qu'ils la voient, à condition qu'ils le laissent rentrer dans le Royaume du Père saint. […] « Quand ils l'eurent vue, ils furent enflammés de concupiscence pour elle, et chacun d'eux voulait l'avoir. Ce que voyant, Satan l'emmena avec lui hors du Royaume du Père, et les esprits, entraînés par le désir de cette femme, suivirent Satan et la femme. Et ils furent si nombreux à les suivre que pendant neuf jours et neuf nuits ils ne cessèrent de tomber par le trou par lequel Satan était sorti avec la femme, et ils tombèrent plus menu et plus dru du ciel que la pluie ne tombe sur la terre, et il en tomba tant que la place fut vidée d'esprits jusqu'au trône sur lequel le Père saint était assis. »


Témoignage devant l’Inquisition : « Le parfait Jacques Authié lisait dans un livre, et Pierre Authié, son père, le parfait expliquait en langue vulgaire, disant : "Mais ces esprits, après être descendus du ciel sur la terre, se rappelèrent le bien qu'ils avaient perdu, et s'affligèrent du mal qu'ils avaient trouvé. Le diable, les voyant tristes, leur dit de chanter, comme ils avaient l'habitude de le faire, le cantique du Seigneur. Ils répondirent: ‘Comment chanterons-nous le cantique du Seigneur sur une terre étrangère?’ (Ps 137 / 136, 4). L'un de ces esprits dit même au diable: ‘Pourquoi nous as-tu trompés pour que nous te suivions et quittions le ciel ? Tu n'y as rien gagné, car nous y retournerons tous’. Le diable lui répondit qu'ils ne retourneraient pas au ciel, car il ferait à ces esprits, à ces âmes, des tuniques telles qu'ils n'en pourraient sortir, dans lesquelles ils oublieraient les biens et les joies qu'ils avaient eus au ciel" ».

On reconnaît là le mythe de la préexistence des âmes, anges déchus dans les sens en quelque sorte, mythe qui nous dit, au-delà de la richesse de nos sens, le tragique qui s’y attache avec ce que cela a de passager, et que souligne la reprise par Brad Silberling dans La Cité des Anges de l’œuvre de Wim Wenders.

On sait que ce mythe a été rejeté par l'orthodoxie, et que, suite aux travaux scolastiques, s’y substitue la doctrine de Thomas d’Aquin qui veut que Dieu crée l'âme de chaque individu après la conception biologique de son corps. L'idée de préexistence des âmes, connue comme remontant à Origène – en fait plus ancienne, reçue déjà dans le judaïsme de l'époque du Nouveau Testament — est condamnée. Elle n’en reste pas moins comme trace d’une sagesse qui rejoint celle de Paul (1 Co 7) : « usant de ce monde comme n’en usant pas » — et de l’Ecclésiaste (3, 11) : « Dieu a mis dans le cœur de l’homme la pensée de l’Éternité ». Il s’agit alors d’en cueillir les fruits passagers. Martin Luther, qui rompant un vœu digne d’éternité au prix de la calomnie du passager, clamait : « pèche hardiment, crois plus hardiment encore ». Et se mariait – accomplissant ce qui, dit-il, ne regarde pas l’Église, le mariage – pour une fidélité tangible à l’égard d’une femme concrète, soumise comme lui à la loi du temps et du passager. C’est la leçon des Ailes du désir.

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Au jour où, exilées du ciel de Galilée, les intelligences séparées sont devenue inaccessibles à notre raison, au jour où donc, on ne connaît plus que la seule intelligence incarnée comme créature humaine, réapparaît la réalité de la seule participation de l’esprit à la chair…

Reste une trace confuse de la mémoire perdue, selon que comme l’écrit l’Ecclésiaste, « Dieu a mis dans la cœur de l’homme la pensée de l’éternité »… (Ecclésiaste 3, 11) Trace confuse au cœur du constat du même Ecclésiaste : « Tout vient de la poussière, et tout retourne à la poussière. Qui sait si le souffle des humains s’élève vers les hauteurs, et si le souffle des bêtes descend vers le bas, vers la terre ? J’ai vu qu’il n’y a rien de mieux pour l’être humain que de se réjouir de ses œuvres : c’est là sa part. » (Ecclésiaste 3, 20-22)

Alors dans ce temps, « Jouis de la vie avec la femme que tu aimes, pendant tous les jours de la vie futile que Dieu t’a donnée sous le soleil, pendant tous tes jours futiles ; car c’est ta part dans la vie et dans le travail que tu fais sous le soleil. » (Ecclésiaste 9, 9) — Sachant qu’il n’y a « ni œuvre, ni raison, ni science, ni sagesse dans le séjour des morts où tu vas. » (Ecclésiaste 9,10.) Cela « avant que la poussière ne retourne à la terre, selon ce qu’elle était, et que le souffle ne retourne à Dieu qui l’avait donné » (Ecclésiaste 12, 7).



RP
Festival Voix publiques, "Le plein des sens"
Poitiers, 21 mars 2013


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