Cet article, à l'origine une conférence donnée en 1998 : Roland Poupin, « De la Jérusalem céleste à Babylone », Colloque Le catharisme : nouvelle recherche, nouvelles perspectives, Carcassonne, 21.8.1998, a été publié dans Les cathares devant l'histoire, Mélanges offerts à Jean Duvernoy, Cahors, L'Hydre, 2005, p. 431-443. (Cf. aussi Origines, p. 59-81)
De la Jérusalem céleste à Babylone : on est là dans le cadre d'un thème et d'une imagerie classiques dans la Bible, qui en sont venus traditionnellement à renvoyer à ce qu'en termes plus abstraits, on nomme "exil métaphysique".
Si dans la Bible, on lirait, semble-t-il, plus volontiers la proposition dans l'autre sens : "de Babylone à la Jérusalem céleste", comme pour un bienheureux exode, - il y a dans le thème tout un aspect tragique dont l'histoire a enseigné, hélas, qu'il faut ne pas le négliger. On a donc parlé d'exil métaphysique - en termes religieux, de chute.
Participant de la tradition biblique, le catharisme, comme le judaïsme et le reste du christianisme, s'intéresse lui aussi plus particulièrement à l'aspect positif du thème, le retour d'exil, et notamment le retour de l'exil métaphysique, retour depuis l'aliénation, le malheur, etc. Cela dit, le catharisme, par son accentuation, en christianisme, de ce thème de l'exil, à travers son maintien de l'enseignement origénien de la chute des âmes, souligne plus particulièrement l'aspect tragique de l'exil. Par sa théologie, donc, mais aussi, et de la façon la plus cruelle, pour être incarnée, par son histoire, et plus particulièrement, on va le voir, par la fin de son histoire.
On suivra ce développement historique du thème de l'exil dans le catharisme, à travers la participation de la théologie cathare aux trois courants traditionnels qui ont vu ce thème se développer : premier temps, son développement biblique, deuxième temps, son développement dans le christianisme origénien, troisième temps, son développement dans le christianisme occidental augustinien.
Pour illustrer le propos et ce qu'il a de tragique, on commencera par une parabole du Nouveau Testament, la parabole dite "des dix vierges", dont on verra par la suite à quel point la fin de l'histoire des Parfaits pourrait en être l'explicitation cruelle :
"Alors le Royaume des cieux sera semblable à dix vierges qui prirent leurs lampes pour aller à la rencontre de l'époux. Cinq d'entre elles étaient folles, et cinq sages. Les folles en prenant leurs lampes, ne prirent pas d'huile avec elles ; mais les sages prirent, avec leurs lampes, de l'huile dans des vases. Comme l'époux tardait, elles s'assoupirent et s'endormirent. Au milieu de la nuit il y eut un cri : Voici l'époux, sortez à sa rencontre ! Alors toutes ces vierges se levèrent et préparèrent leurs lampes. Les folles dirent aux sages : Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s'éteignent. Les sages répondirent : Non, il n'y en aurait pas assez pour nous et pour vous ; allez plutôt chez ceux qui en vendent et achetez-en pour vous. Pendant qu'elles allaient en acheter, l'époux arriva ; celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui au festin de noces, et la porte fut fermée. Plus tard, les autres vierges arrivèrent aussi et dirent : Seigneur, Seigneur, ouvre-nous. Mais il répondit : En vérité, je vous le dis, je ne vous connais pas. Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour, ni l'heure." (Matthieu 25:1-13 - trad. Segond)
I. L'exil spirituel dans la Bible
1. Une notion habituelle
Ce texte de l’Évangile de Matthieu parle de l'exil et du Royaume - le Royaume, c'est-à-dire la fin annoncée de l'exil : "en ce jour-là, le Royaume des cieux sera semblable à..." Avec un côté tragique, on l'a perçu, ce texte parle de vigilance nécessaire, face à un jour espéré, jour espéré où pourtant l'espérance cesse ; elle prend fin, en parallèle avec la célébration annoncée des noces de l'époux céleste, le mariage spirituel qui marque la fin de l'exil.
Lecture spirituelle du thème de l'exil. On sait que les cathares faisaient une lecture typologique, symbolique, de l'exil d'Israël depuis Jérusalem jusqu'à Babylone, et faisaient du thème du retour d'exil une lecture qui y voyait un retour à Dieu - ce qui en Occident médiéval correspond au quatrième sens de l’Écriture, le sens dit anagogique - où le sens littéral renvoie, au-delà de lui-même, aux réalités célestes. En raccourci, dans cette perspective, à travers le retour à Jérusalem depuis Babylone, nous sommes appelés à revenir à Dieu depuis l'exil dans la chair où nous sommes. De façon symbolique, la Bible parle de ce qui est donc exil métaphysique, en termes de Jérusalem, pour la vie idéelle, la vie avec Dieu, et de Babylone pour l'exil dans la chair, la culpabilité, la douleur.
On l'a déjà perçu de par la parabole des dix vierges, les cathares sont ici dans une tradition de lecture de ce thème biblique central de l'exil qui, bien avant le développement des quatre sens médiévaux de l’Écriture, remonte au Nouveau Testament - avec cette huile des lampes qui dans la vigilance, représente l'Esprit, - lecture néo-testamentaire et même, d'ailleurs, rabbinique et au-delà, prophétique.
Lecture de l'Ancien Testament qui donc, est non pas rejeté par les cathares, mais lu d'une façon strictement typologique dans le cadre d'un dualisme de plus en plus net, perçu, lui, par les critiques inquisiteurs.
Le thème de l'exil en général, est récurrent dans la Bible depuis l'exode d’Égypte jusqu'au retour de l'exil babylonien. Et il acquiert très tôt une portée symbolique. Cela dès les temps prophétiques.
Ce modèle de lecture dévoile finalement dans toute son intensité le drame réel de l'exil dont la dimension géographique s'avère alors être expression temporelle d'une réalité trans-historique.
2. L'exemple de la prédication de Jean Baptiste
On donnera l'exemple de ce type de lecture au travers d'un personnage du Nouveau Testament qui est aussi par sa fonction un personnage de l'Ancien Testament. On a nommé Jean Baptiste. Jean se réfère explicitement au message de ses prédécesseurs du temps de l'exil babylonien. Personnage en outre censé être peu prisé dans les milieux cathares, cet exemple sera de ce fait particulièrement probant. La mission de Jean Baptiste se situe, selon le prophète lui-même citant Ésaïe 40, en relation avec la consolation du peuple, puisque la voix dans le désert - à laquelle Jean Baptiste entend s'identifier - cette voix crie, selon Ésaïe 40, la consolation prochaine du peuple - consolament en langue d'oc. Et pourtant il est essentiellement question dans la prédication du Baptiste, de repentir. Quel est donc le rapport entre repentir et consolation ? C'est que le repentir est d'abord, bibliquement, le mouvement par lequel Dieu fait revenir le peuple, le mouvement par lequel la faveur de Dieu le fait revenir, techouva en hébreu. Car pour "repentir", on pourrait aussi traduire "retour". Et historiquement, il s'agit fondamentalement du retour d'exil.
Ici, il est important de remarquer que la grâce de Dieu précède le retour du peuple. Parmi les textes du Premier Testament sur lesquels Jean a pu fonder sa pratique baptismale, on trouve par exemple Ézéchiel, chapitre 36, annonçant le retour du peuple exilé à Babylone. On y lit que c'est Dieu qui prend l'initiative : Dieu fait revenir le peuple d'exil en le purifiant par une "aspersion d'eau pure" et une effusion de son Esprit.
On y retrouve bien l'œuvre qu'entend accomplir Jean Baptiste, relative au repentir et au baptême, ainsi que l'annonce que le prophète fait de l'œuvre immédiatement postérieure à la sienne, celle du Messie qui lui, dit-il, "baptisera d'Esprit saint".
Dieu y précède tout mouvement. Dieu est d'ailleurs lui-même l'auteur du mouvement de retour, de repentir, dont le peuple serait autrement incapable. Le mouvement en question étant le repentir, il faut rappeler le sens profond de l'exil dont le peuple est appelé à revenir. Au-delà de sa dimension géographique, l'exil de Terre Sainte à la terre de Babylone - dont apparemment on aurait le pouvoir de revenir, le pouvoir de se déplacer et d'en prendre la décision, - au-delà de cet exil géographique, il est au fond question d'une dimension spirituelle : l'exil dans le péché et les malheurs de l'existence, que l'exil à Babylone ne fait que signifier et sceller dans la géographie - exil métaphysique dont, du coup, on n'a pas le pouvoir de revenir. Cela est souligné encore par le fait qu'au temps du Baptiste, l'exil babylonien a pris fin depuis longtemps. Certes au plan politique la liberté du peuple est bien compromise par la domination romaine : nul ne s'y trompe. Mais cette captivité ne s'exprime plus par une déportation, par un déplacement géographique. Aussi, plusieurs, dont Jean, ne cessent de rappeler que l'exil ou la captivité sont le signe d'un exil plus fondamental : l'exil dans le malheur, le péché et la culpabilité.
Si le peuple se retrouve en exil, même donc sans déplacement géographique, c'est, selon ce que disait le prophète Ésaïe, que la Terre Sainte, avec son Temple, signe de la présence de Dieu, le rejette, à cause de ses fautes : "ce sont vos péchés qui vous éloignent de moi" disait Dieu par Esaïe (59:2). C'est ainsi, qu'en son cœur spirituel, le retour géographique du peuple exilé, son exode, signifie un retour spirituel vers Dieu, un repentir. Déjà au temps de Moïse, l'exode d’Égypte était une montée vers Dieu. Il n'est pas indifférent que pour la tradition rabbinique, l’Égypte - ou plutôt Mitsraïm selon le terme hébraïque - est devenue l'expression-symbole pour le péché.
Or le temps définitif de ce retour d'exil, de cet exode hors du péché, est le temps du Messie, le temps du Royaume. C'est ce temps qu'annonce et prépare Jean Baptiste, et qu'accomplit Jésus. C'est ce temps qu'annonce la parabole des dix vierges. On remarque, pour se pencher sur ce point, que la prédication de Jean Baptiste, promesse du Royaume, est accompagnée de menaces : la venue du Royaume est aussi le temps d'un jugement. La parabole des dix vierges le sous-entend. Et on y reviendra. Le Messie qui vient répand l'Esprit promis sur le peuple qu'il engrange dans les greniers du Royaume, mais aussi il brûle la paille devenue indésirable.
Le prophète se situe dans la perspective où chacun constate que la situation du peuple que Dieu est en train de racheter n'est pas brillante : cette situation étant celle de l'exil dans le péché, la douleur, la culpabilité, ce dont il n'est pas à se réjouir. Et le rachat est sortie de cet exil. Si cette sortie est le fait de la seule faveur de Dieu, reçue dans la seule confiance en la promesse selon laquelle Dieu va remédier à cette situation dramatique, cette confiance, cette foi en la promesse, est fonction d'une conscience de la dimension dramatique de la situation. La foi qui reçoit gratuitement la faveur de Dieu est recours face à la désespérance de la situation.
Et ainsi, elle est reconnaissance par le peuple de sa propre situation d'exil dans la culpabilité, et donc détournement de soi-même ; ou, en termes religieux, confession de péché et repentir. Ainsi le repentir n'est pas condition pour le salut qui viendrait s'ajouter à la foi qui reçoit seule cette grâce qui seule sauve, mais il est l'aspect négatif de cette foi, détournement de soi-même et de ses propres satisfactions immédiates et autres auto-justifications pour se tourner vers Dieu, dont la promesse de sa faveur est le seul recours.
II. L'exil d'Origène aux cathares
C'est ce thème que dans un second temps, l’Église primitive, dans la mouvance d'Origène, traduira par celui de la préexistence et de la chute des âmes, thème repris à plusieurs courants de la tradition rabbinique, thème qui rejoint le mythe platonicien, et lui emprunte. Le mythe exprime de façon imagée l'exil métaphysique, cet exil irrémédiable, puisque le retour à Dieu, le repentir, n'est pas le fruit d'un seul déplacement géographique, fût-il son expression symbolique dans un pèlerinage à Jérusalem.
L'exil ici est si radical - une véritable chute dans l'être, le malheur de l'existentiation - qu'il est d'autant plus radicalement impossible que nous y remédiions.
Ici on est donc passé au-delà de Jean Baptiste et de la tradition néo-testamentaire. Mais cet usage et cette lecture-là du Premier Testament s'en inspire quand même, en hérite quand même, notamment sous l'angle, accentué, de l'impossibilité de revenir par soi-même. Fait de toute la tradition post-origénienne, cette lecture allant jusqu'à la vision de la chute des âmes préexistantes est particulièrement sensible chez les cathares, après les bogomiles. Cela peut s'expliquer notamment par le fait que ce discours participant de l'ancienne orthodoxie trans-origénienne, a été plus tard condamné par l'orthodoxie, au temps du IIe Concile de Constantinople de 553. Bientôt les bogomiles puis les cathares sont en effet les seuls à le professer encore[1]. Ils s'y cramponnent donc, en faisant une pierre d'angle de leur théologie, s'éloignant d'autant de l'orthodoxie orientale ou catholique romaine, sans intention délibérée d'ailleurs. On voit cette absence d'intention délibérée de rupture dans le fait que sont maintenues des affirmations centrales des Credo orthodoxes, comme la distinction de la création et de l'engendrement à propos de la divinité (Livre des Deux Principes in Écritures cathares, p.144. Cf. Nicée Constantinople) ou la toute-puissance divine (Symboles des Apôtres et de Nicée Constantinople) : toute-puissance[2] qu'il aurait pourtant été si simple d'abandonner de sorte que sans difficulté le mal puisse ne pas être attribué à Dieu. Mais les traités cathares n'entendent pas outrepasser la ligne essentielle des Credos. Il s'agit simplement pour eux de conserver un thème, celui de la préexistence, abandonné, malencontreusement croient-ils, abandon risquant d'ancrer les croyants en ce monde oublieux de l'origine céleste, oublieux du nom de Jérusalem. Perte de vigilance, manque d'huile dans les lampes des vierges folles.
La nuit s'épaissit où les sages n'en auront pas assez pour les folles, et ne pourront plus que leur recommander d'aller en acheter, comme si le don de l'Esprit procédait par les lois commerciales d'un monde, Babylone, dont les folles oublieuses de la Jérusalem céleste, pensent désormais que seul il existe.
La leçon fondamentale que veut illustrer le mythe de la chute des âmes, celle de l'exil métaphysique - de la Jérusalem céleste à Babylone, pour conserver la terminologie inspirée de la Bible - cette leçon fondamentale n'en demeure pas moins orthodoxe.
Dans l'orthodoxie occidentale, cette leçon s'exprime, non plus, donc, dans le mythe à présent condamné de la préexistence, mais dans la dialectique augustinienne du péché originel et de la grâce souveraine. Ici aussi la proximité du catharisme et du reste du christianisme, des orthodoxies, apparaît.
On sait en effet que les quatre figures patristiques fondamentales du Moyen Age occidental sont Ambroise, Jérôme, Augustin et Grégoire de Grand. Si l'on sait qu'Ambroise, maître d'Augustin était origénien ; que Jérôme, s'il avait rejeté son ancien maître alexandrin, en était tout de même fort proche pour sa traduction de la Bible, la Vulgate ; qu'enfin Grégoire le Grand était le vulgarisateur de la théologie d'Augustin - on retrouve le fait indubitable que les deux grands théologiens de l'Occident médiéval sont Origène (celui-ci certes relativement occulté) et Augustin.
Or c'est la marque de ces deux figures fondamentales que l'on retrouve dans la théologie cathare occidentale. Venons-en donc à Augustin et à son apport sous l'angle du thème de l'exil métaphysique.
III. L'exil métaphysique en Occident augustinien
1. Le cadre du dogme du péché originel
L'exil métaphysique, dans le cadre augustinien, correspond au péché originel et à son fruit, exil dont on ne revient ainsi pas par nous-mêmes, étant captifs du péché, après cette amputation originelle radicale du libre-arbitre ; en proie dès lors au serf arbitre - esclave arbitre -, selon l'expression qu'emploie Augustin contre le pélagien Julien d'Eclane. Le libre-arbitre est esclave du mal, devenu donc serf arbitre. La grâce de Dieu seule peut nous en délivrer. On va considérer l'importance de cet aspect du discours augustinien pour le catharisme occidental.
Nous sommes alors en Occident. C'est en Occident, côté cathare cette fois, que le discours de l'exil métaphysique, façon ancienne, origénienne, trouve sa plus grande radicalité, notamment chez ce cathare dyarchien qu'est Jean de Lugio (précisons que par dyarchiens, on entend ceux qui adhèrent à la croyance à deux Principes : le bon Principe, Dieu, et le mauvais Principe diabolique qui lui est étranger, là où les monarchiens, n'admettent qu'un seul Principe ultime, le Dieu bon[3]). Nous voilà, en Occident cathare, dans une théologie de l'exil métaphysique on ne peut plus radicale. Nos âmes ont connu un saut qualitatif infini - les deux Principes étant totalement étrangers l'un à l'autre - saut infini vers la déchéance, une chute de la Jérusalem céleste à Babylone avec toutefois espérance de retour par la grâce seule, par le ministère des Parfaits.
J'emploie à dessein l'expression quelque peu paradoxale de "saut qualitatif vers la déchéance" : Kierkegaard parlait de la conversion - encore le repentir spirituel - comme de "saut qualitatif". La déchéance depuis la béatitude préexistentielle peut être perçue comme son équivalent en négatif - d'où le terme ici. Si on veut se situer dans la logique cathare, on est à présent définitivement captifs de Babylone - on va le voir.
2. La mort du dernier Parfait : l'exil définitif
C'est dans cette logique que j'entends me situer aujourd'hui, ce qui nous permet justement on ne peut plus clairement, de ne point tomber dans quelque récupération que ce soit du catharisme - ce qui est essentiel, bien sûr, dans le cadre d'une nouvelle recherche, de nouvelles perspectives. En effet dans une perspective cathare, si du moins on veut s'y tenir, depuis la mort du dernier Parfait, la Jérusalem céleste est hors de portée, notre exil est irrémédiable. Le châtiment infernal récurrent est seul en marche.
Ce faisant, la disparition du dernier Parfait a rendu de fait caduque l'hypothèse bogomile et monarchienne d'un possible salut universel - cette version origénienne de ce qui est intitulé apocatastase, qui semble avoir emporté l'adhésion de plusieurs cathares de l'époque tardive.
Notre présence ici sept siècles plus tard donne tort à ceux-là, les monarchiens. Ce sont ceux qui s'en tenaient à l'hypothèse plus classiquement occidentale qui avaient raison : tous ne sont pas passés par les mains consolantes des Parfaits. Certaines âmes étaient destinées au châtiment infernal. Et en nombre : nous en sommes tous, depuis lors.
Cette seconde hypothèse, combien plus redoutable, dont nous sommes alors les vérificateurs tragiques, correspond en catharisme au discours ambiant de l'Occident d'alors, ce discours globalement augustinien, très largement partagé, on va le voir, par le catharisme occidental.
Le fondement essentiel du catharisme, via le bogomilisme, est donc origénien : l'idée de préexistence des âmes dans la Jérusalem céleste, d'où elles sont déchues dans la Babylone de ce monde charnel. Mais on l'a dit, l'Occident connaît, en outre, à la différence de l'Orient, l'influence augustinienne.
3. Exil et prédestination
Après la condamnation du mythe de la préexistence des âmes, et suite à son abandon, le thème de la dualité Jérusalem/Babylone, loin de disparaître de l'orthodoxie catholique, se renforce en Occident - cela en regard du dogme augustinien du péché originel - au gré du thème, augustinien lui aussi, des deux Cités - dans le cadre de La Cité de Dieu, un des Écrits les plus connus d'Augustin : "Deux amours ont bâti deux cités, y écrit-il : l'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu a bâti la cité terrestre, l'amour de Dieu jusqu'au mépris de soi a bâti la cité céleste". Tout un programme, qui en augustinisme, et donc en Occident en général, prend une connotation nettement dyarchienne.
Le dyarchianisme, l'idée de deux Principes antagonistes, on le voit, est en effet en Occident loin d'être une spécificité cathare, comme le fait croire à tort l'expression avec laquelle on le confond, de "dualisme absolu". Un néant actif et maléfique fait face à l’Être, y compris dans l'augustinisme. Il y est il est vrai réellement néant, mais actif dans le mal toutefois.
Le dyarchianisme connaît un éventail de nuances par où l'on peut voir qu'il n'est pas nécessairement "absolu". Le catholicisme médiéval est ainsi - potentiellement certes - mais nettement dyarchien, héritage augustinien.
On sait que, outre le thème de la dualité des mondes - Jérusalem/Babylone, le dyarchianisme radical de Jean de Lugio professe sans ambiguïté la prédestination, ce en quoi il se sépare du bogomilisme et du monarchianisme en général.
Malgré le fait que ses adversaires catholiques, à l'en croire, sont tentés d'adhérer comme les bogomiles à l'idée que le mal provient du libre-arbitre, le cathare dyarchien du Livre des Deux Principes n'est pas original en niant la réalité de ce libre-arbitre. Il est même plus proche que le bogomilisme oriental, ce faisant, de l'orthodoxie catholique occidentale de l'époque !
L'orthodoxie catholique en ce domaine, remonte alors au deuxième Concile d'Orange qui, en 529, réaffirmait la position augustinienne sur la prédestination. On est dans les années de la condamnation de la préexistence des âmes par le IIe Concile de Constantinople.
Augustin, puis, plus tard, le IIe Concile d'Orange, 24 ans avant la condamnation conciliaire, à Constantinople, de la préexistence des âmes, avaient rejeté la religion telle que l'enseignait le moine breton Pélage et ses successeurs semi pélagiens, religion des plus strictement anti-cathares - au point que les adversaires des cathares les plus théologiquement assidus du Moyen Age seront soupçonnés d'être proches du pélagianisme. Thomas d'Aquin n'a pas échappé à l'accusation. Le pélagianisme, religion, en gros, de la capacité humaine de revenir à Dieu, de revenir d'un exil moins redoutable que celui des augustiniens, religion de la capacité de se rendre digne de la faveur de Dieu, supposant le libre-arbitre, le pélagianisme s'oppose à cette autre religion, augustinienne, religion de la stricte incapacité de se justifier devant Dieu. Au cœur de ce dilemme, s'opposent dès lors religion du libre-arbitre ou religion du "serf arbitre", selon l'expression que plus tard, Luther empruntera pour son ouvrage célèbre au Contra Julianum d'Augustin (II, viii, 23), œuvre du Père dirigée on l'a dit, contre le pélagien Julien d'Eclane.
En refusant le libre-arbitre, le catharisme dyarchien ne se démarque pas beaucoup de la tradition, et est même peut-être plus classiquement orthodoxe que ses adversaires catholiques qui lui reprochent son refus du libre-arbitre au nom de l'orthodoxie !
Or en outre, la doctrine, augustinienne, du serf arbitre et de la grâce souveraine, est nécessairement liée à celle de la prédestination, fortement revendiquée par le catharisme dyarchien, étant elle aussi, plus encore si c'est possible que celle du serf arbitre, traditionnelle en Occident depuis Augustin précisément.
Les adversaires de l'idée pélagienne de libre-arbitre sont légion ; ils admettent tous la prédestination, et sont l'orthodoxie d'Occident, depuis Augustin jusque plus tard aux Réformateurs, en passant par Thomas d'Aquin, comme le souligne à plaisir l'augustinien Pascal dans ses Lettres Provinciales contre les jésuites qu'il taxe, à mots à peine cachés, de pélagianisme (Cf. Somme théologique, Ia, qu. 23, a. 5, ad 3um). Même si sauf Augustin, puis les Réformateurs, ils ne parlent pas explicitement de serf arbitre, chacun des grands docteurs orthodoxes a professé la captivité au péché de notre volonté, n'entendant sous l'expression libre-arbitre, rien d'autre que la nature non contrainte de cette réduction à l'esclavage. Un tel "libre-arbitre" n'a donc que peu de rapport avec ce qu'entendaient par là les philosophes antiques, repris par certains Pères. Et il a pour corollaire inévitable l'idée de prédestination.
Et ainsi, avec encore moins d’ambiguïté, la doctrine de la prédestination, est enseignée par la tradition, depuis Augustin, comme corollaire inévitable donc, de ce serf arbitre et de la grâce souveraine. Si, en effet, nous n'avons pas la capacité de nous libérer du péché, notre libération dépend de la seule miséricorde de Dieu (comme l'écrit déjà Paul aux Romains - ch. 9) ; notre libération suppose dès lors élection et prédestination !
Jusqu'ici, il n'est question que de prédestination à salut, l'aspect sur lequel insistait le deuxième concile d'Orange, en 529.
Dans le contexte anti-semi-pélagien d'alors, en face de cet enseignement, semi pélagien, voulant ne faire intervenir la grâce qu'après le commencement de la foi - l'initium fidei - (l'acte de foi, le commencement de la foi, étant pour les semi pélagiens, le fruit de la volonté humaine libre, le libre-arbitre), l'accent de la réponse conciliaire était nécessairement porté sur ce même initium fidei, dû lui-même, selon l'orthodoxie conciliaire, à la grâce seule.
Mais une théologie qui voudra mettre en lumière non seulement l'initium fidei mais aussi la vocation à la persévérance et au progrès dans la sainteté, se verra amenée à signifier aussi l'aspect négatif de la prédestination, comme l'avait fait Augustin, et comme le fera encore Thomas d'Aquin après lui. Contrairement à ce qu'il en est pour une théologie qui n'insiste que sur l'intervention de la grâce dans l'initium fidei précisément, et qui donc considère cette grâce avant tout comme extraction miséricordieuse d'une massa perditionis - "masse de perdition" (selon l'expression d'Augustin) - masse de perdition alors plus prise en compte, une théologie qui entend mettre en lumière la nécessité de progrès et de persévérance, est forcée de considérer l'aspect négatif du mystère. Prenant en compte la dimension de l'attention constante de la grâce souveraine sur ceux qui progressent, une telle théologie est nécessairement confrontée au problème corollaire de l'abandon mystérieux de quiconque se maintient hors la grâce, ceux qui se perdent jusqu'à l'enfer.
Si, dans cette perspective, qui n'est alors pas nouvelle, la prédestination est effectivement "double", il est pourtant à noter que les deux aspects ne sont nullement parallèles (l'idée d'un parallèle des deux aspects avait été rejetée en 529 par le concile d'Orange).
Remarquons que pour être dans la stricte orthodoxie, on n'est pas très loin pour autant du Livre des Deux Principes lorsqu'il nie le libre-arbitre et professe haut et fort la prédestination. Une orthodoxie potentiellement dyarchienne, on le voit nettement. Et le Livre des Deux Principes ne dit pas autre chose.
Aussi, si un pré catharisme a pu émerger au tournant de l'an mil, on n'a pas à s'en étonner, non plus que des tendances déjà dyarchiennes qui seraient les siennes (quoiqu'il en soit alors du contact bogomile). Le dyarchianisme en question se radicalisera par la suite, à l'appui de la logique aristotélicienne, cela principalement par l'œuvre de Jean de Lugio et le Livre des Deux Principes. Mais les potentialités duales de l'augustinisme occidental font qu'il n'est pas nécessaire de tenir que Jean de Lugio soit l'inventeur du dyarchianisme cathare. Ce faisant contrairement à un bogomilisme où tout provient de Dieu, puis s'en éloigne à l'occasion du libre-arbitre, pour y revenir vraisemblablement, - en ce qui concerne le catharisme dyarchien, il n'en est pas ainsi. Tout ne vient pas de Dieu. Il y a un autre Principe, si néantifique soit-il, tapi dans l'ombre, destiné à son auto châtiment. Ce Principe est celui de la Babylone de ce monde, opposé à la Jérusalem céleste des bonnes âmes.
Le moyen du retour des bonnes âmes est la consolation des Parfaits. Lorsque leur tâche est accomplie, ils n'ont plus à rester dans un monde devenu enfer définitif, ils doivent donc en disparaître. Or ils ont disparu.
Et là on en revient au diagnostic sur nous-mêmes et notre monde que l'on posait précédemment.
IV. Un monde définitivement infernal
Captivité babylonienne définitive. Pour les cathares, la Babylone en question est évidemment la Rome papale. Il est intéressant de remarquer que c'est encore ce que dira quelques siècles plus tard Martin Luther, peu suspect de philo-catharisme. Les cathares se seraient accordés avec Luther, pour considérer ce qui était perçu comme le fatras sacramentel romain, à considérer ce fatras comme expression de la captivité babylonienne de l’Église, selon le titre d'un traité de Luther.
Mais pour Luther, plus de Parfaits à y opposer. Un pasteur n'a rien d'un Parfait... Pour Luther comme pour nous, la captivité est définitive, elle dure autant que dure ce monde. Luther ouvre alors un recours individuel, le contact personnel avec Dieu, par la foi seule, puisque plus rien ne subsiste en matière d'intermédiaires. Pas même de purgatoire dans l'autre monde : la douleur est ici. Le purgatoire récurrent qu'était ce monde pour les cathares, dont tout le monde constatait que seul il subsistait, expliquerait alors le succès foudroyant de la Réforme.
Alors on va mettre en place des systèmes ecclésiologiques et politiques plus humbles, qui débouchent sur des institutions délibérément humaines, et sur les républiques modernes. On est d'ailleurs ici chez Calvin plus que chez Luther. En commun aux deux Réformateurs, le recours individuel à la miséricorde gratuite du Christ, par la foi seule : mais quand le Christ viendra, trouvera-t-il encore la foi la sur la terre ?
Revenons alors au catharisme et à la disparition des Parfaits. Le destin de ce monde demeure tragique. Au-delà du dernier recours, par la foi seule, le purgatoire devenu enfer continue son avancée et ses ravages, nous susurre encore le souffle de Bélibaste. Et si les portes de Jérusalem se sont refermées avec les mains, qui ne consoleront plus, du dernier Parfait, le souffle qui le portait, murmure jusqu'à nous que le silence se fait, que la nuit devient toujours plus épaisse, qui déjà engloutissait ses successeurs bosniaques.
D'autres dates ont suivi celle du bûcher de Montségur, puis de Bélibaste, d'autres dates d'exil et signes de l'absurde : 1492 qui voyait avec l'expulsion des juifs et des musulmans d'Espagne, la découverte de l'Amérique, bientôt au grand dam des Indiens ; la discrimination religieuse qui s'étend en Europe, outre l'Espagne. En France, la St-Barthélémy. Discrimination religieuse. Discrimination qui se déchaînait déjà dans la persécution des cathares et qui se mue en discrimination raciale : l'Inquisition espagnole, héritière de celle de l'Occitanie du XIIIe siècle, apprend à distinguer les hérétiques comme sang-mêlé en recherchant des ancêtres juifs ou maures aux chrétiens dont le catholicisme est suspect. Au profit des colonies du Nouveau Monde, l'esclavage enseigne à distinguer entre les races, opérant la traite raciste et meurtrière que l'on sait, exil généralisé, étendu à l'échelle industrielle, frappant pour des siècles tout un continent.
On fête cette année le cent cinquantenaire de l'abolition de l'esclavage, tandis qu'on voit se lever des cohortes d'enfants esclaves ou prostitués dans les bordels de Thaïlande. Tout un cortège macabre débouchant sur le XXe siècle de l'horreur et du silence glacial qui pèse sur des déserts infernaux.
Auschwitz, symbole définitif, après lequel la théologie ne sait plus que boiter. Symbole définitif au point qu'il n'a pas même la force d'être leçon définitive. Le goulag y a survécu, puis d'autres génocides.
Cambodge, Rwanda, Yougoslavie des descendants des bogomiles. Ce XXe siècle de l'enfer méthodiquement et scientifiquement poursuivi puis constaté qui s'ouvrait déjà sur le génocide arménien.
Auschwitz, symbole définitif et énorme que la méchanceté voudrait encore qualifier de détail, donnant ainsi un signe supplémentaire, si besoin était, de l'enfer récurrent où, lui comme tant d'autres, nous a laissés le dernier cathare.
La nuit s'est épaissie. L'espérance de la lumière a-t-elle disparu ? Et si le cri du milieu de la nuit de veille des dix vierges avait retenti du milieu du bûcher qui emportait le dernier Parfait ?
Si ce cri : "voici l'époux sortez à sa rencontre", n'avait retenti joyeusement, comme cri de délivrance des mains de ses bourreaux, qu'à ses oreilles à lui, alors que son âme s'échappait des flammes, nous laissant à notre désespoir et à notre manque définitif de cette huile, avec nos volontés dérisoires d'en acheter, l'huile et sa flamme, l'Esprit, que le dernier Parfait venait d'exhaler vers la Jérusalem qui l'accueillait et refermait définitivement ses portes sur notre enfer récurrent et infini ?
Si les signes de l'histoire ultérieure de nos malheurs, ne faisant qu'amplifier toujours plus la chaîne indéfinie des malheurs d’antan, n'étaient là que pour confirmer que ce dernier cri annonçant l'époux, annonçant les noces spirituelles réjouissant le dernier Parfait - a bien retenti ?
"Je ne vous connais pas", seule parole tragique qui lui succède. Seul écho infini dans un désespoir infini...
Il reste à espérer que ce cri définitif n'ait pas retenti en ce temps-là, et qu'alors l'autre parole : "veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour ni l'heure" nous concerne encore.
Il n'en demeure pas moins que les volontés éradicatrices, purificatrices, en un mot tous les bûchers, réels ou velléitaires, ceux-là devenant de toute façon tôt ou tard réels - ces volontés sont productrices d'enfer, toujours réel celui-là, toujours prêt à se refermer définitivement, Babylone permanente où ne retentit plus que le terrible "je ne vous connais pas", parole finale d'une prédestination irrémédiable à l’auto châtiment.
A moins que l'effluve d'esprit du dernier Parfait parvienne jusqu'à nous pour nous garder de dresser les bûchers qui ne s'éteignent pas, ces bûchers de nos propres enfers.
Histoire incarnée s'il en est que celle des Parfaits, on le comprend, d'autant plus douloureuse qu'elle est l'histoire de ceux qui sont censés ne pas connaître l'incarnation, ne pas connaître la croix.
Mais prenons garde de ne pas trop prendre au pied de la lettre docète cette espérance - dont on a persisté à oser espérer qu'elle ne se soit pas éteinte dans les cendres des bûchers.
Avant l'entrée dans cette espérance céleste et spirituelle où le Christ précède sur la croix tous les exilés, les Parfaits savaient bien que comme lui, il leur restait à souffrir encore : quel sens aurait, pour un docète littéral, le refus du culte de la croix au nom de ce qu'on ne vénère pas l'instrument par lequel a été torturé son père ? Quel sens cela aurait-il s'il ne croyait pas qu'il y avait bien, d'une façon ou d'une autre, été torturé ?
C'est là, dans cette douleur commune, persistante comme l'espérance, que se rejoindraient alors l'après et l’avant catharisme. L’après catharisme est certes, définitivement, celui d'une autre histoire, d'une autre théologie et d'une autre philosophie, celle de l’après averroïsme et de l’après thomisme ; un nouveau monde d'où douleur et crucifixion n'ont pas disparu, mais point non plus leur transfiguration, où l'autre côté de Babylone n'a, pas plus qu'avant, rien d'un remède docète.
C'est ainsi qu'alors que les Parfaits s'éteignaient, déjà la muse de Dante Alighieri, qui certes n'était pas cathare, soufflait à nouveau la Sagesse de l'espérance. Écoutons, pour conclure, ce que, de sa muse, Dante a entendu encore :
"Remercions Dieu, mon cher Frère, de ce qu'il a fait passer loin de nous la coupe de Babylone, et de ce qu'il nous présente le calice de la Passion du Sauveur. Estimons-nous heureux d'y boire après lui, et d'autant plus heureux que ce Dieu de bonté s'accommodant, pour ainsi dire, à notre faiblesse, y proportionne les fardeaux qu'il nous impose, tempère l'amertume des peines qui affligent notre corps par les douceurs secrètes qui consolent l'âme et nous dédommage par les satisfactions intérieures qu'il nous fait sentir dans la retraite, des duretés, des rigueurs, des injustices que nous avons éprouvées dans le commerce du grand monde. [...]
Les jours de l'affliction sont arrivés, mon cher Frère, ne nous déconcertons point, ne nous désolons point. Le Seigneur ne nous abaisse que pour nous élever, il ne nous blesse que pour nous guérir. Peut-être, après nous avoir guéris, jugera-t-il à propos de rouvrir nos plaies et de rendre le sentiment de la douleur plus vif encore que nous l'éprouvons aujourd'hui. Que son saint nom soit béni" (Dante Alighieri, La Consolation, trad. A. Fraigneau, [Lyon, 1948], Paris, La Table Ronde, 1996, p.63‑64).
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[1] Rappelons toutefois le fait connu que les bogomiles ne professent pas la forme origénienne proprement dite de la chute des âmes, mais un équivalent traducianiste, où l’exil de l’âme se produit aux origines humaines, avec Adam et Ève, et se perpétue, se transmet, à leurs descendants.
[2] Nettement affirmée par le Livre des deux Principes.
[3] C’est l’essentiel d’une distinction qu’il est commode de reprendre, au risque de sembler la durcir, là où dans les catharismes, tout est très nuancé.
De la Jérusalem céleste à Babylone : on est là dans le cadre d'un thème et d'une imagerie classiques dans la Bible, qui en sont venus traditionnellement à renvoyer à ce qu'en termes plus abstraits, on nomme "exil métaphysique".
Si dans la Bible, on lirait, semble-t-il, plus volontiers la proposition dans l'autre sens : "de Babylone à la Jérusalem céleste", comme pour un bienheureux exode, - il y a dans le thème tout un aspect tragique dont l'histoire a enseigné, hélas, qu'il faut ne pas le négliger. On a donc parlé d'exil métaphysique - en termes religieux, de chute.
Participant de la tradition biblique, le catharisme, comme le judaïsme et le reste du christianisme, s'intéresse lui aussi plus particulièrement à l'aspect positif du thème, le retour d'exil, et notamment le retour de l'exil métaphysique, retour depuis l'aliénation, le malheur, etc. Cela dit, le catharisme, par son accentuation, en christianisme, de ce thème de l'exil, à travers son maintien de l'enseignement origénien de la chute des âmes, souligne plus particulièrement l'aspect tragique de l'exil. Par sa théologie, donc, mais aussi, et de la façon la plus cruelle, pour être incarnée, par son histoire, et plus particulièrement, on va le voir, par la fin de son histoire.
On suivra ce développement historique du thème de l'exil dans le catharisme, à travers la participation de la théologie cathare aux trois courants traditionnels qui ont vu ce thème se développer : premier temps, son développement biblique, deuxième temps, son développement dans le christianisme origénien, troisième temps, son développement dans le christianisme occidental augustinien.
Pour illustrer le propos et ce qu'il a de tragique, on commencera par une parabole du Nouveau Testament, la parabole dite "des dix vierges", dont on verra par la suite à quel point la fin de l'histoire des Parfaits pourrait en être l'explicitation cruelle :
"Alors le Royaume des cieux sera semblable à dix vierges qui prirent leurs lampes pour aller à la rencontre de l'époux. Cinq d'entre elles étaient folles, et cinq sages. Les folles en prenant leurs lampes, ne prirent pas d'huile avec elles ; mais les sages prirent, avec leurs lampes, de l'huile dans des vases. Comme l'époux tardait, elles s'assoupirent et s'endormirent. Au milieu de la nuit il y eut un cri : Voici l'époux, sortez à sa rencontre ! Alors toutes ces vierges se levèrent et préparèrent leurs lampes. Les folles dirent aux sages : Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s'éteignent. Les sages répondirent : Non, il n'y en aurait pas assez pour nous et pour vous ; allez plutôt chez ceux qui en vendent et achetez-en pour vous. Pendant qu'elles allaient en acheter, l'époux arriva ; celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui au festin de noces, et la porte fut fermée. Plus tard, les autres vierges arrivèrent aussi et dirent : Seigneur, Seigneur, ouvre-nous. Mais il répondit : En vérité, je vous le dis, je ne vous connais pas. Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour, ni l'heure." (Matthieu 25:1-13 - trad. Segond)
I. L'exil spirituel dans la Bible
1. Une notion habituelle
Ce texte de l’Évangile de Matthieu parle de l'exil et du Royaume - le Royaume, c'est-à-dire la fin annoncée de l'exil : "en ce jour-là, le Royaume des cieux sera semblable à..." Avec un côté tragique, on l'a perçu, ce texte parle de vigilance nécessaire, face à un jour espéré, jour espéré où pourtant l'espérance cesse ; elle prend fin, en parallèle avec la célébration annoncée des noces de l'époux céleste, le mariage spirituel qui marque la fin de l'exil.
Lecture spirituelle du thème de l'exil. On sait que les cathares faisaient une lecture typologique, symbolique, de l'exil d'Israël depuis Jérusalem jusqu'à Babylone, et faisaient du thème du retour d'exil une lecture qui y voyait un retour à Dieu - ce qui en Occident médiéval correspond au quatrième sens de l’Écriture, le sens dit anagogique - où le sens littéral renvoie, au-delà de lui-même, aux réalités célestes. En raccourci, dans cette perspective, à travers le retour à Jérusalem depuis Babylone, nous sommes appelés à revenir à Dieu depuis l'exil dans la chair où nous sommes. De façon symbolique, la Bible parle de ce qui est donc exil métaphysique, en termes de Jérusalem, pour la vie idéelle, la vie avec Dieu, et de Babylone pour l'exil dans la chair, la culpabilité, la douleur.
On l'a déjà perçu de par la parabole des dix vierges, les cathares sont ici dans une tradition de lecture de ce thème biblique central de l'exil qui, bien avant le développement des quatre sens médiévaux de l’Écriture, remonte au Nouveau Testament - avec cette huile des lampes qui dans la vigilance, représente l'Esprit, - lecture néo-testamentaire et même, d'ailleurs, rabbinique et au-delà, prophétique.
Lecture de l'Ancien Testament qui donc, est non pas rejeté par les cathares, mais lu d'une façon strictement typologique dans le cadre d'un dualisme de plus en plus net, perçu, lui, par les critiques inquisiteurs.
Le thème de l'exil en général, est récurrent dans la Bible depuis l'exode d’Égypte jusqu'au retour de l'exil babylonien. Et il acquiert très tôt une portée symbolique. Cela dès les temps prophétiques.
Ce modèle de lecture dévoile finalement dans toute son intensité le drame réel de l'exil dont la dimension géographique s'avère alors être expression temporelle d'une réalité trans-historique.
2. L'exemple de la prédication de Jean Baptiste
On donnera l'exemple de ce type de lecture au travers d'un personnage du Nouveau Testament qui est aussi par sa fonction un personnage de l'Ancien Testament. On a nommé Jean Baptiste. Jean se réfère explicitement au message de ses prédécesseurs du temps de l'exil babylonien. Personnage en outre censé être peu prisé dans les milieux cathares, cet exemple sera de ce fait particulièrement probant. La mission de Jean Baptiste se situe, selon le prophète lui-même citant Ésaïe 40, en relation avec la consolation du peuple, puisque la voix dans le désert - à laquelle Jean Baptiste entend s'identifier - cette voix crie, selon Ésaïe 40, la consolation prochaine du peuple - consolament en langue d'oc. Et pourtant il est essentiellement question dans la prédication du Baptiste, de repentir. Quel est donc le rapport entre repentir et consolation ? C'est que le repentir est d'abord, bibliquement, le mouvement par lequel Dieu fait revenir le peuple, le mouvement par lequel la faveur de Dieu le fait revenir, techouva en hébreu. Car pour "repentir", on pourrait aussi traduire "retour". Et historiquement, il s'agit fondamentalement du retour d'exil.
Ici, il est important de remarquer que la grâce de Dieu précède le retour du peuple. Parmi les textes du Premier Testament sur lesquels Jean a pu fonder sa pratique baptismale, on trouve par exemple Ézéchiel, chapitre 36, annonçant le retour du peuple exilé à Babylone. On y lit que c'est Dieu qui prend l'initiative : Dieu fait revenir le peuple d'exil en le purifiant par une "aspersion d'eau pure" et une effusion de son Esprit.
On y retrouve bien l'œuvre qu'entend accomplir Jean Baptiste, relative au repentir et au baptême, ainsi que l'annonce que le prophète fait de l'œuvre immédiatement postérieure à la sienne, celle du Messie qui lui, dit-il, "baptisera d'Esprit saint".
Dieu y précède tout mouvement. Dieu est d'ailleurs lui-même l'auteur du mouvement de retour, de repentir, dont le peuple serait autrement incapable. Le mouvement en question étant le repentir, il faut rappeler le sens profond de l'exil dont le peuple est appelé à revenir. Au-delà de sa dimension géographique, l'exil de Terre Sainte à la terre de Babylone - dont apparemment on aurait le pouvoir de revenir, le pouvoir de se déplacer et d'en prendre la décision, - au-delà de cet exil géographique, il est au fond question d'une dimension spirituelle : l'exil dans le péché et les malheurs de l'existence, que l'exil à Babylone ne fait que signifier et sceller dans la géographie - exil métaphysique dont, du coup, on n'a pas le pouvoir de revenir. Cela est souligné encore par le fait qu'au temps du Baptiste, l'exil babylonien a pris fin depuis longtemps. Certes au plan politique la liberté du peuple est bien compromise par la domination romaine : nul ne s'y trompe. Mais cette captivité ne s'exprime plus par une déportation, par un déplacement géographique. Aussi, plusieurs, dont Jean, ne cessent de rappeler que l'exil ou la captivité sont le signe d'un exil plus fondamental : l'exil dans le malheur, le péché et la culpabilité.
Si le peuple se retrouve en exil, même donc sans déplacement géographique, c'est, selon ce que disait le prophète Ésaïe, que la Terre Sainte, avec son Temple, signe de la présence de Dieu, le rejette, à cause de ses fautes : "ce sont vos péchés qui vous éloignent de moi" disait Dieu par Esaïe (59:2). C'est ainsi, qu'en son cœur spirituel, le retour géographique du peuple exilé, son exode, signifie un retour spirituel vers Dieu, un repentir. Déjà au temps de Moïse, l'exode d’Égypte était une montée vers Dieu. Il n'est pas indifférent que pour la tradition rabbinique, l’Égypte - ou plutôt Mitsraïm selon le terme hébraïque - est devenue l'expression-symbole pour le péché.
Or le temps définitif de ce retour d'exil, de cet exode hors du péché, est le temps du Messie, le temps du Royaume. C'est ce temps qu'annonce et prépare Jean Baptiste, et qu'accomplit Jésus. C'est ce temps qu'annonce la parabole des dix vierges. On remarque, pour se pencher sur ce point, que la prédication de Jean Baptiste, promesse du Royaume, est accompagnée de menaces : la venue du Royaume est aussi le temps d'un jugement. La parabole des dix vierges le sous-entend. Et on y reviendra. Le Messie qui vient répand l'Esprit promis sur le peuple qu'il engrange dans les greniers du Royaume, mais aussi il brûle la paille devenue indésirable.
Le prophète se situe dans la perspective où chacun constate que la situation du peuple que Dieu est en train de racheter n'est pas brillante : cette situation étant celle de l'exil dans le péché, la douleur, la culpabilité, ce dont il n'est pas à se réjouir. Et le rachat est sortie de cet exil. Si cette sortie est le fait de la seule faveur de Dieu, reçue dans la seule confiance en la promesse selon laquelle Dieu va remédier à cette situation dramatique, cette confiance, cette foi en la promesse, est fonction d'une conscience de la dimension dramatique de la situation. La foi qui reçoit gratuitement la faveur de Dieu est recours face à la désespérance de la situation.
Et ainsi, elle est reconnaissance par le peuple de sa propre situation d'exil dans la culpabilité, et donc détournement de soi-même ; ou, en termes religieux, confession de péché et repentir. Ainsi le repentir n'est pas condition pour le salut qui viendrait s'ajouter à la foi qui reçoit seule cette grâce qui seule sauve, mais il est l'aspect négatif de cette foi, détournement de soi-même et de ses propres satisfactions immédiates et autres auto-justifications pour se tourner vers Dieu, dont la promesse de sa faveur est le seul recours.
II. L'exil d'Origène aux cathares
C'est ce thème que dans un second temps, l’Église primitive, dans la mouvance d'Origène, traduira par celui de la préexistence et de la chute des âmes, thème repris à plusieurs courants de la tradition rabbinique, thème qui rejoint le mythe platonicien, et lui emprunte. Le mythe exprime de façon imagée l'exil métaphysique, cet exil irrémédiable, puisque le retour à Dieu, le repentir, n'est pas le fruit d'un seul déplacement géographique, fût-il son expression symbolique dans un pèlerinage à Jérusalem.
L'exil ici est si radical - une véritable chute dans l'être, le malheur de l'existentiation - qu'il est d'autant plus radicalement impossible que nous y remédiions.
Ici on est donc passé au-delà de Jean Baptiste et de la tradition néo-testamentaire. Mais cet usage et cette lecture-là du Premier Testament s'en inspire quand même, en hérite quand même, notamment sous l'angle, accentué, de l'impossibilité de revenir par soi-même. Fait de toute la tradition post-origénienne, cette lecture allant jusqu'à la vision de la chute des âmes préexistantes est particulièrement sensible chez les cathares, après les bogomiles. Cela peut s'expliquer notamment par le fait que ce discours participant de l'ancienne orthodoxie trans-origénienne, a été plus tard condamné par l'orthodoxie, au temps du IIe Concile de Constantinople de 553. Bientôt les bogomiles puis les cathares sont en effet les seuls à le professer encore[1]. Ils s'y cramponnent donc, en faisant une pierre d'angle de leur théologie, s'éloignant d'autant de l'orthodoxie orientale ou catholique romaine, sans intention délibérée d'ailleurs. On voit cette absence d'intention délibérée de rupture dans le fait que sont maintenues des affirmations centrales des Credo orthodoxes, comme la distinction de la création et de l'engendrement à propos de la divinité (Livre des Deux Principes in Écritures cathares, p.144. Cf. Nicée Constantinople) ou la toute-puissance divine (Symboles des Apôtres et de Nicée Constantinople) : toute-puissance[2] qu'il aurait pourtant été si simple d'abandonner de sorte que sans difficulté le mal puisse ne pas être attribué à Dieu. Mais les traités cathares n'entendent pas outrepasser la ligne essentielle des Credos. Il s'agit simplement pour eux de conserver un thème, celui de la préexistence, abandonné, malencontreusement croient-ils, abandon risquant d'ancrer les croyants en ce monde oublieux de l'origine céleste, oublieux du nom de Jérusalem. Perte de vigilance, manque d'huile dans les lampes des vierges folles.
La nuit s'épaissit où les sages n'en auront pas assez pour les folles, et ne pourront plus que leur recommander d'aller en acheter, comme si le don de l'Esprit procédait par les lois commerciales d'un monde, Babylone, dont les folles oublieuses de la Jérusalem céleste, pensent désormais que seul il existe.
La leçon fondamentale que veut illustrer le mythe de la chute des âmes, celle de l'exil métaphysique - de la Jérusalem céleste à Babylone, pour conserver la terminologie inspirée de la Bible - cette leçon fondamentale n'en demeure pas moins orthodoxe.
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Dans l'orthodoxie occidentale, cette leçon s'exprime, non plus, donc, dans le mythe à présent condamné de la préexistence, mais dans la dialectique augustinienne du péché originel et de la grâce souveraine. Ici aussi la proximité du catharisme et du reste du christianisme, des orthodoxies, apparaît.
On sait en effet que les quatre figures patristiques fondamentales du Moyen Age occidental sont Ambroise, Jérôme, Augustin et Grégoire de Grand. Si l'on sait qu'Ambroise, maître d'Augustin était origénien ; que Jérôme, s'il avait rejeté son ancien maître alexandrin, en était tout de même fort proche pour sa traduction de la Bible, la Vulgate ; qu'enfin Grégoire le Grand était le vulgarisateur de la théologie d'Augustin - on retrouve le fait indubitable que les deux grands théologiens de l'Occident médiéval sont Origène (celui-ci certes relativement occulté) et Augustin.
Or c'est la marque de ces deux figures fondamentales que l'on retrouve dans la théologie cathare occidentale. Venons-en donc à Augustin et à son apport sous l'angle du thème de l'exil métaphysique.
III. L'exil métaphysique en Occident augustinien
1. Le cadre du dogme du péché originel
L'exil métaphysique, dans le cadre augustinien, correspond au péché originel et à son fruit, exil dont on ne revient ainsi pas par nous-mêmes, étant captifs du péché, après cette amputation originelle radicale du libre-arbitre ; en proie dès lors au serf arbitre - esclave arbitre -, selon l'expression qu'emploie Augustin contre le pélagien Julien d'Eclane. Le libre-arbitre est esclave du mal, devenu donc serf arbitre. La grâce de Dieu seule peut nous en délivrer. On va considérer l'importance de cet aspect du discours augustinien pour le catharisme occidental.
Nous sommes alors en Occident. C'est en Occident, côté cathare cette fois, que le discours de l'exil métaphysique, façon ancienne, origénienne, trouve sa plus grande radicalité, notamment chez ce cathare dyarchien qu'est Jean de Lugio (précisons que par dyarchiens, on entend ceux qui adhèrent à la croyance à deux Principes : le bon Principe, Dieu, et le mauvais Principe diabolique qui lui est étranger, là où les monarchiens, n'admettent qu'un seul Principe ultime, le Dieu bon[3]). Nous voilà, en Occident cathare, dans une théologie de l'exil métaphysique on ne peut plus radicale. Nos âmes ont connu un saut qualitatif infini - les deux Principes étant totalement étrangers l'un à l'autre - saut infini vers la déchéance, une chute de la Jérusalem céleste à Babylone avec toutefois espérance de retour par la grâce seule, par le ministère des Parfaits.
J'emploie à dessein l'expression quelque peu paradoxale de "saut qualitatif vers la déchéance" : Kierkegaard parlait de la conversion - encore le repentir spirituel - comme de "saut qualitatif". La déchéance depuis la béatitude préexistentielle peut être perçue comme son équivalent en négatif - d'où le terme ici. Si on veut se situer dans la logique cathare, on est à présent définitivement captifs de Babylone - on va le voir.
2. La mort du dernier Parfait : l'exil définitif
C'est dans cette logique que j'entends me situer aujourd'hui, ce qui nous permet justement on ne peut plus clairement, de ne point tomber dans quelque récupération que ce soit du catharisme - ce qui est essentiel, bien sûr, dans le cadre d'une nouvelle recherche, de nouvelles perspectives. En effet dans une perspective cathare, si du moins on veut s'y tenir, depuis la mort du dernier Parfait, la Jérusalem céleste est hors de portée, notre exil est irrémédiable. Le châtiment infernal récurrent est seul en marche.
Ce faisant, la disparition du dernier Parfait a rendu de fait caduque l'hypothèse bogomile et monarchienne d'un possible salut universel - cette version origénienne de ce qui est intitulé apocatastase, qui semble avoir emporté l'adhésion de plusieurs cathares de l'époque tardive.
Notre présence ici sept siècles plus tard donne tort à ceux-là, les monarchiens. Ce sont ceux qui s'en tenaient à l'hypothèse plus classiquement occidentale qui avaient raison : tous ne sont pas passés par les mains consolantes des Parfaits. Certaines âmes étaient destinées au châtiment infernal. Et en nombre : nous en sommes tous, depuis lors.
Cette seconde hypothèse, combien plus redoutable, dont nous sommes alors les vérificateurs tragiques, correspond en catharisme au discours ambiant de l'Occident d'alors, ce discours globalement augustinien, très largement partagé, on va le voir, par le catharisme occidental.
Le fondement essentiel du catharisme, via le bogomilisme, est donc origénien : l'idée de préexistence des âmes dans la Jérusalem céleste, d'où elles sont déchues dans la Babylone de ce monde charnel. Mais on l'a dit, l'Occident connaît, en outre, à la différence de l'Orient, l'influence augustinienne.
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3. Exil et prédestination
Après la condamnation du mythe de la préexistence des âmes, et suite à son abandon, le thème de la dualité Jérusalem/Babylone, loin de disparaître de l'orthodoxie catholique, se renforce en Occident - cela en regard du dogme augustinien du péché originel - au gré du thème, augustinien lui aussi, des deux Cités - dans le cadre de La Cité de Dieu, un des Écrits les plus connus d'Augustin : "Deux amours ont bâti deux cités, y écrit-il : l'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu a bâti la cité terrestre, l'amour de Dieu jusqu'au mépris de soi a bâti la cité céleste". Tout un programme, qui en augustinisme, et donc en Occident en général, prend une connotation nettement dyarchienne.
Le dyarchianisme, l'idée de deux Principes antagonistes, on le voit, est en effet en Occident loin d'être une spécificité cathare, comme le fait croire à tort l'expression avec laquelle on le confond, de "dualisme absolu". Un néant actif et maléfique fait face à l’Être, y compris dans l'augustinisme. Il y est il est vrai réellement néant, mais actif dans le mal toutefois.
Le dyarchianisme connaît un éventail de nuances par où l'on peut voir qu'il n'est pas nécessairement "absolu". Le catholicisme médiéval est ainsi - potentiellement certes - mais nettement dyarchien, héritage augustinien.
On sait que, outre le thème de la dualité des mondes - Jérusalem/Babylone, le dyarchianisme radical de Jean de Lugio professe sans ambiguïté la prédestination, ce en quoi il se sépare du bogomilisme et du monarchianisme en général.
Malgré le fait que ses adversaires catholiques, à l'en croire, sont tentés d'adhérer comme les bogomiles à l'idée que le mal provient du libre-arbitre, le cathare dyarchien du Livre des Deux Principes n'est pas original en niant la réalité de ce libre-arbitre. Il est même plus proche que le bogomilisme oriental, ce faisant, de l'orthodoxie catholique occidentale de l'époque !
L'orthodoxie catholique en ce domaine, remonte alors au deuxième Concile d'Orange qui, en 529, réaffirmait la position augustinienne sur la prédestination. On est dans les années de la condamnation de la préexistence des âmes par le IIe Concile de Constantinople.
Augustin, puis, plus tard, le IIe Concile d'Orange, 24 ans avant la condamnation conciliaire, à Constantinople, de la préexistence des âmes, avaient rejeté la religion telle que l'enseignait le moine breton Pélage et ses successeurs semi pélagiens, religion des plus strictement anti-cathares - au point que les adversaires des cathares les plus théologiquement assidus du Moyen Age seront soupçonnés d'être proches du pélagianisme. Thomas d'Aquin n'a pas échappé à l'accusation. Le pélagianisme, religion, en gros, de la capacité humaine de revenir à Dieu, de revenir d'un exil moins redoutable que celui des augustiniens, religion de la capacité de se rendre digne de la faveur de Dieu, supposant le libre-arbitre, le pélagianisme s'oppose à cette autre religion, augustinienne, religion de la stricte incapacité de se justifier devant Dieu. Au cœur de ce dilemme, s'opposent dès lors religion du libre-arbitre ou religion du "serf arbitre", selon l'expression que plus tard, Luther empruntera pour son ouvrage célèbre au Contra Julianum d'Augustin (II, viii, 23), œuvre du Père dirigée on l'a dit, contre le pélagien Julien d'Eclane.
En refusant le libre-arbitre, le catharisme dyarchien ne se démarque pas beaucoup de la tradition, et est même peut-être plus classiquement orthodoxe que ses adversaires catholiques qui lui reprochent son refus du libre-arbitre au nom de l'orthodoxie !
Or en outre, la doctrine, augustinienne, du serf arbitre et de la grâce souveraine, est nécessairement liée à celle de la prédestination, fortement revendiquée par le catharisme dyarchien, étant elle aussi, plus encore si c'est possible que celle du serf arbitre, traditionnelle en Occident depuis Augustin précisément.
Les adversaires de l'idée pélagienne de libre-arbitre sont légion ; ils admettent tous la prédestination, et sont l'orthodoxie d'Occident, depuis Augustin jusque plus tard aux Réformateurs, en passant par Thomas d'Aquin, comme le souligne à plaisir l'augustinien Pascal dans ses Lettres Provinciales contre les jésuites qu'il taxe, à mots à peine cachés, de pélagianisme (Cf. Somme théologique, Ia, qu. 23, a. 5, ad 3um). Même si sauf Augustin, puis les Réformateurs, ils ne parlent pas explicitement de serf arbitre, chacun des grands docteurs orthodoxes a professé la captivité au péché de notre volonté, n'entendant sous l'expression libre-arbitre, rien d'autre que la nature non contrainte de cette réduction à l'esclavage. Un tel "libre-arbitre" n'a donc que peu de rapport avec ce qu'entendaient par là les philosophes antiques, repris par certains Pères. Et il a pour corollaire inévitable l'idée de prédestination.
Et ainsi, avec encore moins d’ambiguïté, la doctrine de la prédestination, est enseignée par la tradition, depuis Augustin, comme corollaire inévitable donc, de ce serf arbitre et de la grâce souveraine. Si, en effet, nous n'avons pas la capacité de nous libérer du péché, notre libération dépend de la seule miséricorde de Dieu (comme l'écrit déjà Paul aux Romains - ch. 9) ; notre libération suppose dès lors élection et prédestination !
Jusqu'ici, il n'est question que de prédestination à salut, l'aspect sur lequel insistait le deuxième concile d'Orange, en 529.
Dans le contexte anti-semi-pélagien d'alors, en face de cet enseignement, semi pélagien, voulant ne faire intervenir la grâce qu'après le commencement de la foi - l'initium fidei - (l'acte de foi, le commencement de la foi, étant pour les semi pélagiens, le fruit de la volonté humaine libre, le libre-arbitre), l'accent de la réponse conciliaire était nécessairement porté sur ce même initium fidei, dû lui-même, selon l'orthodoxie conciliaire, à la grâce seule.
Mais une théologie qui voudra mettre en lumière non seulement l'initium fidei mais aussi la vocation à la persévérance et au progrès dans la sainteté, se verra amenée à signifier aussi l'aspect négatif de la prédestination, comme l'avait fait Augustin, et comme le fera encore Thomas d'Aquin après lui. Contrairement à ce qu'il en est pour une théologie qui n'insiste que sur l'intervention de la grâce dans l'initium fidei précisément, et qui donc considère cette grâce avant tout comme extraction miséricordieuse d'une massa perditionis - "masse de perdition" (selon l'expression d'Augustin) - masse de perdition alors plus prise en compte, une théologie qui entend mettre en lumière la nécessité de progrès et de persévérance, est forcée de considérer l'aspect négatif du mystère. Prenant en compte la dimension de l'attention constante de la grâce souveraine sur ceux qui progressent, une telle théologie est nécessairement confrontée au problème corollaire de l'abandon mystérieux de quiconque se maintient hors la grâce, ceux qui se perdent jusqu'à l'enfer.
Si, dans cette perspective, qui n'est alors pas nouvelle, la prédestination est effectivement "double", il est pourtant à noter que les deux aspects ne sont nullement parallèles (l'idée d'un parallèle des deux aspects avait été rejetée en 529 par le concile d'Orange).
Remarquons que pour être dans la stricte orthodoxie, on n'est pas très loin pour autant du Livre des Deux Principes lorsqu'il nie le libre-arbitre et professe haut et fort la prédestination. Une orthodoxie potentiellement dyarchienne, on le voit nettement. Et le Livre des Deux Principes ne dit pas autre chose.
Aussi, si un pré catharisme a pu émerger au tournant de l'an mil, on n'a pas à s'en étonner, non plus que des tendances déjà dyarchiennes qui seraient les siennes (quoiqu'il en soit alors du contact bogomile). Le dyarchianisme en question se radicalisera par la suite, à l'appui de la logique aristotélicienne, cela principalement par l'œuvre de Jean de Lugio et le Livre des Deux Principes. Mais les potentialités duales de l'augustinisme occidental font qu'il n'est pas nécessaire de tenir que Jean de Lugio soit l'inventeur du dyarchianisme cathare. Ce faisant contrairement à un bogomilisme où tout provient de Dieu, puis s'en éloigne à l'occasion du libre-arbitre, pour y revenir vraisemblablement, - en ce qui concerne le catharisme dyarchien, il n'en est pas ainsi. Tout ne vient pas de Dieu. Il y a un autre Principe, si néantifique soit-il, tapi dans l'ombre, destiné à son auto châtiment. Ce Principe est celui de la Babylone de ce monde, opposé à la Jérusalem céleste des bonnes âmes.
Le moyen du retour des bonnes âmes est la consolation des Parfaits. Lorsque leur tâche est accomplie, ils n'ont plus à rester dans un monde devenu enfer définitif, ils doivent donc en disparaître. Or ils ont disparu.
Et là on en revient au diagnostic sur nous-mêmes et notre monde que l'on posait précédemment.
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IV. Un monde définitivement infernal
Captivité babylonienne définitive. Pour les cathares, la Babylone en question est évidemment la Rome papale. Il est intéressant de remarquer que c'est encore ce que dira quelques siècles plus tard Martin Luther, peu suspect de philo-catharisme. Les cathares se seraient accordés avec Luther, pour considérer ce qui était perçu comme le fatras sacramentel romain, à considérer ce fatras comme expression de la captivité babylonienne de l’Église, selon le titre d'un traité de Luther.
Mais pour Luther, plus de Parfaits à y opposer. Un pasteur n'a rien d'un Parfait... Pour Luther comme pour nous, la captivité est définitive, elle dure autant que dure ce monde. Luther ouvre alors un recours individuel, le contact personnel avec Dieu, par la foi seule, puisque plus rien ne subsiste en matière d'intermédiaires. Pas même de purgatoire dans l'autre monde : la douleur est ici. Le purgatoire récurrent qu'était ce monde pour les cathares, dont tout le monde constatait que seul il subsistait, expliquerait alors le succès foudroyant de la Réforme.
Alors on va mettre en place des systèmes ecclésiologiques et politiques plus humbles, qui débouchent sur des institutions délibérément humaines, et sur les républiques modernes. On est d'ailleurs ici chez Calvin plus que chez Luther. En commun aux deux Réformateurs, le recours individuel à la miséricorde gratuite du Christ, par la foi seule : mais quand le Christ viendra, trouvera-t-il encore la foi la sur la terre ?
Revenons alors au catharisme et à la disparition des Parfaits. Le destin de ce monde demeure tragique. Au-delà du dernier recours, par la foi seule, le purgatoire devenu enfer continue son avancée et ses ravages, nous susurre encore le souffle de Bélibaste. Et si les portes de Jérusalem se sont refermées avec les mains, qui ne consoleront plus, du dernier Parfait, le souffle qui le portait, murmure jusqu'à nous que le silence se fait, que la nuit devient toujours plus épaisse, qui déjà engloutissait ses successeurs bosniaques.
D'autres dates ont suivi celle du bûcher de Montségur, puis de Bélibaste, d'autres dates d'exil et signes de l'absurde : 1492 qui voyait avec l'expulsion des juifs et des musulmans d'Espagne, la découverte de l'Amérique, bientôt au grand dam des Indiens ; la discrimination religieuse qui s'étend en Europe, outre l'Espagne. En France, la St-Barthélémy. Discrimination religieuse. Discrimination qui se déchaînait déjà dans la persécution des cathares et qui se mue en discrimination raciale : l'Inquisition espagnole, héritière de celle de l'Occitanie du XIIIe siècle, apprend à distinguer les hérétiques comme sang-mêlé en recherchant des ancêtres juifs ou maures aux chrétiens dont le catholicisme est suspect. Au profit des colonies du Nouveau Monde, l'esclavage enseigne à distinguer entre les races, opérant la traite raciste et meurtrière que l'on sait, exil généralisé, étendu à l'échelle industrielle, frappant pour des siècles tout un continent.
On fête cette année le cent cinquantenaire de l'abolition de l'esclavage, tandis qu'on voit se lever des cohortes d'enfants esclaves ou prostitués dans les bordels de Thaïlande. Tout un cortège macabre débouchant sur le XXe siècle de l'horreur et du silence glacial qui pèse sur des déserts infernaux.
Auschwitz, symbole définitif, après lequel la théologie ne sait plus que boiter. Symbole définitif au point qu'il n'a pas même la force d'être leçon définitive. Le goulag y a survécu, puis d'autres génocides.
Cambodge, Rwanda, Yougoslavie des descendants des bogomiles. Ce XXe siècle de l'enfer méthodiquement et scientifiquement poursuivi puis constaté qui s'ouvrait déjà sur le génocide arménien.
Auschwitz, symbole définitif et énorme que la méchanceté voudrait encore qualifier de détail, donnant ainsi un signe supplémentaire, si besoin était, de l'enfer récurrent où, lui comme tant d'autres, nous a laissés le dernier cathare.
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La nuit s'est épaissie. L'espérance de la lumière a-t-elle disparu ? Et si le cri du milieu de la nuit de veille des dix vierges avait retenti du milieu du bûcher qui emportait le dernier Parfait ?
Si ce cri : "voici l'époux sortez à sa rencontre", n'avait retenti joyeusement, comme cri de délivrance des mains de ses bourreaux, qu'à ses oreilles à lui, alors que son âme s'échappait des flammes, nous laissant à notre désespoir et à notre manque définitif de cette huile, avec nos volontés dérisoires d'en acheter, l'huile et sa flamme, l'Esprit, que le dernier Parfait venait d'exhaler vers la Jérusalem qui l'accueillait et refermait définitivement ses portes sur notre enfer récurrent et infini ?
Si les signes de l'histoire ultérieure de nos malheurs, ne faisant qu'amplifier toujours plus la chaîne indéfinie des malheurs d’antan, n'étaient là que pour confirmer que ce dernier cri annonçant l'époux, annonçant les noces spirituelles réjouissant le dernier Parfait - a bien retenti ?
"Je ne vous connais pas", seule parole tragique qui lui succède. Seul écho infini dans un désespoir infini...
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Il reste à espérer que ce cri définitif n'ait pas retenti en ce temps-là, et qu'alors l'autre parole : "veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour ni l'heure" nous concerne encore.
Il n'en demeure pas moins que les volontés éradicatrices, purificatrices, en un mot tous les bûchers, réels ou velléitaires, ceux-là devenant de toute façon tôt ou tard réels - ces volontés sont productrices d'enfer, toujours réel celui-là, toujours prêt à se refermer définitivement, Babylone permanente où ne retentit plus que le terrible "je ne vous connais pas", parole finale d'une prédestination irrémédiable à l’auto châtiment.
A moins que l'effluve d'esprit du dernier Parfait parvienne jusqu'à nous pour nous garder de dresser les bûchers qui ne s'éteignent pas, ces bûchers de nos propres enfers.
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Histoire incarnée s'il en est que celle des Parfaits, on le comprend, d'autant plus douloureuse qu'elle est l'histoire de ceux qui sont censés ne pas connaître l'incarnation, ne pas connaître la croix.
Mais prenons garde de ne pas trop prendre au pied de la lettre docète cette espérance - dont on a persisté à oser espérer qu'elle ne se soit pas éteinte dans les cendres des bûchers.
Avant l'entrée dans cette espérance céleste et spirituelle où le Christ précède sur la croix tous les exilés, les Parfaits savaient bien que comme lui, il leur restait à souffrir encore : quel sens aurait, pour un docète littéral, le refus du culte de la croix au nom de ce qu'on ne vénère pas l'instrument par lequel a été torturé son père ? Quel sens cela aurait-il s'il ne croyait pas qu'il y avait bien, d'une façon ou d'une autre, été torturé ?
C'est là, dans cette douleur commune, persistante comme l'espérance, que se rejoindraient alors l'après et l’avant catharisme. L’après catharisme est certes, définitivement, celui d'une autre histoire, d'une autre théologie et d'une autre philosophie, celle de l’après averroïsme et de l’après thomisme ; un nouveau monde d'où douleur et crucifixion n'ont pas disparu, mais point non plus leur transfiguration, où l'autre côté de Babylone n'a, pas plus qu'avant, rien d'un remède docète.
C'est ainsi qu'alors que les Parfaits s'éteignaient, déjà la muse de Dante Alighieri, qui certes n'était pas cathare, soufflait à nouveau la Sagesse de l'espérance. Écoutons, pour conclure, ce que, de sa muse, Dante a entendu encore :
"Remercions Dieu, mon cher Frère, de ce qu'il a fait passer loin de nous la coupe de Babylone, et de ce qu'il nous présente le calice de la Passion du Sauveur. Estimons-nous heureux d'y boire après lui, et d'autant plus heureux que ce Dieu de bonté s'accommodant, pour ainsi dire, à notre faiblesse, y proportionne les fardeaux qu'il nous impose, tempère l'amertume des peines qui affligent notre corps par les douceurs secrètes qui consolent l'âme et nous dédommage par les satisfactions intérieures qu'il nous fait sentir dans la retraite, des duretés, des rigueurs, des injustices que nous avons éprouvées dans le commerce du grand monde. [...]
Les jours de l'affliction sont arrivés, mon cher Frère, ne nous déconcertons point, ne nous désolons point. Le Seigneur ne nous abaisse que pour nous élever, il ne nous blesse que pour nous guérir. Peut-être, après nous avoir guéris, jugera-t-il à propos de rouvrir nos plaies et de rendre le sentiment de la douleur plus vif encore que nous l'éprouvons aujourd'hui. Que son saint nom soit béni" (Dante Alighieri, La Consolation, trad. A. Fraigneau, [Lyon, 1948], Paris, La Table Ronde, 1996, p.63‑64).
RP, Carcassonne, 21.8.98
Le catharisme : nouvelle recherche,
nouvelles perspectives
Publié dans Les cathares devant l'histoire
Mélanges offerts à Jean Duvernoy, Cahors, 2005
Le catharisme : nouvelle recherche,
nouvelles perspectives
Publié dans Les cathares devant l'histoire
Mélanges offerts à Jean Duvernoy, Cahors, 2005
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[1] Rappelons toutefois le fait connu que les bogomiles ne professent pas la forme origénienne proprement dite de la chute des âmes, mais un équivalent traducianiste, où l’exil de l’âme se produit aux origines humaines, avec Adam et Ève, et se perpétue, se transmet, à leurs descendants.
[2] Nettement affirmée par le Livre des deux Principes.
[3] C’est l’essentiel d’une distinction qu’il est commode de reprendre, au risque de sembler la durcir, là où dans les catharismes, tout est très nuancé.
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