<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: Et si Ésaïe ne parlait pas de Cyrus ?

jeudi 8 octobre 2020

Et si Ésaïe ne parlait pas de Cyrus ?



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Ésaïe 44, 28 - 45,1
44, 28 Je dis de koresh : « C’est mon berger » ; tout ce qui me plaît, il le fera réussir, en disant pour Jérusalem : « : « Qu’elle soit bâtie », et pour le temple : « Sois fondé ! »
45,1 Ainsi parle le Seigneur à son messie : À koresh que je tiens par sa main droite, pour abaisser devant lui les nations, pour déboucler la ceinture des rois, pour déboucler devant lui les battants, pour que les portails ne restent pas fermés.
 

*

Avant d'en venir à ce texte du livre du prophète Ésaïe, où une similitude de consonnes avec le terme koresh a fait voir l'empereur perse Cyrus, écoutons un autre prophète biblique, Jérémie, serviteur souffrant, humilié à cause de la parole qu'il est chargé de porter contre les pouvoirs de son temps — une parole annonçant que les temps ne sont pas à la fête, tandis que pointe la menace de la destruction de Jérusalem.

Jérémie 25, 8-11 (cf. aussi 29, 10)
8 Ainsi parle le Seigneur de l’univers : Puisque vous n’écoutez pas mes paroles,
9 je donne ordre de mobiliser tous les peuples du nord – oracle du Seigneur –, en faisant appel à Nabuchodonosor, roi de Babylone, mon serviteur, et je les amène contre ce pays […].
10 Je fais s’éteindre chez eux cris d’allégresse et joyeux propos, chant de l’époux et jubilation de la mariée, grincements de la meule et lumière de la lampe.
11 Ce pays tout entier deviendra un champ de ruines, une étendue désolée, et toutes ces nations serviront le roi de Babylone pendant soixante-dix ans.

Soixante-dix ans. La fin du 2e livre des Chroniques (dernier livre de la Bible hébraïque) précise pourquoi ces soixante-dix ans :

2 Chroniques 36, 20-21
20 [Nabuchodonosor] déporta à Babylone ceux que l’épée avait épargnés, pour qu’ils deviennent pour lui et ses fils des esclaves, jusqu’à l’avènement de la royauté des Perses.
21 Ainsi fut accomplie la parole du Seigneur transmise par la bouche de Jérémie : « Jusqu’à ce que le pays ait accompli ses sabbats, qu’il ait pratiqué le sabbat pendant tous ses jours de désolation, pour un total de soixante-dix ans. »

Soixante-dix années sabbatiques, années de repos de la terre surexploitée, n’ont pas été respectées. L’exil correspond au temps qu’il faut pour rendre à la terre son dû, le temps de repos qui lui a manqué. Soixante-dix ans. Soit, puisque les années sabbatiques intervenaient tous les sept ans, les années sabbatiques d’une période de 490 ans, comme le souligne le livre de Daniel.

Daniel 9, 2-3 & 20-27
2 […] Moi Daniel je considérai dans les Livres le nombre des années qui, selon la parole du Seigneur au prophète Jérémie, doivent s’accomplir sur les ruines de Jérusalem : soixante-dix ans.
3 Je tournai ma face vers le Seigneur Dieu en quête de prière et de supplications […].
20 Je parlais encore, priant et confessant mon péché et le péché de mon peuple Israël, déposant ma supplication devant le Seigneur mon Dieu, au sujet de la montagne sainte de mon Dieu ;
21 je parlais encore en prière, quand Gabriel, cet homme que j’avais vu précédemment dans la vision, s’approcha de moi d’un vol rapide au moment de l’oblation du soir.
22 Il m’instruisit et me dit : « […]
24 Il a été fixé soixante-dix septénaires [c’est-à-dire 490 ans] sur ton peuple et sur ta ville sainte, pour faire cesser la perversité et mettre un terme au péché, pour absoudre la faute et amener la justice éternelle, pour sceller vision et prophète et pour oindre un Saint des Saints.
25 « Sache donc et comprends : Depuis le surgissement d’une parole en vue de la [litt. : conversion et la construction] de Jérusalem, jusqu’à un messie-chef, il y [a] sept septénaires [49 ans]. Pendant soixante-deux septénaires [434 ans], places et fossés seront [bâtis], mais dans la détresse des temps.
26 Et après soixante-deux septénaires, un messie sera retranché, mais non pas pour lui-même. Quant à la ville et au sanctuaire, le peuple d’un chef à venir les détruira ; mais sa fin viendra dans un déferlement, et jusqu’à la fin de la guerre seront décrétées des dévastations.
27 Il imposera une alliance à une multitude pendant un septénaire, et pendant la moitié du septénaire, il fera cesser sacrifice et oblation ; sur l’aile des abominations, il y aura un dévastateur et cela, jusqu’à ce que l’anéantissement décrété fonde sur le dévastateur. »

Reprenons : la relecture qui est faite par Daniel de Jérémie 25, et des 70 années symboliques d’exil annoncées — comme « rattrapage » des 70 années sabbatiques non-observées (selon 2 Chr 36, 21) —, renvoie donc aux 70 périodes de 7 ans correspondantes, au termes desquelles apparaît chaque fois, donc 70 fois, l’année sabbatique, soit, pour 70 années sabbatiques (Dn 9, 24) 490 ans. Si les 70 années sabbatiques non-observées renvoient bien au passé, il est logique que les 490 années y renvoient aussi.

Ce qui, par ailleurs, laisse à penser en contrepartie que la fin réelle de l’exil est au-delà d’une simple période temporelle de 70 ans. Soixante-dix fois sept fois… c’est le nombre de fois requis pour pardonner l’offense (Mt 18, 21-22) ! Or, selon le calcul que fait le livre de Daniel, cela peut aussi être entendu comme le nombre symbolique de la fin de l’exil — pardonner jusqu’à la venue du Royaume : « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés »…

Renvoyant au passé, la « parole surgie », parole littéralement de « conversion » et « édification » de Jérusalem (Dn 9, 25), peut donc référer à la prophétie de Nathan (rapportée en 2 Samuel 7), annonçant l’édification, par Dieu lui-même, de la maison promise, sur les lieux de l’ancienne Jérusalem idolâtre, « convertie », conquise par David ; les sept premières semaines (40 ans de règne ajoutés aux années remontant à son onction par Samuel — oint, selon la tradition juive, à 28 ans, devenu roi pour 40 ans à 37 ; soit 49 ans), renvoyant à la durée symbolique du règne du messie-chef — David : c’est au terme de son règne que le temple est bâti, par Salomon.

2 Samuel 7, 8-13
8 […] Ainsi parle le Seigneur de l’univers : […].
10 Je fixerai un lieu à Israël, mon peuple, je l’implanterai et il demeurera à sa place. Il ne tremblera plus, et des criminels ne recommenceront plus à l’opprimer comme jadis
11 et comme depuis le jour où j’ai établi des juges sur Israël, mon peuple. Je t’ai accordé le repos face à tous tes ennemis. Et le Seigneur t’annonce que le Seigneur te fera une maison.
12 Lorsque tes jours seront accomplis et que tu seras couché avec tes pères, j’élèverai ta descendance après toi, celui qui sera issu de toi-même, et j’établirai fermement sa royauté.
13 C’est lui qui bâtira une Maison pour mon Nom […].

À ces premiers 49 ans s’ajoutent selon Daniel les 62 périodes de 7 ans suivantes (soit 434 ans) renvoyant alors au temps de Jérusalem édifiée (Dn 9, 25), mais dans la détresse des temps que vient de confesser Daniel dans sa prière ; et la dernière semaine (7 ans) réfère à l’occupation babylonienne (Dn 9, 26-27), avec « le messie retranché pas pour lui-même / i.e. : sans successeur », à savoir Sédécias (cf. 2 Rois 25, 1-22), dernier roi de Juda ; remplacé dans une « solide alliance » par un gouverneur à la solde de Babylone (Guedalia – cf. 2 Rois 25, 22 sq.), l'occupation babylonienne ayant débouché sur la destruction de la ville (Dn 9, 26) et la profanation du Temple (Dn 9, 26-27). Écho en Ézéchiel 40 : au-delà du temple détruit, le Temple établi par Dieu, annonce d'un Temple pas fait de mains d'hommes…

Cette vision, intervenant pendant la prière de Daniel, est affirmation de la maîtrise de la situation par Dieu et promesse d’exaucement de la prière de Daniel — maîtrise par Dieu que l’on trouve aussi chez Ésaïe :

Ésaïe 44, 28 - 45, 1-3
44, 28 Je dis de koresh : « C’est mon berger » ; tout ce qui me plaît, il le fera réussir, en disant pour Jérusalem : « Qu’elle soit bâtie », et pour le temple : « Sois fondé ! »
45, 1 Ainsi parle le Seigneur à son messie : À
koresh que je tiens par sa main droite, pour abaisser devant lui les nations, pour déboucler la ceinture des rois, pour déboucler devant lui les battants, pour que les portails ne restent pas fermés :

Au prix de la traduction de « construire » (selon l’hébreu) en « reconstruire » (traduction possible — et qui peut aussi s'appliquer à la conquête par David de l'ancienne ville de Jébus comme sa reconstruction / conversion en Jérusalem), on a pris l’habitude de voir dans le koresh d’Ésaïe l’empereur Cyrus et de traduire (sauf Chouraqui) koresh par Cyrus. Cela suppose que la parole de Dieu « pour Jérusalem : "Qu’elle soit bâtie", et pour le temple : "Sois fondé !" » soit le décret de Cyrus. Or, on vient de le voir, Jérémie (ch. 25 et 29) et 2 Chroniques (ch. 36) renvoient clairement au passé, et pour Daniel (ch. 9), qui cite Jérémie, la parole de construction de Jérusalem et du temple est, plutôt que le décret de Cyrus, la parole, autrement signifiante, du prophète Nathan (2 Samuel 7, 8-13) !

Habitude de relecture devenue séculaire à partir de laquelle, de façon tout aussi séculaire, on estime qu’Ésaïe (44, 28 et 45, 1) parle aussi du même décret, et donc de Cyrus, empereur de Perse. Question : et si Ésaïe ne parlait pas du décret de Cyrus, mais, lui aussi, de la parole de Nathan promettant la construction du temple (ici aussi, selon l’hébreu, et le grec de la LXX, le texte dit simplement construction) ? Si du coup, en regard du contexte d’Ésaïe 40-55, il n’était même pas question de Cyrus dans Ésaïe ?

Le mot hébreu est koresh, qui connote « comme chef » puissance, puissance suprême (selon le dictionnaire Strong). La mention de koresh, en deux versets (44, 28 et 45, 1 ; Segond et Colombe ajoutent une mention de « Cyrus », absente de l’hébreu, en 45, 13 !), la mention de koresh se trouve dans une section (40-55) qui conduit à la présentation du Messie comme serviteur souffrant : la puissance se dévoile dans le serviteur souffrant, Messie de Juda, de la lignée de David, dans lequel sont réconciliés Juda et Israël.

Que vient faire l’empereur de la Perse là-dedans, empereur nommé Kurash (le nom, ou titre, n’est pas unique dans l’Antiquité perse. Il y a déjà un Kurash élamite au VIIe siècle av. JC.), nom qui en persan signifie « soleil », le « roi soleil » ? Ce roi soleil-là a eu une politique religieuse tolérante, rétablissant les lieux de culte, comme en atteste aussi, via l’archéologie, un fameux « cylindre de Cyrus », mentionnant sa réhabilitation du temple de la divinité babylonienne Marduk, qu’il proclame comme « le grand seigneur » — témoignage d’une politique religieuse qui a aussi profité aux Judéens (cf. 2 Chr 36, 22-23). Mais aucune trace d’une élévation de cet empereur, maître d’un empire allant de l’Inde à l’Éthiopie, au statut de Messie d'Israël ! Ni même trace d’un « universalisme », au fond bien obséquieux, par lequel le livre du prophète Ésaïe aurait rendu hommage à la force militaire d’un empereur, fût-il tolérant, dans une section où précisément il dénonce la force guerrière en annonçant un messie d’Israël souffrant et humilié.

Aucune trace non plus d’un tel hommage à Cyrus dans le livre de Daniel du canon juif. En revanche le Daniel grec, qui clôt la Bible des LXX, se termine par la reconnaissance par Cyrus du Dieu d’Israël, équivalent de sa reconnaissance de Marduk dans le cylindre de Cyrus ! Gageons que c’est là, ainsi que pour Israël en exil dans le Daniel grec, que débute cette relecture de la figure de Cyrus, rejaillissant ensuite sur Ésaïe, relecture finissant par en faire carrément le Messie (sans qu’aucun geste symbolique requis, aucune onction, ne lui ait été octroyée pour un tel titre) — juste via l’identité consonantique possible entre le persan Kurash et l’hébreu koresh, puis le grec Kyros.

Cette lecture, qui fera son chemin, ne s’impose pas encore au temps du Nouveau Testament, qui renvoie abondamment à cette section d’Ésaïe sans aucune allusion à l’idée que koresh serait Cyrus ! En revanche, on trouve bien l’idée que pour Dieu, la puissance s’accomplit dans la faiblesse (1 Co 1 et 2 Co 12) — idée au cœur de cette section d’Ésaïe qui culmine avec le serviteur souffrant manifestant la puissance suprême.

*

Reste alors une question, selon que le Règne de Dieu ne vient pas par la force et la puissance, mais par l’Esprit de Dieu (Zacharie 4, 6) : et si Ésaïe ne parlait pas de Cyrus, si son koresh était non pas l’empereur perse, mais le serviteur souffrant ?…



Voir ICI, application dans le Nouveau Testament en regard de Matthieu 22, 15-21 (Dieu et César) ; et ICI, application en contextes politiques moderne et contemporain (de Napoléon à Trump).


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