Sting - The secret marriage
Cette citation de Sting en entrée — The secret marriage, le mariage secret — pour dire qu'il y a aussi en deçà de la question de la bénédiction nuptiale qui est évidemment le sujet qui intéresse le dossier « Bénir » (Bénir, Information-Évangélisation, n° 1-2 / 2014) — proposé à la réflexion des paroisses de l’Église Protestante unie de France en vue de ses prochains synodes — quelque chose qui touche à la vérité intime de l'amour, sur laquelle, comme le dit Sting, aucun État ni aucune Église n'a prise :
« Aucune Église terrestre n'a jamais béni [une telle] union », qu' « aucun État n'a jamais autorisée [...] ».
On peut voir dans ce mariage secret un recoupement avec de ce que L. Gagnebin (Bénir, op. cit., vol. 2, p. 43) distingue comme première séquence de la compréhension du mariage : « les engagements intérieurs des époux l'un envers l'autre, l'amour qui les lie », les deux autres séquences étant le mariage (civil), puis la bénédiction nuptiale (ecclésiale). Insistant sur la primauté de la première séquence, il cite Berdiaeff, pour qui il s’agit bien d' « une union authentique même si elle n'est pas scellée par la loi ou bénie par l’Église ».
La question qui s'ensuit est : qu'est-ce l’Église (ou l’État) peut savoir de cette union intime ? Et donc : est-ce cela qu'elle bénit, puisqu'elle n'en peut rien savoir ? Est-ce cela que l’État scelle, puisqu'il n'en peut rien savoir ?
Une telle union « ne peut pas même être dite » pour reprendre le poème de Sting ! On est dans une intimité littéralement indicible, plus intime encore que la vie sexuelle du couple. Les institutions humaines n'ont accès qu'aux paroles d'engagement, à leur publicité, qui instituent un couple dans le temps, dans le monde « profane » pour le dire comme Luther, qui en tirait le constat que, cela étant parfaitement profane, cela ne regarde même pas l’Église : « le mariage est une chose profane qui ne regarde pas l’Église ». Ici Luther nous situe à l'autre pôle, celui où l'institution matrimoniale est cette déclaration publique de l’existence d'un couple : tout sauf indicible, contrairement à l'amour qui lie secrètement deux vies ! Ici au contraire c'est la publicité qui fait le couple marié !
Reste alors que, qu'on prenne la question à un pôle, le secret auquel ni l’Église ni l’État n'ont accès, ou à l'autre pôle où c'est au contraire la publicité qui fait le couple devant les hommes, l’Église n'a apparemment pas grand chose à voir. Et demeure la question : bénir quoi ? En tout cas, certainement pas ce à quoi — tout comme l’État — elle n'a pas accès, l'amour, indicible et secret.
Un indicible qui ne se dit que par symboles, une union qu'aucune institution n'est habilitée à reconnaître ou à bénir, puisque n'y ayant pas accès et ne pouvant — allons plus loin — même pas savoir si oui ou non le couple qui se présente devant elle l'a conçue ou pas !
Les symboles sont connus, allant d'un sens intérieur et caché du symbole du féminin et du masculin comme le Yin et le Yang, au mythe du double primitif de Platon dans Le Banquet : des êtres humains originels formant des couples, puis scindés avant de se retrouver.
Platon permet d'aller un peu plus loin dans le mystère de l'amour qu'il tente d'approcher par le mythe : le mystère est tel qu'il procède jusqu'au-delà de la sexuation physique en hommes et femmes. L'amour mystérieux qui lie irrésistiblement deux êtres n'a que faire de la fonction de la reproduction ! Je cite Platon :
« Premièrement, il y avait trois catégories d'êtres humains et non pas deux comme maintenant, à savoir le mâle et la femelle. Mais il en existait encore une troisième qui participait des deux autres, dont le nom subsiste aujourd'hui, mais qui, elle, a disparu. En ce temps-là en effet il y avait l'androgyne, un genre distinct qui, pour le nom comme pour la forme, faisait la synthèse des deux autres, le mâle et la femelle. Aujourd'hui, cette catégorie n'existe plus [...].
« Deuxièmement, la forme de chaque être humain était celle d'une boule, avec un dos et des flancs arrondis. Chacun avait quatre mains, un nombre de jambes égal à celui des mains, deux visages sur un cou rond avec, au-dessus de ces deux visages en tout point pareils et situés à l'opposé l'un de l'autre, une tête unique pourvue de quatre oreilles. En outre, chacun avait deux sexes et tout le reste à l'avenant [...].
Suite à leur prétention de concurrencer les dieux, « Zeus coupa les humains en deux, ou comme on coupe les œufs avec un crin.
« Chacun d'entre nous est donc la moitié complémentaire d'un être humain, puisqu'il a été coupé, à la façon des soles, un seul être en produisant deux ; sans cesse donc chacun est en quête de sa moitié complémentaire. Aussi tous ceux des mâles qui sont une coupure de ce composé qui était alors appelé "androgyne" recherchent-ils l'amour des femmes et c'est de cette espèce que proviennent la plupart des maris qui trompent leur femme, et pareillement toutes les femmes qui recherchent l'amour des hommes et qui trompent leur mari. En revanche, toutes les femmes qui sont une coupure de femme ne prêtent pas la moindre attention aux hommes ; au contraire, c'est plutôt vers les femmes qu'elles sont tournées, et c'est de cette espèce que proviennent les lesbiennes. Tous ceux enfin qui sont une coupure de mâle recherchent aussi l'amour des mâles.
« Les mâles de cette espèce sont les seuls [...] qui, parvenus à maturité, s'engagent dans la politique. Lorsqu'ils sont devenus des hommes faits, ce sont de jeunes garçons qu'ils aiment et ils ne s'intéressent guère par nature au mariage et à la procréation d'enfants, mais la règle les y contraint ; ils trouveraient plutôt leur compte dans le fait de passer leur vie en célibataires, côte à côte, en renonçant au mariage. Ainsi donc, de manière générale, un homme de ce genre cherche à trouver un jeune garçon pour amant et il chérit son amant, parce que dans tous les cas il cherche à s'attacher à ce qui lui est apparenté. » (Platon, Le Banquet, 190b – 193e : discours d'Aristophane.)
On le voit, ici, l'amour, ainsi lu comme phénomène toujours mystérieux, est bien distinct de l'institution sociale du mariage, qui elle, précisément, n'est pas distincte de la sexuation et de potentialité reproductrice.
L'amour est distinct de la sexuation, mais pas pour autant séparé de la sexualité, où se joue dans le désir physique la complétude de l’union mystérieuse, à laquelle aucune institution étatique ou religieuse ne peut avoir accès !
Platon, soit dit en passant, justifie par avance l'évident constat que fait le document « Bénir » (vol. 1, p. 35) sur le vocabulaire bipolaire selon lequel il y aurait des « hétérosexuels » et des « homosexuels » : vocabulaire nul et non avenu. Il s'agit d'un vocabulaire datant du début du XXe siècle, héritier de la manie de classifier même l’inclassable (où placer les ornithorynques ?). Manie qui vaudrait largement un discrédit durable à de larges pans d'une pensée prétendue scientifique, à commencer par celle des Lumières, où l'on classait les êtres humains en différentes « races » au regard du taux de mélanine dans l’épiderme par exemple. Manie qui avait induit naturellement la classification des êtres humains en fonction de ce que l'on continue d’appeler malencontreusement leur « orientation » sexuelle.
On avait quatre grandes « races » humaines : blanc (bien sûr au sommet), jaune, noir et rouge ! On aurait deux catégories sexuelles : une... moins normale, qu'on appellerait « homosexuelle », l'autre, plus commune, qu'en vis-à-vis de l' « homosexuelle », on intitulerait « hétérosexuelle » !
Il est fort étrange, qu'alors qu'on ait, heureusement, enfin abandonné la classification des êtres humains par des couleurs qui ne sont même pas les leurs (c'est quand même plus compliqué), il est étrange que l'on maintienne avec assiduité et persévérance la classification bipolaire en fonction des fameuses « orientations sexuelles » auxquelles elles correspondraient ! On a, depuis le début du XXe siècle, admis des nuances, qui ne nous ont pourtant pas conduits à abandonner ce vocabulaire !
Le choses sont plus complexes que cela, l’expression érotique du phénomène mystérieux de l'amour inscrit la sexualité humaine, qui ne se limite pas non plus à cela — l'élément reproducteur restant quand même non négligeable —, dans un réel au-delà de ces catégories. Et étant ici dans un mystère intime auquel aucune institution n'a accès, il serait mal venu à quelque institution que ce soit de venir s'y immiscer, en reconnaissant, formalisant, bénissant, voire prétendant unir (ce qui à ce point, s'il y a lieu, l'est forcément déjà!), ce qu'elle ignorera forcément toujours — ce que Sting appelle le mariage secret.
Bref, ni l’État, ni l’Église n'ont leur place dans l'intimité où s'est noué un lien qui leur échappera toujours nécessairement à l'une comme à l'autre.
Le mariage que ces institutions peuvent sceller ou bénir est d'un tout autre ordre : il relève de la publicité et de la potentialité procréatrice (les deux sont liées : il n'y a pas d'enfants secrets !), bref de ce qui se voit — comme l'avait fortement souligné la Réforme : « ecclesia de intimis non judicat » — l’Église ne juge pas des cœurs : elle n'a donc rien à bénir au plan où elle n'a pas accès, sauf à prétendre — il est vrai que cela a toujours été sa tentation — se mêler de l'intimité des cœurs et des consciences. (Cf. dans Bénir, l'article de J.F. Breyne, vol. 2, p. 38-39, sur l’histoire assez récente de la compréhension de la reconnaissance ecclésiale d'un couple publiquement institué comme « bénédiction ».)
Voilà pourquoi si David et Jonathan venaient demander une bénédiction de leur amour à l’Église (hypothèse fictive que le document nous soumet), David et Jonathan dont « l'amour de l'un pour l'autre était plus fort que celui que l'on a pour les femmes », nous dit le texte biblique, il y aurait lieu de leur répondre qu'une telle demande n'a aucun sens, l’Église n’ayant pas ce pouvoir-là — la nature de leur amour lui échappant totalement. Le texte permet de supposer que David et Jonathan (si toutefois l’amour dont il est question est de l'ordre de celui dont parle Platon) l’avaient compris eux-mêmes, qui n'ont pas demandé un tel rite au desservant du culte...
Tout comme Platon l'avait aussi compris, qui n’envisageait en aucun cas qu'un tel amour — quel que soit d’ailleurs le sexe des partenaires — était à faire ratifier par une institution quelconque : le mariage, concernait clairement pour lui la mise en place publique d'une structure publique familiale en vue d'une procréation éventuelle.
Ici la bénédiction ecclésiale se suffit à la simplicité et à l'humilité bibliques : « soyez féconds et multipliez-vous » — texte annonçant que la fécondité procréatrice pourra être reçue comme don de Dieu. Une parole performative pour une fécondité qui ne se limite pas à l’espérance de la fécondité procréatrice mais qui l'inclut et la déborde en même temps, ouvrant même, via la reconnaissance de la déclaration publique de l'union des conjoints, sur une dimension sacramentelle — qui n'est pas le rite ecclésial, mais le déploiement de leur vie commune dans la fidélité, pour l'accueil du don de Dieu.
En tout cela, l’Église ne se mêle en aucun cas de ce qui ne la regarde pas : l'aspect où l'affaire est d'abord profane, n'ayant aucun rapport avec le salut que Dieu offre — même aux célibataires ! Et l'ordre mystérieux de l'amour, ancré même au-delà de la sexuation physique en hommes et femmes — valant donc entre personnes de sexe différent ou de même sexe. Cet ordre regarde encore moins l’Église... Ce qui rend donc surprenant, à bien y regarder, de lui demander d'y entrer — héritage confus d'un temps où elle était censée tout régenter ?
Le signe performatif de l'énonciation de l'espérance de la fécondité, dont on ne peut pas séparer les différents aspects, suppose donc ipso facto la différenciation sexuelle des conjoints.
Le refus de se mêler de la reconnaissance de l'amour, des désirs, des vérités intimes et éternelles qui unissent des personnes humaines dans toute leur complexité, sera alors précisément le signe de l'accueil inconditionnel de tous, dans la discrétion et la pudeur.
« Aucune Église terrestre n'a jamais béni [une telle] union », qu' « aucun État n'a jamais autorisée [...] ».
On peut voir dans ce mariage secret un recoupement avec de ce que L. Gagnebin (Bénir, op. cit., vol. 2, p. 43) distingue comme première séquence de la compréhension du mariage : « les engagements intérieurs des époux l'un envers l'autre, l'amour qui les lie », les deux autres séquences étant le mariage (civil), puis la bénédiction nuptiale (ecclésiale). Insistant sur la primauté de la première séquence, il cite Berdiaeff, pour qui il s’agit bien d' « une union authentique même si elle n'est pas scellée par la loi ou bénie par l’Église ».
La question qui s'ensuit est : qu'est-ce l’Église (ou l’État) peut savoir de cette union intime ? Et donc : est-ce cela qu'elle bénit, puisqu'elle n'en peut rien savoir ? Est-ce cela que l’État scelle, puisqu'il n'en peut rien savoir ?
Une telle union « ne peut pas même être dite » pour reprendre le poème de Sting ! On est dans une intimité littéralement indicible, plus intime encore que la vie sexuelle du couple. Les institutions humaines n'ont accès qu'aux paroles d'engagement, à leur publicité, qui instituent un couple dans le temps, dans le monde « profane » pour le dire comme Luther, qui en tirait le constat que, cela étant parfaitement profane, cela ne regarde même pas l’Église : « le mariage est une chose profane qui ne regarde pas l’Église ». Ici Luther nous situe à l'autre pôle, celui où l'institution matrimoniale est cette déclaration publique de l’existence d'un couple : tout sauf indicible, contrairement à l'amour qui lie secrètement deux vies ! Ici au contraire c'est la publicité qui fait le couple marié !
Reste alors que, qu'on prenne la question à un pôle, le secret auquel ni l’Église ni l’État n'ont accès, ou à l'autre pôle où c'est au contraire la publicité qui fait le couple devant les hommes, l’Église n'a apparemment pas grand chose à voir. Et demeure la question : bénir quoi ? En tout cas, certainement pas ce à quoi — tout comme l’État — elle n'a pas accès, l'amour, indicible et secret.
Un indicible qui ne se dit que par symboles, une union qu'aucune institution n'est habilitée à reconnaître ou à bénir, puisque n'y ayant pas accès et ne pouvant — allons plus loin — même pas savoir si oui ou non le couple qui se présente devant elle l'a conçue ou pas !
Les symboles sont connus, allant d'un sens intérieur et caché du symbole du féminin et du masculin comme le Yin et le Yang, au mythe du double primitif de Platon dans Le Banquet : des êtres humains originels formant des couples, puis scindés avant de se retrouver.
Platon permet d'aller un peu plus loin dans le mystère de l'amour qu'il tente d'approcher par le mythe : le mystère est tel qu'il procède jusqu'au-delà de la sexuation physique en hommes et femmes. L'amour mystérieux qui lie irrésistiblement deux êtres n'a que faire de la fonction de la reproduction ! Je cite Platon :
« Premièrement, il y avait trois catégories d'êtres humains et non pas deux comme maintenant, à savoir le mâle et la femelle. Mais il en existait encore une troisième qui participait des deux autres, dont le nom subsiste aujourd'hui, mais qui, elle, a disparu. En ce temps-là en effet il y avait l'androgyne, un genre distinct qui, pour le nom comme pour la forme, faisait la synthèse des deux autres, le mâle et la femelle. Aujourd'hui, cette catégorie n'existe plus [...].
« Deuxièmement, la forme de chaque être humain était celle d'une boule, avec un dos et des flancs arrondis. Chacun avait quatre mains, un nombre de jambes égal à celui des mains, deux visages sur un cou rond avec, au-dessus de ces deux visages en tout point pareils et situés à l'opposé l'un de l'autre, une tête unique pourvue de quatre oreilles. En outre, chacun avait deux sexes et tout le reste à l'avenant [...].
Suite à leur prétention de concurrencer les dieux, « Zeus coupa les humains en deux, ou comme on coupe les œufs avec un crin.
« Chacun d'entre nous est donc la moitié complémentaire d'un être humain, puisqu'il a été coupé, à la façon des soles, un seul être en produisant deux ; sans cesse donc chacun est en quête de sa moitié complémentaire. Aussi tous ceux des mâles qui sont une coupure de ce composé qui était alors appelé "androgyne" recherchent-ils l'amour des femmes et c'est de cette espèce que proviennent la plupart des maris qui trompent leur femme, et pareillement toutes les femmes qui recherchent l'amour des hommes et qui trompent leur mari. En revanche, toutes les femmes qui sont une coupure de femme ne prêtent pas la moindre attention aux hommes ; au contraire, c'est plutôt vers les femmes qu'elles sont tournées, et c'est de cette espèce que proviennent les lesbiennes. Tous ceux enfin qui sont une coupure de mâle recherchent aussi l'amour des mâles.
« Les mâles de cette espèce sont les seuls [...] qui, parvenus à maturité, s'engagent dans la politique. Lorsqu'ils sont devenus des hommes faits, ce sont de jeunes garçons qu'ils aiment et ils ne s'intéressent guère par nature au mariage et à la procréation d'enfants, mais la règle les y contraint ; ils trouveraient plutôt leur compte dans le fait de passer leur vie en célibataires, côte à côte, en renonçant au mariage. Ainsi donc, de manière générale, un homme de ce genre cherche à trouver un jeune garçon pour amant et il chérit son amant, parce que dans tous les cas il cherche à s'attacher à ce qui lui est apparenté. » (Platon, Le Banquet, 190b – 193e : discours d'Aristophane.)
On le voit, ici, l'amour, ainsi lu comme phénomène toujours mystérieux, est bien distinct de l'institution sociale du mariage, qui elle, précisément, n'est pas distincte de la sexuation et de potentialité reproductrice.
L'amour est distinct de la sexuation, mais pas pour autant séparé de la sexualité, où se joue dans le désir physique la complétude de l’union mystérieuse, à laquelle aucune institution étatique ou religieuse ne peut avoir accès !
Platon, soit dit en passant, justifie par avance l'évident constat que fait le document « Bénir » (vol. 1, p. 35) sur le vocabulaire bipolaire selon lequel il y aurait des « hétérosexuels » et des « homosexuels » : vocabulaire nul et non avenu. Il s'agit d'un vocabulaire datant du début du XXe siècle, héritier de la manie de classifier même l’inclassable (où placer les ornithorynques ?). Manie qui vaudrait largement un discrédit durable à de larges pans d'une pensée prétendue scientifique, à commencer par celle des Lumières, où l'on classait les êtres humains en différentes « races » au regard du taux de mélanine dans l’épiderme par exemple. Manie qui avait induit naturellement la classification des êtres humains en fonction de ce que l'on continue d’appeler malencontreusement leur « orientation » sexuelle.
On avait quatre grandes « races » humaines : blanc (bien sûr au sommet), jaune, noir et rouge ! On aurait deux catégories sexuelles : une... moins normale, qu'on appellerait « homosexuelle », l'autre, plus commune, qu'en vis-à-vis de l' « homosexuelle », on intitulerait « hétérosexuelle » !
Il est fort étrange, qu'alors qu'on ait, heureusement, enfin abandonné la classification des êtres humains par des couleurs qui ne sont même pas les leurs (c'est quand même plus compliqué), il est étrange que l'on maintienne avec assiduité et persévérance la classification bipolaire en fonction des fameuses « orientations sexuelles » auxquelles elles correspondraient ! On a, depuis le début du XXe siècle, admis des nuances, qui ne nous ont pourtant pas conduits à abandonner ce vocabulaire !
Le choses sont plus complexes que cela, l’expression érotique du phénomène mystérieux de l'amour inscrit la sexualité humaine, qui ne se limite pas non plus à cela — l'élément reproducteur restant quand même non négligeable —, dans un réel au-delà de ces catégories. Et étant ici dans un mystère intime auquel aucune institution n'a accès, il serait mal venu à quelque institution que ce soit de venir s'y immiscer, en reconnaissant, formalisant, bénissant, voire prétendant unir (ce qui à ce point, s'il y a lieu, l'est forcément déjà!), ce qu'elle ignorera forcément toujours — ce que Sting appelle le mariage secret.
Bref, ni l’État, ni l’Église n'ont leur place dans l'intimité où s'est noué un lien qui leur échappera toujours nécessairement à l'une comme à l'autre.
Le mariage que ces institutions peuvent sceller ou bénir est d'un tout autre ordre : il relève de la publicité et de la potentialité procréatrice (les deux sont liées : il n'y a pas d'enfants secrets !), bref de ce qui se voit — comme l'avait fortement souligné la Réforme : « ecclesia de intimis non judicat » — l’Église ne juge pas des cœurs : elle n'a donc rien à bénir au plan où elle n'a pas accès, sauf à prétendre — il est vrai que cela a toujours été sa tentation — se mêler de l'intimité des cœurs et des consciences. (Cf. dans Bénir, l'article de J.F. Breyne, vol. 2, p. 38-39, sur l’histoire assez récente de la compréhension de la reconnaissance ecclésiale d'un couple publiquement institué comme « bénédiction ».)
Voilà pourquoi si David et Jonathan venaient demander une bénédiction de leur amour à l’Église (hypothèse fictive que le document nous soumet), David et Jonathan dont « l'amour de l'un pour l'autre était plus fort que celui que l'on a pour les femmes », nous dit le texte biblique, il y aurait lieu de leur répondre qu'une telle demande n'a aucun sens, l’Église n’ayant pas ce pouvoir-là — la nature de leur amour lui échappant totalement. Le texte permet de supposer que David et Jonathan (si toutefois l’amour dont il est question est de l'ordre de celui dont parle Platon) l’avaient compris eux-mêmes, qui n'ont pas demandé un tel rite au desservant du culte...
Tout comme Platon l'avait aussi compris, qui n’envisageait en aucun cas qu'un tel amour — quel que soit d’ailleurs le sexe des partenaires — était à faire ratifier par une institution quelconque : le mariage, concernait clairement pour lui la mise en place publique d'une structure publique familiale en vue d'une procréation éventuelle.
Ici la bénédiction ecclésiale se suffit à la simplicité et à l'humilité bibliques : « soyez féconds et multipliez-vous » — texte annonçant que la fécondité procréatrice pourra être reçue comme don de Dieu. Une parole performative pour une fécondité qui ne se limite pas à l’espérance de la fécondité procréatrice mais qui l'inclut et la déborde en même temps, ouvrant même, via la reconnaissance de la déclaration publique de l'union des conjoints, sur une dimension sacramentelle — qui n'est pas le rite ecclésial, mais le déploiement de leur vie commune dans la fidélité, pour l'accueil du don de Dieu.
En tout cela, l’Église ne se mêle en aucun cas de ce qui ne la regarde pas : l'aspect où l'affaire est d'abord profane, n'ayant aucun rapport avec le salut que Dieu offre — même aux célibataires ! Et l'ordre mystérieux de l'amour, ancré même au-delà de la sexuation physique en hommes et femmes — valant donc entre personnes de sexe différent ou de même sexe. Cet ordre regarde encore moins l’Église... Ce qui rend donc surprenant, à bien y regarder, de lui demander d'y entrer — héritage confus d'un temps où elle était censée tout régenter ?
Le signe performatif de l'énonciation de l'espérance de la fécondité, dont on ne peut pas séparer les différents aspects, suppose donc ipso facto la différenciation sexuelle des conjoints.
Le refus de se mêler de la reconnaissance de l'amour, des désirs, des vérités intimes et éternelles qui unissent des personnes humaines dans toute leur complexité, sera alors précisément le signe de l'accueil inconditionnel de tous, dans la discrétion et la pudeur.
RP, Poitiers, 25/02/14
"Bénir", oui oui ? (1)
« "Bénir" pour tous » dans une civilisation libérale (2)
Quelle bénédiction en fin de compte ? (3)
"Bénir" : un peu de sérieux pour terminer (4)
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