<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: "Bénir" - Quelle bénédiction en fin de compte ?

vendredi 7 mars 2014

"Bénir" - Quelle bénédiction en fin de compte ?





Ou : quel rôle de l’Église dans les affaires amoureuses et/ou matrimoniales ?

N'ayant, comme la plupart de ceux qui sont invités à se prononcer à l'occasion de ce débat, jamais été sollicité auparavant pour une expression publique à ce sujet — « bénir », selon le titre du document que l'on nous propose concernant l'éventuelle bénédiction nuptiale de personnes de même sexe — ; mais ayant été comme beaucoup, mis en présence de vécus personnels divers et variés, qui toujours ont requis de la pudeur, j'en viens (après une réflexion sur l'intime de l'amour et une réflexion sur l’aspect public de la reconnaissance matrimoniale) au point concret pour lequel on nous sollicite, n'ayant de compétence que celle qui me donne ce droit/devoir de m'exprimer sans me dérober — puisqu'on nous le demande —, avec crainte et tremblement, en regard de mon humble expérience ecclésiale (pasteur de paroisse depuis le milieu des années 1990). Avec crainte et tremblement aussi parce que cette même expérience m'a conduit à la conviction que — on va le voir — dans le domaine matrimonial, la parole publique n'est pas d'abord une parole d’Église, l’expression des chrétiens ayant sa place dans le cadre commun, celui de la cité. Reste que la question nous est posée m'est donc posée aussi : que faire concrètement au bout du compte en termes de bénédiction nuptiale liturgique — notamment de personnes de même sexe ?

Si l'on admet qu'il y a dans ces affaires une part intime, qui est la part amoureuse essentiellement, mais aussi la part sexuelle qui y est liée. Et si l'on admet qu'il y une part au contraire publique, qui est celle de l’État, quelle est donc la part de l’Église ?, qui n'a, tout comme l’État, aucun accès à l'intimité du couple, et qui en outre ne joue aucun rôle dans le scellement juridique public qui fait le mariage et qui veut que (comme on le rappelle régulièrement), en protestantisme le couple n'est pas plus marié en sortant du temple qu'en y entrant...

L’Église, si on la sollicite, se situe donc quelque part entre les deux, ou à côté des deux : l'intimité à laquelle elle n'a pas accès, et l’État qui scelle les mariages dans des cadres sociétaux donnés — le cadre sociétal qui est le nôtre étant le cadre libéral, le seul dans l'histoire qui ait envisagé et mis en place des mariages entre personnes de même sexe.

Il vaut de s'interroger sur ces faits avant de se demander ce que doit faire l’Église, si on la sollicite. Doit-elle redoubler, en quelque sorte, mais sans aucune efficacité juridique, ce que l’État a fait ? Sa vocation est-elle d'ajouter au mariage "sec" devant Madame ou Monsieur le Maire, la solennité religieuse, la chaleur de l'entourage ecclésial, la pompe liturgique ou l'ampleur esthétique ? On est forcé de reconnaître que ce dernier aspect n'est pas négligeable dans des demandes de bénédiction qui nous sont adressées, aspect choquant pour plus d'un des ministres du culte quand on sait que l'on réintroduit via certaines demandes tous les éléments d'une hiérarchie sociale qui n'ont pas leur place ici — par exemple demande de bénédiction dans des hôtels de luxe que d'autres n'auront jamais la possibilité de se payer, devant se « contenter » du temple... Mais les autres aspects, jusqu'à l’accompagnement communautaire, s'ils sont moins choquants, ont-ils pour autant un sens ecclésial et liturgique ?

Est-ce là le rôle de l’Église ? Quel est le sens de ce redoublement quand on sait que l'essentiel juridique du mariage est de (se) poser des contraintes auxquelles l’État aura le pouvoir de donner leur efficacité : par exemple en cas de de divorce, exiger que les droits de chaque partie soient respectés. L’Église eut le pouvoir juridique — sous l'Ancien Régime, voire jusqu'en 1905. Les protestants se sont réjouis de voir mettre enfin en place un mariage civil, quand sous l'Ancien Régime ils étaient considérés comme non-mariés ! Quelle est la signification, sinon le maintien d'une esthétique illusoire, d'un mariage religieux et/ou bénédiction nuptiale, en regard du mariage réel, au sens juridique, celui de l’État ?

Le débat auquel nous sommes invités pour les prochains synodes a au moins pour utilité de faire réfléchir à ces questions que l'on a pris l'habitude de ne pas se poser — ou de ne plus se poser.

Par exemple pourquoi l'’Église ancienne ne jugeait pas nécessaire de procéder à des bénédictions nuptiales, se contentant des mariages civils, ceux de la cité, judéenne ou romaine... ?

Ces mêmes mariages seront couverts d'une bénédiction ecclésiale, hors édifice religieux (i.e. sous le porche de l'église), à partir du Ve siècle, le couple couvert d'un voile (pratique demeurée en vigueur jusqu'au début de l'ère moderne en Occident).

Lorsque l’Église médiévale prend le pouvoir civil, elle procède en conséquence elle-même à des mariages (XIe-XIIe s.), plus tard suivie mutatis mutandis, après qu'elles aient tenté d'abord de revenir à plus de sobriété, par les Églises de la Réforme et leurs « bénédictions » qui ressemblent fort à des mariages... Églises de la Réforme qui subissaient cette pratique en France sous tous les siècles d'Ancien Régime.

L’Église (y compris protestante !) doit-elle à présent être la caution d'un reliquat de traditions religieuses au cœur d'une réalité qui s'en passe sans peine ?... L’Église à la traîne... de la mariée, et aujourd'hui caution de la civilisation libérale comme elle le fut souvent des civilisations qui l'ont précédée. L’Église caution ? Mais est-ce son rôle ? Que devient alors l’aiguillon prophétique (qui n'a jamais consisté à cautionner quelque régime ou civilisation que ce soit ou quelque de leurs pratiques !) ?

*

Et d'autre part, on est tenté de glisser à s'immiscer dans les affaires intimes — et ça a toujours été la tentation de l’Église : c'est un des risques terribles des « préparations au mariage » faites en outre avec des couples qui de nos jours n'ont plus rien à apprendre à ce sujet (qui ne regarde pas non plus l’Église pour de tout jeunes couples). Et voilà l’Église qui, outre son rôle de caution impuissante des réalités juridiques dans le cadre de tel ou tel type civilisationnel ou sociétal, se donne le rôle de conseil matrimonial (sans aucune formation ou compétence particulière pour ce faire !)... Où l'on sent bien que la déficience d'efficacité juridique sous l'angle de la caution institutionnelle religieuse dérange « quelque part » : puisqu'elle fait défaut sur ce point, on introduira une dose de (in)compétence propre...

Et voilà donc qu'à ce point, l’Église, tout à sa mauvaise conscience de n'être pas suffisamment moderne, ferait un pas de plus dans ce rôle — auto-proclamé « courageux » — de caution aussi utile que le rôle de la mouche du coche !

Cela au prix de cette autre caution, celui de la classification, utile aux études de marché, des êtres humains en double catégorie — « orientation » sexuelle « homo » et « hétéro ».

Je crains que la tournure du débat ne nous ait déjà... orientés en ce sens-là !, qui exige des Églises qu'elles se mêlent de l'intimité sexuelle et de sa mise en catégories, pour en approuver ou désapprouver telle ou telle ! De quoi je me mêle, suis-je tenté de dire !

Sachant que la sexualité humaine est infiniment plus compliquée que cela, et plus intime, sachant que le matériau fantasmatique de chacun échappe totalement aux dites catégories, nous frisons en permanence l'indécence, et sous prétexte d'accueil, le rejet de fait de celles et ceux qui se refusent à cette catégorisation, ou qui se refusent à étaler leur vie intime sur la place (de l’Église) publique.

Dans notre civilisation libérale (on en pense ce qu'on en veut mais c'est la nôtre), la société civile marie désormais aussi des personnes de même sexe (on en pense ce qu'on en veut mais c'est notre réalité).

Un « complément » ecclésial n'y ajouterait rien, non plus que ce « complément » ne « complète » ni n'ajoute quoi que ce soit au mariage des personnes de sexe différent.

Non plus qu'il n'ajouterait quoique ce soit à la capacité des couples de personnes de même sexe à élever ensemble des enfants !

Le vrai risque de l'instauration d'un tel « complément » par l’Église pour les personnes de même sexe consiste à entériner ce que l’Église fait depuis longtemps à la manière de Monsieur Jourdain, sans trop le savoir : se mêler de ce qui ne la regarde pas, les affaires intimes et sexuelles, se privant ainsi de son rôle d’accueil et d'attention en ce même domaine !

Paradoxal ?

Si l'on admet le fait incontestable que nous n'avons pas les moyens de juger de, d'accéder à, ou de bénir l'intimité d'un couple ou sa sexualité ; si l'on admet que l'aspect civil, juridique, « profane » disait Luther, ne relève en aucun cas du rôle de l’Église, on est à même de comprendre que l’Église ne se contente de redire en prière publique que ce qui se voit (non pas l’intimité du couple, évidemment), mais en termes de potentialité procréatrice — cela seul se verra éventuellement : éventuellement, car il n'est pas non plus de la compétence de l’Église de se prononcer en matière médicale, en fonction de l'âge du couple par exemple, sur la réalité de sa fécondité ! L’Église se contente de savoir ce que tout le monde sait : qu'un homme et une femme sont potentiellement procréateurs, la seule chose de leur vie sexuelle qui puisse se voir, éventuellement. Pour le reste, elle n'y a pas accès, et n'a pas à y avoir accès, ni a fortiori accès liturgique !

L’Église ne saurait bénir — ou pas — le secret amoureux ou la sexualité de quiconque, ni même son expression dans une vie commune !...

Déjà pour cette raison simple que cela n'a rien à voir avec la seule question qui regarde l’Église : la prédication de l’Évangile, à tous, sans se mêler de savoir quelles sont leurs amours et, a fortiori, sans cautionner les catégories et autres « orientations » sexuelles des anciennes classifications médicales, si utiles aujourd'hui pour les études de marché.

En reconnaissant une autre base — de plus seule base biblique, à bien y regarder — que la potentialité procréatrice, l’Église cautionnerait ipso facto des catégorisations indues et s'auto-proclamerait compétente en tant que telle en matière sexuelle !

Ce faisant, se surajoutant inutilement à l’État, elle se priverait de cela seul qui lui est demandé en la matière : l'écoute, une écoute qui ne se contente pas de passer les hommes et les femmes au filtre du dualisme catégorisant « homo » vs « hétéro », dualisme symboliquement violent, particulièrement envers celles et ceux que l'on classe comme « homosexuels » et dont l'intimité, loin d’être comprise, ni même compréhensible au fond (l'intimité de chacun restant au fond en sa dimension amoureuse, inaccessible), est devenue le sujet de conversation de nos (in)compétences. Qu'au moins, au-delà, ou en deçà du rite public qui subsiste (la répercussion, mutatis mutandis, de la parole de la Genèse), l’Église soit un lieu de silence et d'écoute de tous (et notamment de ceux qui ne sont pas « forts en gueule ») quelle que soit leur « orientation » ou « poly-orientation » sexuelle, un lieu où le bruissement médiatique de l’exposition obligatoire de l'intimité de chacun puisse être enfin court-circuité.

… Où l'Église pourrait être une véritable bénédiction, pour tous !


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