Matthieu 17, 14-21
“Un épileptique, semble-t-il”, commente une note de la TOB, précisant : “On crut longtemps, presque jusqu'à l’époque moderne, en Occident aussi, que les accès d’épilepsie étaient liés aux phases de la lune”.
Or, le texte de l’évangile, lui, nous dit : “Jésus parla sévèrement au démon” (v. 18). Pour Jésus, selon Matthieu, il ne s’agit pas seulement d’un phénomène astral — “les phases de la lune” — ; s’il est bien question de la lune, il ne s’agit pas seulement du disque lunaire : le démon du v. 18 est clairement sous-entendu au v. 15 : “mon fils, qui est lunatique”, littéralement, selon le grec, “seleniazomai”, “sélénisé”, c’est-à-dire la même formule que lorsqu'il est question de “démonisés”. Séléné, en grec, n’est pas seulement le disque lunaire, mais avant tout la divinité que signifie le disque lunaire, un daïmon, donc, “démon” dans le Nouveau Testament, qui correspond au sens du mot à l’époque : les divinités inférieures du panthéon païen — équivalent des Baals dans l'Ancien Testament (dans lequel on ne trouve donc pas le mot “démon”). Le mot, chez les Grecs, n’est en général pas négatif. Il ne l’est pas non plus dans le judaïsme hellénistique, où il est l'équivalent d’”ange”.
Séléné, la lune, comme “démon”, ce que l’on retrouve chez Baudelaire :
Superbe transfiguration en beauté poétique, écho à ce que, d'une autre façon, on lit dans la Bible, Ancien Testament, évoqué sous l’angle d’une promesse face à la menace de la souffrance lunaire que l'on retrouve dans le récit de l'évangile — être délivré de la fatidique figure, “le reflet de la redoutable Divinité” (Ps 121, v. 6) :
Psaume 121
Voilà donc dans le texte de Matthieu une figure “démoniaque”, Séléné, qui fait souffrir l’enfant, et que, donc, Jésus “fait sortir” (v. 18 et 21).
Rien à craindre des divinités menaçantes quelles qu'elles soient, qui rendent captif de ce qu’on a fait ou pas fait. On est appelé à être libéré de tout ce qui peut rendre captif et faire souffrir. Cela s’opère par la foi au Dieu de l’impossible (selon la formule rhétorique “déplacer les montagnes”, qui n’est pas un appel à faire d’absurdes choses spectaculaires, ce que Jésus a toujours refusé !) ; foi seulement, reçue dans la plus radicale humilité au contraire : “la prière et le jeûne” (v. 21) — marques de l’humilité qui, dans la foi, s’en remet avec le Psalmiste à l’Éternel seul, “l’auteur des cieux et de la terre” : “Je lève mes yeux vers les montagnes… D’où me viendra le secours ?”
”L’Éternel te gardera de tout mal, Il gardera ton âme ; L’Éternel gardera ton départ et ton arrivée, dès maintenant et à jamais.”
Lorsqu’ils furent arrivés près de la foule, un homme vint se jeter à genoux devant Jésus, et dit :
Seigneur, aie pitié de mon fils, qui est lunatique, et qui souffre cruellement ; il tombe souvent dans le feu, et souvent dans l’eau.
Je l’ai amené à tes disciples, et ils n’ont pas pu le guérir.
Engeance incrédule et perverse, répondit Jésus, jusques à quand serai-je avec vous ? jusques à quand vous supporterai-je ? Amenez-le-moi ici.
Jésus parla sévèrement au démon, qui sortit de lui, et l’enfant fut guéri à l’heure même.
Alors les disciples s’approchèrent de Jésus, et lui dirent en particulier : Pourquoi n’avons-nous pu chasser ce démon ?
C’est à cause de votre incrédulité, leur dit Jésus. Je vous le dis en vérité, si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : Transporte-toi d’ici là, et elle se transporterait ; rien ne vous serait impossible.
Mais cette sorte de démon ne sort que par la prière et par le jeûne.
*
“Un épileptique, semble-t-il”, commente une note de la TOB, précisant : “On crut longtemps, presque jusqu'à l’époque moderne, en Occident aussi, que les accès d’épilepsie étaient liés aux phases de la lune”.
Or, le texte de l’évangile, lui, nous dit : “Jésus parla sévèrement au démon” (v. 18). Pour Jésus, selon Matthieu, il ne s’agit pas seulement d’un phénomène astral — “les phases de la lune” — ; s’il est bien question de la lune, il ne s’agit pas seulement du disque lunaire : le démon du v. 18 est clairement sous-entendu au v. 15 : “mon fils, qui est lunatique”, littéralement, selon le grec, “seleniazomai”, “sélénisé”, c’est-à-dire la même formule que lorsqu'il est question de “démonisés”. Séléné, en grec, n’est pas seulement le disque lunaire, mais avant tout la divinité que signifie le disque lunaire, un daïmon, donc, “démon” dans le Nouveau Testament, qui correspond au sens du mot à l’époque : les divinités inférieures du panthéon païen — équivalent des Baals dans l'Ancien Testament (dans lequel on ne trouve donc pas le mot “démon”). Le mot, chez les Grecs, n’est en général pas négatif. Il ne l’est pas non plus dans le judaïsme hellénistique, où il est l'équivalent d’”ange”.
Séléné, la lune, comme “démon”, ce que l’on retrouve chez Baudelaire :
« La Lune, qui est le caprice même, regarda par la fenêtre pendant que tu dormais dans ton berceau, et se dit : “Cette enfant me plaît.”
Et elle descendit moelleusement son escalier de nuages et passa sans bruit à travers les vitres. Puis elle s’étendit sur toi avec la tendresse souple d’une mère, et elle déposa ses couleurs sur ta face. Tes prunelles en sont restées vertes, et tes joues extraordinairement pâles. C’est en contemplant cette visiteuse que tes yeux se sont si bizarrement agrandis ; et elle t’a si tendrement serrée à la gorge que tu en as gardé pour toujours l’envie de pleurer.
Cependant, dans l’expansion de sa joie, la Lune remplissait toute la chambre comme une atmosphère phosphorique, comme un poison lumineux ; et toute cette lumière vivante pensait et disait : “Tu subiras éternellement l’influence de mon baiser. Tu seras belle à ma manière. Tu aimeras ce que j’aime et ce qui m’aime : l’eau, les nuages, le silence et la nuit ; la mer immense et verte ; l’eau uniforme et multiforme ; le lieu où tu ne seras pas ; l’amant que tu ne connaîtras pas ; les fleurs monstrueuses ; les parfums qui font délirer ; les chats qui se pâment sur les pianos et qui gémissent comme les femmes, d’une voix rauque et douce !
“Et tu seras aimée de mes amants, courtisée par mes courtisans. Tu seras la reine des hommes aux yeux verts dont j’ai serré aussi la gorge dans mes caresses nocturnes ; de ceux-là qui aiment la mer, la mer immense, tumultueuse et verte, l’eau informe et multiforme, le lieu où ils ne sont pas, la femme qu’ils ne connaissent pas, les fleurs sinistres qui ressemblent aux encensoirs d’une religion inconnue, les parfums qui troublent la volonté, et les animaux sauvages et voluptueux qui sont les emblèmes de leur folie.”
Et c’est pour cela, maudite chère enfant gâtée, que je suis maintenant couché à tes pieds, cherchant dans toute ta personne le reflet de la redoutable Divinité, de la fatidique marraine, de la nourrice empoisonneuse de tous les lunatiques. »
(Charles Baudelaire, “Les Bienfaits de la lune”, recueil Le Spleen de Paris)
Superbe transfiguration en beauté poétique, écho à ce que, d'une autre façon, on lit dans la Bible, Ancien Testament, évoqué sous l’angle d’une promesse face à la menace de la souffrance lunaire que l'on retrouve dans le récit de l'évangile — être délivré de la fatidique figure, “le reflet de la redoutable Divinité” (Ps 121, v. 6) :
Psaume 121
Je lève mes yeux vers les montagnes… D’où me viendra le secours ?
Le secours me vient de l’Éternel, qui a fait les cieux et la terre.
Il ne permettra point que ton pied chancelle ; Celui qui te garde ne sommeillera point.
Voici, il ne sommeille ni ne dort, Celui qui garde Israël.
L’Éternel est celui qui te garde, l’Éternel est ton ombre à ta main droite.
Pendant le jour le soleil ne te frappera point, ni la lune pendant la nuit.
L’Éternel te gardera de tout mal, Il gardera ton âme ;
L’Éternel gardera ton départ et ton arrivée, dès maintenant et à jamais.
Voilà donc dans le texte de Matthieu une figure “démoniaque”, Séléné, qui fait souffrir l’enfant, et que, donc, Jésus “fait sortir” (v. 18 et 21).
Rien à craindre des divinités menaçantes quelles qu'elles soient, qui rendent captif de ce qu’on a fait ou pas fait. On est appelé à être libéré de tout ce qui peut rendre captif et faire souffrir. Cela s’opère par la foi au Dieu de l’impossible (selon la formule rhétorique “déplacer les montagnes”, qui n’est pas un appel à faire d’absurdes choses spectaculaires, ce que Jésus a toujours refusé !) ; foi seulement, reçue dans la plus radicale humilité au contraire : “la prière et le jeûne” (v. 21) — marques de l’humilité qui, dans la foi, s’en remet avec le Psalmiste à l’Éternel seul, “l’auteur des cieux et de la terre” : “Je lève mes yeux vers les montagnes… D’où me viendra le secours ?”
”L’Éternel te gardera de tout mal, Il gardera ton âme ; L’Éternel gardera ton départ et ton arrivée, dès maintenant et à jamais.”
RP, texte du jour FPF, CP Châtellerault, 11.03.23