La Bible hébraïque n’est pas la Bible grecque des LXX, ce sont deux Bibles qui ne sont pas non plus l’Ancien Testament des chrétiens (lui-même divers selon les traditions chrétiennes). Ces trois Bibles ne sont pas non plus cette quatrième Bible qui est le fruit des diverses reconstructions critiques modernes dont on peut situer le premier linéament avec le Traité théologico-politique (1670) de Baruch Spinoza, dont un tournant important se situe au XIXe siècles avec la théorie des sources de Julius Wellhausen (1844-1918), et dont les développements les plus récents sont ceux de Thomas Römer ou ceux de Bernard Barc (1).
Ces quatre Bibles, Bible hébraïque, Bible grecque des LXX, Ancien Testament des Bibles chrétiennes, et reconstruction critique moderne ont un point commun : ce sont toutes des relectures d’une histoire disparue, des récits de cette histoire. L’allemand (langue des travaux critiques remontant au XIXe siècle) a deux mots pour “histoire” : Historie et Geschichte. En français, il n’y en a qu’un : “histoire”, qui évoque aussi bien l’histoire des historiens que le récit qui en est donné. En ce sens, on est proche, comme pour Geschichte, de ce que l’on trouve dans la demande de l’enfant à sa grand-mère : “raconte moi une histoire” (même mot que pour l’histoire des historiens, même sens que pour le récit qui interprète et relit l’histoire).
L’histoire est toujours relecture. On n’accède à l’événement (dont rien d'“objectif” ne dit qu'il n'ait pas eu lieu : l'absence de preuve n'est pas la preuve de l'absence) ; on n'y accède que par le récit qui en est donné, la relecture qui en est faite : l’histoire n’est donc jamais objective, elle situe toujours l'événement auquel elle réfère selon une perspective. Elle situe même les autres relectures selon une perspective propre, éventuellement critique des autres relectures. Ici, une pensée binaire conduirait à postuler que telle ou telle des quatre relectures, des quatre Bibles, est plus vraie, plus objective que les autres. D’où des conflits d’interprétation, qu’un minimum d’humilité devrait permettre de réduire. Pour cela, il est utile d’en passer par un essai de description de ces quatre Bibles, quant à l’intention qui caractérise leurs principes respectifs de relecture des événements auxquels elles réfèrent, des sens qu’elles leur donnent.
- La Bible hébraïque fonctionne de façon concentrique, la Torah au centre, puis deux cercles, les prophètes (Neviim), de Josué à Malachie, puis les Écrits (Ketouvim), des Psaumes aux Chroniques. Trois cercles dont le cœur est la Torah, une Bible qui se suffit comme telle (contrairement à l'Ancien Testament qui suppose un Nouveau). La Torah est le déterminant premier, jusqu’en ses relectures par les Prophètes comme tentatives d’explication des échecs ultérieurs, dont le plus traumatisant est celui du 9 Ab 586, destruction du temple de Jérusalem, exil à Babylone. Le déterminant fondamental (absent des Bibles non-hébraïques) est la révélation du Nom, au Sinaï (cf. Ex 3), Nom déterminant pour le canon, radicalement transcendant puisqu’imprononçable (2). Les échecs dans l’histoire biblique relatée pas les livres de Prophètes sont déclins et perte, pas processus de découverte progressive, puisque la révélation sinaïtique est celle d’un Nom qui précède toute histoire (à l’inverse du récit de l’histoire critique moderne).
- La Bible grecque des LXX ne porte pas le Nom imprononçable (hébreu), mais la traduction approximative du mot par lequel la tradition hébraïque dit le Nom qu’on ne peut pas dire : Adonaï, “mon Seigneur”, qui devient en grec “le Seigneur” (Kyrios). Ici le cœur déterminant n’est donc plus le Nom mais la visée universaliste de la Torah, devenue Pentateuque, qui n’est non plus le cœur mais les cinq premiers livres d’un processus au débouché universaliste : l’universalisme porté par le message du Sinaï est donné comme précédant, accompagnant et guidant l’universalisme hellénistique qui est son débouché logique. La LXX contient plus de livres que la Bible hébraïque, dans un ordre soulignant la visée universaliste, se terminant par un livre de Daniel différent de celui des Ketouvim hébraïques, et qui voit la conversion finale de Cyrus au Dieu universel annoncé par la LXX. Le sens du Nom imprononçable de la Bible hébraïque rejoint celui de l’Être suprême ontologique de l’hellénisme : “celui qui est”, “'o Ôn”, l’Étant” (Ex 3), lecture bien différente de la lecture hébraïque et que l’on retrouvera jusqu’à la Révolution française, annonçant la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen “sous les auspices de l’Être suprême”.
- L’Ancien Testament des chrétiens suppose un Nouveau. Ici le cœur de toute la Bible chrétienne, en regard de la Révélation apostolique du Nouveau Testament, concerne le Christ comme accomplissant dans sa résurrection la visée d’un livre qui devient ainsi Ancien Testament, dont les livres sont rangés dans un ordre annonçant la récapitulation de toutes choses en Christ. Le dernier livre de l'Ancien Testament est celui du prophète Malachie, dont les derniers mots annoncent la venue d’Élie, dont le Nouveau Testament commence en le présentant en Jean le Baptiste. L’Ancien Testament, dès lors, à la différence et de la Bible hébraïque et de la LXX, ne parle que du Christ. Sa lecture sera donc essentiellement christologique. L’Ancien Testament connaît plusieurs versions, en fonction des traditions ecclésiales : la LXX pour les orthodoxes, un peu moins de livres pour les catholiques (plusieurs livres de la LXX, mais pas tous, ont été (deutéro)canonisés aux XVIe s., lors du concile de Trente), l'Église éthiopienne conserve des livres considérés comme apocryphes par les autres Églises, etc. La Réforme protestante a opté pour retenir comme livres de l’Ancien Testament les livres de la Bible hébraïque, en regard de ce que Jésus renvoyait à la Bible hébraïque, ou de Paul affirmant que la Révélation a été confiée aux juifs, même si plusieurs livres du Nouveau Testament, évangiles inclus, utilisent la LXX. L’option de la Réforme a ouvert sur une perspective dialectique : le Nouveau Testament en relation dialectique avec l’Ancien Testament comme livre du judaïsme. Perspective qui débouche sur le choix de la TOB : ranger les livres de l’Ancien Testament en reprenant l’ordre de la Bible hébraïque.
- La Bible de la critique moderne n’a pour cœur référentiel ni le Nom imprononçable qui précède toute histoire, ni la visée universaliste et ontologique qui s’y fonde selon la LXX, ni le fondement eschatologique miraculeux de la résurrection du Christ, mais une visée nouvelle, issue des développements philosophiques modernes (très différente, donc, des travaux proto-critiques antiques, comme ceux de Philon d'Alexandrie, ou d'Origène, notamment ses Hexaples comparant les versions de la Bible ; ou médiévaux comme par ex. ceux d'Isaac ibn Yashush ou d'Abraham ibn Ezra). C’est donc, en ce sens, une quatrième Bible avec une autre clé de relecture des événements, un autre récit, d’autres récits : au XVIIe siècle la vision classique du monde fondée sur la cosmologie ancienne s’est effondrée, sous le regard de la lunette de Galilée. Les sphères célestes qui faisaient clé de voûte de l'ancienne vision du monde ne pouvaient plus remplir cet office. La philosophie se recentre sur le sujet lisant le monde à partir de sa seule raison (“je pense donc je suis” - Descartes), en regard de la découverte empirique de la nature (Francis Bacon). Cette clef de lecture du monde va être appliquée aux livres bibliques. Ainsi, première trace claire de cette nouvelle Bible : Spinoza, disciple critique de Descartes. La transcendance radicale du Nom qui précède toute histoire, ou qui fonde la rencontre de l’universalisme hellénistique, ou encore qui se révèle dans le Christ venant de Dieu vers le monde, n’entre pas dans le cadre du rationalisme-empirisme pour lequel il n’y a pas d’événements fondés en transcendance (cf. la formule de Spinoza : “Deus sive natura / Dieu ou la nature”). L’universalisme va donc devenir le fruit d’un processus historique, une conquête humaine de l’universel. Le tétragramme de la Bible hébraïque devient un temps de ce processus, et est donc nommé (Yahvé), comme une des divinités locales antiques dont les aléas de l’histoire du Proche-Orient vont faire le Dieu de toutes les nations, au Ve s. av. JC env. (Römer), au IIe s. av. JC env. (Barc).
Quatre Bibles, donc, dont les fondements référentiels respectifs sont différents : le Nom, l’universalisme antique rejoint dans l'hellénisme, Jésus comme Christ ressuscité, le sujet rationnel et empirique de l’ère moderne. La plus simple sagesse est de le savoir, de savoir face à quel référent on se situe, quelle clé de lecture on utilise, quel récit on reçoit, bref laquelle des quatre Bibles on adopte pour référence, de sorte que l'on puisse éviter les vains conflits d’interprétation qui naissant de la non-perception de ces clés de récits.
(1) Bernard Barc, Siméon le Juste : l'auteur oublié de la Bible hébraïque, Brepols, 2015. Résumé : Les Évangélistes se souvenaient d'un vieillard nommé Siméon, qui était juste et qui devait attendre, aussi longtemps qu'il le faudrait, la venue du Sauveur annoncé par les Ecritures. Lorsqu'il vit Jésus, il sut que cette attente interminable prenait fin, attesta que Jésus était bien ce Sauveur et demanda au Seigneur de le rappeler enfin à lui. Les Juifs se souvenaient également d'un personnage nommé Siméon le Juste.
Pendant la première partie de sa vie il avait fait partie de la Grande Assemblée où siégeaient les derniers prophètes et avait parlé d'une seule voix avec eux, puis il s'était laissé séduire par les beautés de l'hellénisme, ce qui lui avait valu de mourir à la moitié de ses jours. Par des biais différents, Juifs et Chrétiens s'accordaient à faire de ce Siméon de légende le symbole d'un passé révolu.
Derrière la légende se cache l'histoire d'un grand prêtre de la période hellénistique, Siméon fils d'Onias. Sa famille, originaire d'Egypte, avait obtenu des rois grecs d'Alexandrie la charge héréditaire de grand prêtre du Temple de Jérusalem, une charge que Siméon occupa de 220 à 195 avant notre ère. Pour Jésus ben Sira, son contemporain, il avait été, avant tout, celui qui “avait fondé la double hauteur”, ce qui signifiait qu'il avait doublé le sens superficiel de la Bible hébraïque d'un sens allégorique caché sous les lettres même de l'Écriture. Aussi improbable que puisse nous paraître une telle thèse, elle méritait d'être vérifiée. Et effectivement, ce monument "à double hauteur" enfoui sous les alluvions de plus de vingt siècles d'histoire de l'interprétation du texte biblique est demeuré intact (voir aussi, du même, Les arpenteurs du temps).
(2) Peut-être une différence avec les Samaritains. Ainsi au témoignage de Théodoret de Cyr (393 env. - 458 env.), dans Question 15 sur Exode 7 : “Les Samaritains l'appellent IABE [i.e. "Yahvé" ? de la critique moderne ?] alors que les Juifs l'appellent AIA [i.e. nom partiel, comme dans "Alleluia"].”
Ces quatre Bibles, Bible hébraïque, Bible grecque des LXX, Ancien Testament des Bibles chrétiennes, et reconstruction critique moderne ont un point commun : ce sont toutes des relectures d’une histoire disparue, des récits de cette histoire. L’allemand (langue des travaux critiques remontant au XIXe siècle) a deux mots pour “histoire” : Historie et Geschichte. En français, il n’y en a qu’un : “histoire”, qui évoque aussi bien l’histoire des historiens que le récit qui en est donné. En ce sens, on est proche, comme pour Geschichte, de ce que l’on trouve dans la demande de l’enfant à sa grand-mère : “raconte moi une histoire” (même mot que pour l’histoire des historiens, même sens que pour le récit qui interprète et relit l’histoire).
L’histoire est toujours relecture. On n’accède à l’événement (dont rien d'“objectif” ne dit qu'il n'ait pas eu lieu : l'absence de preuve n'est pas la preuve de l'absence) ; on n'y accède que par le récit qui en est donné, la relecture qui en est faite : l’histoire n’est donc jamais objective, elle situe toujours l'événement auquel elle réfère selon une perspective. Elle situe même les autres relectures selon une perspective propre, éventuellement critique des autres relectures. Ici, une pensée binaire conduirait à postuler que telle ou telle des quatre relectures, des quatre Bibles, est plus vraie, plus objective que les autres. D’où des conflits d’interprétation, qu’un minimum d’humilité devrait permettre de réduire. Pour cela, il est utile d’en passer par un essai de description de ces quatre Bibles, quant à l’intention qui caractérise leurs principes respectifs de relecture des événements auxquels elles réfèrent, des sens qu’elles leur donnent.
- La Bible hébraïque fonctionne de façon concentrique, la Torah au centre, puis deux cercles, les prophètes (Neviim), de Josué à Malachie, puis les Écrits (Ketouvim), des Psaumes aux Chroniques. Trois cercles dont le cœur est la Torah, une Bible qui se suffit comme telle (contrairement à l'Ancien Testament qui suppose un Nouveau). La Torah est le déterminant premier, jusqu’en ses relectures par les Prophètes comme tentatives d’explication des échecs ultérieurs, dont le plus traumatisant est celui du 9 Ab 586, destruction du temple de Jérusalem, exil à Babylone. Le déterminant fondamental (absent des Bibles non-hébraïques) est la révélation du Nom, au Sinaï (cf. Ex 3), Nom déterminant pour le canon, radicalement transcendant puisqu’imprononçable (2). Les échecs dans l’histoire biblique relatée pas les livres de Prophètes sont déclins et perte, pas processus de découverte progressive, puisque la révélation sinaïtique est celle d’un Nom qui précède toute histoire (à l’inverse du récit de l’histoire critique moderne).
- La Bible grecque des LXX ne porte pas le Nom imprononçable (hébreu), mais la traduction approximative du mot par lequel la tradition hébraïque dit le Nom qu’on ne peut pas dire : Adonaï, “mon Seigneur”, qui devient en grec “le Seigneur” (Kyrios). Ici le cœur déterminant n’est donc plus le Nom mais la visée universaliste de la Torah, devenue Pentateuque, qui n’est non plus le cœur mais les cinq premiers livres d’un processus au débouché universaliste : l’universalisme porté par le message du Sinaï est donné comme précédant, accompagnant et guidant l’universalisme hellénistique qui est son débouché logique. La LXX contient plus de livres que la Bible hébraïque, dans un ordre soulignant la visée universaliste, se terminant par un livre de Daniel différent de celui des Ketouvim hébraïques, et qui voit la conversion finale de Cyrus au Dieu universel annoncé par la LXX. Le sens du Nom imprononçable de la Bible hébraïque rejoint celui de l’Être suprême ontologique de l’hellénisme : “celui qui est”, “'o Ôn”, l’Étant” (Ex 3), lecture bien différente de la lecture hébraïque et que l’on retrouvera jusqu’à la Révolution française, annonçant la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen “sous les auspices de l’Être suprême”.
- L’Ancien Testament des chrétiens suppose un Nouveau. Ici le cœur de toute la Bible chrétienne, en regard de la Révélation apostolique du Nouveau Testament, concerne le Christ comme accomplissant dans sa résurrection la visée d’un livre qui devient ainsi Ancien Testament, dont les livres sont rangés dans un ordre annonçant la récapitulation de toutes choses en Christ. Le dernier livre de l'Ancien Testament est celui du prophète Malachie, dont les derniers mots annoncent la venue d’Élie, dont le Nouveau Testament commence en le présentant en Jean le Baptiste. L’Ancien Testament, dès lors, à la différence et de la Bible hébraïque et de la LXX, ne parle que du Christ. Sa lecture sera donc essentiellement christologique. L’Ancien Testament connaît plusieurs versions, en fonction des traditions ecclésiales : la LXX pour les orthodoxes, un peu moins de livres pour les catholiques (plusieurs livres de la LXX, mais pas tous, ont été (deutéro)canonisés aux XVIe s., lors du concile de Trente), l'Église éthiopienne conserve des livres considérés comme apocryphes par les autres Églises, etc. La Réforme protestante a opté pour retenir comme livres de l’Ancien Testament les livres de la Bible hébraïque, en regard de ce que Jésus renvoyait à la Bible hébraïque, ou de Paul affirmant que la Révélation a été confiée aux juifs, même si plusieurs livres du Nouveau Testament, évangiles inclus, utilisent la LXX. L’option de la Réforme a ouvert sur une perspective dialectique : le Nouveau Testament en relation dialectique avec l’Ancien Testament comme livre du judaïsme. Perspective qui débouche sur le choix de la TOB : ranger les livres de l’Ancien Testament en reprenant l’ordre de la Bible hébraïque.
- La Bible de la critique moderne n’a pour cœur référentiel ni le Nom imprononçable qui précède toute histoire, ni la visée universaliste et ontologique qui s’y fonde selon la LXX, ni le fondement eschatologique miraculeux de la résurrection du Christ, mais une visée nouvelle, issue des développements philosophiques modernes (très différente, donc, des travaux proto-critiques antiques, comme ceux de Philon d'Alexandrie, ou d'Origène, notamment ses Hexaples comparant les versions de la Bible ; ou médiévaux comme par ex. ceux d'Isaac ibn Yashush ou d'Abraham ibn Ezra). C’est donc, en ce sens, une quatrième Bible avec une autre clé de relecture des événements, un autre récit, d’autres récits : au XVIIe siècle la vision classique du monde fondée sur la cosmologie ancienne s’est effondrée, sous le regard de la lunette de Galilée. Les sphères célestes qui faisaient clé de voûte de l'ancienne vision du monde ne pouvaient plus remplir cet office. La philosophie se recentre sur le sujet lisant le monde à partir de sa seule raison (“je pense donc je suis” - Descartes), en regard de la découverte empirique de la nature (Francis Bacon). Cette clef de lecture du monde va être appliquée aux livres bibliques. Ainsi, première trace claire de cette nouvelle Bible : Spinoza, disciple critique de Descartes. La transcendance radicale du Nom qui précède toute histoire, ou qui fonde la rencontre de l’universalisme hellénistique, ou encore qui se révèle dans le Christ venant de Dieu vers le monde, n’entre pas dans le cadre du rationalisme-empirisme pour lequel il n’y a pas d’événements fondés en transcendance (cf. la formule de Spinoza : “Deus sive natura / Dieu ou la nature”). L’universalisme va donc devenir le fruit d’un processus historique, une conquête humaine de l’universel. Le tétragramme de la Bible hébraïque devient un temps de ce processus, et est donc nommé (Yahvé), comme une des divinités locales antiques dont les aléas de l’histoire du Proche-Orient vont faire le Dieu de toutes les nations, au Ve s. av. JC env. (Römer), au IIe s. av. JC env. (Barc).
Quatre Bibles, donc, dont les fondements référentiels respectifs sont différents : le Nom, l’universalisme antique rejoint dans l'hellénisme, Jésus comme Christ ressuscité, le sujet rationnel et empirique de l’ère moderne. La plus simple sagesse est de le savoir, de savoir face à quel référent on se situe, quelle clé de lecture on utilise, quel récit on reçoit, bref laquelle des quatre Bibles on adopte pour référence, de sorte que l'on puisse éviter les vains conflits d’interprétation qui naissant de la non-perception de ces clés de récits.
(1) Bernard Barc, Siméon le Juste : l'auteur oublié de la Bible hébraïque, Brepols, 2015. Résumé : Les Évangélistes se souvenaient d'un vieillard nommé Siméon, qui était juste et qui devait attendre, aussi longtemps qu'il le faudrait, la venue du Sauveur annoncé par les Ecritures. Lorsqu'il vit Jésus, il sut que cette attente interminable prenait fin, attesta que Jésus était bien ce Sauveur et demanda au Seigneur de le rappeler enfin à lui. Les Juifs se souvenaient également d'un personnage nommé Siméon le Juste.
Pendant la première partie de sa vie il avait fait partie de la Grande Assemblée où siégeaient les derniers prophètes et avait parlé d'une seule voix avec eux, puis il s'était laissé séduire par les beautés de l'hellénisme, ce qui lui avait valu de mourir à la moitié de ses jours. Par des biais différents, Juifs et Chrétiens s'accordaient à faire de ce Siméon de légende le symbole d'un passé révolu.
Derrière la légende se cache l'histoire d'un grand prêtre de la période hellénistique, Siméon fils d'Onias. Sa famille, originaire d'Egypte, avait obtenu des rois grecs d'Alexandrie la charge héréditaire de grand prêtre du Temple de Jérusalem, une charge que Siméon occupa de 220 à 195 avant notre ère. Pour Jésus ben Sira, son contemporain, il avait été, avant tout, celui qui “avait fondé la double hauteur”, ce qui signifiait qu'il avait doublé le sens superficiel de la Bible hébraïque d'un sens allégorique caché sous les lettres même de l'Écriture. Aussi improbable que puisse nous paraître une telle thèse, elle méritait d'être vérifiée. Et effectivement, ce monument "à double hauteur" enfoui sous les alluvions de plus de vingt siècles d'histoire de l'interprétation du texte biblique est demeuré intact (voir aussi, du même, Les arpenteurs du temps).
(2) Peut-être une différence avec les Samaritains. Ainsi au témoignage de Théodoret de Cyr (393 env. - 458 env.), dans Question 15 sur Exode 7 : “Les Samaritains l'appellent IABE [i.e. "Yahvé" ? de la critique moderne ?] alors que les Juifs l'appellent AIA [i.e. nom partiel, comme dans "Alleluia"].”
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