« Dieu éternel et miséricordieux, Toi qui es un Dieu de paix, d’amour et d’unité, nous Te prions, Père, et nous Te supplions de rassembler par ton Esprit Saint tout ce qui s’est dispersé, de réunir et de reconstituer tout ce qui s’est divisé. Veuille aussi nous accorder de nous convertir à Ton unité, de rechercher Ton unique et éternelle Vérité, et de nous abstenir de toute dissension. Ainsi nous n’aurons plus qu’un seul cœur, une seule volonté, une seule science, un seul esprit, une seule raison, et tournés tout entiers vers Jésus-Christ notre Seigneur, nous pourrons, Père, Te louer d’une seule bouche et Te rendre grâces par notre Seigneur Jésus-Christ dans l’Esprit Saint. Amen ! » — Prière pour l’unité, attribuée à Luther, mais apparue pour la première fois dans un livre de piété de Nuremberg au XVIème siècle.
Un temps éclaté
J’ai commencé par cette prière attribuée à Luther, qui est d’une façon ou d’une autre indirectement sienne, pour dire qu’au XVIe siècle, les Églises protestantes, pas plus que Luther, n’ont l’intention de diviser, mais qu’au contraire leur intention est d’unir ce dont la division est alors connue par catholiques comme protestants (si cette distinction n’est pas alors anachronique) comme un fait avéré bien avant Luther, et dont la réparation n’est pas encore vraiment advenue.
On peut remonter à 1378, où jusqu’en 1418, la chrétienté d’Occident connaît deux papes simultanés. On croit aisément qu’à la suite du concile de Constance, tenu de 1414 à 1418, on est parvenu, après avoir transité par trois papes, à reconstituer l’unité. Sans compter qu’on a alors deux voies différentes de promouvoir l’unité, le Concile souverain ou le pape souverain, c’est oublier un peu vite que la division antécédente ne s’est pas résorbée spontanément parce qu’a été rétablie l’unicité pontificale romaine. La division de la chrétienté en nations devenue apparente quand chaque nation choisissait un des deux papes ne s’est pas effacée pour autant. En témoigne la guerre de cent ans, qui outre un conflit dynastique, est celui qui oppose les tenants antécédents d’un pape contre ceux d’un autre. Le pouvoir royal français avait choisi celui d’Avignon, l’Angleterre celui de Rome.
En arrière plan, 1308, année où Philippe IV le Bel, roi de France, déplaçait la papauté à Avignon, marquant de façon définitive la souveraineté gallicane capétienne, qui ensuite, de conflit en conflit ne fera que s’accentuer, avec ses spécificités théologiques. Le retour du pape à Rome n’y a rien changé. La France capétienne restera suspecte pour Rome en regard d’une Angleterre alors bien plus soumise. Au point qu’une Jeanne d’Arc, sans compter sa piété de la relation directe avec les voix divines, aurait fait en un autre temps… figure de protestante !
Une France qui marque sa souveraineté religieuse, tandis qu’est apparue une nouvelle puissance, bientôt La grande puissance, l’Espagne, qui veut elle aussi marquer sa souveraineté et qui l’obtient aussi, face à Rome ; mais, elle, avec l’aval de Rome qui autorise ainsi le pouvoir qui le lui demande à créer par exemple sa propre inquisition, en 1478, alors qu’auparavant c’est une institution qui ne dépend pas d’un pouvoir temporel.
Quelques années après, avec la découverte du Nouveau Monde, le pape partage entre Espagnols et Portugais les nouveaux territoires, par le Traité de Tordesillas, en 1494, excluant de fait la France trop peu fiable pour Rome. Il donne par là l’occasion, ensuite, à François Ier, qui renforce son autonomie vis-à-vis de Rome suite à sa victoire de Marignan, en 1515, de remarquer qu’il ignore la clause du Testament d’Adam qui l’exclut du partage du monde…
Bref, à l’entrée du XVIe siècle, les nations ouest-européennes sont pour plusieurs, autonomes vis-à-vis de Rome, qui doit son salut et son unité à un Concile. Les christianismes respectifs sont très divers, entre l’Espagne (très) catholique de la Reconquista, la France dont l’entourage royal promeut l’humanisme évangélique, et l’Angleterre dont bientôt le roi veut faire comme son homologue français et son premier beau-père espagnol : obtenir de la latitude vis-à-vis de Rome. Cela se fera à l’occasion de l’anecdotique affaire matrimoniale du catholique Henry VIII, ennemi théologique de la réforme luthérienne, grand soutien pour cela de Rome dont il obtient le titre de « Défenseur de la Foi ». La rupture anglicane d’avec Rome n’est d’abord rien d’autre qu’un phénomène dans le mouvement des nations. Ensuite, le fils et la deuxième fille d’Henry VIII seront protestants. La rupture d’avec Rome, elle, est catholique.
En amont lointain, un empereur unifiant la chrétienté, celui de Byzance, puis en 800 deux empereurs, dont un, Charlemagne, créé par un évêque de Rome, Léon III, devenant de facto pape unique et unifiant la chrétienté d’Occident, jusqu’à ce qu’un concile, celui de 1418 à Constance, réunifie la papauté, concile dès lors en concurrence unificatrice avec Rome.
Les deux, Concile de Constance et papauté, s’accordent pour condamner, en 1415, Jan Huss en qui est apparue une troisième option unificatrice concurrente : la Bible. Si c’était là, a-t-on commencé à se demander, plutôt qu’en un Concile ou en la papauté qu’était le fondement unifiant ? Une idée qui fait son chemin…
Mouvements de réforme
Tel est le contexte, préparé sous cet angle par des noms comme celui de Huss (v. 1370-1415), donc, et déjà avant lui Wycliff (v. 1331-1384) en Angleterre ; autant de noms, parmi d’autres dans cette ligne de la réforme par la Bible — dont tous ne romprons pas avec Rome…
Je cite, référant à quelques décennies plus tard, l’Introduction au Nouveau Testament de Lefèvre d'Étaples du pasteur luthérien Pierre Lovy : « Le mot de réforme, dans le sens où nous l'entendons aujourd'hui est apparu, semble-t-il, aux États généraux de Tours, en 1484 [Luther a un an]. On y a parlé précisément de la nécessité d'une réforme de l’Église. »
Et on entend en trouver le moyen dans la Bible :
« Lorsqu'on lit l’Évangile, poursuit Pierre Lovy, on y découvre un dynamisme permanent. Le royaume de Dieu est une graine semée en un champ. Que le paysan veille ou dorme, la graine germe, donne l'herbe, l'herbe le fruit. C'est une force mystérieuse, inexorable. On peut en dire autant de la parole de Dieu.
Lorsque cette parole est retrouvée dans les vieux textes hébraïques, grecs ou latins, traduite et commentée en langue vernaculaire, cette parole bouleverse peu à peu toutes les couches de la société et ses antiques habitudes. Cette parole ressemble au jeune garçon du temple, debout au milieu des vieux docteurs de la Loi.
Un beau jour de 1516, Didier Érasme de Rotterdam, le prince des humanistes, va publier le Nouveau Testament en grec et en latin […].
Lorsque, quelques années plus tard, le moine Luther, après sa comparution à la diète de Worms, est enfermé à la Wartburg, au printemps 1521, […] il traduit le Nouveau Testament, en langue allemande d'après l'édition d’Érasme […]. Nous sommes en 1522.
L'année suivante, en 1523 […] un autre humaniste du nom de Lefèvre, traduit le Nouveau Testament, en langue française, d'après le latin mais avec un œil sur le grec […].
Deux ans plus tard, l'Anglais William Tyndale, qui a fait le voyage à Wittenberg, traduit le Nouveau Testament en anglais. Nous sommes en 1525. » (Pierre Lovy, Introduction au Nouveau Testament de Lefèvre d'Étaples, Nice 1525, 2005, p. 11-12.) Etc.
Luther avait été enfermé à la Wartburg en protection (par le prince de Saxe) face au risque que lui valait, suite à sa comparution devant la diète de Worms, en avril 1521, alors qu’on lui demande de se rétracter pour le contenu de ses livres où il soutient la justification par la foi seule, d’avoir tenu face à l’empereur (et roi d’Espagne) Charles Quint les fameux propos : « … À moins qu'on ne me convainque de mon erreur par des attestations de l'Écriture ou par des raisons évidentes — car je ne crois ni au pape ni aux conciles seuls puisqu'il est évident qu'ils se sont souvent trompés et contredits — je suis lié par les textes de l'Écriture que j'ai cités, et ma conscience est captive de la Parole de Dieu : je ne peux ni ne veux me rétracter en rien, car il n'est ni sûr, ni honnête d'agir contre sa propre conscience. »
L’Écriture seule comme principe propre à rétablir l’unité, qui n’est pas unité de structure. « Je ne crois ni au pape ni aux conciles seuls puisqu'il est évident qu'ils se sont souvent trompés et contredits » Rappelons-nous : double papauté un siècle et demi avant, Concile de Constance un siècle avant.
Réputée fondatrice de la liberté de conscience, la réponse de Luther relève bien du principe sola Scriptura — l’Écriture seule. À commencer par la mise en question du commerce des indulgences, et à déboucher sur cette déclaration devant les Grands de l’Empire, il a posé la Parole divine qu’il reçoit dans les Écritures bibliques comme fondement libérateur de la conscience humaine, mais aussi comme principe unificateur.
Principe sola Scriptura, qui verra la parole ainsi semée porter des fruits imprévus par Luther. Libérer l’Écriture, comme il l’a fait, vaut libérer sa lecture. Avec Luther, voire malgré lui s’il le faut : ainsi l’attitude insoutenable du Luther vieux envers les juifs, est liée à ce que, opposant Loi et Évangile, il met au second plan de ce fait, malgré tout, la Bible hébraïque en soi : il en a enseigné des livres — les Psaumes ont été décisifs — ; mais sa lecture en est christocentrique : « Si je veux trouver Dieu, je vais le chercher dans l’humanité du Christ », dit-il. Mais, homme de son temps, Luther croit de là devoir délégitimer finalement toute autre lecture.
Or, laisser parler la Bible ouvre aussi sur le principe sur lequel insistera Calvin : « Scriptura sui ipsius interpres », « l’Écriture est sa propre interprète », ce qui permet à Calvin de constater au-delà du christocentrisme de Luther, la non-abrogation de l’Alliance du Sinaï : reposant sur la fidélité de Dieu, elle ne peut être abrogée. Plusieurs conceptions de la notion d’Alliance, donc.
… Mais aussi, plusieurs compréhensions de la présence du Christ à la Sainte Cène, du baptême, etc., ce qui fonde plusieurs Églises protestantes, à une époque où il y a plusieurs traditions catholiques, on l’a vu…
Temps éclaté et conséquences…
Lorsque l’ancienne rupture en nations divisées par référent religieux, remontant au bas mot à 1378, est scellée, en 1555, avec la paix d'Augsbourg qui pose le principe « cujus regio, ejus religio » — « tel roi, telle religion », une brèche a été ouverte vers les guerres civiles européennes par lesquelles la dynastie des Habsbourg tente de réunifier religieusement son Empire. Car le principe adopté lors de la paix d'Augsbourg n'empêche pas la guerre.
En France, la guerre civile fait suite à l'échec du Colloque de Poissy — conférence tenue du 9 au 26 septembre 1561, convoquée par Catherine de Médicis en vue de maintenir la paix religieuse en France. Constatant l’échec de la répression des protestants, la reine-mère Catherine de Médicis tentait par là d’effectuer un rapprochement, en réunissant quarante-six prélats catholiques, douze ministres du culte protestant et une quarantaine de théologiens. On a failli s'accorder sur la Confession luthérienne d'Augsbourg, qui serait devenue la confession de foi d'une Église gallicane unie ! Mais, on ne refait pas l'histoire : le Colloque échoue. Et, quelques mois après, le 1er mars 1562 est perpétré le massacre de Wassy, en plein culte, qui marque le début de la première guerre de religion en France.
Compte tenu du débouché européen et mondial de ces guerres civiles religieuses, il est imprudent — c’est jouer contre le christianisme — de glorifier de nos jours les martyrs d’un camp contre l’autre : il y en a des milliers dans chaque camp, pour rappeler, hélas, la responsabilité chrétienne des deux camps pour ce qui est advenu. À l’échelle européenne, c’est la Guerre de Trente ans, par laquelle l’empereur espère réunifier les territoires germaniques, mais qui débouche sur la disparition du tiers à la moitié de la population de l’Empire, guerre close par les traités de Wesphalie, le 24 octobre 1648, date qui marque aussi la fin de la chrétienté, échouée — remplacée par la civilisation actuelle [comme « empire du moindre mal » (Michéa), avec ses aspects indubitablement positifs, notamment en droits], notre civilisation libérale… (Cf. RP, Colloque Renovamini / Bénédictines, Poitiers, 26/10/17)
Notre civilisation libérale s’étend sur le monde, son triomphe est ce que Hegel, et d’autres après lui, dont un des plus récents est l’hégélien américain Francis Fukuyama, ont nommé la fin de l’Histoire — titre du livre de F. Fukuyama : La fin de l’Histoire et le dernier homme.
Ce triomphe, mondial — puisque, désormais libérale, la civilisation européenne est mondialisation depuis 1492 —, s’étend en plusieurs étapes, dont la nôtre est, selon le sociologue Jürgen Habermas (développant la notion suite à un dialogue de 2004 avec Joseph Ratzinger), la « post-sécularité ». Il développe la notion « principalement dans son ouvrage Entre Naturalisme et Religion. » (Wiki) Le terme « désigne les sociétés dont les États ont été séparés des institutions religieuses, et dans lesquelles les comportements religieux ont diminué de façon significative. Habermas fait commencer l'âge post-séculier après les deux Guerres mondiales. Les pays riches d'Europe, le Canada, l'Australie et la Nouvelle Zélande sont des sociétés post-séculières, selon le sociologue allemand. » (Ibid.)
Nietzsche a diagnostiqué ce processus comme avènement du dernier homme. Je vais en dire un mot à partir de quelques citations. On connaît de Nietzsche surtout le Surhomme / littéralement le Surhumain, un homme nouveau et rayonnant qui succéderait à l’effondrement civilisationnel qu’il nomme : le nihilisme — et auquel un christianisme réfugié dans un ciel idéal niant la terre contribuerait largement.
Ma conviction est qu’au fond Nietzsche ne croit pas à la réelle possibilité de ce Surhumain qu’il tente de dessiner comme salut à venir, mais qu’il s’agit là chez lui du dernier rêve — tragique — du dernier homme. Mais pressent-il à quel point son rêve sera fourvoyé en biologisme, délirant, un Surhomme racial, et en antisémitisme ? — que lui-même dénonce…
Nietzsche est pris entre deux femmes — Élisabeth, sa sœur, antisémite, qui en a longtemps été la clé de lecture et Lou Andreas-Salomé, la bien-aimée platonique, qui a perçu le tragique religieux de Nietzsche, mais a trop longtemps été ignorée.
Élisabeth, hélas première clé de lecture. André Suarès, le poète juif provençal, cependant, nous demande d’aller au-delà de la seule Élisabeth, dans un texte douloureux, peut-être injuste, sans doute, sur Nietzsche comparé par lui à un Baudelaire loué. Il y écrit :
« Je ne puis pardonner à Nietzsche.
Il semble clair et il est plein de nuit. […] Ses éclairs brouillent l’esprit au lieu d’y faire la lumière : il confond tout. Jamais forme ne fut plus contraire au fond. Son Antéchrist est bien celui de l’Apocalypse : Nietzsche a ressuscité le Barbare, et il l’appelle Apollon. La Bête selon le voyant de Pathmos est la Culture selon Nietzsche. Il est affreux de donner à ce qu’il y a de plus brutal et de plus noir dans l’homme le nom et les apparences de ce qui est le plus solaire et le plus humain. Nietzsche est dans le sac de chaque soldat d’Hitler, qui part, ivre de rage, pour le meurtre, la rapine et l’invasion. Qu’on ne dise pas que le hasard est seul coupable, que Nietzsche n’a pas été compris, qu’il est le héros de la pensée trahi par la sottise de ses fidèles. Non : en dépit de ses meilleures intentions, tout ce qu’on en a tiré de pis est bien dans Nietzsche, et même y est plus essentiel que le reste. D’ailleurs, sa vie et sa fin sont les plus cruels témoins contre lui. Il ne faut pas qu’une maladie, qui frappe toujours aux yeux et à la tête [en fait, on ne sait pas vraiment la nature de la maladie de Nietzsche], domine de bout en bout l’œuvre d’un homme et que la folie la couronne. L’esprit, qui prétend avoir enveloppé le monde et le temps à venir d’un vaste et profond regard, ne doit pas être aveugle ; et il n’est pas permis d’être fou à celui qui porte une loi nouvelle et une neuve raison à tous les hommes.
Je ne puis pardonner à Nietzsche.
Dieu, qui pardonne tout, l’a puni en le condamnant à lui-même. Nabuchodonosor, cette fois, n’a pas été redressé sur ses deux pattes de derrière, fut-ce par la foudre. Il est resté sur les quatre, comme il a prétendu le vouloir ; et même il n’a pas cessé de se les sucer et il est mort en les léchant, tel Catoblépas docteur. Il ne fallait pas tant invoquer l’instinct. Nietzsche n’a pas voulu, certes, ni choisi sa misère ; mais il y a beaucoup aidé. Tant d’orgueil a eu sa récompense. Il valait bien la peine, en vérité, de se prendre pour le nouveau créateur du ciel et de la terre. » André Suarès, Valeurs, 1936.
Quant à Lou Andreas-Salomé, elle écrit à Freud en 1931 ce qu’elle sait ; et elle comprend, me semble-t-il : « Voici la vérité que Nietzsche met à nu : l'homme d'hier ou d'aujourd'hui […], ne fait que commencer, lentement, à se rendre compte de l'acte qu'il a commis en "tuant Dieu" […]. » Lou Andreas-Salomé, Lettre ouverte à Freud, Points-Essais, p. 93.
Car ce n’est pas Nietzsche qui a « tué Dieu » ! Relisons son texte sur la « mort de Dieu » : « N’avez-vous pas entendu parler de cet homme fou qui, en plein jour, allumait une lanterne et se mettait à courir sur la place publique en criant sans cesse : “Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu !” — Comme il se trouvait là beaucoup de ceux qui ne croient pas en Dieu son cri provoqua une grande hilarité. A-t-il donc été perdu ? disait l’un. S’est-il égaré comme un enfant ? demandait l’autre. Ou bien s’est-il caché ? A-t-il peur de nous ? S’est-il embarqué ? A-t-il émigré ? — ainsi criaient et riaient-ils pêle-mêle. Le fou sauta au milieu d’eux et les transperça de son regard. “Où est allé Dieu ? s’écria-t-il, je veux vous le dire ! Nous l’avons tué, — vous et moi ! Nous tous, nous sommes ses assassins ! Mais comment avons-nous fait cela ? Comment avons-nous pu vider la mer ? Qui nous a donné l’éponge pour effacer l’horizon ? Qu’avons-nous fait lorsque nous avons détaché cette terre de la chaîne de son soleil ? Où la conduisent maintenant ses mouvements ? Où la conduisent nos mouvements ? Loin de tous les soleils ? Ne tombons-nous pas sans cesse ? En avant, en arrière, de côté, de tous les côtés ? Y a-t-il encore un en-haut et un en-bas ? N’errons-nous pas comme à travers un néant infini ? Le vide ne nous poursuit-il pas de son haleine ? Ne fait-il pas plus froid ? Ne voyez-vous pas sans cesse venir la nuit, plus de nuit ? Ne faut-il pas allumer les lanternes avant midi ? […]”
« — Ici l’insensé se tut et regarda de nouveau ses auditeurs : eux aussi se turent et le dévisagèrent avec étonnement. Enfin il jeta à terre sa lanterne, en sorte qu’elle se brisa en morceaux et s’éteignit. “Je viens trop tôt, dit-il alors, mon temps n’est pas encore accompli. Cet événement énorme est encore en route, il marche — et n’est pas encore parvenu jusqu’à l’oreille des hommes. Il faut du temps à l’éclair et au tonnerre, il faut du temps à la lumière des astres, il faut du temps aux actions, même lorsqu’elles sont accomplies, pour être vues et entendues. Cet acte-là est encore plus loin d’eux que l’astre le plus éloigné, — et pourtant c’est eux qui l’ont accompli !” — On raconte encore que ce fou aurait pénétré le même jour dans différentes églises et y aurait entonné son Requiem æternam deo. Expulsé et interrogé il n’aurait cessé de répondre la même chose : “A quoi servent donc ces églises, si elles ne sont pas les tombes et les monuments de Dieu ?” » Friedrich Nietzsche, “L’insensé”, Le gai savoir III, § 125.
Cet acte tragique constaté, dénoncé, ici, dans Le Gai savoir en 1882 par cet Insensé, est évoqué à nouveau, dans le livre suivant de Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, de 1883, un an après, annonçant, comme en remède, l’espérance d’un recours, l’avènement du Surhumain. Mais Nietzsche ne voit que le dernier homme pour entendre, ou ne pas entendre, le message de Zarathoustra, ou son rêve. Je cite :
« Voici, je suis un visionnaire de la foudre, une lourde goutte qui tombe de la nuée : mais cette foudre s’appelle le Surhumain. » […]
« Quand Zarathoustra eut dit ces mots, il considéra de nouveau le peuple et se tut. “Ils se tiennent là, dit-il à son cœur, les voilà qui rient ; ils ne me comprennent point, je ne suis pas la bouche qu’il faut à ces oreilles.
Faut-il d’abord leur briser les oreilles, afin qu’ils apprennent à entendre avec les yeux ? Faut-il faire du tapage comme des cymbales et des prédicateurs de carême ? Ou n’ont-ils foi qu’en les bègues ?
Ils ont quelque chose dont ils sont fiers. Comment nomment-ils donc ce dont ils sont fiers ? Ils l’appellent civilisation, c’est ce qui les distingue des chevriers.
C’est pourquoi ils n’aiment pas à entendre pour eux le mot de ‘mépris’. Je parlerai donc à leur fierté.
Je leur parlerai donc de ce qu’il y a de plus méprisable : c’est le dernier homme.”
Et ainsi Zarathoustra parlait au peuple :
“Il est temps que l’homme se détermine son but. Il est temps que l’homme plante le germe de sa plus haute espérance.
Son sol est encore assez riche pour cela. Mais ce sol un jour sera pauvre et vide et aucun grand arbre ne pourra plus y croître.
Malheur ! Le temps est proche où l’homme ne jettera plus par-dessus les hommes la flèche de son désir, où les cordes de son arc auront désappris de vibrer !
Je vous le dis : il faut encore porter en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. Je vous le dis : vous portez en vous un chaos.
Malheur ! Le temps est proche où l’homme ne mettra plus d’étoile au monde. Malheur ! Les temps sont proches du plus méprisable des hommes, qui ne peut plus se mépriser lui-même.
Voici ! Je vous montre le dernier homme.
‘Amour ? Création ? Désir ? Étoile ? Qu’est cela ?’ — Ainsi demande le dernier homme et il cligne de l’œil.
La terre sera alors devenue plus petite, et sur elle sautillera le dernier homme, qui rapetisse tout. Sa race est indestructible comme celle du puceron ; le dernier homme vit le plus longtemps.
‘Nous avons inventé le bonheur’ — disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil.
Ils ont abandonné les contrées où il était dur de vivre : car on a besoin de chaleur. On aime encore son voisin et l’on se frotte à lui : car on a besoin de chaleur.
Tomber malade et être méfiant passe chez eux pour un péché : on s’avance prudemment. Bien fou qui trébuche encore sur les pierres et sur les hommes !
Un peu de poison de-ci de-là, pour se procurer des rêves agréables. Et beaucoup de poison enfin, pour mourir agréablement.
On travaille encore, car le travail est une distraction. Mais l’on veille à ce que la distraction ne débilite point.
On ne devient plus ni pauvre ni riche : ce sont deux choses trop pénibles. Qui voudrait encore gouverner ? Qui voudrait obéir encore ? Ce sont deux choses trop pénibles.
Point de berger et un seul troupeau ! Chacun veut la même chose, tous sont égaux : qui a d’autres sentiments va de son plein gré dans la maison des fous.
‘Autrefois tout le monde était fou’ — disent ceux qui sont les plus fins, et ils clignent de l’œil.
On est prudent et l’on sait tout ce qui est arrivé : c’est ainsi que l’on peut railler sans fin. On se dispute encore, mais on se réconcilie bientôt — car on ne veut pas se gâter l’estomac.
On a son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit : mais on respecte la santé.
‘Nous avons inventé le bonheur,’ — disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil.” —
Ici finit le premier discours de Zarathoustra, celui que l’on appelle aussi le prologue : car en cet endroit il fut interrompu par les cris et la joie de la foule. “Donne-nous ce dernier homme, ô Zarathoustra, — s’écriaient-ils — rends-nous semblables à ces derniers hommes ! Nous te tiendrons quitte du Surhumain !” Et tout le peuple jubilait et claquait de la langue. Zarathoustra cependant devint triste et dit à son cœur !
“Ils ne me comprennent pas : je ne suis pas la bouche qu’il faut à ces oreilles.
Trop longtemps sans doute j’ai vécu dans les montagnes, j’ai trop écouté les ruisseaux et les arbres : je leur parle maintenant comme à des chevriers.
Placide est mon âme et lumineuse comme la montagne au matin. Mais ils me tiennent pour un cœur froid et pour un bouffon aux railleries sinistres.
Et les voilà qui me regardent et qui rient : et tandis qu’ils rient ils me haïssent encore. Il y a de la glace dans leur rire.” » Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Prologue § 5.
Comment ne pas voir là notre temps ?! Notre temps éclaté ! Où trouver encore de l’humain vivant, où trouver l’unité ? Écoutons encore Nietzsche, parlant du christianisme, et surtout, en contraste, du Christ :
« Le succès historique du christianisme, sa puissance, son endurance, sa durée historique, tout cela ne démontre heureusement rien, pour ce qui en est de la grandeur de son fondateur et serait, en somme, plutôt fait pour être invoqué contre lui. Entre lui et ce succès historique, se trouve une couche obscure et très terrestre de puissance, d’erreur, de soif de passions et d’honneurs, se trouvent les forces de l’empire romain qui continuent leur action, une couche qui a procuré au christianisme son goût de la terre, son reste terrestre. Ces forces qui rendirent possible la continuité du christianisme sur cette terre et lui donnèrent en quelque sorte sa stabilité. La grandeur ne doit pas dépendre du succès […]. » Friedrich Nietzsche, Considérations inactuelles, II § 9
Or nous cherchons l’unité, et si nous prenons au sérieux la vocation œcuménique — selon le vocable oikouméné, la terre habitée —, ce n’est pas seulement l’unité de l’Église comme finalité en soi, ou pour soi, mais l’unification promise comme règne de Dieu, dont l’Église a à témoigner dans ce monde, dans ce temps décidément éclaté. À cela, notre échec historique n’est autre que notre succès historique, temporel — cette couche terrestre de puissance, de passions et d’honneurs, bref de succès.
Alors, dans une autre lecture des signes temps, une question advient : si notre échec présent était un signe de la grâce ? — quand l’unité n’est perceptible que dans la présence de celui qui s’est dépouillé lui-même de toute gloire, de tout succès. L’unité serait alors à trouver dans une radicale humilité, celle qui, manquant, a signé notre échec historique, i.e. notre succès…
Philippiens 2, 3-11 :
3 Ne faites rien par esprit de parti ou par vaine gloire, mais que l’humilité vous fasse regarder les autres comme étant au-dessus de vous-mêmes.
4 Que chacun de vous, au lieu de considérer ses propres intérêts, considère aussi ceux des autres.
5 Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus-Christ,
6 lequel, existant en forme de Dieu, n’a point regardé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu,
7 mais s’est dépouillé lui-même, en prenant une forme de serviteur, en devenant semblable aux hommes ;
8 ayant paru comme un simple homme, il s’est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, jusqu’à la mort de la croix.
9 C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom,
10 afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre,
11 et que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père.
Un temps éclaté
J’ai commencé par cette prière attribuée à Luther, qui est d’une façon ou d’une autre indirectement sienne, pour dire qu’au XVIe siècle, les Églises protestantes, pas plus que Luther, n’ont l’intention de diviser, mais qu’au contraire leur intention est d’unir ce dont la division est alors connue par catholiques comme protestants (si cette distinction n’est pas alors anachronique) comme un fait avéré bien avant Luther, et dont la réparation n’est pas encore vraiment advenue.
On peut remonter à 1378, où jusqu’en 1418, la chrétienté d’Occident connaît deux papes simultanés. On croit aisément qu’à la suite du concile de Constance, tenu de 1414 à 1418, on est parvenu, après avoir transité par trois papes, à reconstituer l’unité. Sans compter qu’on a alors deux voies différentes de promouvoir l’unité, le Concile souverain ou le pape souverain, c’est oublier un peu vite que la division antécédente ne s’est pas résorbée spontanément parce qu’a été rétablie l’unicité pontificale romaine. La division de la chrétienté en nations devenue apparente quand chaque nation choisissait un des deux papes ne s’est pas effacée pour autant. En témoigne la guerre de cent ans, qui outre un conflit dynastique, est celui qui oppose les tenants antécédents d’un pape contre ceux d’un autre. Le pouvoir royal français avait choisi celui d’Avignon, l’Angleterre celui de Rome.
En arrière plan, 1308, année où Philippe IV le Bel, roi de France, déplaçait la papauté à Avignon, marquant de façon définitive la souveraineté gallicane capétienne, qui ensuite, de conflit en conflit ne fera que s’accentuer, avec ses spécificités théologiques. Le retour du pape à Rome n’y a rien changé. La France capétienne restera suspecte pour Rome en regard d’une Angleterre alors bien plus soumise. Au point qu’une Jeanne d’Arc, sans compter sa piété de la relation directe avec les voix divines, aurait fait en un autre temps… figure de protestante !
Une France qui marque sa souveraineté religieuse, tandis qu’est apparue une nouvelle puissance, bientôt La grande puissance, l’Espagne, qui veut elle aussi marquer sa souveraineté et qui l’obtient aussi, face à Rome ; mais, elle, avec l’aval de Rome qui autorise ainsi le pouvoir qui le lui demande à créer par exemple sa propre inquisition, en 1478, alors qu’auparavant c’est une institution qui ne dépend pas d’un pouvoir temporel.
Quelques années après, avec la découverte du Nouveau Monde, le pape partage entre Espagnols et Portugais les nouveaux territoires, par le Traité de Tordesillas, en 1494, excluant de fait la France trop peu fiable pour Rome. Il donne par là l’occasion, ensuite, à François Ier, qui renforce son autonomie vis-à-vis de Rome suite à sa victoire de Marignan, en 1515, de remarquer qu’il ignore la clause du Testament d’Adam qui l’exclut du partage du monde…
Bref, à l’entrée du XVIe siècle, les nations ouest-européennes sont pour plusieurs, autonomes vis-à-vis de Rome, qui doit son salut et son unité à un Concile. Les christianismes respectifs sont très divers, entre l’Espagne (très) catholique de la Reconquista, la France dont l’entourage royal promeut l’humanisme évangélique, et l’Angleterre dont bientôt le roi veut faire comme son homologue français et son premier beau-père espagnol : obtenir de la latitude vis-à-vis de Rome. Cela se fera à l’occasion de l’anecdotique affaire matrimoniale du catholique Henry VIII, ennemi théologique de la réforme luthérienne, grand soutien pour cela de Rome dont il obtient le titre de « Défenseur de la Foi ». La rupture anglicane d’avec Rome n’est d’abord rien d’autre qu’un phénomène dans le mouvement des nations. Ensuite, le fils et la deuxième fille d’Henry VIII seront protestants. La rupture d’avec Rome, elle, est catholique.
En amont lointain, un empereur unifiant la chrétienté, celui de Byzance, puis en 800 deux empereurs, dont un, Charlemagne, créé par un évêque de Rome, Léon III, devenant de facto pape unique et unifiant la chrétienté d’Occident, jusqu’à ce qu’un concile, celui de 1418 à Constance, réunifie la papauté, concile dès lors en concurrence unificatrice avec Rome.
Les deux, Concile de Constance et papauté, s’accordent pour condamner, en 1415, Jan Huss en qui est apparue une troisième option unificatrice concurrente : la Bible. Si c’était là, a-t-on commencé à se demander, plutôt qu’en un Concile ou en la papauté qu’était le fondement unifiant ? Une idée qui fait son chemin…
Mouvements de réforme
Tel est le contexte, préparé sous cet angle par des noms comme celui de Huss (v. 1370-1415), donc, et déjà avant lui Wycliff (v. 1331-1384) en Angleterre ; autant de noms, parmi d’autres dans cette ligne de la réforme par la Bible — dont tous ne romprons pas avec Rome…
Je cite, référant à quelques décennies plus tard, l’Introduction au Nouveau Testament de Lefèvre d'Étaples du pasteur luthérien Pierre Lovy : « Le mot de réforme, dans le sens où nous l'entendons aujourd'hui est apparu, semble-t-il, aux États généraux de Tours, en 1484 [Luther a un an]. On y a parlé précisément de la nécessité d'une réforme de l’Église. »
Et on entend en trouver le moyen dans la Bible :
« Lorsqu'on lit l’Évangile, poursuit Pierre Lovy, on y découvre un dynamisme permanent. Le royaume de Dieu est une graine semée en un champ. Que le paysan veille ou dorme, la graine germe, donne l'herbe, l'herbe le fruit. C'est une force mystérieuse, inexorable. On peut en dire autant de la parole de Dieu.
Lorsque cette parole est retrouvée dans les vieux textes hébraïques, grecs ou latins, traduite et commentée en langue vernaculaire, cette parole bouleverse peu à peu toutes les couches de la société et ses antiques habitudes. Cette parole ressemble au jeune garçon du temple, debout au milieu des vieux docteurs de la Loi.
Un beau jour de 1516, Didier Érasme de Rotterdam, le prince des humanistes, va publier le Nouveau Testament en grec et en latin […].
Lorsque, quelques années plus tard, le moine Luther, après sa comparution à la diète de Worms, est enfermé à la Wartburg, au printemps 1521, […] il traduit le Nouveau Testament, en langue allemande d'après l'édition d’Érasme […]. Nous sommes en 1522.
L'année suivante, en 1523 […] un autre humaniste du nom de Lefèvre, traduit le Nouveau Testament, en langue française, d'après le latin mais avec un œil sur le grec […].
Deux ans plus tard, l'Anglais William Tyndale, qui a fait le voyage à Wittenberg, traduit le Nouveau Testament en anglais. Nous sommes en 1525. » (Pierre Lovy, Introduction au Nouveau Testament de Lefèvre d'Étaples, Nice 1525, 2005, p. 11-12.) Etc.
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Luther avait été enfermé à la Wartburg en protection (par le prince de Saxe) face au risque que lui valait, suite à sa comparution devant la diète de Worms, en avril 1521, alors qu’on lui demande de se rétracter pour le contenu de ses livres où il soutient la justification par la foi seule, d’avoir tenu face à l’empereur (et roi d’Espagne) Charles Quint les fameux propos : « … À moins qu'on ne me convainque de mon erreur par des attestations de l'Écriture ou par des raisons évidentes — car je ne crois ni au pape ni aux conciles seuls puisqu'il est évident qu'ils se sont souvent trompés et contredits — je suis lié par les textes de l'Écriture que j'ai cités, et ma conscience est captive de la Parole de Dieu : je ne peux ni ne veux me rétracter en rien, car il n'est ni sûr, ni honnête d'agir contre sa propre conscience. »
L’Écriture seule comme principe propre à rétablir l’unité, qui n’est pas unité de structure. « Je ne crois ni au pape ni aux conciles seuls puisqu'il est évident qu'ils se sont souvent trompés et contredits » Rappelons-nous : double papauté un siècle et demi avant, Concile de Constance un siècle avant.
Réputée fondatrice de la liberté de conscience, la réponse de Luther relève bien du principe sola Scriptura — l’Écriture seule. À commencer par la mise en question du commerce des indulgences, et à déboucher sur cette déclaration devant les Grands de l’Empire, il a posé la Parole divine qu’il reçoit dans les Écritures bibliques comme fondement libérateur de la conscience humaine, mais aussi comme principe unificateur.
Principe sola Scriptura, qui verra la parole ainsi semée porter des fruits imprévus par Luther. Libérer l’Écriture, comme il l’a fait, vaut libérer sa lecture. Avec Luther, voire malgré lui s’il le faut : ainsi l’attitude insoutenable du Luther vieux envers les juifs, est liée à ce que, opposant Loi et Évangile, il met au second plan de ce fait, malgré tout, la Bible hébraïque en soi : il en a enseigné des livres — les Psaumes ont été décisifs — ; mais sa lecture en est christocentrique : « Si je veux trouver Dieu, je vais le chercher dans l’humanité du Christ », dit-il. Mais, homme de son temps, Luther croit de là devoir délégitimer finalement toute autre lecture.
Or, laisser parler la Bible ouvre aussi sur le principe sur lequel insistera Calvin : « Scriptura sui ipsius interpres », « l’Écriture est sa propre interprète », ce qui permet à Calvin de constater au-delà du christocentrisme de Luther, la non-abrogation de l’Alliance du Sinaï : reposant sur la fidélité de Dieu, elle ne peut être abrogée. Plusieurs conceptions de la notion d’Alliance, donc.
… Mais aussi, plusieurs compréhensions de la présence du Christ à la Sainte Cène, du baptême, etc., ce qui fonde plusieurs Églises protestantes, à une époque où il y a plusieurs traditions catholiques, on l’a vu…
Temps éclaté et conséquences…
Lorsque l’ancienne rupture en nations divisées par référent religieux, remontant au bas mot à 1378, est scellée, en 1555, avec la paix d'Augsbourg qui pose le principe « cujus regio, ejus religio » — « tel roi, telle religion », une brèche a été ouverte vers les guerres civiles européennes par lesquelles la dynastie des Habsbourg tente de réunifier religieusement son Empire. Car le principe adopté lors de la paix d'Augsbourg n'empêche pas la guerre.
En France, la guerre civile fait suite à l'échec du Colloque de Poissy — conférence tenue du 9 au 26 septembre 1561, convoquée par Catherine de Médicis en vue de maintenir la paix religieuse en France. Constatant l’échec de la répression des protestants, la reine-mère Catherine de Médicis tentait par là d’effectuer un rapprochement, en réunissant quarante-six prélats catholiques, douze ministres du culte protestant et une quarantaine de théologiens. On a failli s'accorder sur la Confession luthérienne d'Augsbourg, qui serait devenue la confession de foi d'une Église gallicane unie ! Mais, on ne refait pas l'histoire : le Colloque échoue. Et, quelques mois après, le 1er mars 1562 est perpétré le massacre de Wassy, en plein culte, qui marque le début de la première guerre de religion en France.
Compte tenu du débouché européen et mondial de ces guerres civiles religieuses, il est imprudent — c’est jouer contre le christianisme — de glorifier de nos jours les martyrs d’un camp contre l’autre : il y en a des milliers dans chaque camp, pour rappeler, hélas, la responsabilité chrétienne des deux camps pour ce qui est advenu. À l’échelle européenne, c’est la Guerre de Trente ans, par laquelle l’empereur espère réunifier les territoires germaniques, mais qui débouche sur la disparition du tiers à la moitié de la population de l’Empire, guerre close par les traités de Wesphalie, le 24 octobre 1648, date qui marque aussi la fin de la chrétienté, échouée — remplacée par la civilisation actuelle [comme « empire du moindre mal » (Michéa), avec ses aspects indubitablement positifs, notamment en droits], notre civilisation libérale… (Cf. RP, Colloque Renovamini / Bénédictines, Poitiers, 26/10/17)
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Notre civilisation libérale s’étend sur le monde, son triomphe est ce que Hegel, et d’autres après lui, dont un des plus récents est l’hégélien américain Francis Fukuyama, ont nommé la fin de l’Histoire — titre du livre de F. Fukuyama : La fin de l’Histoire et le dernier homme.
Ce triomphe, mondial — puisque, désormais libérale, la civilisation européenne est mondialisation depuis 1492 —, s’étend en plusieurs étapes, dont la nôtre est, selon le sociologue Jürgen Habermas (développant la notion suite à un dialogue de 2004 avec Joseph Ratzinger), la « post-sécularité ». Il développe la notion « principalement dans son ouvrage Entre Naturalisme et Religion. » (Wiki) Le terme « désigne les sociétés dont les États ont été séparés des institutions religieuses, et dans lesquelles les comportements religieux ont diminué de façon significative. Habermas fait commencer l'âge post-séculier après les deux Guerres mondiales. Les pays riches d'Europe, le Canada, l'Australie et la Nouvelle Zélande sont des sociétés post-séculières, selon le sociologue allemand. » (Ibid.)
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Nietzsche a diagnostiqué ce processus comme avènement du dernier homme. Je vais en dire un mot à partir de quelques citations. On connaît de Nietzsche surtout le Surhomme / littéralement le Surhumain, un homme nouveau et rayonnant qui succéderait à l’effondrement civilisationnel qu’il nomme : le nihilisme — et auquel un christianisme réfugié dans un ciel idéal niant la terre contribuerait largement.
Ma conviction est qu’au fond Nietzsche ne croit pas à la réelle possibilité de ce Surhumain qu’il tente de dessiner comme salut à venir, mais qu’il s’agit là chez lui du dernier rêve — tragique — du dernier homme. Mais pressent-il à quel point son rêve sera fourvoyé en biologisme, délirant, un Surhomme racial, et en antisémitisme ? — que lui-même dénonce…
Nietzsche est pris entre deux femmes — Élisabeth, sa sœur, antisémite, qui en a longtemps été la clé de lecture et Lou Andreas-Salomé, la bien-aimée platonique, qui a perçu le tragique religieux de Nietzsche, mais a trop longtemps été ignorée.
Élisabeth, hélas première clé de lecture. André Suarès, le poète juif provençal, cependant, nous demande d’aller au-delà de la seule Élisabeth, dans un texte douloureux, peut-être injuste, sans doute, sur Nietzsche comparé par lui à un Baudelaire loué. Il y écrit :
« Je ne puis pardonner à Nietzsche.
Il semble clair et il est plein de nuit. […] Ses éclairs brouillent l’esprit au lieu d’y faire la lumière : il confond tout. Jamais forme ne fut plus contraire au fond. Son Antéchrist est bien celui de l’Apocalypse : Nietzsche a ressuscité le Barbare, et il l’appelle Apollon. La Bête selon le voyant de Pathmos est la Culture selon Nietzsche. Il est affreux de donner à ce qu’il y a de plus brutal et de plus noir dans l’homme le nom et les apparences de ce qui est le plus solaire et le plus humain. Nietzsche est dans le sac de chaque soldat d’Hitler, qui part, ivre de rage, pour le meurtre, la rapine et l’invasion. Qu’on ne dise pas que le hasard est seul coupable, que Nietzsche n’a pas été compris, qu’il est le héros de la pensée trahi par la sottise de ses fidèles. Non : en dépit de ses meilleures intentions, tout ce qu’on en a tiré de pis est bien dans Nietzsche, et même y est plus essentiel que le reste. D’ailleurs, sa vie et sa fin sont les plus cruels témoins contre lui. Il ne faut pas qu’une maladie, qui frappe toujours aux yeux et à la tête [en fait, on ne sait pas vraiment la nature de la maladie de Nietzsche], domine de bout en bout l’œuvre d’un homme et que la folie la couronne. L’esprit, qui prétend avoir enveloppé le monde et le temps à venir d’un vaste et profond regard, ne doit pas être aveugle ; et il n’est pas permis d’être fou à celui qui porte une loi nouvelle et une neuve raison à tous les hommes.
Je ne puis pardonner à Nietzsche.
Dieu, qui pardonne tout, l’a puni en le condamnant à lui-même. Nabuchodonosor, cette fois, n’a pas été redressé sur ses deux pattes de derrière, fut-ce par la foudre. Il est resté sur les quatre, comme il a prétendu le vouloir ; et même il n’a pas cessé de se les sucer et il est mort en les léchant, tel Catoblépas docteur. Il ne fallait pas tant invoquer l’instinct. Nietzsche n’a pas voulu, certes, ni choisi sa misère ; mais il y a beaucoup aidé. Tant d’orgueil a eu sa récompense. Il valait bien la peine, en vérité, de se prendre pour le nouveau créateur du ciel et de la terre. » André Suarès, Valeurs, 1936.
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Quant à Lou Andreas-Salomé, elle écrit à Freud en 1931 ce qu’elle sait ; et elle comprend, me semble-t-il : « Voici la vérité que Nietzsche met à nu : l'homme d'hier ou d'aujourd'hui […], ne fait que commencer, lentement, à se rendre compte de l'acte qu'il a commis en "tuant Dieu" […]. » Lou Andreas-Salomé, Lettre ouverte à Freud, Points-Essais, p. 93.
Car ce n’est pas Nietzsche qui a « tué Dieu » ! Relisons son texte sur la « mort de Dieu » : « N’avez-vous pas entendu parler de cet homme fou qui, en plein jour, allumait une lanterne et se mettait à courir sur la place publique en criant sans cesse : “Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu !” — Comme il se trouvait là beaucoup de ceux qui ne croient pas en Dieu son cri provoqua une grande hilarité. A-t-il donc été perdu ? disait l’un. S’est-il égaré comme un enfant ? demandait l’autre. Ou bien s’est-il caché ? A-t-il peur de nous ? S’est-il embarqué ? A-t-il émigré ? — ainsi criaient et riaient-ils pêle-mêle. Le fou sauta au milieu d’eux et les transperça de son regard. “Où est allé Dieu ? s’écria-t-il, je veux vous le dire ! Nous l’avons tué, — vous et moi ! Nous tous, nous sommes ses assassins ! Mais comment avons-nous fait cela ? Comment avons-nous pu vider la mer ? Qui nous a donné l’éponge pour effacer l’horizon ? Qu’avons-nous fait lorsque nous avons détaché cette terre de la chaîne de son soleil ? Où la conduisent maintenant ses mouvements ? Où la conduisent nos mouvements ? Loin de tous les soleils ? Ne tombons-nous pas sans cesse ? En avant, en arrière, de côté, de tous les côtés ? Y a-t-il encore un en-haut et un en-bas ? N’errons-nous pas comme à travers un néant infini ? Le vide ne nous poursuit-il pas de son haleine ? Ne fait-il pas plus froid ? Ne voyez-vous pas sans cesse venir la nuit, plus de nuit ? Ne faut-il pas allumer les lanternes avant midi ? […]”
« — Ici l’insensé se tut et regarda de nouveau ses auditeurs : eux aussi se turent et le dévisagèrent avec étonnement. Enfin il jeta à terre sa lanterne, en sorte qu’elle se brisa en morceaux et s’éteignit. “Je viens trop tôt, dit-il alors, mon temps n’est pas encore accompli. Cet événement énorme est encore en route, il marche — et n’est pas encore parvenu jusqu’à l’oreille des hommes. Il faut du temps à l’éclair et au tonnerre, il faut du temps à la lumière des astres, il faut du temps aux actions, même lorsqu’elles sont accomplies, pour être vues et entendues. Cet acte-là est encore plus loin d’eux que l’astre le plus éloigné, — et pourtant c’est eux qui l’ont accompli !” — On raconte encore que ce fou aurait pénétré le même jour dans différentes églises et y aurait entonné son Requiem æternam deo. Expulsé et interrogé il n’aurait cessé de répondre la même chose : “A quoi servent donc ces églises, si elles ne sont pas les tombes et les monuments de Dieu ?” » Friedrich Nietzsche, “L’insensé”, Le gai savoir III, § 125.
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Cet acte tragique constaté, dénoncé, ici, dans Le Gai savoir en 1882 par cet Insensé, est évoqué à nouveau, dans le livre suivant de Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, de 1883, un an après, annonçant, comme en remède, l’espérance d’un recours, l’avènement du Surhumain. Mais Nietzsche ne voit que le dernier homme pour entendre, ou ne pas entendre, le message de Zarathoustra, ou son rêve. Je cite :
« Voici, je suis un visionnaire de la foudre, une lourde goutte qui tombe de la nuée : mais cette foudre s’appelle le Surhumain. » […]
« Quand Zarathoustra eut dit ces mots, il considéra de nouveau le peuple et se tut. “Ils se tiennent là, dit-il à son cœur, les voilà qui rient ; ils ne me comprennent point, je ne suis pas la bouche qu’il faut à ces oreilles.
Faut-il d’abord leur briser les oreilles, afin qu’ils apprennent à entendre avec les yeux ? Faut-il faire du tapage comme des cymbales et des prédicateurs de carême ? Ou n’ont-ils foi qu’en les bègues ?
Ils ont quelque chose dont ils sont fiers. Comment nomment-ils donc ce dont ils sont fiers ? Ils l’appellent civilisation, c’est ce qui les distingue des chevriers.
C’est pourquoi ils n’aiment pas à entendre pour eux le mot de ‘mépris’. Je parlerai donc à leur fierté.
Je leur parlerai donc de ce qu’il y a de plus méprisable : c’est le dernier homme.”
Et ainsi Zarathoustra parlait au peuple :
“Il est temps que l’homme se détermine son but. Il est temps que l’homme plante le germe de sa plus haute espérance.
Son sol est encore assez riche pour cela. Mais ce sol un jour sera pauvre et vide et aucun grand arbre ne pourra plus y croître.
Malheur ! Le temps est proche où l’homme ne jettera plus par-dessus les hommes la flèche de son désir, où les cordes de son arc auront désappris de vibrer !
Je vous le dis : il faut encore porter en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. Je vous le dis : vous portez en vous un chaos.
Malheur ! Le temps est proche où l’homme ne mettra plus d’étoile au monde. Malheur ! Les temps sont proches du plus méprisable des hommes, qui ne peut plus se mépriser lui-même.
Voici ! Je vous montre le dernier homme.
‘Amour ? Création ? Désir ? Étoile ? Qu’est cela ?’ — Ainsi demande le dernier homme et il cligne de l’œil.
La terre sera alors devenue plus petite, et sur elle sautillera le dernier homme, qui rapetisse tout. Sa race est indestructible comme celle du puceron ; le dernier homme vit le plus longtemps.
‘Nous avons inventé le bonheur’ — disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil.
Ils ont abandonné les contrées où il était dur de vivre : car on a besoin de chaleur. On aime encore son voisin et l’on se frotte à lui : car on a besoin de chaleur.
Tomber malade et être méfiant passe chez eux pour un péché : on s’avance prudemment. Bien fou qui trébuche encore sur les pierres et sur les hommes !
Un peu de poison de-ci de-là, pour se procurer des rêves agréables. Et beaucoup de poison enfin, pour mourir agréablement.
On travaille encore, car le travail est une distraction. Mais l’on veille à ce que la distraction ne débilite point.
On ne devient plus ni pauvre ni riche : ce sont deux choses trop pénibles. Qui voudrait encore gouverner ? Qui voudrait obéir encore ? Ce sont deux choses trop pénibles.
Point de berger et un seul troupeau ! Chacun veut la même chose, tous sont égaux : qui a d’autres sentiments va de son plein gré dans la maison des fous.
‘Autrefois tout le monde était fou’ — disent ceux qui sont les plus fins, et ils clignent de l’œil.
On est prudent et l’on sait tout ce qui est arrivé : c’est ainsi que l’on peut railler sans fin. On se dispute encore, mais on se réconcilie bientôt — car on ne veut pas se gâter l’estomac.
On a son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit : mais on respecte la santé.
‘Nous avons inventé le bonheur,’ — disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil.” —
Ici finit le premier discours de Zarathoustra, celui que l’on appelle aussi le prologue : car en cet endroit il fut interrompu par les cris et la joie de la foule. “Donne-nous ce dernier homme, ô Zarathoustra, — s’écriaient-ils — rends-nous semblables à ces derniers hommes ! Nous te tiendrons quitte du Surhumain !” Et tout le peuple jubilait et claquait de la langue. Zarathoustra cependant devint triste et dit à son cœur !
“Ils ne me comprennent pas : je ne suis pas la bouche qu’il faut à ces oreilles.
Trop longtemps sans doute j’ai vécu dans les montagnes, j’ai trop écouté les ruisseaux et les arbres : je leur parle maintenant comme à des chevriers.
Placide est mon âme et lumineuse comme la montagne au matin. Mais ils me tiennent pour un cœur froid et pour un bouffon aux railleries sinistres.
Et les voilà qui me regardent et qui rient : et tandis qu’ils rient ils me haïssent encore. Il y a de la glace dans leur rire.” » Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Prologue § 5.
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Comment ne pas voir là notre temps ?! Notre temps éclaté ! Où trouver encore de l’humain vivant, où trouver l’unité ? Écoutons encore Nietzsche, parlant du christianisme, et surtout, en contraste, du Christ :
« Le succès historique du christianisme, sa puissance, son endurance, sa durée historique, tout cela ne démontre heureusement rien, pour ce qui en est de la grandeur de son fondateur et serait, en somme, plutôt fait pour être invoqué contre lui. Entre lui et ce succès historique, se trouve une couche obscure et très terrestre de puissance, d’erreur, de soif de passions et d’honneurs, se trouvent les forces de l’empire romain qui continuent leur action, une couche qui a procuré au christianisme son goût de la terre, son reste terrestre. Ces forces qui rendirent possible la continuité du christianisme sur cette terre et lui donnèrent en quelque sorte sa stabilité. La grandeur ne doit pas dépendre du succès […]. » Friedrich Nietzsche, Considérations inactuelles, II § 9
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Or nous cherchons l’unité, et si nous prenons au sérieux la vocation œcuménique — selon le vocable oikouméné, la terre habitée —, ce n’est pas seulement l’unité de l’Église comme finalité en soi, ou pour soi, mais l’unification promise comme règne de Dieu, dont l’Église a à témoigner dans ce monde, dans ce temps décidément éclaté. À cela, notre échec historique n’est autre que notre succès historique, temporel — cette couche terrestre de puissance, de passions et d’honneurs, bref de succès.
Alors, dans une autre lecture des signes temps, une question advient : si notre échec présent était un signe de la grâce ? — quand l’unité n’est perceptible que dans la présence de celui qui s’est dépouillé lui-même de toute gloire, de tout succès. L’unité serait alors à trouver dans une radicale humilité, celle qui, manquant, a signé notre échec historique, i.e. notre succès…
Philippiens 2, 3-11 :
3 Ne faites rien par esprit de parti ou par vaine gloire, mais que l’humilité vous fasse regarder les autres comme étant au-dessus de vous-mêmes.
4 Que chacun de vous, au lieu de considérer ses propres intérêts, considère aussi ceux des autres.
5 Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus-Christ,
6 lequel, existant en forme de Dieu, n’a point regardé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu,
7 mais s’est dépouillé lui-même, en prenant une forme de serviteur, en devenant semblable aux hommes ;
8 ayant paru comme un simple homme, il s’est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, jusqu’à la mort de la croix.
9 C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom,
10 afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre,
11 et que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père.
RP, Semaine de l'Unité,
Praille, monastère des Bénédictines, 20.01.2018
Châtellerault, 23.01.2018
Praille, monastère des Bénédictines, 20.01.2018
Châtellerault, 23.01.2018
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