<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: Les cathares, la réincarnation et le fer à cheval

samedi 10 mai 2014

Les cathares, la réincarnation et le fer à cheval



(photo ici)


« Il y avait une fois un homme très méchant, un meurtrier, dont l'esprit, quand il mourut, entra dans le corps d'un bœuf. Ce bœuf eut un maître très dur qui le nourrissait mal, et le traitait à grands coups d'aiguillon. L'esprit de ce bœuf se rappelait qu'il avait été un homme, et quand le bœuf mourut, il entra dans le corps d'un cheval. Ce cheval appartint à un grand seigneur qui le nourrissait bien, mais une nuit les ennemis de ce seigneur vinrent l'attaquer, et il monta sur son cheval et le poussa à travers les rochers et les lieux escarpés. Le cheval mit le pied entre deux rochers, et ne put l'en extraire qu'avec grande difficulté, et son fer y demeura pris. Son maître le monta encore le reste de la nuit. (Et l'esprit du cheval se rappelait qu'il avait été un homme.) Ce cheval mort, son esprit entra dans le corps d'une femme enceinte, et s'incorpora dans l'enfant que cette femme portait dans le ventre. Cet enfant grandit et vint à l'entendement du Bien, puis il fut fait bon chrétien [c'est-à-dire parfait cathare]. Et comme il passait un jour avec son compagnon à l'endroit où le cheval avait été déferré, cet homme dont l'esprit avait été dans le cheval dit à son compagnon : "Quand j'étais un cheval, je perdis une nuit un fer entre ces deux rochers, et j'allai ensuite pendant toute la nuit déferré". Ils se mirent tous deux à chercher ce fer et ils le trouvèrent entre les deux rochers et le conservèrent. »

Ce texte est, selon Arnaud Sicre [1] déposant devant l'Inquisition, la version de Bélibaste, dernier parfait d'Occitanie, de ce qu'on appelle la « légende du fer à cheval ».

Après cela, si l'on demande : les cathares croyaient-ils à la réincarnation ? — nombreux répondent sans hésiter : oui évidemment ! Ignorant la fonction mythique de tels récits, où « il était une fois »... l'esprit des bœufs et des chevaux se souvenaient de leur humanité.

À partir de là on peut épiloguer, soit pour faire de la réincarnation la clé du christianisme cathare, soit pour ouvrir avec cette clé supposée des parallèles avec les religions orientales censées y croire, et dont du coup, pourquoi pas, le catharisme serait l'héritier, et pourquoi pas encore via le manichéisme, entre autres « chaînons manquants ».

En réalité, en affirmant sans autre que les cathares croyaient à la réincarnation, on fait l'impasse sur deux questions essentielles :

— Premièrement. Les témoignages relatant la croyance à la transmigration des âmes devant l'Inquisition, comme celui cité en entrée, et les dires à ce propos des controversistes catholiques, sont tardifs — XIIIe et surtout XIVe siècles. Ces témoignages n'apparaissent pas pour ce qui concerne le catharisme plus ancien, malgré le fait qu'une telle croyance semble quand même frappante dans un cadre chrétien médiéval. Et elle est inconnue du bogomilisme du début jusqu'à la fin ; le bogomilisme qui, en chrétienté orientale, partage la même structure d'Église épiscopale avec le catharisme. Mais après tout, on pourrait s'arranger avec cette apparition tardive...

— Mais (et surtout), deuxièmement, autre point sur lequel on fait l'impasse et sur lequel il faut s'arrêter un moment ; c'est le terme même de réincarnation. Car si l'on demande à présent ce qu'est la réincarnation, l'on recueille comme réponse la plus courante que c'est une doctrine qui veut que notre âme individuelle ou quelque chose d'équivalent, quelque chose qui constitue notre identité se trouve dans un corps provisoire après en avoir habité un ou plusieurs autres en attendant d'en habiter un ou plusieurs autres.

Concernant le mythe cathare tardif, précisons qu’il ne s’agit évidemment pas de nier le discours concernant la circulation d’âme en divers corps, voire avec la crainte populaire de se retrouver à l’état d’un vil animal, et l’espérance inverse de transmigrer vers quelque meilleur lot corporel, pour une sorte de progrès individuel. Il ne s’agit pas de nier ces éléments, mais de remettre en cause le système que l’on voudrait en tirer, système réincarnationiste, système anachronique au Moyen Age.

Remarquons en passant qu'on a utilisé un mot : le mot progrès, qui est essentiel dans la forme de croyance à la réincarnation que l’on a évoquée. Essentiel dans la croyance à la réincarnation qui veut qu'en s'incarnant dans plusieurs corps successifs les âmes individuelles marchent sur un chemin de perfectionnement spirituel général, analogue à l'évolution procédant du néant antécédent au big-bang via l’amibe et en passant par Toumaï et Lucy jusqu’à l’homme moderne en attendant mieux.

Cette croyance est toute récente. Et c'est essentiellement sur cela que l'on fait l'impasse en attribuant aux cathares la croyance à la réincarnation. Elle n'existait pas au Moyen Âge, non plus, d'ailleurs, que dans l'Antiquité. Il est important de le savoir pour pouvoir approcher plus ou moins ce que pouvaient croire les cathares à ce sujet.

D'une autre façon aussi, et notamment concernant ce que l'on imagine sur l'Antiquité, pour comprendre que les adeptes contemporains de cette croyance sont très loin, d'une autre façon, du bouddhisme par exemple, dont ils croient pourtant pouvoir se réclamer. À l'appui parfois de témoignages sur les enfants réincarnations de lamas tibétains qui essaiment actuellement en Europe et en Amérique, de l'acteur Keanu Reeves en Little Buddha de Bertolucci à toute une littérature.

Quoiqu'il en soit, ce qui est totalement étranger à l'Antiquité, grecque, indienne, ou autre, c'est cette notion moderne si importante dans la croyance actuelle à la réincarnation, celle du progrès perçu comme une valeur positive, l'idée que demain sera meilleur, plus éclairé, etc., mieux qu'hier. L'Antiquité et le Moyen Âge, la Renaissance, aussi, comme son nom l'indique (re-naissance, c'est-à-dire retour, en l'occurrence à l'Antiquité gréco-latine) ; ces époques précédentes ont la certitude inverse : demain sera pire, ou pour le dire en termes moins pessimistes, hier était mieux : mieux éclairé, plus fort, vigoureux, plein de cette vie qui s'étiole. Et avant-hier était l'Âge d'or, ou le Paradis terrestre dont nous avons été chassés, et d'où le temps dérive irrémédiablement.

Le temps nous éloigne irrémédiablement de ce mieux, sauf lors de quelques sursauts, retours en arrière, que sont les renaissances, ou autre terme du même ordre, les révolutions, selon ce mot qui signifiait aussi retour avant de devenir depuis un ou deux siècles, synonyme de... progrès.

Et pour l'âme, il en est de même. De plus, sachons aussi qu'indépendamment de la catastrophe qu'est le corps, rien ne garantit alors que cette âme soit individuelle, et moins encore que l'individualité soit un bien. Elle est au contraire perte malheureuse de la totalité, de la plénitude l'être. Elle est division d'avec le fondement de son être (individualité malheureuse donc, à ne pas confondre non plus avec l'individuation chez Jung qui est, elle, au contraire, notion positive en tant qu'elle désigne la réintégration par l'individu de la totalité de son être).

L'Antiquité comme le Moyen Âge avaient une autre perspective. La seule espérance alors dans la dégradation irrémédiable est l'irruption du salut, l'intervention divine instaurant le Royaume de Dieu, cela pour la perspective hébraïque, fût-ce, en christianisme, et pour les plus... optimistes, par le ministère de l'Église. Et quand les faits, comme la violence et la corruption, contraignent à ne plus trop y croire, on s'en tient à un salut personnel, fût-ce au prix du passage en purgatoire, ce que les historiens ont appelé, parlant du XIVe siècle, la « nouvelle eschatologie ».

Ici, on est en parallèle relatif avec l'espérance des religions philosophiques, que ce soit le platonisme, l'hindouisme ou le bouddhisme, ou avec des approches psychologiques contemporaines (on a nommé Jung), où il s'agit aussi d'accéder à la totalité de son être. Parallèle, car ici il s'agit d'une espérance personnelle de sortie d'une situation, la nôtre, qui n'est pas réjouissante. Parallèle relatif, car avec la métempsycose on est dans un cycle indéfini, sans Royaume faisant irruption à la fin, un cycle indéfini malheureux dont il s'agit, chacun par son ascèse, sa sagesse ou sa découverte du juste milieu, de sortir.

On mesure qu'on est très loin d'une réincarnation progressiste des âmes individuelles, heureuses pour ce faire d'être des « moi » dans des corps. Captivité malheureuse et récurrente, au contraire, que la perspective de la métempsycose, et dont il s'agit d'être libérés.

L'idée de progrès qui fonde la foi à la réincarnation date des XIXe et XXe siècles. L'homme qui a mis la touche presque finale à cette doctrine est Rudolf Steiner, fondateur du mouvement dit « anthroposophique ». Et lui-même affirme appliquer le darwinisme au monde spirituel. Le darwinisme, on le sait, est la doctrine de Charles Darwin concernant l'évolution des espèces, qui se traduit dans sa version populaire par l'idée qu'au Paradis perdu ou à l'Âge d'or, se sont substitués des ancêtres lointains vivant dans la terreur des forces naturelles.

Mais Darwin et ses émules plus ou moins fidèles ne sont pas les seuls à penser le progrès comme une notion positive ; cela est assez commun depuis le XIXe siècle. Et aujourd'hui tout le monde se réclame du progrès.

C'est extrêmement récent. C'était faux au Moyen Âge, y compris au plan spirituel. Il n'est pas indifférent de savoir que Rudolf Steiner est un jalon décisif, le jalon décisif sans doute. Ce n'est pas indifférent pour notre sujet : en effet, le chef de file du néo-catharisme, Déodat Roché, se voulait explicitement disciple de Steiner, y compris dans son élaboration du néo-catharisme. Ce qui est tout à fait son droit, qui fait du néo-catharisme quelque chose qui est ce qu'il est, intéressant sans doute, qui de plus a contribué positivement à marquer une étape, décisive, vers la sortie de l'ornière qui consistait à ressasser l'anti-catharisme inquisitorial. Intéressant de toute façon, mais qui, forcément, ne correspond pas — René Nelli le remarquait déjà [2] — au catharisme historique, lequel, on doit le dire, a irrémédiablement et définitivement disparu.

*

Dire que les cathares croyaient à la réincarnation, c'est donc faire l'impasse sur le fait que la croyance à la réincarnation est récente, doctrine chargée de foi au progrès, issue du XIXe siècle. Elle ne pouvait exister au Moyen Âge, ni dans l'Antiquité. Sauf à la confondre avec celle de la métempsycose, qui n'est pas la même chose, et qui, elle, est ancienne. La réincarnation moderne a toutefois en commun avec l'antique métempsycose le mythe qui illustre souvent cette dernière : la transmigration des âmes, précisément, que l'on trouve, en Occitanie, dans le catharisme tardif.

J'ai parlé de métempsycose, qui elle, existait dans l'Antiquité, en Grèce, et qui avait son équivalent en Inde, le samsâra. Précisons que ce n'est pas qu'une question de mots, et qu'au prix d'un changement de vocabulaire, on pourrait renouer avec les idées réincarnationistes concernant le catharisme.

Il ne s'agit pas que d'une question de vocabulaire. Il y a des différences essentielles et qui ne se limitent pas à celles qu'on admet parfois, voulant par exemple que la réincarnation ne s'effectue que dans des corps humains tandis que la métempsycose concernerait aussi des corps d'animaux. La différence est beaucoup plus fondamentale que cela : la métempsycose, selon ce terme de l'Antiquité grecque — mais le mot samsâra, pour l'Inde, recoupe une idée équivalente — ; le mot métempsycose, veut dire littéralement « changement en âme ». Il n'y est pas du tout question d'incarnation, comme pour « réincarnation », pas question donc de changement de corps, qui serait en grec « métensomatose » au lieu de « métempsycose ». Il ne s'agit pas dans la métempsycose d'âme individuelle qui changerait de corps pour se perfectionner. Il est question d'âme subissant des changements, pas d'âme changeant de corps. D'âme universelle unique et commune subissant des changements, et dont le moi, individuel, n'est que l'expression dégradée. Ces changements sont vécus comme dégradation, atteinte à la stabilité, à l'ataraxie, c'est-à-dire au bonheur philosophique consistant justement à ne pas subir de changement — contrairement à l'idéologie du progrès où le changement est une bonne chose. Le changement catastrophique qui est la métempsycose consiste à revêtir l'individualité, consiste donc à revêtir la vie corporelle où se réalise l'individualité. L'individualité est pour la métempsycose, et le samsâra, une catastrophe, un attentat contre l'âme universelle commune, ou l'atman en Inde, pour autant d'ailleurs que l'on admette son existence.

Car pour d'autres, comme dans le bouddhisme par exemple, et d'une certaine façon aussi pour la doctrine grecque d'Héraclite, elle n'existe pas, cette âme. Ici la métempsycose n'est donc même pas ce processus de dégradation de l'âme universelle, mais le simple malheur d'être la proie de ce flux permanent et vide de sens, vide donc du coup, évidemment, d'orientation vers un mieux : on est loin de l'idéologie moderne et contemporaine du progrès. Ni âme universelle, ni à plus forte raison d'âme individuelle qui en est la dégradation. Et donc, évidemment, pas d'âme individuelle progressant.

Pour le bouddhisme, il n'y a rien qui transmigre. C'est ainsi qu'au delà de l'illustration transmigratoire, le bouddhisme parle de renaissance sans transmigration. Ce sont les intentions qui conditionnent la prochaine existence. Je cite Hans Wolfgang Schumann, auteur d'études très abouties sur la philosophie bouddhiste ; il écrit — au sujet de ce qu'il nomme donc renaissance sans transmigration : « Les intentions d'agir transmettent leur qualité éthique à la conscience. La conscience ainsi qualitativement colorée est [...] le facteur qui établit le contact conditionnel avec la prochaine forme d'existence. [Comparable à une] étincelle qui allume la vie [, elle] est présente dans la flamme qu'elle conditionne, non pas comme quelque chose de substantiel mais simplement comme condition [...]. En cours de développement l'enfant élabore sa propre conscience, qui n'est pas identique à la conscience qui en est l'instigatrice [3] ».

On doit admettre que la doctrine n'est pas exactement simple à saisir ; d'où sans doute les développements populaires sur le mode transmigratoire. Il reste que les renaissances sont ici l'expression d'une captivité récurrente, sans âme, dans le samsâra, ce qui n'a rien de réjouissant. Frédéric Lenoir, auteur d'ouvrages sur les rapports du bouddhisme et de l'Occident, le dit en ces termes : parlant de deux malentendus principaux entre bouddhisme et Occident, sur la réincarnation, justement et sur l'âme, il écrit : « sur la réincarnation, [...] nos compatriotes font fausse route. Ils y voient une possibilité de renaître indéfiniment, une forme d'immortalité. Or un bouddhiste digne de ce nom tend à échapper au cycle éternel du samsara, afin d'atteindre le nirvana, c'est-à-dire l'arrêt des renaissances, la paix définitive. [...] Deuxième malentendu, [...] le bouddhisme [...] ne croit pas en l'existence de l'âme [...]. Ce qui se réincarne, ce n'est pas du tout moi, ni vous, mais le karma, une sorte de loi de causalité aveugle, la loi d'airain de la dette créée par toute action. Or l'immense majorité des gens touchés par le bouddhisme disent y trouver le moyen de développer leur potentiel individuel. Cet avènement du sujet est une idée ultra-occidentale. [4] » J'ajoute personnellement, comme je l'ai déjà dit : occidentale, et moderne. Ce qui fait que le malentendu en question concerne aussi notre rapport aux cathares, chez qui le thème de la transmigration n'est toutefois pas similaire, bien sûr, aux renaissances du bouddhisme.

Pour terminer avec les doctrines antiques, avec celles qui croient quand même à cette âme universelle, platonisme et hindouisme, ne négligeons pas que la métempsycose y est tout aussi catastrophique, puisqu'elle est la perte de l'unité de l'âme universelle, sa chute dans les individualités, dans le malheur, donc.

Telle est, en résumé, à l'opposé de celle de la réincarnation, la doctrine qui existait dans l'Antiquité sous différentes formes, et dont on trouve la trace, sous d'autres formes, au Moyen Âge.

On trouve notamment la trace de l'âme universelle, commune à toute l'humanité, chez ce disciple arabe du philosophe grec Aristote, qu'est Averroès. C'est une part essentielle de ce que lui reprochent ses adversaires, musulmans comme chrétiens, qui selon la tradition biblique et coranique, et notamment la tradition de la création par Dieu, croient à l'importance de l'individualité pour le salut, et donc à celle du corps : résurrection de la chair, puisqu'elle est créée par Dieu.

La doctrine d'Averroès selon laquelle il y aurait une âme commune à l'humanité, et pour qui le salut consiste à se dépouiller de son individualité pour rejoindre cette âme universelle ; cette idée qu'il y a une âme commune, est condamnée alors par l'Église latine chez les disciples d'Averroès sous le nom de « monopsychisme ».

On a ici en tout cas une trace de l'existence de cette idée au Moyen Âge. Ce qui toutefois n'empêche pas Averroès, suite à son maître Aristote, de ne pas croire à la transmigration des âmes. Comme quoi ce qui s'apparente à la métempsycose n'implique pas nécessairement transmigration des âmes. Mais la transmigration des âmes devient souvent une illustration, un mythe permettant de faire percevoir la doctrine, tout de même compliquée, de la métempsycose. Ce mythe, cette illustration en quelque sorte, a d'ailleurs pu servir de fondement vers le développement de la croyance moderne à la réincarnation, simplement par sa prise à la lettre.

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Avant d'aller plus loin, il faut encore éclairer un point concernant quelques légendes qui ressortent régulièrement sur l'idée que puisque la métempsycose existait dans l'Antiquité — on peut dire (toujours au prix de la confusion de cette doctrine avec celle de la réincarnation) que le christianisme primitif l'aurait faite sienne jusqu'à ce que l'Église occulte, pour des raisons plus ou moins obscures, ce supposé sien enseignement originel. C'est évidemment faux, et il est facile de montrer pourquoi.

Certes des groupes gnostiques de l'Église ancienne ont fait leur l'enseignement de la métempsycose, qui encore une fois n'est pas la réincarnation, et l'ont illustré parfois par le mythe de la transmigration. On sait cela concernant quelques groupes par les textes de leurs adversaires les combattant. Ce qui permet de dire en passant puisque ces adversaires sont principalement Irénée de Lyon et Origène, que dans la Grande Église qu'ils représentent, de la Gaule à l'Égypte, à la fin du IIe siècle où ils écrivent, on n'adhère pas à cette doctrine. Toutefois, donc, des groupes plus marginaux qu'ils combattent l'enseignent.

Et on voit qu'ils entendent utiliser entre autres des textes du Nouveau Testament, les mêmes que ceux que nous connaissons aujourd'hui, à l'appui de leur croyance. Usage des textes, que les théologiens de la Grande Église réfutent. Par exemple les textes identifiant tel ancien prophète à Jean Baptiste, ou l'un d'eux ou Jean-Baptiste lui-même, à Jésus, croyant que les uns sont revenus en Jean ou Jésus. Ou que Jean est revenu en Jésus. Mais il est mort quand Jésus avait la trentaine : c'est donc à la résurrection, croyance attestée elle, qu'il est fait allusion remarque un Origène (sans quoi n'aurait-il pas eu d'esprit avant la mort de Jean ?). Ou le récit de l'aveugle-né, à l'occasion duquel on se demande si c'est lui ou ses parents qui ont péché pour qu'il soit né aveugle. Je le cite : « Jésus vit un homme aveugle de naissance. Ses disciples lui posèrent cette question : "Rabbi, qui a péché pour qu'il soit né aveugle, lui ou ses parents ?" Jésus répondit : "Ni lui, ni ses parents. Mais c'est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui !" » (Jean 9, 1-3). Remarquons en passant que Jésus refuse toute loi de cause à effet qui expliquerait ce qui est le seul fait d'un malheur inexplicable.

On trouve ici cependant l'allusion à une sorte de loi du karma que Jésus toutefois, ne reprend pas. Ce texte reflète sans doute une allusion à la croyance à la préexistence, que certains courants du judaïsme de l'époque faisaient leur en effet et qu'Origène fera sienne, et plus tard les cathares. Mais pas de transmigration des âmes, et évidemment pas de croyance à la moderne réincarnation.

On a utilisé parfois le témoignage de Paul disant : « Jadis, en l'absence de loi, je vivais. Mais le commandement est venu, le péché a pris vie, et moi je suis mort » (Ro 7, 9-10). En fait l'usage d'un tel texte en faveur de la transmigration indique seulement qu'on a oublié tout lien avec le judaïsme, ce qui aurait fait comprendre que Paul ne parle pas d'une vie antérieure, mais fait simplement allusion à sa bar-mitsvah (ou son équivalent de l'époque), où l'enfant juif, qu'il était, reçoit la Loi, à l'adolescence. « Saisissant l'occasion, écrit Paul, le péché a produit en moi toutes sortes de convoitises par le moyen du commandement. Car, sans loi, le péché est chose morte. Jadis, en l'absence de loi, je vivais. Mais le commandement est venu, le péché a pris vie, et moi je suis mort: le commandement qui doit mener à la vie s'est trouvé pour moi mener à la mort. Car le péché, saisissant l'occasion, m'a séduit par le moyen du commandement et, par lui, m'a donné la mort. Ainsi donc, la loi est sainte et le commandement saint, juste et bon. » (Ro 7, 8-12). Paul n'a rien voulu dire d'autre : la Loi est sainte, et comme telle elle dévoile le péché, qui produit la mort, la mort spirituelle à laquelle il est fait allusion ici, c'est-à-dire la vie sans l'esprit, avant la mort physique. Remarquons de toute façon que les cathares n'ont jamais utilisé cette référence, ni aucune autre d'ailleurs, en faveur de la transmigration des âmes.

Et on ne trouve jamais, tant dans l'Antiquité qu'au Moyen Âge, l'usage fait parfois aujourd'hui du texte de Jean 3 sur la nouvelle naissance, qui, tout le monde à l'époque le sait, se produit dans cette vie, et est la naissance à la vie de l'esprit, une conversion à la vie spirituelle.

Inutile de s'arrêter longtemps donc, sur ce que l'on entend aussi parfois, voulant voir tel ou tel Concile de l'Église ancienne décréter l'abandon de la supposée croyance antécédente, allant parfois jusqu'à lui faire décréter le traficotage de textes d'un Nouveau Testament antécédent. L'histoire des manuscrits suffit à condamner à l'absurde une telle hypothèse, sans compter l'absence de trace de tels décrets dans les minutes des Conciles notés minutieusement justement.

Pour la petite histoire les Conciles incriminés sont en premier lieu Nicée, tenu en 325, et qui aurait selon les versions occulté ou au contraire proclamé la « réincarnation ». Je me suis demandé pourquoi une telle volonté de trouver cela à Nicée. Et j'ai fini par me demander si ce n'est pas tout simplement le fruit d'une imprécision théologique d'aujourd'hui faisant confondre incarnation et réincarnation. Nicée a effectivement proclamé le dogme de l'Incarnation, c'est-à-dire : en Jésus-Christ, la parole de Dieu s'est incarnée, a été faite chair. Ça c'est l'Incarnation. C'est, dans le cadre de mon ministère pastoral, un jeune couple, au cours d'une préparation au mariage qui m'a mis la puce à l'oreille. L'un d'eux me disait croire à l'incarnation, et de m'expliquer ce qu'il entendait par là : tout bonnement la réincarnation. J'ai soupçonné depuis que la confusion des termes avait pu entraîner ce pataquès autour des lectures modernes du Concile de Nicée, où il ne s'est évidemment rien passé de tout cela.

Et j'ai entendu évoquer aussi le second Concile de Constantinople, tenu en 553, convoqué par l'empereur Justinien. Inutile de dire qu'à plus forte raison qu'à Nicée, il n'y a pas eu de traficotage de textes du Nouveau Testament. C'était alors définitivement impossible. Mais en revanche, effectivement, il y a bien eu à ce Concile de Constantinople, condamnation de la métempsycose, et des illustrations transmigratoires éventuelles qu'auraient développées certains moines disciples d'Origène sur la base de ce que le maître croyait à la préexistence des âmes. On a vu ce qu'Origène pensait de la transmigration des âmes : il la refusait. Mais il enseignait effectivement la préexistence des âmes, et c'est cela qui a été condamné à Constantinople.

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Ayant posé cela et les distinctions qu'il faut faire entre réincarnation et métempsycose d'une part, et ces deux doctrines et transmigration de l'autre, il devient possible de voir ce que la transmigration signifiait dans ce catharisme tardif qui en parle.

Les cathares croyaient à la préexistence des âmes, déchues dans la matière, dans l'exil tragique d'un monde de douleurs et de persécutions. Le mythe de la transmigration devient l'illustration de cette catastrophe, portant en contrepartie l'espérance de la possibilité de la remontée de l'âme aux cieux, de sphère céleste en sphère céleste (selon la configuration des cieux médiévaux), jusqu'à la spiritualité où les parfaits, par le Consolamentum, unique sacrement cathare, ont rejoint en esprit les frontières du Paradis perdu.

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Avant de détailler cela, il faut noter un parallèle au catharisme, sur ce plan, en Occident, au XIIIe siècle : c'est le judaïsme cabalistique. Il convient cependant de remarquer avec Gershom Scholem, spécialiste fameux de la mystique juive, que les deux versions de la transmigration des âmes, cathare et cabalistique, sont très différentes. Reste ce point commun : la notion de l'exil, de Jérusalem à Babylone, qui sert aux deux théologies pour signifier l'exil dans la chair, le péché, la mort, la douleur.

Un texte du livre de Job sert de référence biblique, unique, pour le judaïsme cabalistique affirmant depuis le Moyen Âge, environ au XIIIe siècle, mais pas avant, et surtout, plus tard depuis le XVIe siècle, une certaine forme de la métempsycose. La croyance à la transmigration des âmes y reçoit le nom hébreu de « gilgul » qui signifie « roulement », « faire rouler », et entend s'autoriser du texte de Job en question (Job 33, 28-30) : « "Il a racheté mon existence au bord de la fosse et ma vie contemplera la lumière !" Vois, tout cela Dieu l'accomplit, deux fois, trois fois pour l'homme, pour retirer son existence de la fosse, pour l'illuminer de la lumière des vivants ». « Dieu retire l'homme de la fosse », André Chouraqui traduit : fait « retourner son être du pourrissoir » ; cela « deux fois, trois fois » — selon le texte, d'où la croyance dans la Cabale que l'homme a droit à trois vies. Mais cette croyance, donc, ne remonte pas au-delà du Moyen Age. Ce texte de Job n'apparaît pas dans le catharisme. Il faut peut-être toutefois ne pas négliger cet enseignement du judaïsme cabalistique, malgré la prudence à laquelle nous invite à juste titre Gershom Scholem. Toutefois, la Cabale étant apparue en Occitanie et Provence...

S'il y avait influence de l'un sur l'autre, je pencherais personnellement plutôt pour une influence du judaïsme sur le catharisme que l'inverse, notamment à cause de cette référence biblique juive, absente chez les cathares. On est en un temps où l'appui scripturaire est très important pour fonder une doctrine. et sur ce point précis, il manque en catharisme, on va le voir : ce qui n'est pas sans significations importantes.

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C'est en tout cas en Occident, et précisément en Occitanie, que l'on trouvera des éléments de croyance à la transmigration dans le catharisme, mais uniquement dans les rapports de l'Inquisition et dans les comptes rendus de prédications et de discours populaires, ou, à partir du XIIIe siècle, chez quelques controversistes catholiques [5].

La doctrine est, redisons-le, ignorée chez les bogomiles. La raison théologique en est simple. J'ai rappelé que les cathares croyaient à la préexistence des âmes, préexistence conçue communément comme distincte pour toutes les âmes, ce qui rend le mythe tout à fait envisageable logiquement : chaque âme déchue tombe dans un corps — : pourquoi pas dans plusieurs ?

Mais les bogomiles, eux croyaient que l'âme se transmet comme par génération, depuis les parents. La préexistence est ici collective, en Adam. La transmigration devient donc extrêmement difficile à imaginer. C'est sans doute pourquoi les bogomiles n'ont vraisemblablement pas imaginé ce mythe.

Les cathares eux l'ont fait, à un niveau populaire, avec fonction d'illustration de leur espérance. Le mythe est en effet absent dans les textes « officiels » ou savants des cathares ; comme il est absent dans les rituels. Tout porte donc à penser que ce ne serait pas une doctrine savante, ésotérique, de la théologie cathare.

C'est bien cette absence de la doctrine dans les textes théologiques en pendant de sa présence dans les témoignages populaires qui fait question. S'il y avait eu dans la transmigration quelque enseignement ésotérique réservé aux savants, on aurait le phénomène inverse : présence dans les textes savants, absence ou hésitation dans les témoignages populaires. C'est une constante —, on trouve les doctrines précises d'un théologien dans les textes destinés à ses pairs, sa prédication en restant à des illustrations propres à être comprises de tous.

À y regarder de près, ces témoignages populaires vont dans le même sens : on est en présence d'une image, glissant vers la croyance à la transmigration, mais visant à enseigner autre chose : sans doute la métempsycose, c'est-à-dire la dégradation de l'esprit dans la matière et la possibilité de son retour à son état initial.

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Ce qui s'illustre aussi par les chiffres désignant le nombre de vies à envisager et la relative variabilité de ce nombre [6]. Déjà si le nombre est variable, cela suggère qu'il a une fonction symbolique.

Mais de plus, si les commentateurs médiévaux catholiques semblent hésitants, les témoins populaires interrogés par l'Inquisition le sont beaucoup moins : le nombre ne varie pas n'importe comment : les témoignages semblent préférer presque invariablement nous donner neuf vies — parfois sept — ou pour des personnages particuliers, comme Paul, un plus grand nombre — fonction d'une autre symbolique.

Sachant l'aboutissement céleste de ces transmigrations, ce nombre de neuf n'est pas indifférent, surtout s'il lui advient d'alterner avec sept. L'aboutissement invariable l'indique, il s'agit de la remontée de l'âme aux cieux. La tradition classique comptait sept cieux. Le nombre de sept apparaît donc comme parfaitement naturel. Mais alors, au sens strict, il ne s'agit pas de passage de vie en ce monde en vie en ce monde, mais de passage de monde inférieur en monde supérieur, angélique. On comprend pourquoi le bogomilisme, traducianiste, ignore la transmigration ; il s'agit plutôt d'ascension de sphère en sphère, aisément imaginable dans un système préexistentialiste, où l'âme est déchue de sphère en sphère.

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Et c'est ici qu'on a pu en venir à un déplacement transmigratoire légendaire, sachant que les parfaits, « concitoyens des saints », comme on le lit dans l’Épître aux Éphésiens (Ep 2, 19), demeurent au sommet de la hiérarchie céleste. Certes pour le Nouveau Testament l'adresse concerne tous les croyants, mais sachant que le catharisme réserve aux parfaits le titre de « chrétiens », « bons chrétiens », « vrais chrétiens »..., la lecture de textes semblables, à l'appui d'autres propos apostoliques, comme par exemple : « il nous a ressuscités et fait asseoir ensemble dans les lieux célestes en Christ-Jésus » (Ep 2, 6) — plaçait les dits parfaits, déjà ici-bas, dans les lieux les plus élevés de la hiérarchie spirituelle et donc céleste.

Et on en vient au fameux nombre neuf. Car c'est dans le cas de l'accession au statut de « bon chrétien » qu'elle permet éventuellement, que la neuvième vie est salvifique. Ainsi, au témoignage par exemple de Béatrice de Planissoles, « si dans ces neuf corps, il ne se trouve pas le corps d'un bon chrétien, l'âme est damnée. Si, au contraire, il s'y trouve le corps d'un bon chrétien, l'âme est sauvée » [7].

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Alors, avec le nombre de neuf, on est passé — avec ces prédicateurs cathares pyrénéens que sont les Authié par exemple, qui voyagent d'Italie aux Pyrénées — en Occident où depuis le XIIIe, domine la cosmologie aristotélicienne arabe, avec ses dix cieux (on consultera par exemple, la Divine comédie de Dante). Le dixième ciel est le « ciel empyrée », le domaine céleste des bienheureux, celui que les parfaits ont déjà potentiellement réintégré, en attendant de quitter leur tunique de chair, quand ils verront cette potentialité s'actualiser. Le dixième ciel étant celui de la réintégration céleste, les neuf autres sont les neuf sphères de la chute — qui, selon une prédication de Bélibaste, a duré justement (et ce n'est pas indifférent) neuf jours et neuf nuits — et les mêmes neuf sphères de la remontée (symbolisée par les neuf vies).

Car ce nombre des sphères célestes se trouve correspondre en outre avec les neuf ordres de la hiérarchie angélique attribuée à Denys l'Aréopagite, chez lequel ils signifient les degrés de la descente et de la remontée angélique — selon la tradition de l'échelle de Jacob. Pour le texte de Denys, La hiérarchie céleste, apocryphe du Ve siècle qui faisait alors autorité, il y a neuf ordres d'anges signifiant la descente de l'esprit vers la matière ; le parallèle avec la chute des esprits dans le catharisme était inévitablement perçu, d'où la nécessité d'une remontée des neuf sphères — correspondant aux neuf cieux précédant le ciel empyrée, le Paradis — neuf sphères de la déchéance vers la chair, ou neuf vies, pas nécessairement dans l'histoire de ce bas monde, mais plutôt, dans la hiérarchie des mondes supérieurs. Ce que la prédication de Bélibaste rend, à suivre le témoignage d'Arnaud Sicre, par l'image des « neuf jours et neuf nuits » durant lesquels... « les esprits ne cessèrent pas de tomber [...] plus menu et plus dru du ciel que la pluie ne tombe sur la terre » [8]... Il s'agit ici, dans cette pluie de neuf jours et neuf nuits, de la chute des esprits par le trou céleste qui a permis à Satan d'introduire auprès des esprits la femme par laquelle il s'appliquait à les séduire.

Autre exemple, il en est de même chez les prédicateurs Raimond Roussel et Pierre Clergue [9], selon ce que rapporte Béatrice de Planissoles. Elle retient de leur prédication le nombre des neuf corps possibles jusqu'au statut de parfait [10].

La transmigration successive fonctionne alors comme image populaire — interprétée plus ou moins à la lettre — de l'idée que les parfaits vivent dans la familiarité céleste, à la frontière du dixième ciel. Ainsi peut s'expliquer l'absence de cette idée dans les textes théologiques, ainsi que son apparition tardive : glissement d'un mythe à fonction pédagogique, vers une prise à la lettre de ce mythe.

Dans ce christianisme qui n'admet pas la doctrine du purgatoire — il n'est pas le seul à rejeter cet enseignement dont il n'y a pas de trace dans la Bible : pour cette raison, les vaudois le rejettent aussi — à une époque où le purgatoire prend pourtant une importance démesurée, le mythe de la transmigration joue alors un rôle alternatif à cette façon de se permettre de mourir en état de péché relatif. Ce qui sert la réputation de bons chrétiens des parfaits. L'éthique éventuellement moyenne autorisée aux clercs catholiques du fait du purgatoire est interdite aux clercs cathares. Le peuple croyant d'un côté comme de l'autre se voit octroyé plus de souplesse.

Le mythe à fonction pédagogique en est donc venu à être pris au pied de la lettre. On peut ainsi remarquer le glissement parallèle quant à l'explication du végétarisme : raison d'ascèse, à peu près similaire à celle des moines catholiques au XIIe siècle, d'après Bernard de Clairvaux [11]. Le cistercien remarque que l'hérétique s'abstient de viande « parce que cela procède de la procréation » — à la différence du catholique, « parce que cela y pousse ». Pas de transmigration remarquée donc, au XIIe siècle. Mais les mêmes interdits alimentaires trouvent chez les cathares une raison métempsycotique par la suite, comme chez Bélibaste : on ne mange que du poisson « car les esprits ne s'incorporent pas dans les poissons [...] qui naissent dans l'eau » [12]. N'oublions pas que l'esprit, le souffle, relève de l'éther, ou bien de l'air, mais pas de l'eau, selon l'analogie respiratoire.

On assiste aussi au développement d'images populaires, comme la fameuse légende du fer à cheval que j'ai citée en introduction, dont on comprend alors mieux la fonction.

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Bélibaste, dont j'ai mentionné plusieurs fois les prédications, est mort, en 1321, sur le bûcher ; dernier parfait d'Occitanie. Le catharisme a ensuite survécu en Italie du Nord où il a fini par se fondre dans d'autres groupes chrétiens et surtout en Bosnie où il a fini par se fondre dans l'islam. 1321 reste alors une date marquante. Celle par laquelle se symbolise la fin d'une religion.

Il nous appartient dès lors de laisser le catharisme reposer en paix. Avec la mort du dernier parfait, selon la croyance cathare, l'espoir d'une consolation, d'un nouveau Consolament, s'est éteint, et donc, s'est éteint le catharisme. Une religion chrétienne est morte, qui selon ce qu'elle était, ne pourra pas renaître, n'y ayant plus de parfaits. Il ne peut pas y avoir de néo-catharisme qui soit encore du catharisme. On peut le déplorer, mais c'est comme ça.

Hélas peut-être, mais rien à tirer, donc, à partir du catharisme, concernant la croyance moderne à la réincarnation.

On peut alors, pour dire cela d'une autre façon, utiliser une dernière fois le mythe du catharisme tardif sur la transmigration des âmes. Puisque la transmigration amenait les âmes au dernier parfait, dernier espoir de salut, lorsqu'il est mort, plus de possibilité de cette alternative au purgatoire, la transmigration a fini sa fonction. Soit elle a cessé à ce moment-là, soit elle se poursuit sans but, cycle absurde qui ne mène nulle part. Dans un cas comme dans l'autre, selon la théologie cathare, ne subsiste aujourd'hui ici-bas qu'un enfer récurrent et sans issue !




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[1] Dans la traduction de Jean DUVERNOY, Le registre d'Inquisition de Jacques Fournier, t. III, Paris-La Haye, Mouton, 1978, p. 764 ; Inquisition à Pamiers, Toulouse, Privat, 1966, p. 175-1.
[2] René NELLI, Dictionnaire du catharisme et des hérésies médiévales, (art. « Réincarnation »), Toulouse, Privat, 1994, p.251.
[3] Hans Wolfgang SCHUMANN, Le Bouddha historique, Vannes (56), Sully, 1999, pp.165-166.
[4] Frédéric LENOIR, interviewé par Ursula GAUTHIER dans Le Nouvel Observateur, n° 1865 — 3-9 août 2000, p.11. Cf. ses livres La rencontre du bouddhisme et de l'Occident, et Le bouddhisme en France, Paris, Fayard, 1999.
[5] Comme Alain de Lille ou Pierre des Vaux de Cernay. Cf. DUVERNOY, Le catharisme : la religion des cathares, Toulouse, Privat, 1976, p.93.
[6] Cf. DUVERNOY, op. cit., p.93-97, différents témoignages, tant sur le nombre de vies proposées que sur sa relative variabilité.
[7] In DUVERNOY, Inquisition à Pamiers, Toulouse, Privat, 1966, p.52.
[8] In DUVERNOY, Inquisition à Pamiers, p.172 (Le registre d'Inquisition de Jacques Fournier, t. III, p. 762). Présent ici, le nombre neuf semble par ailleurs, à en croire le témoignage d'Arnaud Sicre, absent de la prédication de Bélibaste sur la chute des esprits. Il semble, ailleurs, parler de sept cieux (ibid. p.194). Les sept cieux sont un antique classique de la cosmologie judéo-chrétienne, dont un des témoins est un apocryphe du IIe siècle, L'ascension d’Isaïe, canonisé par l'Église éthiopienne, qui n’est donc pas spécifiquement cathare, même s’il apparaît dans les documents tardifs du catharisme occitan (cf. Michel ROQUEBERT, La religion cathare, Perrin, 2001, p. 50 sq.).
[9] Ibid., p.52, 60-61.
[10] Ibid. Cela n'exclut pas les cas possible de damnation immédiate, comme par exemple Judas (ibid. p.60-61).
[11] In Cant., Serm. 66, P.L., 183.
[12] In DUVERNOY, Inquisition à Pamiers, op. cit., p.174.



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