Un Concept ?
Dieu est-il une sorte de super-théière céleste ?
« Si je suggérais qu'entre la Terre et Mars se trouve une théière de porcelaine en orbite elliptique autour du Soleil, personne ne serait capable de prouver le contraire pour peu que j'aie pris la précaution de préciser que la théière est trop petite pour être détectée par nos plus puissants télescopes. » (Bertrand Russell, Is There a God? — cité par Richard Dawkins, Pour en finir avec Dieu, éd, Robert Laffont, 2008, p. 60-61.)
« Mais si j'affirmais, poursuit Russell, que, comme ma proposition ne peut être réfutée, il n'est pas tolérable pour la raison humaine d'en douter, on me considérerait aussitôt comme un illuminé. » À juste titre, me semble-t-il, de même qu'il ne serait pas très sérieux de renvoyer dos à dos les croyants et les sceptiques sous prétexte que si on ne peut pas prouver l'existence de ladite théière on ne peut pas non plus prouver le contraire, puisqu’elle est indétectable ! Faut-il préciser que dans ce cas de figure — Dieu comme super-créature —, je me range avec ardeur du côté des sceptiques ?…
Problème : les choses ne se posent pas en ces termes.
Sauf à donner raison à Woody Allen, disant : « Non seulement Dieu n’existe pas mais en plus il est impossible de trouver un plombier le dimanche. »
L'Ecclésiaste
La mise en question de Dieu comme super-théière céleste ou comme plombier du dimanche est déjà le fait du livre de l'Ecclésiaste, où « Dieu » désigne et rassemble la globalité des aspects (non-exhaustifs) de l'idée que ce qui nous advient ne dépend, ultimement, pas de nous.
Il s'agit d'une prise de conscience suite à une réflexion sur ce qu'enseigne ce concept — « Dieu » —, prise de conscience propre à fonder le bonheur, puisque pour l'Ecclésiaste c'est de cela qu'il s'agit : le fait que tout soit « don de Dieu » — nom qui symbolise le fait que nous ne maîtrisons pas ce qui nous advient — invite à « la crainte », qui est en quelque sorte le versant négatif de l'admission de la possibilité que ce qui est don ne soit pas — ou n'ait pas été — octroyé, ou n'ait pas été reçu (car le bonheur — de manger et boire par ex. pour l'Ecclésiaste — suppose le don de ce qui le rend possible, les récoltes par ex., et la capacité d'en recevoir le produit pour le mieux, cela allant jusqu'à des dispositions digestives favorables ! Autant de choses qui au bout du compte, nous dépassent — un dépassement, une série de dépassements que rassemble le concept de Dieu). Crainte quant au versant négatif, donc — et en son versant positif, la reconnaissance, tout simplement, la reconnaissance de ce que la matérialité de la condition du bonheur, jusqu'à la disposition pour le recevoir, ne viennent, ultimement, pas de nous.
Notons qu'il n'est point en tout cela question de foi, mais d'un concept, qui ne désigne pas un objet, mais vise d'abord le fait que ce qui nous advient ne dépend au bout du compte, pas de nous… Notion — qu'on pourrait éventuellement décliner autrement que comme « Dieu » —, concept relevant de la raison, pas de la foi. Concept qui en hébreu se conjugue au singulier mais se décline au pluriel ! — : le livre de l'Ecclésiaste utilise le mot pluriel Elohim, qui pourrait se traduire par « les puissances », ou, pour rendre le singulier : « lui, les puissances » !
Précisons en outre que pour l'Ecclésiaste, la référence à Dieu n'a pas de rapport avec un prolongement post-mortem de l'existence. Précision utile en notre temps, où l'on lie automatiquement le concept de Dieu et une vie post-mortem. Ce que ne fait en aucun cas l'Ecclésiaste : pour lui notre vie est limitée au temps qui nous est donné « sous le soleil ».
De cette vie qui nous est donnée, nous ne sommes ni la source, ni le garant du bonheur que nous pourrions y cueillir : cela nous échappe largement, cela vient des puissances qui nous échappent et se résument à un nom, un concept : « Dieu » : la part qui ne nous échappe pas est celle que l'Ecclésiaste nous invite à mettre en œuvre : un respect reconnaissant, une loyauté aussi : « crains Dieu et observe ses préceptes » (en vue d'un vivre-ensemble éthique, voire cérémoniel, via des règles dont la source, ici aussi, nous excède)… Et tout ce que ta main trouve à faire, fais-le. Cueille le bonheur où il t'est donné : bois de bon cœur ton vin et jouis de la vie avec la femme que tu aimes. Tout cela est don de Elohim, « Dieu » en français.
La conjugaison au singulier vise à ne pas faire de tel ou tel aspect de l'origine indiscernable de ce qui nous advient, un objet de culte particulier — une idole. Au fond, l'origine indiscernable est irreprésentable, sous quelque figure que ce soit. C'est ce que le français a traduit par « Dieu ».
« Dieu »
Le mot français vient du mot « Zeus », « Dju » en latin, que l'on trouve dans « Dju-piter », proche de Dieu-père — père, à savoir origine. La prononciation latine, « Diou » est conservée dans les langues occitanes. Le monde germanique, avec Gott, ou God, s'inscrit dans la tradition du panthéon germanique (cf. Wotan). On pourrait multiplier les exemples et les choix traditionnels qui se sont imposés. Le grec de la Bible des LXX ou du Nouveau Testament donne Theos, nom générique au fond, qui désignait « le divin », rassemblant en un nom au singulier tout le panthéon (pléonasme puisque panthéon désigne le tout des / de la divinité/s) — toute la déité. « Theos », « Zeus », « Dieu », des mots qui connotent tous jour, ciel, ou encore souffle, esprit…
Le choix du singulier « Theos » en grec pour traduire l'hébreu rejoint le fait que l'hébreu conjugue le pluriel Elohim au singulier : une insistance sur l'indiscernable ultime des sources de ce qui nous advient.
Jusqu'ici, on n'a pas parlé de foi. Jusqu'à l'athéisme contemporain et sa radicale mise en question d'un concept devenu un peu trop évident, on est devant un lieu commun : il y a du divin, il y a de la déité, ce qui nous échappe.
Même les plus athées, par rapport aux dieux nommés et repérés que sont les figures des dieux représentés, à savoir les épicuriens, les bouddhistes, ou les juifs puis les chrétiens, taxés d'athées par leurs contemporains, ne remettent pas en question, dans l'Antiquité, la légitimité d'un tel concept. Les épicuriens ne rejettent même pas l'existence « des dieux » : Lucrèce invoque Vénus en entrée de son poème philosophique « De natura rerum » — « De la nature des choses ». Simplement les dieux ne se mêlent pas des nos affaires — ne relevant d’ailleurs peut-être que nos — légitimes — imaginations. On sait que le bouddhisme a une attitude similaire.
Le judaïsme et le christianisme sont plus radicaux : leurs contemporains le remarquent et le leur reprochent en les taxant d'athées : la radicalité en question se traduit dans un refus intransigeant de toute représentation, qui va jusqu'au refus de nommer Dieu — tel qu'il se présente dans l'héritage hébraïque.
Un refus des idoles que l'on retrouve dans l’Épître aux Romains, laquelle, admettant l'idée d'un accès rationnel théorique à la divinité, constate ipso facto que cela se traduit pratiquement en représentations idolâtres : « Les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil, depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. Ils sont donc inexcusables, puisque ayant connu Dieu, ils ne l’ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces ; mais ils se sont égarés dans leurs pensées, et leur cœur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres. Se vantant d’être sages, ils sont devenus fous ; et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible en images représentant l’homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes, et des reptiles. » (Ro 1, 20-23)
Notons que certains penseurs de l'histoire du christianisme ont vu en ce texte un appui à l'idée d'un accès rationnel à Dieu, comme Thomas d'Aquin, lequel rejoint en cela son prédécesseur juif Moïse Maimonide, avec qui il considère que la notion aristotélicienne de causalité permet d'induire l'existence d'un Dieu, sans permettre pour autant d'y voir le Dieu de la Bible. D'autres en revanche, notamment chez les Réformateurs protestants, soulignent de ce fait que ce texte (Romains 1) apparaît comme une voie sans issue puisqu'elle débouche non sur Dieu, mais sur des figures d'idole…
« Incarnation »
En effet, « nul n'a jamais vu Dieu » — il est donc non-figurable, pas même, faut-il le préciser, en celui, « Fils unique, qui l'a fait connaître » ! (Jean 1, 18).
Car la manifestation du Christ s'aborde dans le Nouveau Testament non comme représentation de Dieu, mais telle que résumée à partir par exemple de Philippiens 2, 5-8 : « Jésus-Christ, existant en forme de Dieu, n’a point regardé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu, mais s’est dépouillé lui-même, en prenant une forme de serviteur, en devenant semblable aux hommes ; et ayant paru comme un simple homme, il s’est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, même jusqu’à la mort de la croix. » Ainsi — cf. 1 Corinthiens 1, 17-2, 9 — Paul écrit (1 Co 2, 2) : « je n’ai pas eu la pensée de savoir parmi vous autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. »
L’Incarnation (selon ce vocable issu de Jean 1, 14) apparaît alors comme humilité radicale : au moment où la Parole créatrice s’incarne dans l’humilité radicale de Jésus, menée jusqu’à la crucifixion, cette humilité-même dévoile l’infinie distance de celui dont elle dit la proximité ! Le Crucifié dévoilant Dieu (1 Co 1, 23) — c'est à dire où il n'y plus rien de divin à voir ! Qu'il ne soit d’autre présence de Dieu qu’en vis-à-vis de l’humilité de ses témoins est une constante de la Bible hébraïque : celle de notre dépendance absolue à l’égard de ce qui nous échappe, et qui se trouve ici en quelque sorte récapitulée dans l’humilité radicale — assumée par Jésus.
Plus que jamais, Dieu ne saurait être figuré, ni même nommé.
Le Tétragramme — ou : au-delà du concept ?
Où l'on rejoint un acquis de la tradition juive concernant ce Nom particulier du Dieu ultime, le fameux Tétragramme Yod Hé Wav Hé — YHWH — quatre consonnes données à Moïse dans le livre de l'Exode, et dont on n'emploie pas les voyelles…
Le texte est connu — Exode 3, 1-15 :
Un Nom que l'on ne prononce pas, sauf à en faire… un nom, précisément, un concept : c'est la raison fondamentale pour laquelle on ne prononce pas ce nom, plutôt que parce qu'on aurait perdu les voyelles — ce pourquoi on lit « mon Seigneur », Adonaï, Kyrios en grec, un titre qui nous met en relation avec l'ultime dont relève ce qui nous advient comme ne dépendant pas de nous : mon seigneur, une relation existentielle plutôt qu'une description, ou la captation d'être qui est dans la nomination qui fournit toujours quelque chose de l'ordre du concept, de l'idée, de l'image que l'on s'en fait. Un nom n'épuise pas ce qu'est celui qui le porte — a fortiori la divinité dont on n'a aucune approche suffisante, sauf à la réduire à un aspect, une idole.
On perçoit pourtant bien quelque chose, mais de façon non-exhaustive, de ce que peut signifier le nom déployé dans ce texte, composant le mot être à tous les temps — de telle façon qu'il est difficile à traduire : depuis le concept d'être, précisément, « celui qui est », se conjuguant comme « celui qui est, qui était et qui vient », ce qu'a retenu le grec, avec le mot « ôn » : avec le risque d'en faire le concept d'être, ce qui est encore un concept là où le texte hébreu accentue l'aspect de la promesse : je serai avec toi, où nous sommes conduits à la question de la foi, où le concept de la précédence dans ce qui nous advient comme ne dépendant au fond pas de nous est perçu comme favorable : là apparaît la question de la foi ! — « je serai avec toi », promesse donnée à croire.
La question de la foi
Hé 11, 6 : « il faut que celui qui s’approche de Dieu aie foi que Dieu est, et qu’il est le rémunérateur de ceux qui le cherchent. » Là apparaît la « pichenette » qui fait la différence entre le concept de Dieu et la foi par laquelle on le postule comme favorable. La « pichenette » qui fait la différence entre « Celui qui est » — « l'Être suprême » — et « Celui qui sera avec toi » — « je serai avec toi » : un Dieu favorable, « rémunérateur », source du bonheur de quiconque le cherche. Voilà qui du coup n'est pas évident. Rien, ou presque, ne semble devoir nous conduire à affirmer que Dieu est un créateur favorable à ses créatures — sauf à poser un acte de foi préalable en Dieu comme Dieu qui promet et qui tient. En premier lieu la délivrance dont Moïse va être le porte-parole pour la libération du peuple captif. Délivrance relue comme acte d'un Dieu favorable, libérateur de sa créature.
Paul aux Romains (8, 18-22) : « J’estime que les souffrances du temps présent ne sauraient être comparées à la gloire à venir qui sera révélée pour nous. Aussi la création attend-elle avec un ardent désir la révélation des enfants de Dieu. [… sachant] que, jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement. »
Nous voilà donc aux prises avec ce que nous savons, ce que nous voyons, constatons : le monde, la nature, est la proie du mal, un mal trop souvent insupportable — ce qui fait qu’appeler la nature création est déjà un acte de foi — en un Créateur, Dieu Créateur. Un tel acte de foi n'a a priori rien d'évident quand on voit le mal de ce monde. Acte de foi qui pose que la souffrance en cours peut être comparée à celle d'un enfantement, pour un arrachement de la création à la souffrance qui la taraude — mystérieusement si on croit avec Paul la création destinée à la gloire de la résurrection.
Un acte de foi donc — qui contredit en quelque sorte ce que l'on constate : le mal dans le monde et dans la nature. Juste un exemple de ce mal dans la nature, que j'emprunterai à Théodore Monod : « lorsque je commençais à m'intéresser à l'histoire naturelle, j'ai rencontré en Normandie un malheureux crapaud, dont le visage, la face était partiellement détruite par la croissance d'une larve de diptère. Certaines pondent dans les fosses nasale des crapauds ; la larve, en se développant, détruit une partie de la tête de ce malheureux animal. Songeons aussi aux parasites ! […] Les parasites composent un monde incroyable. Il s'en trouve partout. Il n'est pas une espèce animale qui ne connaisse ses parasites externes ou internes. Ces derniers peuvent causer des ravages physiques considérables, provoquant des souffrances qui ne le sont pas moins. Imaginer que tout provient de la volonté d'un Dieu miséricordieux, compatissant à l'égard de ses créatures, voilà qui paraît difficile à admettre, quand on contemple la vérité physique de l'affreux spectacle de la nature. Pour aborder de tels problèmes, peut-être faudrait-il posséder des connaissances, dont ne disposent pas la plupart d'entre nous. » (Th. Monod, Terre et Ciel, p. 238)
La puissance de production du monde, qu'on peut désigner — entre autres vocables — par le concept de « Dieu » semble n'être qu'une source aveugle d'un monde qui pour déboucher sur l'intelligence humaine qui en lit le processus n'implique pas forcément en être dotée elle-même au départ ! Sauf à être maligne — ou souffrante elle-même ! Selon que — comme dit l'Ecclésiaste (1, 18) — « avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de chagrin, et celui qui augmente sa science augmente sa douleur. »
La même foi qui reçoit Dieu comme favorable, comme étant à l'initiative — intelligente et bonne — du monde, le reçoit alors comme tout proche, nous accompagnant au cœur de nos souffrances, celles de l'esclavage où il est avec le peuple qu'il libère, celles de nos blessures les plus intenses, les plus intimes, les plus atroces — jusqu'à celles qui nous demeurent, peut-être à jamais, incompréhensibles : de la perte prématurée de proches jusqu'à la souffrance animale et à la violence de la nature — c'est au fond la parole de l'Incarnation : « je vous ai rejoints jusqu'à la souffrance et à la mort » — cela en vue de la vie de résurrection dévoilée par le Christ à la foi de ses disciples.
C'est là le Dieu, qui demeurant au-delà de nos mots, de nos concepts, est donné à notre seule foi.
Deux citations pour terminer
Aux Psaumes 14 & 53, on trouve cette affirmation (v. 1) : « L’insensé dit en son cœur : Il n’y a point de Dieu ! » C'est là ce qui concerne le concept, accessible, pour les auteurs bibliques, à la raison : quelqu'un qui s'imagine que tout dépend de lui est insensé, au point d'en venir à ne pas concevoir de limite à son propre pouvoir. D'où le constat qui suit dans le même texte : « Ils se sont corrompus, ils ont commis des actions abominables ; Il n’en est aucun qui fasse le bien. Le Seigneur, du haut des cieux, regarde les fils de l’homme, Pour voir s’il y a quelqu’un qui soit intelligent, Qui cherche Dieu. Tous sont égarés, tous sont pervertis ; Il n’en est aucun qui fasse le bien, Pas même un seul. » (v, 1-3) Ici, la notion de Dieu, qui n'est pas nécessairement une question de foi, est perçue comme incitation à l'humilité : vous n'êtes pas tout-puissants, pas grand-chose de ce qui vous advient ne dépend de vous.
Et puis, il y a la question de la foi, qui postule, éventuellement contre ce qui semblerait des évidences, que Dieu est favorable. Ainsi dans Mt 6, 31-33 : « Ne vous inquiétez donc point, et ne dites pas : Que mangerons-nous ? que boirons-nous ? de quoi serons-nous vêtus ? Car toutes ces choses, que les nations recherchent, votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu ; et toutes ces choses vous seront données par-dessus. »
Dieu est-il une sorte de super-théière céleste ?
« Si je suggérais qu'entre la Terre et Mars se trouve une théière de porcelaine en orbite elliptique autour du Soleil, personne ne serait capable de prouver le contraire pour peu que j'aie pris la précaution de préciser que la théière est trop petite pour être détectée par nos plus puissants télescopes. » (Bertrand Russell, Is There a God? — cité par Richard Dawkins, Pour en finir avec Dieu, éd, Robert Laffont, 2008, p. 60-61.)
« Mais si j'affirmais, poursuit Russell, que, comme ma proposition ne peut être réfutée, il n'est pas tolérable pour la raison humaine d'en douter, on me considérerait aussitôt comme un illuminé. » À juste titre, me semble-t-il, de même qu'il ne serait pas très sérieux de renvoyer dos à dos les croyants et les sceptiques sous prétexte que si on ne peut pas prouver l'existence de ladite théière on ne peut pas non plus prouver le contraire, puisqu’elle est indétectable ! Faut-il préciser que dans ce cas de figure — Dieu comme super-créature —, je me range avec ardeur du côté des sceptiques ?…
Problème : les choses ne se posent pas en ces termes.
Sauf à donner raison à Woody Allen, disant : « Non seulement Dieu n’existe pas mais en plus il est impossible de trouver un plombier le dimanche. »
L'Ecclésiaste
La mise en question de Dieu comme super-théière céleste ou comme plombier du dimanche est déjà le fait du livre de l'Ecclésiaste, où « Dieu » désigne et rassemble la globalité des aspects (non-exhaustifs) de l'idée que ce qui nous advient ne dépend, ultimement, pas de nous.
Il s'agit d'une prise de conscience suite à une réflexion sur ce qu'enseigne ce concept — « Dieu » —, prise de conscience propre à fonder le bonheur, puisque pour l'Ecclésiaste c'est de cela qu'il s'agit : le fait que tout soit « don de Dieu » — nom qui symbolise le fait que nous ne maîtrisons pas ce qui nous advient — invite à « la crainte », qui est en quelque sorte le versant négatif de l'admission de la possibilité que ce qui est don ne soit pas — ou n'ait pas été — octroyé, ou n'ait pas été reçu (car le bonheur — de manger et boire par ex. pour l'Ecclésiaste — suppose le don de ce qui le rend possible, les récoltes par ex., et la capacité d'en recevoir le produit pour le mieux, cela allant jusqu'à des dispositions digestives favorables ! Autant de choses qui au bout du compte, nous dépassent — un dépassement, une série de dépassements que rassemble le concept de Dieu). Crainte quant au versant négatif, donc — et en son versant positif, la reconnaissance, tout simplement, la reconnaissance de ce que la matérialité de la condition du bonheur, jusqu'à la disposition pour le recevoir, ne viennent, ultimement, pas de nous.
Notons qu'il n'est point en tout cela question de foi, mais d'un concept, qui ne désigne pas un objet, mais vise d'abord le fait que ce qui nous advient ne dépend au bout du compte, pas de nous… Notion — qu'on pourrait éventuellement décliner autrement que comme « Dieu » —, concept relevant de la raison, pas de la foi. Concept qui en hébreu se conjugue au singulier mais se décline au pluriel ! — : le livre de l'Ecclésiaste utilise le mot pluriel Elohim, qui pourrait se traduire par « les puissances », ou, pour rendre le singulier : « lui, les puissances » !
Précisons en outre que pour l'Ecclésiaste, la référence à Dieu n'a pas de rapport avec un prolongement post-mortem de l'existence. Précision utile en notre temps, où l'on lie automatiquement le concept de Dieu et une vie post-mortem. Ce que ne fait en aucun cas l'Ecclésiaste : pour lui notre vie est limitée au temps qui nous est donné « sous le soleil ».
De cette vie qui nous est donnée, nous ne sommes ni la source, ni le garant du bonheur que nous pourrions y cueillir : cela nous échappe largement, cela vient des puissances qui nous échappent et se résument à un nom, un concept : « Dieu » : la part qui ne nous échappe pas est celle que l'Ecclésiaste nous invite à mettre en œuvre : un respect reconnaissant, une loyauté aussi : « crains Dieu et observe ses préceptes » (en vue d'un vivre-ensemble éthique, voire cérémoniel, via des règles dont la source, ici aussi, nous excède)… Et tout ce que ta main trouve à faire, fais-le. Cueille le bonheur où il t'est donné : bois de bon cœur ton vin et jouis de la vie avec la femme que tu aimes. Tout cela est don de Elohim, « Dieu » en français.
La conjugaison au singulier vise à ne pas faire de tel ou tel aspect de l'origine indiscernable de ce qui nous advient, un objet de culte particulier — une idole. Au fond, l'origine indiscernable est irreprésentable, sous quelque figure que ce soit. C'est ce que le français a traduit par « Dieu ».
« Dieu »
Le mot français vient du mot « Zeus », « Dju » en latin, que l'on trouve dans « Dju-piter », proche de Dieu-père — père, à savoir origine. La prononciation latine, « Diou » est conservée dans les langues occitanes. Le monde germanique, avec Gott, ou God, s'inscrit dans la tradition du panthéon germanique (cf. Wotan). On pourrait multiplier les exemples et les choix traditionnels qui se sont imposés. Le grec de la Bible des LXX ou du Nouveau Testament donne Theos, nom générique au fond, qui désignait « le divin », rassemblant en un nom au singulier tout le panthéon (pléonasme puisque panthéon désigne le tout des / de la divinité/s) — toute la déité. « Theos », « Zeus », « Dieu », des mots qui connotent tous jour, ciel, ou encore souffle, esprit…
Le choix du singulier « Theos » en grec pour traduire l'hébreu rejoint le fait que l'hébreu conjugue le pluriel Elohim au singulier : une insistance sur l'indiscernable ultime des sources de ce qui nous advient.
Jusqu'ici, on n'a pas parlé de foi. Jusqu'à l'athéisme contemporain et sa radicale mise en question d'un concept devenu un peu trop évident, on est devant un lieu commun : il y a du divin, il y a de la déité, ce qui nous échappe.
Même les plus athées, par rapport aux dieux nommés et repérés que sont les figures des dieux représentés, à savoir les épicuriens, les bouddhistes, ou les juifs puis les chrétiens, taxés d'athées par leurs contemporains, ne remettent pas en question, dans l'Antiquité, la légitimité d'un tel concept. Les épicuriens ne rejettent même pas l'existence « des dieux » : Lucrèce invoque Vénus en entrée de son poème philosophique « De natura rerum » — « De la nature des choses ». Simplement les dieux ne se mêlent pas des nos affaires — ne relevant d’ailleurs peut-être que nos — légitimes — imaginations. On sait que le bouddhisme a une attitude similaire.
Le judaïsme et le christianisme sont plus radicaux : leurs contemporains le remarquent et le leur reprochent en les taxant d'athées : la radicalité en question se traduit dans un refus intransigeant de toute représentation, qui va jusqu'au refus de nommer Dieu — tel qu'il se présente dans l'héritage hébraïque.
Un refus des idoles que l'on retrouve dans l’Épître aux Romains, laquelle, admettant l'idée d'un accès rationnel théorique à la divinité, constate ipso facto que cela se traduit pratiquement en représentations idolâtres : « Les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil, depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. Ils sont donc inexcusables, puisque ayant connu Dieu, ils ne l’ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces ; mais ils se sont égarés dans leurs pensées, et leur cœur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres. Se vantant d’être sages, ils sont devenus fous ; et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible en images représentant l’homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes, et des reptiles. » (Ro 1, 20-23)
Notons que certains penseurs de l'histoire du christianisme ont vu en ce texte un appui à l'idée d'un accès rationnel à Dieu, comme Thomas d'Aquin, lequel rejoint en cela son prédécesseur juif Moïse Maimonide, avec qui il considère que la notion aristotélicienne de causalité permet d'induire l'existence d'un Dieu, sans permettre pour autant d'y voir le Dieu de la Bible. D'autres en revanche, notamment chez les Réformateurs protestants, soulignent de ce fait que ce texte (Romains 1) apparaît comme une voie sans issue puisqu'elle débouche non sur Dieu, mais sur des figures d'idole…
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« Incarnation »
En effet, « nul n'a jamais vu Dieu » — il est donc non-figurable, pas même, faut-il le préciser, en celui, « Fils unique, qui l'a fait connaître » ! (Jean 1, 18).
Car la manifestation du Christ s'aborde dans le Nouveau Testament non comme représentation de Dieu, mais telle que résumée à partir par exemple de Philippiens 2, 5-8 : « Jésus-Christ, existant en forme de Dieu, n’a point regardé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu, mais s’est dépouillé lui-même, en prenant une forme de serviteur, en devenant semblable aux hommes ; et ayant paru comme un simple homme, il s’est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, même jusqu’à la mort de la croix. » Ainsi — cf. 1 Corinthiens 1, 17-2, 9 — Paul écrit (1 Co 2, 2) : « je n’ai pas eu la pensée de savoir parmi vous autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. »
L’Incarnation (selon ce vocable issu de Jean 1, 14) apparaît alors comme humilité radicale : au moment où la Parole créatrice s’incarne dans l’humilité radicale de Jésus, menée jusqu’à la crucifixion, cette humilité-même dévoile l’infinie distance de celui dont elle dit la proximité ! Le Crucifié dévoilant Dieu (1 Co 1, 23) — c'est à dire où il n'y plus rien de divin à voir ! Qu'il ne soit d’autre présence de Dieu qu’en vis-à-vis de l’humilité de ses témoins est une constante de la Bible hébraïque : celle de notre dépendance absolue à l’égard de ce qui nous échappe, et qui se trouve ici en quelque sorte récapitulée dans l’humilité radicale — assumée par Jésus.
Plus que jamais, Dieu ne saurait être figuré, ni même nommé.
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Le Tétragramme — ou : au-delà du concept ?
Où l'on rejoint un acquis de la tradition juive concernant ce Nom particulier du Dieu ultime, le fameux Tétragramme Yod Hé Wav Hé — YHWH — quatre consonnes données à Moïse dans le livre de l'Exode, et dont on n'emploie pas les voyelles…
Le texte est connu — Exode 3, 1-15 :
1 Moïse faisait paître le troupeau de son beau-père Jéthro, prêtre de Madiân. Il mena le troupeau au-delà du désert et parvint à la montagne de Dieu, à l’Horeb.
2 L’ange du SEIGNEUR lui apparut dans une flamme de feu, du milieu du buisson. Il regarda : le buisson était en feu et le buisson n’était pas dévoré.
3 Moïse dit : Je veux me détourner pour voir quelle est cette grande vision, et pourquoi le buisson ne se consume point.
4 Le SEIGNEUR vit qu’il se détournait pour voir ; et Dieu l’appela du milieu du buisson, et dit : Moïse ! Moïse ! Et il répondit : Me voici !
5 Dieu dit : N’approche pas d’ici, ôte tes souliers de tes pieds, car le lieu sur lequel tu te tiens est une terre sainte.
6 Et il ajouta : Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. Moïse se cacha le visage, car il craignait de regarder Dieu.
7 Le SEIGNEUR dit : J’ai vu la souffrance de mon peuple qui est en Egypte, et j’ai entendu les cris que lui font pousser ses oppresseurs, car je connais ses douleurs.
8 Je suis descendu pour le délivrer […] et pour le faire monter de ce pays dans un bon et vaste pays, dans un pays où coulent le lait et le miel, […]
9 Voici, les cris d’Israël sont venus jusqu’à moi, […]
10 Maintenant, va, je t’enverrai auprès de Pharaon, et tu feras sortir d’Egypte mon peuple, les enfants d’Israël.
11 Moïse dit à Dieu : Qui suis-je, pour aller vers Pharaon, et pour faire sortir d’Egypte les enfants d’Israël ?
12 Dieu dit : Je serai avec toi ; et ceci sera pour toi le signe que c’est moi qui t’envoie : quand tu auras fait sortir d’Egypte le peuple, vous servirez Dieu sur cette montagne.
13 Moïse dit à Dieu : J’irai donc vers les enfants d’Israël, et je leur dirai : Le Dieu de vos pères m’envoie vers vous. Mais, s’ils me demandent quel est son nom, que leur répondrai-je ?
14 Dieu dit à Moïse : Je suis celui qui serai. Et il ajouta : C’est ainsi que tu répondras aux enfants d’Israël : Celui qui s’appelle "je suis" m’a envoyé vers vous.
15 Dieu dit encore à Moïse : Tu parleras ainsi aux enfants d’Israël : Le SEIGNEUR, le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob, m’envoie vers vous. Voilà mon nom pour l’éternité, voilà mon nom de génération en génération.
Un Nom que l'on ne prononce pas, sauf à en faire… un nom, précisément, un concept : c'est la raison fondamentale pour laquelle on ne prononce pas ce nom, plutôt que parce qu'on aurait perdu les voyelles — ce pourquoi on lit « mon Seigneur », Adonaï, Kyrios en grec, un titre qui nous met en relation avec l'ultime dont relève ce qui nous advient comme ne dépendant pas de nous : mon seigneur, une relation existentielle plutôt qu'une description, ou la captation d'être qui est dans la nomination qui fournit toujours quelque chose de l'ordre du concept, de l'idée, de l'image que l'on s'en fait. Un nom n'épuise pas ce qu'est celui qui le porte — a fortiori la divinité dont on n'a aucune approche suffisante, sauf à la réduire à un aspect, une idole.
On perçoit pourtant bien quelque chose, mais de façon non-exhaustive, de ce que peut signifier le nom déployé dans ce texte, composant le mot être à tous les temps — de telle façon qu'il est difficile à traduire : depuis le concept d'être, précisément, « celui qui est », se conjuguant comme « celui qui est, qui était et qui vient », ce qu'a retenu le grec, avec le mot « ôn » : avec le risque d'en faire le concept d'être, ce qui est encore un concept là où le texte hébreu accentue l'aspect de la promesse : je serai avec toi, où nous sommes conduits à la question de la foi, où le concept de la précédence dans ce qui nous advient comme ne dépendant au fond pas de nous est perçu comme favorable : là apparaît la question de la foi ! — « je serai avec toi », promesse donnée à croire.
La question de la foi
Hé 11, 6 : « il faut que celui qui s’approche de Dieu aie foi que Dieu est, et qu’il est le rémunérateur de ceux qui le cherchent. » Là apparaît la « pichenette » qui fait la différence entre le concept de Dieu et la foi par laquelle on le postule comme favorable. La « pichenette » qui fait la différence entre « Celui qui est » — « l'Être suprême » — et « Celui qui sera avec toi » — « je serai avec toi » : un Dieu favorable, « rémunérateur », source du bonheur de quiconque le cherche. Voilà qui du coup n'est pas évident. Rien, ou presque, ne semble devoir nous conduire à affirmer que Dieu est un créateur favorable à ses créatures — sauf à poser un acte de foi préalable en Dieu comme Dieu qui promet et qui tient. En premier lieu la délivrance dont Moïse va être le porte-parole pour la libération du peuple captif. Délivrance relue comme acte d'un Dieu favorable, libérateur de sa créature.
Paul aux Romains (8, 18-22) : « J’estime que les souffrances du temps présent ne sauraient être comparées à la gloire à venir qui sera révélée pour nous. Aussi la création attend-elle avec un ardent désir la révélation des enfants de Dieu. [… sachant] que, jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement. »
Nous voilà donc aux prises avec ce que nous savons, ce que nous voyons, constatons : le monde, la nature, est la proie du mal, un mal trop souvent insupportable — ce qui fait qu’appeler la nature création est déjà un acte de foi — en un Créateur, Dieu Créateur. Un tel acte de foi n'a a priori rien d'évident quand on voit le mal de ce monde. Acte de foi qui pose que la souffrance en cours peut être comparée à celle d'un enfantement, pour un arrachement de la création à la souffrance qui la taraude — mystérieusement si on croit avec Paul la création destinée à la gloire de la résurrection.
Un acte de foi donc — qui contredit en quelque sorte ce que l'on constate : le mal dans le monde et dans la nature. Juste un exemple de ce mal dans la nature, que j'emprunterai à Théodore Monod : « lorsque je commençais à m'intéresser à l'histoire naturelle, j'ai rencontré en Normandie un malheureux crapaud, dont le visage, la face était partiellement détruite par la croissance d'une larve de diptère. Certaines pondent dans les fosses nasale des crapauds ; la larve, en se développant, détruit une partie de la tête de ce malheureux animal. Songeons aussi aux parasites ! […] Les parasites composent un monde incroyable. Il s'en trouve partout. Il n'est pas une espèce animale qui ne connaisse ses parasites externes ou internes. Ces derniers peuvent causer des ravages physiques considérables, provoquant des souffrances qui ne le sont pas moins. Imaginer que tout provient de la volonté d'un Dieu miséricordieux, compatissant à l'égard de ses créatures, voilà qui paraît difficile à admettre, quand on contemple la vérité physique de l'affreux spectacle de la nature. Pour aborder de tels problèmes, peut-être faudrait-il posséder des connaissances, dont ne disposent pas la plupart d'entre nous. » (Th. Monod, Terre et Ciel, p. 238)
La puissance de production du monde, qu'on peut désigner — entre autres vocables — par le concept de « Dieu » semble n'être qu'une source aveugle d'un monde qui pour déboucher sur l'intelligence humaine qui en lit le processus n'implique pas forcément en être dotée elle-même au départ ! Sauf à être maligne — ou souffrante elle-même ! Selon que — comme dit l'Ecclésiaste (1, 18) — « avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de chagrin, et celui qui augmente sa science augmente sa douleur. »
La même foi qui reçoit Dieu comme favorable, comme étant à l'initiative — intelligente et bonne — du monde, le reçoit alors comme tout proche, nous accompagnant au cœur de nos souffrances, celles de l'esclavage où il est avec le peuple qu'il libère, celles de nos blessures les plus intenses, les plus intimes, les plus atroces — jusqu'à celles qui nous demeurent, peut-être à jamais, incompréhensibles : de la perte prématurée de proches jusqu'à la souffrance animale et à la violence de la nature — c'est au fond la parole de l'Incarnation : « je vous ai rejoints jusqu'à la souffrance et à la mort » — cela en vue de la vie de résurrection dévoilée par le Christ à la foi de ses disciples.
C'est là le Dieu, qui demeurant au-delà de nos mots, de nos concepts, est donné à notre seule foi.
Deux citations pour terminer
Aux Psaumes 14 & 53, on trouve cette affirmation (v. 1) : « L’insensé dit en son cœur : Il n’y a point de Dieu ! » C'est là ce qui concerne le concept, accessible, pour les auteurs bibliques, à la raison : quelqu'un qui s'imagine que tout dépend de lui est insensé, au point d'en venir à ne pas concevoir de limite à son propre pouvoir. D'où le constat qui suit dans le même texte : « Ils se sont corrompus, ils ont commis des actions abominables ; Il n’en est aucun qui fasse le bien. Le Seigneur, du haut des cieux, regarde les fils de l’homme, Pour voir s’il y a quelqu’un qui soit intelligent, Qui cherche Dieu. Tous sont égarés, tous sont pervertis ; Il n’en est aucun qui fasse le bien, Pas même un seul. » (v, 1-3) Ici, la notion de Dieu, qui n'est pas nécessairement une question de foi, est perçue comme incitation à l'humilité : vous n'êtes pas tout-puissants, pas grand-chose de ce qui vous advient ne dépend de vous.
Et puis, il y a la question de la foi, qui postule, éventuellement contre ce qui semblerait des évidences, que Dieu est favorable. Ainsi dans Mt 6, 31-33 : « Ne vous inquiétez donc point, et ne dites pas : Que mangerons-nous ? que boirons-nous ? de quoi serons-nous vêtus ? Car toutes ces choses, que les nations recherchent, votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu ; et toutes ces choses vous seront données par-dessus. »