<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: septembre 2012

samedi 15 septembre 2012

Un enracinement secret : le patrimoine dans le ciel



Patrimoine caché. Vous avez dit « patrimoine ». Et quid du « matrimoine » ? Si je dis « patrimonial », on sait tous à quoi cela renvoie — au patrimoine. Si maintenant je dis « matrimonial »… on sait aussi à quoi cela renvoie : au mariage — plus qu’à un enracinement ou à un héritage de quelque nature soit-il. Et pourtant…

Voilà qui me semble être une belle illustration de ce que peut être un patrimoine caché, caché au cœur de même de nos mots, mots parfois enfouis sous l’histoire et sa violence…


J’ai donc dit « matrimonial » : au temps où le protestantisme était clandestin en France, et où les actes pastoraux des Églises de la Réforme n’étaient pas reconnus, il fallait pour être à « l’état civil » (ou ce qui ne l’était pas encore), en passer par les rites célébrés par les ministres de l’Église catholique romaine, seule reconnue par l’État d’alors. Les couples protestants voyaient leur mariage non reconnu s’il n’était célébré par un prêtre…

Voilà une « matrimonialité » — secrète en quelque sorte —… qui pouvait valoir de… « petites vengeances » dans les registres de baptêmes.

Un des fidèles de ma paroisse précédente m’a transmis les actes de baptême de ses ancêtres, qui valent de brève citations… À titre de… matrimoine caché…

Par exemple (cf. illustration) : « L’an mil sept cent cinquante, et le vingt neuvième de janvier, a été baptisé Louis Fraysse fils bâtard de Louis Fraysse et de Thérese Montez, religionaires calvinistes vivant en concubinage scandaleux, pour avoir refusé être instruits des principes de la religion catholique, apostolique et romaine, ni en faire profession, habitants la ville de Saint Rome du Tarn, né le vingt septième dudit mois de la susdite année, son parrain a été Louis Blaquier, tailleur, et la marraine, Françoise Baleous, illettrés présents. […] » Etc.
Suit la signature du curé.

Autre formulation lors d’un baptême précédent dans la même famille : « L’an mil sept cent quarante huit et le vingt six décembre, par Maître Louyde Jean-Pierre de Lescure prêtre, notre vicaire soussigné, a été baptisé Pierre Jean Teyssier fils bâtard de Pierre Teyssier et de Marie Fraysse, hérétiques calvinistes, vivant en concubinage scandaleux dans la ville de Saint Rome du Tarn, née le 25 du mois de la présente année […]. »

Etc.

C’était un exemple — via une famille, en l’occurrence dans le Tarn — de ce qu’a connu aussi le Poitou protestant pour se maintenir durant des décennies, deux siècles, sans jamais user de violence pour se révolter, comme cela fut à un moment le cas dans les Cévennes. Une réalité oubliée, issue de la brutalité de l’histoire, et qui cache une part de patrimoine, quasi secret — une part de richesse pour tous, déposée comme un trésor caché, pour le bénéfice de tous.

Un trésor qui nous parvient à tous, quelle que soit notre tradition religieuse, du temps où on ne négligeait rien pour réduire ses témoins à l’ordre régnant, depuis, dès 1681, les fameuses dragonnades (loger des soldats — les dragons — qui avaient pour tâche tacite de perpétrer dans les familles logeuses exactions et pillages divers, jusqu’à ce que la famille renonce à sa foi) — débouchant sur l’illusoire affirmation de la fin de l’existence des protestants, et en conséquence la révocation en 1685 de l’Edit de tolérance signé par Henry IV, jusqu’à l’exil forcé des pasteurs, sous peine de mort, cela accompagné de l’interdiction de l’exil des non-pasteurs (raisons économiques obligent) — cela contre des peines comme les galères.

Certains ont réussi à s’exiler (voir le journal de l’instituteur Jean Migault), ou à exiler leurs enfants pour les scolariser dans des pays où la foi était libre. On a même bien sûr, parlant d’instituteur, interdit le travail d’enseignement aux « hérétiques ».

On est allé jusqu’à tenter la séduction financière : on finançait les passages à la « bonne religion ». On n’a réussi à séduire que quelques escrocs se convertissant éventuellement plusieurs fois pour toucher plusieurs fois la prime !

Bref, rien n’y a fait, au fond, malgré les quelques succès réels, mais essentiellement amers… qui ont réussi à inspirer à plusieurs les voies du dégoût, précédant la déchristianisation.

Mais on a aussi renforcé la solidarité : des catholiques protégeaient les hérétiques, les avertissant, par exemple, de l’arrivée des troupes.

Mais faire lâcher ceux qu’on nommait les opiniâtres, non. De l’humiliation quotidienne à la menace, terrible, en passant par tous les autres procédés imaginables, rien n’y a fait. On a refusé le geste pourtant simple qui consistait à passer à une foi dont on se dit que tout de même, elle n’était apparemment pas si différente de l’autre que cela.

Rien n’y a fait. Les « hérétiques » calvinistes sont allés pour maintenir droite et sauve leur conscience jusqu’à préférer — sans compter la mort — perdre tous leurs biens matériels, patrimoine et héritage à transmettre, qui pouvaient être et ont été saisis.

Mais contre quels autres biens ?

Interdits de culte, ils ont maintenu un culte secret, au désert, ou familial, ici souvent de l’ordre du « matrimoine », tant les mères ont joué un rôle décisif dans la transmission d’une foi interdite de catéchisme.

Quel est donc le bien qui valait tant pour n’être point lâché, quel patrimoine caché, quel secret — parfois caché sous une conversion factice, pour avoir la paix —, quel enracinement secret qui vaut à ce trésor mystérieux d’être préféré à tous les enracinements ?

*

Leur secret, celui qu’ils nous ont légué, est dans ce qu’en dit Jésus : ils y ont trouvé ce qui leur a donné cette force. Un exemple de ce qu’il dit de ce patrimoine caché — Matthieu 13, 44-48 :
44 "Le Royaume des cieux est comparable à un trésor qui était caché dans un champ et qu’un homme a découvert : il le cache à nouveau et, dans sa joie, il s’en va, met en vente tout ce qu’il a et il achète ce champ.
45 Le Royaume des cieux est encore comparable à un marchand qui cherchait des perles fines.
46 Ayant trouvé une perle de grand prix, il s’en est allé vendre tout ce qu’il avait et il l’a achetée.
47 "Le Royaume des cieux est encore comparable à un filet qu’on jette en mer et qui ramène toutes sortes de poissons.
48 Quand il est plein, on le tire sur le rivage, puis on s’assied, on ramasse dans des paniers ce qui est bon et l’on rejette ce qui est sans intérêt."


*

Voilà une série de brèves paraboles qui nous disent que le Règne de Dieu a quelque chose de caché. Voilà donc en effet que le Royaume des cieux est comme un trésor — comme un patrimoine précieux — que l’on cache dans un champ ; et c’est le champ que l’on achète, c’est pour acheter le champ que l’on vend tout. Et mieux que cela, on y cache le trésor. Et si on ne procède pas ainsi, le trésor sera perdu.

Certes ce qui intéresse l’acheteur, c’est le trésor, et pas le champ, mais pour avoir le trésor, il faut bien acheter le champ. Certes c’est le trésor qui est intéressant, la seconde parabole, celle de la perle de grand prix le rappelle : c’est pour elle qu’on vend tout.

Le Royaume des cieux est donc comparable à un filet qui ramasse tout, dit la troisième parabole. Le texte ne dit même pas toute sorte de poissons ; il dit : des choses de tout genre ! Je suis tenté de dire : des bons poissons, et aussi des rascasses, et même des vieux pneus et des boîtes de conserves ! Le tri, on le fait après.

Jusque là, on ne peut, et ne doit, que tout ramasser, même si ce qui nous intéresse, ce sont les bons poissons — comme l’acheteur du champ, qui ne produit peut-être que des ronces, est intéressé par le trésor. Mais c’est pour acheter le champ qu’il vend tous ses biens : « là où est ton trésor, là sera ton cœur » enseigne aussi Jésus…

*

Mais les « toutes sortes de choses » prises dans le filet y sont donc comme ensemble, cela vaut jusqu’à à l’intérieur de soi. Le trésor est bien un trésor caché. Et jusqu’en notre intimité, une séparation devra donc se faire, en nous. Comme le précise Jésus ailleurs, ici, à l’intérieur de soi : « jugez-vous vous-mêmes afin de n’être pas jugés ». Le jugement étant aussi séparation, il s’agit d’une séparation d’avec le mal qu’il faudra donc lâcher.

Or c’est cette connaissance que n’avaient pas les persécuteurs, qui voulant séparer les rascasses, pneus, et autres hérétiques d’avec les bons poissons, gardaient le mal en eux, le mal persécuteur. On sait ce que cette attitude a donné, on sait ce que cela continue de donner ; aujourd’hui, fous sanglants contre bombardements aveugles de guerres prétendues justes ou préventives.

Le Talmud avertissait : « quand un méchant persécute un juste, Dieu est du côté du juste contre le méchant, quand un méchant persécute un méchant, Dieu est du côté du méchant persécuté contre le méchant persécuteur, quand un juste persécute un méchant, Dieu est du côté du méchant persécuté contre le juste persécuteur ».

Tenter de faire venir le Règne de Dieu comme si nous avions en la matière plus de pouvoir que Dieu, c’est faire venir en lieu et place du Paradis espéré, un enfer !

Dieu a envisagé les choses autrement. Que nous disent au fond ces paraboles ? Que le Royaume des cieux « ne vient pas de façon à frapper les regards », qu’on ne fait pas avancer le Règne de Dieu à force de forcer les choses. C’est de cela qu’on été témoins les opiniâtres persécutés. Un seul refuge, secret : la conscience — patrimoine essentiel.

Ce qui nous conduit au cœur de l’Évangile de la foi qui en a habité ses témoins persécutés, celui de la confiance seule. Le Royaume des cieux est de l’ordre de la semence à recevoir de la seule écoute de la Parole de Dieu — et il caché jusqu’au Royaume espéré dont l’instauration n’est pas de notre compétence — et c’est très bien ainsi. L’inutilité sanglante, des pleurs et de la violence le montrent.

Être de l’ordre de la semence, c’est la nature du trésor qui est au cœur du Royaume.

*

Un trésor inépuisable : « tout scribe instruit du Royaume des cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et du vieux », poursuit Jésus après cette série de brèves paraboles — de ce trésor intérieur et extérieur : on en tire de façon inépuisable, toute sorte de choses : « du neuf et du vieux ».

On peut rattacher ce « neuf et vieux » aux « toutes sortes de choses » prises au filet. Pour dire qu’il n’est vraiment pas de notre bénéfice de faire le tri en mettant dehors ce que nous jugerions indésirable : j’ai parlé des rascasses comme de mauvais poissons — mais attendez, et la bouillabaisse ! Voilà donc qu’on aurait eu tort de jeter la rascasse ! Les vieux pneus, donc — quoique ! Tel pêcheur bricoleur qui trouve ça dans son filet en ferait bien une balançoire pour ses enfants…

Qui sait si le Royaume de la promesse est sans balançoires faites avec des vieux pneus ? Il y a bien selon Ésaïe, des charrues faites avec des vieilles épées !

Eh bien il s’agit de tout vendre, et donc de tout se laisser arracher éventuellement, pour ce champ-là. Voilà le patrimoine secret, l’enracinement céleste qui a guidé ce qui ont choisi de tenir ferme. Jésus leur avait dit, au creux de leur conscience, quel précieux trésor y est caché : c’est le Royaume des cieux — et il n’est pas ailleurs : il est là, dans le remerciement pour ce que Dieu nous donne à y voir.

Le ciel dans tout ça ? J’ai parlé de patrimoine dans le ciel. Ce n’est pas le ciel atmosphérique, ou interplanétaire, ou galactique !

C’est le vrai secret de ceux qui ont mené la liberté de leur conscience jusqu’à nous — « quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret ; et ton Père céleste, qui voit dans le secret, te le rendra. » (Matthieu 6, 6).

C’est là le patrimoine dans le ciel — le ciel comme lieu le plus secret de nous-même, lieu de la rencontre du Père céleste : une conscience libérée. « Ma conscience est liée par la Parole de Dieu disait Luther à ceux qui voulaient le voir se rétracter de sa foi : il n’est pas bon d’aller contre sa conscience ».

C’est le patrimoine caché que nous ont transmis ceux qui ont refusé de faire taire leur conscience pour lui préférer l’aisance apparente : ce patrimoine là est un trésor plus précieux que les apparences et le transitoire ; trésor plus précieux que le champ qui le contient — ou tout autre richesse devient simplement un écrin pour ce patrimoine-là, trésor intime, secret spirituel ; « tout près de toi, dans tes mots et dans ton cœur ».

RP
Poitiers, Patrimoine caché - Journées européennes du patrimoine,
15.09.2012


vendredi 7 septembre 2012

L’unité par l’humilité




Philippiens 2, 5-11
5 Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus-Christ,
6 lequel, existant en forme de Dieu, n’a point regardé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu,
7 mais s’est dépouillé lui-même, en prenant une forme de serviteur, en devenant semblable aux hommes ;
8 (2-7) et ayant paru comme un simple homme, (2-8) il s’est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, même jusqu’à la mort de la croix.
9 C’est pourquoi aussi Dieu l’a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom,
10 afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre,
11 et que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père.

*

Et si ce texte parlait d’unité ? L’unité par l’humilité…

L’unité : thème de cette rencontre au Désert 2012. Vaste programme ! Lorsque j’ai demandé à mes collègues en pastorale des précisions — unité du consistoire réformé du Poitou ? Union luthéro-réformée ? Unité des différents protestantismes ? Œcuménisme ?… Je n’ai pas été plus renseigné : tout ça et au-delà. Je me suis retrouvé avec une problématique élargie… jusqu’à l’unité de Dieu, unité dans la Trinité !

Ça m’a finalement éclairé : si on ne me donne pas plus de précisions, autant passer au fondement de l’unité, de toute unité, y compris l’unité dans la Trinité — ce qui m’a semblé renvoyer notamment à ce texte de l’épître aux Philippiens, parlant finalement de l’unité du Christ avec Dieu, qui se concrétise comme humilité.

Quand on sait en outre que ce texte n’est pas donné d’abord comme explication théologique des relations du Christ et de son Père, mais comme une sorte d’exemple à suivre, voilà qui donne matière à réflexion sur le sujet de l’unité, précisément :

« Ne faites rien par esprit de parti ou par vaine gloire » vient de dire Paul en introduction de cet hymne à l’humilité du Christ, avant de préciser : « ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus-Christ »… « Ne faites rien par esprit de parti ou par vaine gloire, mais que l’humilité vous fasse regarder les autres comme étant au-dessus de vous-mêmes. Que chacun de vous, au lieu de considérer ses propres intérêts, considère aussi ceux des autres. Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus-Christ, lequel, existant en forme de Dieu, n’a point regardé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu »… Etc.

S’il est question de refus de l’esprit de parti, il est donc bien question d’unité de l’Église. Cela rappelle cette autre épître de Paul, la première aux Corinthiens, avec cette Église où l’on se réclame du parti de Paul, d’Apollos, de Pierre, ou même d’un autre parti revendiquant plus encore la vérité, le parti du Christ !…

« Ne faites rien par esprit de parti ou par vaine gloire », voilà donc qui fait apparemment écho ici à quelque chose de cet ordre. Surtout quand on constate que la Epître aux 1ère Corinthiens poursuit en donnant en référence la prédication de Paul sur l’humilité du Christ, précisément : Christ crucifié.

*

Or, où se trouve la réponse de Paul face à cette tentation mentionnée aux Philippiens, d’esprit de parti d’un côté, de vaine gloire de l’autre ? — Esprit de parti comme atteinte à l’unité entre Églises, ou entre tendances et courants ; vaine gloire comme atteinte jusqu’à l’unité à l’intérieur de chaque Église, par cette manie qui consiste à s’imaginer être au-dessus d’autrui. La réponse est dans le renvoi à l’humilité du Christ, jusqu’à la croix, humilité qui fonde son unité avec le Père — le Père qui lui octroie son Nom, sa gloire, le Christ un avec lui.

L’étonnant dans ce texte, c’est que cette unité du Père et du Fils n’advient que dans ce renoncement à cette même unité avec Dieu — comme égalité avec lui, identité avec lui. Le Fils ne se révèle comme Fils que par son humilité, son obéissance, dévoilant ipso facto Dieu comme Père.

En d’autres termes, il accomplit là une mission qui ne se révèle comme étant sa mission que parce qu’elle est accomplie, précisément. Cette mission qui est de dévoiler le fondement de l’unité de Dieu, de l’unité avec Dieu — cela par l’humilité extrême qui est de renoncer à une identité repérable, en l’occurrence identité divine, « en forme de Dieu ».

Il accomplit sa mission en acceptant un exil radical loin de Dieu. Or cela est en rapport avec le sentiment plus ou moins confus de tout un chacun : être exilé loin de la source de son être : nous sommes des êtres de désir, des êtres de manque. Et nous comblons volontiers ce manque dans un réflexe tout sauf humble, un réflexe d’identité : qui suis-je ? Réponse — vaine gloire : je suis ce qui apparaît de meilleur de moi, ce que ma réputation a fait de moi, réputation que je dois donc cultiver : me prévaloir de mon identité supposée, quasi de mon égalité avec ce que je m’imagine être, ou à l’inverse en me vantant d’être plus nul que nul — ce qui revient à exceller encore en quelque chose ! Vaine gloire, fût-elle paradoxale. Ou alors réflexe d’identité comme esprit de parti : je suis de telle ou telle foi qui m’identifie, de telle ou telle tradition, d’Apollos, de Paul, de Pierre, de Luther, de Calvin…

Et là Paul, lui et d’autres auteurs du Nouveau Testament, découvre dans la troublante attitude d’humilité du Christ, Christ que lui-même, Paul, reconnaît comme Fils de Dieu par sa foi à sa résurrection — « proclamé Fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts » (Ro 1) — ; Jésus Fils de Dieu, ce malgré quoi il est paru, à l’image du Serviteur d’Ésaïe (53, 2), comme sans éclat, comme renonçant, comme étrangement humble.

En Jean, Jésus ne dit pas autre chose (Jean 6, 38-40) : « Je suis descendu du ciel pour faire, non ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. Or, la volonté de celui qui m’a envoyé, c’est que je ne perde rien de tout ce qu’il m’a donné, mais que je le ressuscite au dernier jour. La volonté de mon Père, c’est que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle ; et je le ressusciterai au dernier jour. »

*

Qu’est à dire « je suis descendu du ciel » ? — Sinon : j’ai renoncé à tout. J’ai renoncé à toute identité — divine — par laquelle je pourrais me poser face au monde. La vérité de mon être est cachée sous mon renoncement.

Ce faisant Jésus dévoile ipso facto la seule source de toute identité : cachée en Dieu (cf. Col 3, 1). Qui suis-je ? Quelle est mon identité ? Dieu le sait ! Et à l’image du Christ ce qui apparaît de moi à l’occasion des circonstances qui m’ont fait naître, adhérer à ceci ou cela, être de tel ou tel métier, région, pays, tradition religieuse, cela relève simplement d’un envoi, de mon envoi, en relation avec ceux que je côtoie, à leur service… Où l’on voit ce que cela signifie quant à l’unité !

Ce n’est pas là mon être, qui lui est caché en Dieu, c’est ma mission, qui consiste avant tout à être vrai et en relation, du fait des circonstances qui précisent ce qu’il en est du service qui m’est octroyé : que puis-je apporter là où je suis ? Cette question est au fondement de toute unité.

*

« La volonté de celui qui m’a envoyé, dit Jésus, c’est que je ne perde rien de tout ce qu’il m’a donné, mais que je le ressuscite au dernier jour. »

C’est cela que Paul lit aussi dans sa méditation de la vie du Christ — « Dieu l’a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom » — ; c’est ce que Paul donne comme exemple pour nous libérer de ce que nous croyons être.

De sorte que l’unité soit garantie — unité avec Dieu, à l’image du Christ, unité dès lors comme renvoi de nos identités repérables à leur place : « morts avec le Christ, votre identité est cachée avec lui, le ressuscité, en Dieu » (Col 3, 1).

Alors comme il en a été pour lui renonçant à la possession de son identité, chacun des éléments qui fait l’humilité de notre vie, son secret, son anonymat, comme pour le Christ dans le temps, cela devient tout simplement ce qui compose notre mission au service des autres dans notre Église et pour les autres.

Le propre de Jésus est d’être celui qui dévoile cela, d’être de le résurrecteur, celui qui dévoile notre vrai être ressuscité, caché en Dieu ; — à sa suite, empreints des sentiments qui l’animaient, notre part est de vivre ce que les hasards de notre naissance, de notre nationalité, de notre tradition religieuse — de nos choix-mêmes, qui sont forcément situés en rapport avec diverses circonstances —, nous font être pour autrui. Alors tout devient élément d’une harmonie dont le plan général nous échappe. C’est précisément l’humble connaissance de cela qui fonde toute unité. Se refuser à l’unité, et à ses manifestations concrètes, comme l’œcuménisme, relève bien de l’esprit de parti qui revient à absolutiser ce qui n’est que chose passagère comme nos appartenances diverses ; cela relève de la vaine gloire, du refus pour soi-même de l’humilité qui est celle du Christ.

Nous désirons l’unité ? — « Ayez donc en vous les sentiments qui étaient en Jésus-Christ » !


RP
Exoudun, Culte au désert,
7.09.12