<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: L’exil et la nostalgie

lundi 30 juillet 2012

L’exil et la nostalgie


Entre la pourriture de l'avenir et le mensonge de la mémoire




Une thématique de l’exil


Le sentiment de l'exil

Le fait de l'exil s'exprime par un sentiment plus ou moins diffus de perte, la mémoire d'un temps passé et meilleur.

Ce sentiment peut être accru consécutivement à un échec, une perte d'emploi, un divorce, un déplacement géographique - exil proprement dit -, un deuil finalement.

Autant d'accroissements d'un sentiment qui dévoilent une réalité qui les précède, et un sentiment qui les ne les requiert pas forcément. Le sentiment de la perte irrémédiable nous atteint de toute façon tous dans le fait que nous vieillissons, et donc que nous allons mourir.

Il n'est pas jusqu'aux réalités positives de notre vie qui ne nous le signalent. Ainsi, dans la vie, on apprend - du moins l'espère-t-on ! Et on apprend de façon "existentielle" - c'est-à-dire que l'on mûrit, donc. Or, mûrir, c'est pourrir un peu. Cela on ne peut s'empêcher de le ressentir. Notre avenir est la pourriture.

C'est là un sentiment qui se nourrit de cette réalité, la nostalgie, tel un champignon - qui pousse comme un rappel du passé, de l'heureuse enfance, de l'heureux temps d'avant l'échec, le déplacement, le chômage, le divorce, le deuil. Et là, il ment déjà. L'avant, l'enfance, étaient-ils si heureux ? Ne serait-ce que pour cette simple raison : n'étaient-ils pas déjà chargés de leur avenir ?

"Se pencher sur son passé c'est risquer de tomber dans l'oubli", dit Coluche. Car il n'est de passé que chargé d'avenir. C'est pourtant là notre situation, tragique, d'autant plus tragique que justement une bonne partie de nos soucis est l'oubli de cet exil, dans la fuite en avant, chargée de la certitude que décidément non, l'avenir est glorieux ; ou dans la culture du mensonge de la mémoire d'un temps passé où il faudrait revenir, où tout était si doux.

L'exil et la nostalgie, la nostalgie comme sentiment de l'exil, telle est notre situation : errants et voyageurs sur la terre : "vous n'êtes pas de ce monde", croyant ou pas, le sachant clairement ou pas. Cf. Calvin, Institution de la Religion Chrétienne, III, ix.


L'expression théologique de l'exil

Parmi les anciennes expressions théologiques de l'exil sont les méditations bibliques et prophétiques sur la destruction du Temple de Jérusalem. Le premier Temple, cf. Ezéchiel 36.

Puis le second Temple, pour le Nouveau Testament.

Suite à la destruction du second Temple, déplacée en milieu romain hostile, l'Eglise développe ce que l'on a appelé l'apologétique - "la défense de la foi", expression significative d'une théologie de l'exil.

En effet défendre la foi suppose qu'elle n'est pas évidente, suppose que le monde est étranger à ses assertions. Ici, l'exil se montre particulièrement radical. Finalement, il est au cœur de nos êtres. Et la démarche apologétique-même revient à admettre que pour notre raison, les choses ne sont pas évidentes, voire pour tel courant de l'apologétique, que la réalité toute droite nous est inaccessible sans une révélation surnaturelle.

Ici, l'exil, évidemment, n'est ni simplement géographique, ni même peut-être seulement éthique, conséquence d'une chute morale. Il peut se révéler être bel et bien ontologique. Et la démarche apologétique chrétienne rejoint alors, et dépasse même, Platon et son mythe de la chute.

Cela s’est développé en christianisme notamment dans la lignée de Tertullien puis d’Augustin, puis dans le calvinisme.

On a ici une exigence d'humilité ; selon que c'est une situation toute humble que celle de l'exil.



Le terreau du lendemain


L'espoir de nouveaux jours

Le malaise qui nous habite nous fait espérer un temps où tout ira mieux. On ne rattrapera pas le passé. Alors bâtissons un avenir qui, au moins par le bonheur, lui ressemble.

Préparons-nous au moins une retraite heureuse.

Mais, mieux que cela, une société sans classe, une Oumma, un Royaume idéal.

L'exemple constantinien. A partir du second exil, en 70, avec la destruction du Temple, et ses suites débouchant à partir de 313 sur la "conversion" de l'Empire romain.


La poursuite d'un mieux

Mais l'échec semble patent.

Alors on se tourne vers un mieux plus humble, on en revient à la retraite : il n’est rien de meilleur que de voir les jours de sa courte vie sous le soleil, mangeant son pain buvant son vin avec la femme que l'on aime, dit l'Ecclésiaste.

Et puis après, chez les morts.

Avant cela, la tentation nous aura taraudés d'en rester à la culture du passé pour une nostalgie en dérive, n'ayant pas perçu son véritable objet - son inaccessible objet.

En attendant, on mendie même, ce mieux plus humble.



Les dérives de la nostalgie


Notre passé historique

Le premier lieu vers où dérive notre nostalgie est le passé censé être meilleur quand s'avère trop patente la pourriture de l'avenir. On passe de l'espérance à son refus : en politique, à la "réaction".

Ici, on est persuadé que la modernité, avec toutes ses connotations, cette modernité qui a si évidemment trahi toutes ses promesses, est la cause de tous nos maux.

On dénoncera ici l'Empire romain converti au temps de Constantin, comme si la croissance numérique du christianisme pouvait déboucher sur autre chose ! Loin de porter un regard intelligemment critique sur un tournant inéluctable, loin d'en analyser de façon critique les dérives, on jette le bébé avec l'eau du bain, pour se préparer à reproduite à l'infini les mêmes erreurs, sous une espèce certes éventuellement différente. Ainsi nombre d'anti-constantiniens ne sont-ils pas fervents partisans de la "moral majority" - ce constantinisme, qui, comme le Canada Dry a l’allure de l’alcool, a le goût de la démocratie ?

Là, on dénoncera la démocratie et l'esprit des Lumières, au nom de ce qu'il a débouché sur la Terreur et les systèmes totalitaires modernes, cela pour prôner un retour à une sorte de chrétienté dont on fait mine d'ignorer que la douceur n'était pas non plus son apanage — la chrétienté, ou l'Oumma médiévale, cela dépend de quel intégrisme on parle.

Ailleurs, on mettra tout dans le même sac, la chrétienté, l'humanisme et l'esprit des Droits de l'Homme, pour prôner un retour au sang pur de la nation. A ce stade la dérive historicisante débouche sur le comble de l'absurde, à son degré suicidaire. Et on a nommé l'extrême droite, qui veut tôt ou tard retrouver les sources païennes du peuple, du sang, de la race. Mussolini, lui, voulait revenir à la gloire impériale et romaine de l'Italie, Hitler exaltait le pur esprit de la mythologie germanique. On sait où débouchent de telles invraisemblances : la volonté d'élimination de l'impur, le juif pour Hitler, l'immigré venu des ex-colonies pour les idéologies d’un type similaire – mutatis mutandis - des pays ex-colonisateurs en général, etc.

Ici, inutile de montrer, cela s'est démontré tout seul par l'absurde, à quel point il est évident que la nostalgie ment. Mentent de la même façon la nostalgie anti-constantinienne, la nostalgie anti-humaniste, la nostalgie anticommuniste, etc.


Le sein maternel

Au fond dans ces dérives-là, et dans leur débouché absurde, se dévoile un problème qui s'avère finalement décryptable comme étant d'un ordre que l'on pourrait qualifier de psychanalytique : un narcissisme exacerbé, le regret du sein maternel.

Alors il apparaît aussi que la tentation d'une telle dérive est au fond de chacun de nous.

Cette dérive est cachée au cœur de notre perception de l'inconvénient d'être né. Cette malédiction de ce triste jour de notre naissance qui perce du tréfonds de nos douleurs les plus intenses. Cette malédiction que prononcent Baudelaire, Cioran, Job, ou Jérémie (Jérémie 20).

C'est là une réalité qu'il s'agit de mettre à jour en nous : nous sommes alors au cœur de la douleur de l'exil. Il s'agit de la mettre à jour en chacun de nous, en sorte que ses potentialités terroristes et suicidaires ne portent pas leur fruit pourri dans l'histoire.

Ici se dévoile la frontière entre l'exil éthique et l'exil ontologique ou métaphysique. L'exil éthique, produit de ce que la théologie appelle le péché originel, consiste justement à un refus de l'exil ontologique, à un refus de la finitude. Ici l'exil éthique et l'exil ontologique se mêlent en tentant de s'opposer.

La nostalgie du sein maternel recoupe la nostalgie du Paradis, puis en amont, la nostalgie du non-être, la nostalgie de l'infinitude - le refus d'exister, et donc d'être limité. D'où, la volonté d'éliminer, sous prétexte de toute-puissance, tout ce qui est différent, c'est-à-dire tout ce qui est vie, jusqu'à sa vie propre, dernier signe de finitude - voir Hitler dans son bunker.



Des mythes de l'exil à l'entrée dans le présent


Du châtiment à l'épreuve

Le thème de l'exil s'exprime, historiquement, en premier lieu en mythes.

Le mythe de l'exil le plus influent est issu du platonisme. Mythe d'une chute des âmes depuis leur origine céleste jusqu'à l'ici-bas de nos réalités. En christianisme, il est le mieux connu sous son espèce origénienne : Origène l'hérite sans doute de l'alexandrinisme juif, notamment de Philon. Mais aussi, il le fait dériver du Nouveau Testament, se réclamant avant tout de Paul.

Son mythe procède d'une lecture allégorique de la Genèse et d'Esaïe 14.

Ce mythe persiste jusqu'au plein Moyen Age, comme en témoigne le fait qu'il est au cœur de la théologie cathare. On en trouve trace chez des médiévaux non-cathares, comme Bernard de Clairvaux (reprenant comme tant d'autres le thème de la chute du diable selon Origène pour le voir piégé par le Christ) et chez Anselme de Canterbury (lisant la chute des étoiles d'Apocalypse 12).

L'orthodoxie a gardé de ces développements le mythe de la chute de Lucifer.

L'autre thème mythique important concernant l'exil et l'interprétation de la Genèse est celui de la Cabale de Luria, datant du XVIe siècle - mais ses racines sont plus anciennes.

Ici l'exil est plus épreuve, voire mission, que châtiment. Il est question au sens strict d'exil métaphysique de Dieu même. Le "retrait de Dieu", le "tsimtsoum", est à l'origine de la création. On peut mentionner une autre approche mythique du mal, développée dans l’évolutionnisme.

Parlant d’évolutionnisme comme d'un mythe, je précise que je n'entends pas nier la théorie de l'évolution sous angle paléontologique ou biologique en lui opposant une Genèse qui serait perçue comme une alternative scientifique à la théorie de l'évolution, au mépris de son genre littéraire.

Le thème cabalistique influence directement, ou indirectement, en parallèle son équivalent chez le mystique luthérien Jacob Böhme, la philosophie évolutionniste moderne (pour Jacob Böhme, il est plutôt question de désir de Dieu à l'origine de la création, désir d'un mieux).

Dans l’évolutionnisme, ce thème d'un passage vers le mieux, s'exprime dans tout le devenir du monde.

Chez Hegel ce devenir est aussi un devenir de Dieu.

Ici l'exil prend une allure positive. Il devient en fait Exode, comme chez un Teilhard de Chardin.


De la mission au quotidien

Pour revenir à la Cabale de Luria proprement dite, elle consiste à nous proposer une interprétation du problème du mal, comme exil géographique du peuple juif chassé d'Espagne.

Dieu y exprime la réconciliation dans l'histoire du monde, où l'exil devient donc mission.

Le mythe a fonction alors de discours de consolation. Où l'on rejoint l'Epître aux Hébreux.

Consolation pour continuer à vivre, pour continuer un chemin difficile, un chemin douloureux, que Dieu a voulu tel, un chemin vers la résolution ultime, au jour où "Dieu sera tout en tous".

C'est alors, en regard de la résolution utime, que ce chemin du provisoire se donne à apparaître comme chemin d'écoliers au long duquel se cueillent les fruits passagers du bonheur, toujours provoire, "usant du monde comme n'en usant pas" (1 Corinthiens 7).


R.P.
Aix / FLTR 1995
Sophia-Antipolis / Philo-Sophia 2005-2006


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