<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: Nos convictions sont-elles nôtres ? Quelle mission ? Proclamer quoi ?

samedi 15 octobre 2011

Nos convictions sont-elles nôtres ? Quelle mission ? Proclamer quoi ?



« N'a de convictions que celui qui n'a rien approfondi. » (Cioran, De l'inconvénient d'être né)




Introduction. Vous avez dit « théologie systématique » ?


… Mais « La carte n’est pas le territoire » – (Alfred Korzybski)
Ruptures / Aristote Galilée Einstein


Les systèmes philosophiques et/ou théologiques proposent, selon des principes recevables en un temps donné, des synthèses d’un donné qui n’est pas a priori ordonné de façon systématique.

Ainsi pour le donné biblique — comme pour d’autres — la mise en systèmes s’opère selon quelques principes, à l’instar des systèmes philosophiques, dès avant que la théologie et la philosophie ne soient aussi clairement distinguées qu’elles le sont pour nous. La distinction n’est par originelle : chez Aristote la théologie est à peu près l’équivalent de la « philosophie première », de la métaphysique, la partie de la philosophie qui est au-delà de la physique ou science de la nature, « meta ta physikè » — « super naturam », « sur-nature ».

La distinction apparaît comme distinction des données de base : d’un côté ce qui est observable à partir de la considération du monde et de la perception commune — grecque généralement — ; de l’autre le donné biblique. Sensible chez un Augustin (IVe-Ve s. ap. JC) — pour qui « la philosophie est la servante de la théologie » —, la distinction théologie-philosophie est clairement tracée avec Thomas d’Aquin (XIIIe s.).

De l’Antiquité à la Renaissance, la clef de lecture et d’établissement des systèmes est la logique d’Aristote (IVe s. av. JC) : identité, non-contradiction, tiers exclu (A est A, A n'est pas non-A, il n'y a pas de milieu entre A et non-A), posant la connaissance comme « adéquation de la chose et de l’intellect », en cohérence avec le système du monde aristotélicien : une terre sphérique (avant Aristote la terre n’est pas encore ronde) à un pôle (au centre), à l’autre pôle le « ciel empyrée » et le « trône de Dieu ». Le « ciel empyrée » est le « dixième ciel », les autres cieux étant ceux des sept « planètes » observables à l’œil nu (Lune, Mercure, Venus, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne), plus le ciel des étoiles fixes (le zodiaque) et le ciel du mouvement diurne. La matière céleste est l’éther (la cinquième essence, la quintessence, matière spirituelle et lumineuse), au-delà des quatre autres « essences » ou éléments : terre, eau, air, feu — matière de notre ici-bas.

Ce monde, mû par les Intelligences célestes, les anges, imitant la perfection de Dieu, s’est irrémédiable écroulé sous le regard de Galilée (XVIIe s.) aidé de sa lunette grossissante, qui lui permet de dire que les planètes sont composées de matière similaire à celle que nous connaissons ici-bas. S’esquisse la confirmation des calculs de Copernic… Et s’ensuit l’effondrement du monde aristotélicien, véritable « ébranlement des puissances des cieux ».

Le monde va désormais devoir se penser sur un mode autre que celui de l’harmonie géocentrique, avec un Dieu garant de cette harmonie, via éventuellement son représentant, le pape, qui lui-même a été fortement ébranlé par la Réforme.

Suite à Descartes (XVIIe s.) apparaissent d’autres propositions de systèmes du monde que le système aristotélicien sur lequel s’appuyaient aussi les systèmes théologiques. Le pôle central du système nouveau est le sujet : « je pense donc je suis » (formule reprise d’Augustin, mais désormais centrale et fondatrice).

Newton vient à son tour proposer l’alternative de la force gravitationnelle pour expliquer la rotation des planètes mues auparavant, dans le système aristotélicien / ou ptoléméen, par les anges — intelligences célestes.

Un monde s’est bel et bien écroulé, entraînant des ruptures en matière de connaissance, ruptures épistémologiques qui maintiennent toutefois la logique d’Aristote, logique de non-contradiction, selon un autre cadre, d’autres systèmes.

Une nouvelle rupture intervient au début du XXe s. avec Einstein et la théorie de la relativité qui, elle, remet en cause la logique d’Aristote, selon la formule d’A. Korsybski : « La carte n’est pas le territoire ». Illustration frappante et simple : une mappemonde, on le sait, ne correspond pas à ce qu’elle représente, puisqu’on ne peut donner à plat ce qui est approximativement sphérique. Korsybski a été popularisé par l’auteur de science fiction A. E. Van Vogt et son cycle des « Ã », à savoir « Non-A », c’est-à-dire « non-aristotéliciens ».

D’Aristote à nos jours, un cycle s’est déroulé : trois ruptures radicales dans les mises en place de systèmes, de « cartographies » : on sait clairement que la « carte n’est pas le territoire », propos confirmé de façon frappante récemment, avec la découverte (qui ne remet toutefois pas fondamentalement Einstein en cause) de la possibilité qu’il y ait des éléments plus rapides que la lumière : la carte d’Einstein non plus n’est pas le territoire.

Évidemment cela vaut aussi pour les systèmes théologiques, la cartographie théologique. Proposer un système théologique revient à proposer une carte, qui ne correspond pas à ce dont on entend rendre compte… À bon entendeur… Cela vaut pour la suite, ci-dessous.




- 1. Convictions. Relecture de la fatalité en grâce / foi à la résurrection


a) Nos convictions sont-elles nôtres ?

« Avoir des convictions » signifie « être convaincu ». Cela se conjugue au passif. D’où : de quoi suis-je convaincu, par quoi, par qui ?

Tout d’abord n’oublions pas que nous sommes héritiers. Quel héritage ? Un héritage qui doit beaucoup à des moments historiques dont le rapport avec nos convictions peut sembler parfois lointain. Pensons à l’incontournable tournant constantinien, que nous considérons très souvent avec regret… Mais serions-nous convaincus de ce dont nous sommes convaincus en matière de foi chrétienne sans le tournant constantinien ? Ne défendrions-nous pas (mais ce serait un autre film) s’il n’avait pas eu lieu, le néo-platonisme par ex., synthèse religieuse alternative à celle, chrétienne, qu’a promue Constantin ?

Selon une des plus récentes études sur Constantin, celle de Paul Veyne dans Quand notre monde est devenu chrétien (Albin Michel 2007), Constantin a acquis de réelles convictions chrétiennes, et avec elles, le sens d’une vocation, vocation d’empereur chrétien : opérer un tournant eschatologique, via un véritable pari de la foi. Le christianisme, selon P. Veyne, aurait représenté alors tout au plus une forte minorité, qui, sans le pari constantinien, serait demeurée une secte de relative importance, pas plus. Il est devenu, dans la suite logique de l’œuvre de Constantin, la religion de l’Empire romain, et donc de l’Europe, de l’Occident, du monde sous son influence, qu’il soit orthodoxe, catholique romain, protestant… (Le protestantisme réforme, en regard de la tradition hébraïque — sola scriptura — la religion romaine dont il est aussi héritier.)

Cela dit, nous avons tous appris que — selon la formule de Tertullien —, « on ne naît pas chrétien, on le devient ». Où il est question au-delà de l’héritage, de choix personnel…

Question de choix personnel, donc ? S’ensuit la question : sur quelle base un choix s’opère-t-il, selon quels critères, entre lesquels on opte sur quelle base ? Connaît-on les tenants et les aboutissants ?

Sachant le nombre, la multiplicité des choix possibles, quel rôle joue notre délibération en fin de compte lorsqu’il s’agit de trancher ?

Ne serait-ce que pour l’achat d’un pantalon ou d’une machine à laver dans la société de consommation contemporaine ! Cf. Le paradoxe du choix de Barry Schwartz, éd. Michel Laffont : une décision de cet ordre, dans la multiplicité des choix et des critères possibles (prix, coupe, performances, promotions ou pas, etc.) place la fonction rationnelle au second plan au point que le choix s’effectue finalement de façon infra-rationnelle ! — ce qu’a très bien compris la pub associant tel lave-linge, telle voiture, au bonheur ! via images paradisiaques ou autres…

Or ce qui est évident dans le domaine des achats pour le regard du sociologue, vaut à bien y regarder, dans des domaines plus significatifs, et a fortiori : du « choix du conjoint » à… la naissance ! Quel rôle joue la raison, la décision rationnelle ?

Qu’est-ce qui prime, la raison ou la volonté — irrationnelle ? Arthur Schopenhauer (début XIXe s.) s’est attaché à faire apparaître le rôle primordial de la volonté, obscure, antécédente à la raison, non seulement dans nos « choix », mais dans la venue à l’être, la nôtre et celle du monde-même, fruit d’une volonté obscure, d’un sombre vouloir-vivre.

Le choix du conjoint-même, par ex., apparaît ainsi comme effet de la volonté de perpétuation de l’espèce à travers l’illusion d’un choix nôtre ! Les courbes féminines de sa belle auxquelles succombe l’amoureux ne sont alors rien d’autre que la promesse, perçue instinctivement, d’une procréatrice avantageuse pour la descendance. La mâle assurance, les muscles, l’intelligence et le porte-feuille bien garni, la promesse, pour la dame, d’un bon protecteur de sa progéniture, etc. (Cf. Schopenhauer, Métaphysique de l’amour , métaphysique de la mort.)

Cela vaut au plan individuel dans le choix du conjoint ; au plan collectif cela vaut jusque dans le déclenchement d’une guerre, par ex., qui fera des milliers de morts et que l’on justifie comme défense des Droits de l’Homme, ou (très actuel) des populations civiles (bombardées au motif de les protéger)… Comme antan on les justifiait comme défense de la Croix, par exemple. Or dans les cas modernes, comme médiévaux, au fond la racine obscure de telles actions est à chercher dans des zones irrationnelles et inquiétantes, celles d’une sombre volonté…

Et cela vaut jusqu’à notre naissance qui ne doit rien à la raison, évidemment, et qui, ainsi que le fait toucher du doigt Cioran (Cf. De l'inconvénient d'être né) est le moment où nous avons tout perdu. L’infini des possibles, l’infini des « choix » possibles, s’est réduit à une actualisation unique, cantonnée, un « choix » qui est forcément le mauvais « choix » puisqu’il nous a fait tout perdre, perdre l’infini des possibles !

Quand F. Dolto signale que la naissance est le fruit de trois désirs, celui du père, celui de la mère, celui de l’enfant lui-même, c’est bien de désir qu’il s’agit, pas de choix rationnel ! Si la raison eût été engagée — d’abord on le saurait (peut-être) ou plutôt, à bien considérer les choses, la naissance ne serait jamais advenue… L’Ecclésiaste : « J’ai trouvé les morts qui sont déjà morts plus heureux que les vivants qui sont encore vivants, et plus heureux que les uns et les autres celui qui n’a point encore existé et qui n’a pas vu les mauvaises actions qui se commettent sous le soleil. » (Ecc 4, 2‑3.)

Cioran rejoint alors tout bonnement l’Ecclésiaste, grand témoin biblique de l’inconvénient d’être né ! Avec Jérémie (ch. 20) ou Job — comme l’a fait aussi un Baudelaire, par ex. (Cf. dans Les fleurs du mal, « Bénédiction ».)

Le choix a-t-il été nôtre, celui de notre raison, ou le fruit d’une obscure volonté qui nous échappe, la source de notre malheur ?

L’approche de Schopenhauer, une volonté obscure derrière nos actions, que nous tentons de justifier — d’auto-justifier — par la raison dans un second temps, n’est pas sans analogie avec la notion classique en chrétienté de « péché originel », qui atteint jusqu’à notre raison (la « putain du diable » selon Luther dont l’influence sur Schopenhauer est sans doute loin d’être insignifiante). Une ligne qui va de Paul (Romains 2-7) à Luther et Calvin et au-delà en passant par Augustin pour ne citer que les plus connus.

Une notion — le péché originel — qui permet de relier le fait que nous percevons qu’il y a quelque chose d’essentiellement bon, dans les signes de beauté, de bonté, de bonheur, qui nous sont perceptibles, des signes du Royaume pour Calvin (Institution de la Religion Chrétienne, III, x) — à cet autre constat : nous sommes plongés dans un monde de douleur, de violence, nous en sommes partie prenante jusqu’au cœur de nos êtres. Le mal. Un décalage, non pas tant chronologique que logique peut-être, mais qui s’illustre et se dit via un récit (Gn 3) — forcément chronologique, lui, donnant un avant et un après, que seul nous habitons.

Enracinement sombre de toutes nos actions. Luther encore : « nul ne peut savoir si toutes ses bonnes œuvres ne sont pas des péchés mortels si elles ne sont gratuitement justifiées par l’Esprit saint ».


b) Volonté et grâce – question de relecture

La question est de savoir comment on reçoit le fait qu’on ne choisit pas selon des critères rationnels, qu’on n’a de convictions qu’au passif et que sous cet aspect-là des choses aussi, les convictions précèdent les raisons que l’on en donne a posteriori.

Et donc que la raison ne précède pas la foi selon laquelle elle lit ce qui est advenu en matière de convictions, comme d’actions…

Tout un éventail de clefs de lecture est possible, jusqu’à celle qui relève d’un acte de foi posant un enracinement antécédent à celui qui se déploie à l’occasion de la volonté obscure qui meut ce qui advient jusqu’à nos choix individuels, convictions et actions.

« Vous aviez médité de me faire du mal : Dieu l’a pensé en bien, pour accomplir ce qui arrive aujourd’hui, pour sauver la vie à un peuple nombreux » (Genèse 50, 20).

Acte de foi, une des clefs de la Genèse est ce « penser en bien » par Dieu de ce qui est advenu via le mal, un mal profond, quand bien même auto-justifié. Si bien que la notion même de création par un Dieu bon est bien un acte de foi, posé dès le début de la Genèse et confessé dans nos credo « Je crois en Dieu, père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre ». Le croire, parce que la raison ne permet pas de le constater : « plus heureux celui qui n’a point encore existé et qui n’a pas vu les mauvaises actions qui se commettent sous le soleil. » (Ecc 4, 3.)

La conviction qu’un Dieu bon, portant un projet de bonheur, est garant ultime de ce qui se déroule, propre à fonder une espérance, est un donné, une « grâce », reçue par la foi.

La « promesse » ainsi donnée à la foi est au cœur de « l’Alliance » qui fait canon de la tradition(s) et de la pensée bibliques. Toute tradition s’identifie à ce qui en fait critère, que la philosophie (puis la théologie) appelle « canon », dans lequel on reçoit un héritage plutôt qu’un autre. La tradition épicurienne, parle ainsi, elle aussi, de « canon », à savoir ici la théorie des atomes, en lien avec l’espérance d’un bonheur qui postule le bannissement de la peur, et des dieux, et de la mort. Un texte qui ne recèle pas ces éléments n’est pas dans le canon épicurien. De même pour la philosophie bouddhique et la notion d’impermanence des éléments sans laquelle on n’est plus en bouddhisme.

Le nom tétragramme YHWH, porteur de la promesse d’un Dieu bon, est au cœur de la relecture biblique du monde et de ce qui fait paradigme de cette relecture, certains textes (portant ce nom) et pas d’autres (ne le portant pas)…

Le christianisme fonde sa relecture du monde comme chargée de la promesse de la bonté de Dieu dans l’événement qu’il reçoit comme son accomplissement, l’événement du dimanche de Pâques reçu devant le tombeau vide.

Ici s’opère et se fonde une autre lecture, relecture de la volonté sombre en grâce. Fondement d’une conviction au passif, reçue selon un autre ancrage — reçue d’un autre « convicteur ».




- 2. Mission / transformation de l’exil


a) Envoi comme exil relu / Incarnation

Ici s’opère un renversement vers la mission. Une conviction reçue fonde une mission, comme transformation de ce qui est d’abord exil dans le mal.

Le fait de l'exil s'exprime par un sentiment plus ou moins diffus de perte, la mémoire d'un temps passé et meilleur. Ce sentiment peut être accru consécutivement à un échec, une perte d'emploi, un divorce, un déplacement géographique — exil proprement dit —, un deuil finalement.

Autant d'accroissements d'un sentiment qui dévoilent une réalité qui les précède. Le sentiment de la perte irrémédiable nous atteint de toute façon tous dans le fait que nous vieillissons, et donc que nous allons mourir.

C'est là un sentiment qui se nourrit de cette réalité, la nostalgie, tel un champignon — qui pousse comme un rappel du passé, de l'heureuse enfance, de l'heureux temps d'avant l'échec, le déplacement, le chômage, le divorce, le deuil. Mais l'avant, l'enfance, étaient-ils si heureux ? Ne serait-ce que pour cette simple raison : n'étaient-ils pas déjà chargés de leur avenir ?

L'exil et la nostalgie, la nostalgie comme sentiment de l'exil, telle est notre situation : errants et voyageurs sur la terre : « vous n'êtes pas de ce monde », croyant ou pas, le sachant clairement ou pas. Cf. Calvin, Institution de la Religion Chrétienne, III, ix.

Parmi les anciennes expressions théologiques de l'exil sont les méditations bibliques et prophétiques sur la destruction du Temple de Jérusalem. Le premier Temple, cf. Ezéchiel 36. Puis le second Temple, pour le Nouveau Testament.

En ce sens, l'exil, évidemment, n'est ni simplement géographique, ni même seulement éthique, conséquence d'une chute morale. Il se révèle être exil métaphysique.

Un exil fondamental dévoilé tout à nouveau dans l’événement du dimanche de Pâques. La résurrection donnée comme moment fondamental, précédant la relecture par ses disciples de la vie du Christ. « Existant en forme de Dieu, Jésus-Christ n’a point regardé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu, mais s’est dépouillé lui-même, en prenant une forme de serviteur, en devenant semblable aux hommes ; et ayant paru comme un simple homme, il s’est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, même jusqu’à la mort de la croix » (Ph 2, 6-8).

Où notre exil métaphysique apparaît au regard de la vie du Christ comme exil assumé en mission, ouvre un nouveau sens de notre sens de notre propre exil.


b) Autre aspect / autre face / autre registre

Comme l’exil d’Israël à Babylone est lu comme tournant, envoi (mission) vers les nations en vue du dévoilement universel du Nom porteur de la promesse d’une autre lecture, la venue du Ressuscité dans le temps, la rencontre du Ressuscité, fonde une relecture possible de notre exil dans le temps, suite à l’inconvénient d’être né.

Voilà un quotidien, notre quotidien que l’on relit (étymologie de religion selon Cicéron) un quotidien que l’on relie (étymologie de religion selon Lactance) à un autre sens, qui reçoit un autre aspect ; comme un envoi (mission).

La mission se reçoit ainsi comme quotidien relu — relu vers où l’on va (cf. Gn 12 / vocation d’Abraham), puis extension vers, jusqu’à la « mission » au sens commun, celle qui fonde la démarche d’un Paul allant vers les nations.



- 3. Proclamation / verbalisation d’autres possibles


Comme convictions, choix, actions… sont fondés antécédemment à la raison, ainsi en est-il de ce que l’on proclame comme lecture de notre mission — relecture de notre exil.

La raison, l’argumentation, est seconde et n’est donc pas décisive. Elle l’est d’autant moins qu’elle n’atteint pas le concret de la vie réelle.

La raison consiste à fournir des classements, des catégories, choses abstraites, donc. Le réel, concret, n’est pas atteint. Est rationnel, scientifique, ce qui est reproductible en laboratoire, ce que n’est jamais l’événement, les événements concrets de nos vies, irréductiblement uniques et irreproductibles.

En ce sens le moindre événement apparemment banal n’est pas plus rationalisable que l’événement du dimanche de Pâques.

Cela vaut pour le récit par lequel on donne quelque événement que ce soit. Un récit est relecture, il n’atteint jamais le fait qu’il relate.

Dans l’événement unique seul est la vérité concrète de la rencontre, jamais dans l’abstrait, où, dans la mise en catégories se perd le réel concret, et s’origine le désespoir dont l’alternative est dans la foi — cf. Kierkegaard, Traité du désespoir ou La maladie à la mort : cf. Jean 11. « Lazare est malade », annonce-t-on à Jésus : « cette maladie n’est pas à la mort », répond Jésus. Parole qui, reçue dans la foi, met terme au désespoir, la maladie à la mort.

L’événement du dimanche de Pâques apparaît alors comme source d’une espérance, non seulement contre tout désespoir, mais « contre toute espérance » (toute espérance ainsi rendue vaine). Il est question de foi, qui ne se laisse pas scandaliser par l’unicité de l’événement hors catégories. La foi comme alternative au scandale ; et qui me fait contemporain du Christ, unique dans l’éternité comme il est l’Unique.

La résurrection du Christ fonde un déplacement, qui rompt avec toutes les identités, qui en fait des réalités secondes par rapport à l’être devant Dieu, quelles que soient ces identités, notamment nationales, religieuses, rituelles (c’est le bouleversement que connaît Paul dans sa rencontre du Ressuscité — cf. Alain Badiou, S. Paul, la fondation de l’universalisme, PUF 1997).

Cela ne nie pas la mort comme terme, mort terme incontournable et qui le demeure, quand bien même ma mort devient seconde en quelque sorte, par rapport à la résurrection, comme le récit évangélique de la vie du Christ, jusqu’à sa mort, s’ordonne en regard de l’événement du dimanche de Pâques.

La mort fonde toutes mes nostalgies et mes fausses espérances — sourcées dans des blessures, qui demeurent. La résurrection se place, et la place, les place (mort et blessures) à un autre niveau. Une proclamation — « Ô mort où est ton aiguillon ? » (1 Co 15, 55 ; Osée 13, 14) — s’y ancre, proclamation comme verbalisation des notions de résurrection / Incarnation / Transfiguration — Incarnation et Transfiguration étant des moments de la relecture de la vie du Christ à la lumière de la foi des disciples à sa résurrection.

Dans le cadre de la proclamation de l’événement du dimanche de Pâques advenant dans un quotidien dont le terme est la mort, apparaît un concept de Dieu d’un tout autre ordre que celui d’une figure projetée à la face du ciel. Rejoignant l’Ecclésiaste, « tout ce que ta main trouve à faire avec ta force, fais-le ; car il n’y a ni œuvre, ni pensée, ni science, ni sagesse, dans le séjour des morts, où tu vas » (Ecc 9, 10). La mort comme terme est au cœur du réel, où le concept de Dieu apparaît comme désignant le fait que ce qui nous advient ne dépend, pour l’essentiel, pas de nous. Concernant la grâce à recevoir, il s’agit de percevoir que ne dépendent pas de nous non seulement les conditions matérielles du don de Dieu, mais même notre capacité à le recevoir.

La lecture de la foi, comme transformation de l’exil en grâce / et mission est portée par la conviction que le Dieu qui donne et le vouloir et le faire, et les conditions du bonheur et la capacité à le recevoir, nous est favorable.

Telle est la proclamation libératrice, qui délie jusqu’à nos mémoires — via notre contemporanéité de la résurrection du Christ comme porte de tout déplacement. Une relecture qui nous relie à une autre mémoire, autre que notre mémoire blessée.

Toute lecture de nos vies est relecture d’événements qui ne nous sont accessibles que par le récit que nous en faisons, récit sans cesse modifié à l’aune de nos expériences successives. Et voilà un fondement radicalement nouveau, déferlant du tombeau vide, pour une relecture qui n’est pas le fruit d’habitudes blessées en forme d’ornières — celles des blessures qui demeurent —, mais d’un autre passé contemporain / et d’un autre avenir toujours possible, qui commence aujourd’hui-même : c’est aujourd’hui le jour du salut (Hé 3 ; Ps 95).

RP
Marseille 15.10.11
« Convictions, mission, proclamation »
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