La langue dont il s’agit est « la langue sainte » selon le célèbre commentateur Rachi* — une langue qui parle « amour et fraternité », quelque chose de positif en soi... Et qui va pourtant mal tourner.
C’est, poursuit Rachi, au motif que « Dieu n’avait pas le droit de s’attribuer de manière exclusive le monde supérieur », que cette humanité unie se dresse en élevant sa tour. Interprétation percutante de l’issue (que donne le v. 4 « une tour qui touche le ciel ») d’un préalable pourtant très positif, quasi utopique : « une seule langue et des paroles identiques ». Une humanité en passe de réaliser enfin un monde harmonieux, à l’opposé du chaos qui a conduit au déluge…
Et voilà que… « le Seigneur les dispersa » (v. 8). Après le déluge, pourquoi ce châtiment apparemment plus modéré ? demande Rachi : « quel a été le plus grave péché, celui de la génération du déluge ou celui de la génération de la tour de Babel ? » Les seconds semblent être allés plus loin, « entrant en guerre contre Dieu. Et pourtant les premiers ont été anéantis, alors que les seconds ne l’ont pas été ! C’est parce que la génération du déluge pratiquait corruptions et violences, d’où sa destruction, alors que celle de la tour pratiquait l’amour et la fraternité, ainsi qu’il est écrit : "une seule langue et des paroles identiques" (v.1). » On est ici plutôt dans le préventif…
La Torah, dont ce texte est un des moments introductifs, est le don d’une loi qui permette enfin de sortir des échecs récurrents dans la mise en place d’un monde apaisé. À Babel, on y est presque. « Une seule langue et des paroles identiques ». Voilà qui fait loi commune !.. On est à la veille de s’accorder sur une Déclaration des Droits de l’Homme ! Il n’est pas jusqu’à Dieu qui ne semble s’y conformer : « Le Seigneur descendit pour voir » (v. 5). Rachi à nouveau : « Il n’avait pas besoin de descendre pour cela, mais le texte vient ici enseigner aux juges qu’ils ne doivent pas condamner l’accusé avant de l’avoir vu et d’avoir compris. » Du droit, de la justice, rien à redire !
… Avec un constat, au terme de cette enquête divine : cette merveille d’harmonie est dévoyée ! Le fondement de l’harmonie, « une seule langue et des paroles identiques », de Loi juste en Droits de l’Homme, s’est mué ipso facto en clef de voûte circonvenant jusqu’au ciel. Est née de cette unité une « communauté internationale » propre à accomplir « ce qu'ils projetteront de faire » (v. 6)… Et ce n’est pas toujours reluisant ! Il n’est qu’à ouvrir nos journaux pour constater ce qui s’accomplit aujourd’hui-même au nom de « paroles identiques » parlées sous l’arche d’une Déclaration universelle : à peu près l’inverse de ce qu’elle clame : violence, chaos, bombes sur quiconque est décrété hérétique au nom de l’harmonie universelle…
« Le Seigneur les dispersa » (v. 8). Rachi constate : « Ils avaient peur d’être dispersés (v. 4). Leur crainte s’est réalisée. "Ce que redoute le méchant, c’est ce qui lui arrive" (Proverbes 10, 24) ».
RP
Presse réformée du Sud
Le Cep / Echanges / Réveil, novembre 2011
Presse réformée du Sud
Le Cep / Echanges / Réveil, novembre 2011
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* Rachi, c’est-à-dire Rabbi Shlomo ben Itzhak, rabbin de Troyes, viticulteur et exégète (env. 1040 - 13 juillet 1105).
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