
"Vous vous souviendrez de ce qu'Amalek vous a fait." (Deutéronome 25, 17)
"Sennacherib a mélangé/confondu toutes les nations. Et concernant ce qui est écrit dans la Torah : 'Le souvenir d'Amalek' (Deut 25, 17-19), Amalek s'est mélangé/confondu avec tous les peuples. [Donc n’est pas identifiable depuis 722 av. JC]" (Mishna Yadaïm 4, 4)
"Sennacherib a mélangé/confondu toutes les nations. Et concernant ce qui est écrit dans la Torah : 'Le souvenir d'Amalek' (Deut 25, 17-19), Amalek s'est mélangé/confondu avec tous les peuples. [Donc n’est pas identifiable depuis 722 av. JC]" (Mishna Yadaïm 4, 4)
Ignorant — par inculture théologique ou par malveillance ? — la signification de la figure d’Amalek dans la Bible et dans le judaïsme, son instrumentalisation est devenue un point central des accusations de "génocide" portées contre Israël jusque devant la Cour Internationale de Justice (CIJ). Si la CIJ n'a pas dénoncé un “génocide” mais a appelé à prendre toutes les mesures pour “prévenir un risque de génocide”, le terme est repris en boucle, en toute ignorance ou malveillance par toute une aile de la “gauche radicale”, en Europe et aux États-Unis à l’instar d’une supposée “rue arabe”. La base de cette accusation qui vise à faire finalement des “sionistes”, voire des juifs, des “génocidaires”, relève d’une ignorance (ouvrant sur une véritable malveillance glissant à l'antisémitisme) — ignorance qui, elle, est sans doute déjà le fait de la CIJ, qui n’est pas censée connaître la théologie juive !
La tradition juive offre des récits clés (sur lesquels on va se pencher) concernant la figure biblique d'Amalek et ce qu'elle symbolise. Une lecture conséquentialiste rétrospective analyse les échecs passés concernant Amalek et sa subsistance symbolique pour comprendre les problèmes ultérieurs, sans appeler à une destruction physique future ! — rendue impossible par le judaïsme !
Le conséquentialisme est cette théorie éthique qui juge si une action est moralement juste ou non en fonction de ses conséquences (ses résultats finaux) : viser à maximiser le bien-être général ou le plus grand bien pour le plus grand nombre.
La philosophe Marianne Chaillan (Game of thrones, une métaphysique des meurtres, éd. Le Passeur, 2016), commentant la série Game of thrones, et ses meutres, explique : « Pour un kantien, le meurtre est une action injustifiable et l’action de Jaime [personnage de la série] est donc immorale. Cependant, d’un point de vue conséquentialiste, si Jaime sacrifie deux vies (celles du Roi Fou et du pyromancien), il le fait pour sauver un demi-million de vies. Ainsi, non seulement cette action est utile mais plus encore, elle est morale. »
Parmi les épisodes bibliques évoquant des violences (ce qui peut valoir aussi, mutatis mutandis, pour le Coran — cf. infra), on entend régulièrement dénoncer par ex. le livre de Josué et d'autres moments, parmi lesquels évidemment, les épisodes évoquant Amalek… — mais on entend trop peu parler des relectures conséquentialistes de ces événements violents. Or c’est bien de cela qu’il s’agit dans les lectures juives de ces textes, à commencer par Amalek.
Dans le judaïsme, le récit d'Amalek et des Amalécites est d'une importance capitale et fait l'objet de riches lectures et interprétations, notamment en lien avec la fête de Pourim.
Amalek dans la Bible et le judaïsme :
L'Attaque à Refidim (Exode 17, 8-16)
Le Contexte : Amalek attaque les Israélites à Refidim, peu après la sortie d'Égypte. C'est la première attaque militaire contre le peuple après la traversée de la Mer Rouge et les miracles divins.
La lâcheté : Amalek attaque par derrière, ciblant les plus faibles et les plus fatigués (Deutéronome 25, 17-19). L'attaque a lieu lorsque le peuple se relâche spirituellement (le terme Refidim est parfois associé au "relâchement" ou au "doute").
Le combat spirituel : Le combat est gagné par Josué sur le terrain, mais il est surtout marqué par Moïse qui lève les bras vers le ciel, soutenu par Aaron et Hur. Cela symbolise que la victoire sur Amalek dépend de la connexion à Dieu et de la foi, et non de la seule force militaire.
Le souvenir et la mitsva (Deutéronome 25, 17-19)
La Torah donne le commandement de se souvenir (Zakhor) de ce qu'Amalek a fait et d'effacer sa mémoire (Timcheh) de dessous les cieux.
Amalek est considéré comme l'ennemi archétypal du peuple juif, symbolisant une haine irrationnelle et existentielle qui se manifeste à travers les générations (comme Haman dans l'histoire de Pourim, qui est un descendant d'Agag, le roi amalécite).
L'interprétation symbolique
Une interprétation rabbinique majeure relie Amalek au concept de doute irrationnel (safek en hébreu), car la valeur numérique (gematria) du mot Amalek est la même que celle de safek (240). Amalek ne craint pas Dieu et cherche à instiller le doute dans l'esprit du peuple après les révélations spectaculaires d'Égypte. Il "refroidit" (karekha en hébreu, parfois interprété comme "il t'a refroidi") l'ardeur spirituelle du peuple.
Amalek représente le principe du hasard et de l'absence de Providence divine, s'opposant à la croyance fondamentale du judaïsme en un monde ordonné et dirigé par Dieu. L'attaque est décrite comme "par hasard" (karekha) dans certaines lectures, symbolisant sa philosophie.
Le passage du Deutéronome ordonnant de se souvenir d'Amalek est lu en public lors du Shabbat Zakhor ("le Shabbat du Souvenir"), qui est le Shabbat qui précède la fête de Pourim.
Le lien est établi parce que Haman (l’ennemi des juifs dans l'histoire de Pourim) est identifié comme un descendant d'Amalek, faisant du récit de Pourim un accomplissement symbolique de la guerre contre Amalek dans chaque génération. La lecture d'Amalek dans le judaïsme est ainsi un rappel de la nécessité de la foi, de la vigilance spirituelle, et du combat contre la haine irrationnelle et le doute qui menacent l'existence et les valeurs du peuple juif.
L'ordre biblique de détruire Amalek (souvent désigné comme l'effacement de la mémoire d'Amalek ou Tsimtsum Amalek) est un sujet qui soulève des questions éthiques complexes, notamment sous l'angle de la philosophie conséquentialiste.
Lecture conséquentialiste de la destruction d'Amalek : dans le contexte du judaïsme, on peut interpréter l'ordre de destruction d'Amalek comme une action visant à des conséquences bénéfiques et nécessaires pour l'existence et la survie du peuple d'Israël et pour la réalisation du projet divin sur Terre.
Il s'agit alors d'éliminer une menace existentielle et perpétuelle. Amalek n'est pas vu comme un ennemi politique ou militaire ordinaire, mais comme une force d'une malveillance radicale et irrationnelle.
En éliminant cette force, on assure la stabilité et la pérennité du peuple d'Israël, lui permettant d'accomplir sa mission sans l'interférence constante de celui qui cherche à le détruire. D'un point de vue conséquentialiste, l'action est justifiée si elle est le seul moyen d'assurer la survie du peuple, à savoir un plus grand bien.
Selon les interprétations juives, Amalek représente le principe du mal, du doute (safek), et de la haine pure qui s'oppose à la reconnaissance de Dieu (Timcheh — "tu effaceras").
L'ordre doit être lu comme une exigence d'éradiquer l'influence de cette idéologie dans le monde. L'acte physique de destruction (dans le contexte biblique) est la manifestation de la nécessité de supprimer une influence morale et spirituelle toxique afin de créer une société plus juste et dévouée à Dieu. La conséquence recherchée est un monde libéré de cette force anti-divine.
L'ordre d'effacer Amalek est avant tout perçu comme un impératif divin (déontologique). L'acte est juste en soi par sa source divine.
Les Sages du Talmud ont rendu l'application matérielle de cet ordre concrètement impossible très tôt dans l'histoire, en partie à cause de la confusion et de l'assimilation des peuples. Le commandement est donc largement spiritualisé, se concentrant aujourd'hui sur l'effacement de la malice et du doute dans son propre cœur et la lutte contre l'antisémitisme.
La destruction d'Amalek peut donc être lue comme une mesure conséquentialiste visant à assurer la survie et l'intégrité morale du peuple d'Israël face à une menace radicale. Cependant, dans le judaïsme, cet ordre est fondamentalement enraciné dans une approche déontologique (un devoir divin) et a été radicalement spiritualisé au fil du temps.
Une lecture conséquentialiste rétrospective
Les échecs passés ont des conséquences ultérieures : Saül et Agag (I Samuel 15). C’est l'échec le plus marquant et le plus commenté. L’échec est celui du roi Saül.
Le prophète Samuel ordonne à Saül d’exécuter le roi Agag, chef d’Amalek. Mais Saül l'épargne. Il met ses propres jugements au-dessus de l'impératif divin.
La conséquence pour Saül est la perte de son royaume (I Samuel 15, 23). Cette perte est annoncée par Samuel peu avant : 1 Samuel 13, 9-13 : Saül vient de prendre l’initiative d’accomplir un acte sacerdotal, offrir un sacrifice, ce qui n’est pas une prérogative royale : il s’est donc placé au-dessus de la loi. Samuel lui annonce alors (v. 13) que cela lui vaudra son trône. Deux chapitres plus loin, lorsqu'il épargne Agag, il affirme avoir épargné aussi les animaux des Amalécites pour offrir un sacrifice. « L'obéissance vaut mieux qu'un sacrifice » lui dit Samuel (I Samuel 15, 22). A travers ce motif de désobéissance, le verdict de Samuel est doublement confirmé : Saül perdra son trône.
L'échec à éliminer le mal radical compromet la mission du dirigeant.
Samuel exécute Agag lui-même, reconnaissant que l'action nécessaire n'a pas été menée à terme, laissant une graine de mal subsister.
Conséquence ultérieure : l'émergence d'Haman
Le principal problème ultérieur découlant de l'échec de Saül est l'apparition d'Haman, au livre d'Esther. Haman est explicitement désigné comme Haman, fils de Hammedatha, l'Agagite (Esther 3, 1). Ce titre le lie directement à Agag, le roi amalécite épargné par Saül.
La rétrospective conséquentialiste est que si Saül avait accompli son devoir déontologique à l'époque, la lignée qui a produit Haman aurait été éteinte. L'épisode de Pourim, où la destruction totale du peuple juif est planifiée, est la conséquence directe et tragique de l'échec de Saül.
Le "plus grand bien" (la sécurité d'Israël et l'éradication du mal) a été compromis par la demi-mesure de Saül.
La haine d'Amalek, laissée subsister, se manifeste de nouveau sous une forme plus menaçante. L'échec à éliminer la source du mal a failli entraîner le génocide d'un peuple entier des siècles plus tard.
Cette analyse conséquentialiste ne conduit pas à un appel à une destruction physique future de la lignée amalécite, pour plusieurs raisons :
— Les Sages talmudiques affirment que le roi Sennacherib d'Assyrie a mélangé toutes les nations et les familles, rendant impossible de déterminer avec certitude qui est un descendant d'Amalek aujourd'hui. L'application littérale de l'ordre est donc impossible (depuis 722 av. JC ; cf. la citation du Talmud en exergue).
— La spiritualisation : le judaïsme a spiritualisé le commandement : l'objectif est de détruire l'idéologie d'Amalek (la haine irrationnelle, le doute, l'antisémitisme) et non des personnes identifiables.
La conséquence recherchée n'est pas l'éradication physique, mais la victoire sur le mal moral et spirituel dans le monde et en soi.
L'échec de Saül sert d'avertissement : une défaillance dans l'accomplissement du devoir moral, même si elle est motivée par de bonnes intentions (épargner du bétail pour un sacrifice), peut avoir des conséquences désastreuses et imprévues sur le long terme (l'émergence d'Haman et la menace existentielle de Pourim). L'analyse rétrospective justifie a posteriori la sévérité de l'ordre, tout en reconnaissant que son application future est devenue symbolique et spirituelle.
Les Sages du Talmud et les commentateurs rabbiniques (Mefarshim) ont analysé l'action du roi Saül non seulement comme un échec de l'obéissance, mais aussi comme une erreur fondamentale de jugement et une mauvaise compréhension des exigences du commandement divin (la Mitsva).
Saül a cru pouvoir appliquer les principes universels de miséricorde divine même à l'ennemi archétypal qui, par sa nature et son attaque, s'était placé hors du cadre habituel de la guerre.
Saül pensait : "Pourquoi Agag ne pourrait-il pas se repentir ?" Réponse du prophète Samuel : en agissant ainsi, Saül a substitué son propre sens moral (humain et limité) à l'ordre du Créateur. Dieu avait indiqué qu'Amalek représentait un mal si radical et irréductible qu'il nécessitait une éradication totale pour la survie morale et physique d'Israël.
Les Sages y voient un problème d'intention et d'autorité. Saül, en tant que roi, ne pouvait pas prendre de lui-même la décision d'annuler ou de modifier un commandement prophétique (donné par Samuel sur la base de la Torah évoquant Amalek). Il a agi comme s'il était le prophète ou le prêtre (Cohen), se donnant le droit de déterminer ce qui était vraiment la volonté de Dieu.
Samuel lui a déclaré : « L'obéissance vaut mieux qu'un sacrifice » (I Samuel 15, 22). Les préceptes doivent être accomplis tels qu'ils sont ordonnés, et non pas modifiés par des motifs humains, même pieux (comme celui d’offrir un sacrifice), car l'acte d'obéissance est l'expression suprême de la foi.
L'interprétation rabbinique souligne que la décision mal placée de Saül a eu des conséquences catastrophiques, justifiant a posteriori la sévérité de l'ordre divin : selon la tradition, le roi Agag aurait réussi à avoir une progéniture durant la nuit passée entre le moment où Saül l'a épargné et le moment où Samuel l'a finalement exécuté.
Cette progéniture est la source de la lignée d'Haman (l'Agagite). En épargnant Agag, Saül a failli compromettre l'existence de toute sa nation des siècles plus tard, prouvant que le mal amalécite ne pouvait être contenu ni réformé.
Les Sages ont vu l'échec de Saül comme un exemple de la façon dont les bonnes intentions (clémence, désir de sacrifice) peuvent devenir des fautes graves lorsqu'elles contredisent un commandement divin, surtout face à un mal irréductible. C'était un manque d'obéissance et une arrogance à se croire plus juste que la loi. C’est ce qu’illustre l’histoire rabbinique mettant en scène Élie — le prophète qui n’a pas connu la mort, figure que l’on retrouve dans le Coran, comme “le verdoyant” (référence à sa non-mort) : al-Khidr, ou Khezr. Ci-dessous les deux récits : celui de la traduction juive et celui du Coran…
« Rabbi Josué ben Levi [début IIIe s.] était réputé pour son savoir et sa générosité : ses paroles étaient savantes, et ses actes bienveillants. Pourtant, il n’était pas heureux. Du matin jusqu’au soir, il priait sans boire ni manger, désireux d'une seule chose : que Dieu entende sa prière et lui accorde de rencontrer le prophète Élie.
Un jour à l'aube, alors que Josué priait, le prophète apparut devant lui :
— Que veux-tu de moi ? lui demanda-t-il. Dis-moi quel est ton vœu.
— Les hommes me vénèrent, répondit Josué, mais je sais, en ce qui me concerne, que j’ai encore beaucoup à apprendre. Je souhaite t’accompagner sur tes chemins, Élie.
Je verrai des actes pieux, des miracles par lesquels tu rends gloire au Dieu unique, et alors seulement je pourrai devenir sage.
— À quoi te servira d'être à mes côtés ? - objecta Élie. Regarder ne te suffira pas pour comprendre mes actes, tu me poseras des questions, et le chemin nous deviendra pesant.
— Je te promets de ne poser aucune question, assura Josué. Je te regarderai faire sans rien te demander.
— C'est bien, dit Élie, alors viens avec moi. Mais si tu ne parviens pas à te taire, et que tu veuilles connaître la raison de mes faits, nous nous séparerons aussitôt.
Josué accepta la condition, et bientôt les deux hommes se mirent en route. Après une longue marche, ils arrivèrent à la nuit tombée au logis d’un pauvre. Dans sa cabane qui tenait à peine, on voyait clignoter les étoiles à travers le toit, et le seul bien que ce malheureux possédât, était une vache, maigre, attachée dans la petite cour. L’homme et sa femme cependant accueillirent leurs hôtes aimablement ; ils les firent dormir dans leur propre lit et eux-mêmes couchèrent dans le foin, au grenier.
Au matin, Josué se réveilla juste à temps pour entendre la prière d’Élie, et il faillit s’étouffer d’indignation : celui-ci demandait à Dieu de tuer l’unique vache du pauvre homme, et dès qu’il eut fini de prier, la bête tomba morte sur la terre. — Que fais-tu là ? demanda-t-il d’un air plein de reproche. Ces gens sont déjà pauvres, et toi, au lieu de les récompenser de leur bonté, tu accrois encore leur misère.
— Je veux bien te répondre, dit Élie, mais il faudrait ensuite que nous nous séparions ; souviens-toi de notre accord. Josué n’insista donc pas et continua de faire route avec le prophète sans rien dire. Les voyageurs arrivèrent le lendemain soir chez un homme très riche. Sa maison avait plusieurs pièces, agréablement aménagées ; de la cuisine se dégageait une bonne odeur de rôti ; mais Élie et Josué ne reçurent chez lui ni lit ni repas. Près de la maison du riche, se dressait un mur à moitié en ruines, que le maître se préparait à reconstruire.
Il allait se mettre au travail mais, à ce moment, Élie fit une prière, et sur les ruines s’éleva un mur tout neuf. — Qu’est-ce donc que cette justice ? pensa Josué. Un homme aussi avare, et voilà qu’Élie lui vient en aide ! Mais il ne dit mot et, les lèvres serrées, rempli d’amertume et de tristesse, il continua de suivre le prophète. Ils parvinrent ce jour-là à un beau temple. Tout y était d’or et d’argent ; les bancs de prière étaient confortables, garnis de coussins. Quand Élie entra avec Josué dans le temple, trois hommes richement vêtus s’y trouvaient.
— Encore des mendiants, fit l’un d'eux en hochant la tête sans même leur accorder un regard. Qui va leur donner à manger ? — Du pain sec et un peu d'eau, ce sera assez pour des vagabonds comme eux, répondit l’autre homme.
Puis les riches s'en allèrent, mais aucun d'eux ne revint avec la nourriture ; Élie et Josué passèrent la nuit dans le temple, par terre, dans le froid. Le matin, lorsque les hommes vinrent prier, Élie leur dit :
— Dieu fasse que vous deveniez tous trois les chefs de la communauté ! Josué eut peine à cacher son dépit. « Comment Élie peut-il être aussi généreux envers ceux qui mériteraient plutôt un châtiment ? se demandait-il, affligé. Peut-on rester muet devant une telle manière d’agir ? » Josué s'apprêtait à demander à Élie de s’expliquer mais, au dernier moment, il se rappela sa promesse. Il se contenta donc de hocher la tête devant l’étrange comportement d’Élie et, plus triste encore qu’auparavant, il poursuivit sa route à ses côtés.
Au coucher du soleil, les deux hommes atteignirent une autre ville. À peine eurent-ils mis le pied dans ses rues, que les gens les saluèrent cordialement, chacun s’empressant de leur offrir l'hospitalité. Finalement, les voyageurs passèrent la nuit dans la plus belle demeure, où ils reçurent également un repas et des boissons de choix. Le matin, les plus illustres notables de la cité vinrent leur faire leurs adieux. Le prophète ne fit pas même allusion à leur aimable accueil, leur souhaitant simplement :
— Dieu fasse que l’un de vous devienne le chef de cette cité !
Cette fois, Josué n’y tint plus :
— Élie ! s’écria-t-il avec humeur, je voulais rester avec toi le plus longtemps possible, mais je ne peux plus me taire. Dis-moi pourquoi tu récompenses les méchants, et non les bons ? Ne pouvant te comprendre, je préfère me séparer de toi plutôt que d'être tourmenté par tes actions !
— Comme tu voudras, acquiesça le prophète avec indulgence. Je te révélerai donc ce que tu tiens à savoir, puis chacun reprendra son chemin. Sache donc, Josué, que le pauvre qui a perdu son unique vache, devait voir ce même jour mourir sa femme. L’ange de la mort était déjà dans la maison, et c'est pourquoi j’ai demandé à Dieu de prendre la vie de l’animal plutôt que celle de sa femme. Dieu a exaucé mon vœu, et le brave homme pourra encore vivre avec elle de longues années de bonheur. J’ai relevé le mur du riche qui nous avait chassés, car dans les assises du mur était enfoui un grand trésor, et si le riche avait reconstruit son mur lui-même, il l’aurait certainement trouvé. Les hommes du temple somptueux ignoraient l’hospitalité, c’est pourquoi j’ai souhaité à tous de devenir les maîtres de la communauté. Ils ne parviendront pas à s’accorder, se querelleront, et leur désunion conduira la ville à sa perte. Car c’est avec raison que l’on dit : « Plusieurs capitaines font couler un navire, tandis qu’un seul maître à bord le mènera à bon port. » C’est pourquoi j'ai souhaité à la ville qui nous avait accueillis avec amitié de n’avoir qu’un seul chef.
Élie termina son discours, serra Josué dans ses bras, et ajouta à voix basse :
— Tu voulais apprendre de moi une grande sagesse, mais celle-ci contient tout : si tu rencontres un impie, à qui la vie réussit, et un juste qui est dans la peine, ne t’y trompe pas. Tu as vu que Dieu est équitable et que Son jugement dépasse l’entendement humain.
Qui pourrait donner à Dieu des conseils ?
Sur ces mots, Élie bénit Josué, et avant qu’il ait pu réagir, le prophète disparut de sa vue. » (D'après « Voyage avec Élie », Contes juifs, éd. Gründ, p. 65-67.)
Le Coran, sourate 18, v. 64-82 (trad. Kazimirski) :
« Là ils rencontreront un de nos serviteurs [Khidr] que nous avons favorisé de notre grâce et éclairé de notre science. Puis-je te suivre, lui dit Moïse, afin que tu m’enseignes une portion de ce qu’on t’a enseigné à toi-même par rapport à la vraie route ?
L’inconnu répondit : Tu n’auras jamais assez de patience pour rester avec moi.
Et comment pourrais-tu supporter certaines choses dont tu ne comprendras pas le sens ?
S’il plaît à Dieu, dit Moïse, tu me trouveras persévérant, et je ne désobéirai point à tes ordres.
Eh bien ! si tu me suis, dit l’inconnu, ne m’interroge sur quoi que ce soit, que je ne t’en aie parlé le premier.
Ils se mirent donc en route tous deux, et tous deux montèrent dans un bateau ; l’inconnu l’endommagea.
— L’as-tu brisé, demanda Moïse, pour noyer ceux qui sont dedans ? Tu viens de commettre là une action étrange.
— Ne t’ai-je pas dit que tu n’auras pas assez de patience pour rester avec moi ?
Ne me blâme pas, reprit Moïse, d’avoir oublié tes ordres, et ne m’impose point des obligations trop difficiles.
Ils partirent, et ils marchèrent jusqu’à ce qu’ils eussent rencontré un jeune homme. L’inconnu le tua.
— Eh quoi ! tu viens de tuer un homme innocent qui n’a tué personne. Tu as commis là une action détestable.
— Ne t’ai-je point dit que tu n’auras pas assez de patience pour rester avec moi ?
— Si je t’interroge encore une seule fois, tu ne me permettras plus de t’accompagner. Maintenant excuse-moi.
Ils partirent, et ils marchèrent jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés aux portes d’une ville. Ils demandèrent l’hospitalité aux habitants ; ceux-ci refusèrent de les recevoir. Les deux voyageurs s’aperçurent que le mur de la ville menaçait ruine.
L’inconnu le releva.
— Si tu avais voulu, lui dit Moïse, tu aurais pu te faire donner une récompense.
— Ici nous nous séparerons, reprit l’inconnu. Je vais seulement t’apprendre la signification des choses que tu as été impatient de savoir.
Le navire appartenait à de pauvres gens qui travaillaient sur mer ; je voulus l’endommager, parce que derrière lui il y avait un roi qui s’emparait de tous les navires.
Quant au jeune homme, ses parents étaient croyants, et nous avons craint qu’il ne les infectât de sa perversité et de son incrédulité.
Nous avons voulu que Dieu leur donnât en retour un fils plus vertueux et plus digne d’affection.
Le mur était l’héritage de deux garçons, orphelins, de cette ville. Sous ce mur était un trésor qui leur appartenait. Leur père était un homme de bien. Le Seigneur a voulu les laisser atteindre l’âge de puberté pour leur rendre le trésor. Ce n’est point de mon propre chef que j’ai fait tout cela. Voilà les choses dont tu n’as pas eu la patience d’attendre l’explication. »
Les récits bibliques concernant Amalek et l’échec de Saül ont évidemment une signification similaire…
Si l'opposition au judaïsme n’a pas manqué d’instrumentaliser des textes en les lisant mal, c’est donc évidemment par ignorance de ce que l'on vient de voir, voire par malveillance.
L’instrumentalisation de la figure biblique d’Amalek s’est produite récemment devant la cour internationale de justice, par la décontextualisation des citations. L'argumentation s’est basée sur la prise isolée et hors contexte de citations de dirigeants ou de personnalités israéliennes faisant référence à Amalek et sur l’ignorance délibérée de son sens dans le judaïsme. Cela suite à une déclaration du Premier ministre Benyamin Netanyahou en octobre 2023, où il a dit aux soldats de l'armée : "Vous vous souviendrez de ce qu'Amalek vous a fait."
Les détracteurs d'Israël ont présenté la référence à Amalek comme une “preuve” d'une intention génocidaire — affirmant (faussement) que "se souvenir d'Amalek" serait un appel à l'extermination assimilant les Palestiniens au peuple amalécite biblique.
Manque le Contexte (ignorance ou malveillance ?) : on a vu que dans le judaïsme, le commandement du souvenir d’Amalek est lu le Shabbat qui précède Pourim (qui célèbre la victoire sur Haman) — une lecture traditionnellement associée à la lutte contre l'antisémitisme et le mal radical, entièrement spiritualisée. La déclaration du Premier ministre isarélien a été faite peu après les attaques du 7 octobre 2023 par le Hamas, les attaques d'une violence et d'une cruauté (visant des civils, y compris des enfants et des personnes âgées) que de nombreux Israéliens et juifs ont perçues comme une manifestation d'une haine amalécite irrationnelle et existentielle.
L'utilisation malveillante de cet usage de la thématique d'Amalek devant la CIJ visait à étayer la preuve d'une intention génocidaire.
L'argument des accusateurs était que les déclarations d'Israéliens qui font référence à des textes bibliques sur l'extermination sont présentées comme des "discours de haine" et des preuves directes de l'intention de commettre un génocide contre le groupe national palestinien — ignorant délibérament que ces références sont des figures de style tirées de la culture juive pour décrire une haine d'une ampleur sans précédent (comme les attaques du 7 octobre) et non un plan d'extermination !
La réplique militaire ciblait une organisation terroriste (le Hamas) et non le peuple palestinien, et le terme Amalek s'applique à l'idéologie terroriste et non à l'identité nationale d'un peuple.
L'instrumentalisation est donc un exemple de la difficulté à séparer les références théologiques et culturelles (souvent symboliques) du langage politique et militaire dans un contexte de guerre moderne et de droit international.
La référence biblique à Amalek a été un élément clé et très médiatisé dans le dossier présenté devant la CIJ contre Israël pour des allégations de génocide à Gaza.
L'objectif de cette stratégie était de prouver l'élément le plus difficile à établir dans une affaire de génocide : l'intention spécifique de détruire le groupe.
L'accusation a soutenu contre les faits devant la CIJ que la référence biblique à Amalek constituait une incitation directe au génocide contre le peuple palestinien de Gaza, assimilé au peuple amalécite.
En juxtaposant cette citation avec les actions militaires (le nombre élevé de victimes civiles, les déplacements forcés, la destruction des infrastructures), l'accusation a cherché à prouver que ces actions n'étaient pas l’effet de toute guerre contre un groupe terroriste abrité derrière les civils (cf. Racca et Mossoul), mais la manifestation d'une intention d'annihilation préméditée.
L’accusation a choisi de refuser le fait que la référence à Amalek est, dans la culture juive contemporaine, une figure de style pour désigner un ennemi radical qui cherche la destruction totale du peuple juif, comme le Hamas l'a démontré le 7 octobre 2023. Cette référence est utilisée pour décrire la nature du mal. Elle n'est pas un appel à l'extermination d'un groupe national ! Le discours de Netanyahou (et quoiqu'on pense par ailleurs de sa politique) n'était destiné qu'à remonter le moral des troupes en les inspirant par une référence à la lutte existentielle juive face à un ennemi qui cherche leur éradication. Le commandement du souvenir d'Amalek est spiritualisé depuis des siècles, et il est absurde de l'appliquer de manière littérale à la guerre moderne.
Cette instrumentalisation du thème d'Amalek qui visait à transformer une référence théologique et culturelle symbolique de l'antisémitisme radical en une preuve juridique d'intention génocidaire est au fondement de l'accusation fréquente de “génocide” concernant Israël, qui glisse régulièrement à une assimilation antisémite des juifs réputés non-"antisionistes” à des “génocidaires”.
La tradition juive offre des récits clés (sur lesquels on va se pencher) concernant la figure biblique d'Amalek et ce qu'elle symbolise. Une lecture conséquentialiste rétrospective analyse les échecs passés concernant Amalek et sa subsistance symbolique pour comprendre les problèmes ultérieurs, sans appeler à une destruction physique future ! — rendue impossible par le judaïsme !
Le conséquentialisme est cette théorie éthique qui juge si une action est moralement juste ou non en fonction de ses conséquences (ses résultats finaux) : viser à maximiser le bien-être général ou le plus grand bien pour le plus grand nombre.
La philosophe Marianne Chaillan (Game of thrones, une métaphysique des meurtres, éd. Le Passeur, 2016), commentant la série Game of thrones, et ses meutres, explique : « Pour un kantien, le meurtre est une action injustifiable et l’action de Jaime [personnage de la série] est donc immorale. Cependant, d’un point de vue conséquentialiste, si Jaime sacrifie deux vies (celles du Roi Fou et du pyromancien), il le fait pour sauver un demi-million de vies. Ainsi, non seulement cette action est utile mais plus encore, elle est morale. »
*
Parmi les épisodes bibliques évoquant des violences (ce qui peut valoir aussi, mutatis mutandis, pour le Coran — cf. infra), on entend régulièrement dénoncer par ex. le livre de Josué et d'autres moments, parmi lesquels évidemment, les épisodes évoquant Amalek… — mais on entend trop peu parler des relectures conséquentialistes de ces événements violents. Or c’est bien de cela qu’il s’agit dans les lectures juives de ces textes, à commencer par Amalek.
Dans le judaïsme, le récit d'Amalek et des Amalécites est d'une importance capitale et fait l'objet de riches lectures et interprétations, notamment en lien avec la fête de Pourim.
Amalek dans la Bible et le judaïsme :
L'Attaque à Refidim (Exode 17, 8-16)
Le Contexte : Amalek attaque les Israélites à Refidim, peu après la sortie d'Égypte. C'est la première attaque militaire contre le peuple après la traversée de la Mer Rouge et les miracles divins.
La lâcheté : Amalek attaque par derrière, ciblant les plus faibles et les plus fatigués (Deutéronome 25, 17-19). L'attaque a lieu lorsque le peuple se relâche spirituellement (le terme Refidim est parfois associé au "relâchement" ou au "doute").
Le combat spirituel : Le combat est gagné par Josué sur le terrain, mais il est surtout marqué par Moïse qui lève les bras vers le ciel, soutenu par Aaron et Hur. Cela symbolise que la victoire sur Amalek dépend de la connexion à Dieu et de la foi, et non de la seule force militaire.
Le souvenir et la mitsva (Deutéronome 25, 17-19)
La Torah donne le commandement de se souvenir (Zakhor) de ce qu'Amalek a fait et d'effacer sa mémoire (Timcheh) de dessous les cieux.
Amalek est considéré comme l'ennemi archétypal du peuple juif, symbolisant une haine irrationnelle et existentielle qui se manifeste à travers les générations (comme Haman dans l'histoire de Pourim, qui est un descendant d'Agag, le roi amalécite).
L'interprétation symbolique
Une interprétation rabbinique majeure relie Amalek au concept de doute irrationnel (safek en hébreu), car la valeur numérique (gematria) du mot Amalek est la même que celle de safek (240). Amalek ne craint pas Dieu et cherche à instiller le doute dans l'esprit du peuple après les révélations spectaculaires d'Égypte. Il "refroidit" (karekha en hébreu, parfois interprété comme "il t'a refroidi") l'ardeur spirituelle du peuple.
Amalek représente le principe du hasard et de l'absence de Providence divine, s'opposant à la croyance fondamentale du judaïsme en un monde ordonné et dirigé par Dieu. L'attaque est décrite comme "par hasard" (karekha) dans certaines lectures, symbolisant sa philosophie.
Le passage du Deutéronome ordonnant de se souvenir d'Amalek est lu en public lors du Shabbat Zakhor ("le Shabbat du Souvenir"), qui est le Shabbat qui précède la fête de Pourim.
Le lien est établi parce que Haman (l’ennemi des juifs dans l'histoire de Pourim) est identifié comme un descendant d'Amalek, faisant du récit de Pourim un accomplissement symbolique de la guerre contre Amalek dans chaque génération. La lecture d'Amalek dans le judaïsme est ainsi un rappel de la nécessité de la foi, de la vigilance spirituelle, et du combat contre la haine irrationnelle et le doute qui menacent l'existence et les valeurs du peuple juif.
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L'ordre biblique de détruire Amalek (souvent désigné comme l'effacement de la mémoire d'Amalek ou Tsimtsum Amalek) est un sujet qui soulève des questions éthiques complexes, notamment sous l'angle de la philosophie conséquentialiste.
Lecture conséquentialiste de la destruction d'Amalek : dans le contexte du judaïsme, on peut interpréter l'ordre de destruction d'Amalek comme une action visant à des conséquences bénéfiques et nécessaires pour l'existence et la survie du peuple d'Israël et pour la réalisation du projet divin sur Terre.
Il s'agit alors d'éliminer une menace existentielle et perpétuelle. Amalek n'est pas vu comme un ennemi politique ou militaire ordinaire, mais comme une force d'une malveillance radicale et irrationnelle.
En éliminant cette force, on assure la stabilité et la pérennité du peuple d'Israël, lui permettant d'accomplir sa mission sans l'interférence constante de celui qui cherche à le détruire. D'un point de vue conséquentialiste, l'action est justifiée si elle est le seul moyen d'assurer la survie du peuple, à savoir un plus grand bien.
Selon les interprétations juives, Amalek représente le principe du mal, du doute (safek), et de la haine pure qui s'oppose à la reconnaissance de Dieu (Timcheh — "tu effaceras").
L'ordre doit être lu comme une exigence d'éradiquer l'influence de cette idéologie dans le monde. L'acte physique de destruction (dans le contexte biblique) est la manifestation de la nécessité de supprimer une influence morale et spirituelle toxique afin de créer une société plus juste et dévouée à Dieu. La conséquence recherchée est un monde libéré de cette force anti-divine.
L'ordre d'effacer Amalek est avant tout perçu comme un impératif divin (déontologique). L'acte est juste en soi par sa source divine.
Les Sages du Talmud ont rendu l'application matérielle de cet ordre concrètement impossible très tôt dans l'histoire, en partie à cause de la confusion et de l'assimilation des peuples. Le commandement est donc largement spiritualisé, se concentrant aujourd'hui sur l'effacement de la malice et du doute dans son propre cœur et la lutte contre l'antisémitisme.
La destruction d'Amalek peut donc être lue comme une mesure conséquentialiste visant à assurer la survie et l'intégrité morale du peuple d'Israël face à une menace radicale. Cependant, dans le judaïsme, cet ordre est fondamentalement enraciné dans une approche déontologique (un devoir divin) et a été radicalement spiritualisé au fil du temps.
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Une lecture conséquentialiste rétrospective
Les échecs passés ont des conséquences ultérieures : Saül et Agag (I Samuel 15). C’est l'échec le plus marquant et le plus commenté. L’échec est celui du roi Saül.
Le prophète Samuel ordonne à Saül d’exécuter le roi Agag, chef d’Amalek. Mais Saül l'épargne. Il met ses propres jugements au-dessus de l'impératif divin.
La conséquence pour Saül est la perte de son royaume (I Samuel 15, 23). Cette perte est annoncée par Samuel peu avant : 1 Samuel 13, 9-13 : Saül vient de prendre l’initiative d’accomplir un acte sacerdotal, offrir un sacrifice, ce qui n’est pas une prérogative royale : il s’est donc placé au-dessus de la loi. Samuel lui annonce alors (v. 13) que cela lui vaudra son trône. Deux chapitres plus loin, lorsqu'il épargne Agag, il affirme avoir épargné aussi les animaux des Amalécites pour offrir un sacrifice. « L'obéissance vaut mieux qu'un sacrifice » lui dit Samuel (I Samuel 15, 22). A travers ce motif de désobéissance, le verdict de Samuel est doublement confirmé : Saül perdra son trône.
L'échec à éliminer le mal radical compromet la mission du dirigeant.
Samuel exécute Agag lui-même, reconnaissant que l'action nécessaire n'a pas été menée à terme, laissant une graine de mal subsister.
Conséquence ultérieure : l'émergence d'Haman
Le principal problème ultérieur découlant de l'échec de Saül est l'apparition d'Haman, au livre d'Esther. Haman est explicitement désigné comme Haman, fils de Hammedatha, l'Agagite (Esther 3, 1). Ce titre le lie directement à Agag, le roi amalécite épargné par Saül.
La rétrospective conséquentialiste est que si Saül avait accompli son devoir déontologique à l'époque, la lignée qui a produit Haman aurait été éteinte. L'épisode de Pourim, où la destruction totale du peuple juif est planifiée, est la conséquence directe et tragique de l'échec de Saül.
Le "plus grand bien" (la sécurité d'Israël et l'éradication du mal) a été compromis par la demi-mesure de Saül.
La haine d'Amalek, laissée subsister, se manifeste de nouveau sous une forme plus menaçante. L'échec à éliminer la source du mal a failli entraîner le génocide d'un peuple entier des siècles plus tard.
Cette analyse conséquentialiste ne conduit pas à un appel à une destruction physique future de la lignée amalécite, pour plusieurs raisons :
— Les Sages talmudiques affirment que le roi Sennacherib d'Assyrie a mélangé toutes les nations et les familles, rendant impossible de déterminer avec certitude qui est un descendant d'Amalek aujourd'hui. L'application littérale de l'ordre est donc impossible (depuis 722 av. JC ; cf. la citation du Talmud en exergue).
— La spiritualisation : le judaïsme a spiritualisé le commandement : l'objectif est de détruire l'idéologie d'Amalek (la haine irrationnelle, le doute, l'antisémitisme) et non des personnes identifiables.
La conséquence recherchée n'est pas l'éradication physique, mais la victoire sur le mal moral et spirituel dans le monde et en soi.
L'échec de Saül sert d'avertissement : une défaillance dans l'accomplissement du devoir moral, même si elle est motivée par de bonnes intentions (épargner du bétail pour un sacrifice), peut avoir des conséquences désastreuses et imprévues sur le long terme (l'émergence d'Haman et la menace existentielle de Pourim). L'analyse rétrospective justifie a posteriori la sévérité de l'ordre, tout en reconnaissant que son application future est devenue symbolique et spirituelle.
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Les Sages du Talmud et les commentateurs rabbiniques (Mefarshim) ont analysé l'action du roi Saül non seulement comme un échec de l'obéissance, mais aussi comme une erreur fondamentale de jugement et une mauvaise compréhension des exigences du commandement divin (la Mitsva).
Saül a cru pouvoir appliquer les principes universels de miséricorde divine même à l'ennemi archétypal qui, par sa nature et son attaque, s'était placé hors du cadre habituel de la guerre.
Saül pensait : "Pourquoi Agag ne pourrait-il pas se repentir ?" Réponse du prophète Samuel : en agissant ainsi, Saül a substitué son propre sens moral (humain et limité) à l'ordre du Créateur. Dieu avait indiqué qu'Amalek représentait un mal si radical et irréductible qu'il nécessitait une éradication totale pour la survie morale et physique d'Israël.
Les Sages y voient un problème d'intention et d'autorité. Saül, en tant que roi, ne pouvait pas prendre de lui-même la décision d'annuler ou de modifier un commandement prophétique (donné par Samuel sur la base de la Torah évoquant Amalek). Il a agi comme s'il était le prophète ou le prêtre (Cohen), se donnant le droit de déterminer ce qui était vraiment la volonté de Dieu.
Samuel lui a déclaré : « L'obéissance vaut mieux qu'un sacrifice » (I Samuel 15, 22). Les préceptes doivent être accomplis tels qu'ils sont ordonnés, et non pas modifiés par des motifs humains, même pieux (comme celui d’offrir un sacrifice), car l'acte d'obéissance est l'expression suprême de la foi.
L'interprétation rabbinique souligne que la décision mal placée de Saül a eu des conséquences catastrophiques, justifiant a posteriori la sévérité de l'ordre divin : selon la tradition, le roi Agag aurait réussi à avoir une progéniture durant la nuit passée entre le moment où Saül l'a épargné et le moment où Samuel l'a finalement exécuté.
Cette progéniture est la source de la lignée d'Haman (l'Agagite). En épargnant Agag, Saül a failli compromettre l'existence de toute sa nation des siècles plus tard, prouvant que le mal amalécite ne pouvait être contenu ni réformé.
Les Sages ont vu l'échec de Saül comme un exemple de la façon dont les bonnes intentions (clémence, désir de sacrifice) peuvent devenir des fautes graves lorsqu'elles contredisent un commandement divin, surtout face à un mal irréductible. C'était un manque d'obéissance et une arrogance à se croire plus juste que la loi. C’est ce qu’illustre l’histoire rabbinique mettant en scène Élie — le prophète qui n’a pas connu la mort, figure que l’on retrouve dans le Coran, comme “le verdoyant” (référence à sa non-mort) : al-Khidr, ou Khezr. Ci-dessous les deux récits : celui de la traduction juive et celui du Coran…
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« Rabbi Josué ben Levi [début IIIe s.] était réputé pour son savoir et sa générosité : ses paroles étaient savantes, et ses actes bienveillants. Pourtant, il n’était pas heureux. Du matin jusqu’au soir, il priait sans boire ni manger, désireux d'une seule chose : que Dieu entende sa prière et lui accorde de rencontrer le prophète Élie.
Un jour à l'aube, alors que Josué priait, le prophète apparut devant lui :
— Que veux-tu de moi ? lui demanda-t-il. Dis-moi quel est ton vœu.
— Les hommes me vénèrent, répondit Josué, mais je sais, en ce qui me concerne, que j’ai encore beaucoup à apprendre. Je souhaite t’accompagner sur tes chemins, Élie.
Je verrai des actes pieux, des miracles par lesquels tu rends gloire au Dieu unique, et alors seulement je pourrai devenir sage.
— À quoi te servira d'être à mes côtés ? - objecta Élie. Regarder ne te suffira pas pour comprendre mes actes, tu me poseras des questions, et le chemin nous deviendra pesant.
— Je te promets de ne poser aucune question, assura Josué. Je te regarderai faire sans rien te demander.
— C'est bien, dit Élie, alors viens avec moi. Mais si tu ne parviens pas à te taire, et que tu veuilles connaître la raison de mes faits, nous nous séparerons aussitôt.
Josué accepta la condition, et bientôt les deux hommes se mirent en route. Après une longue marche, ils arrivèrent à la nuit tombée au logis d’un pauvre. Dans sa cabane qui tenait à peine, on voyait clignoter les étoiles à travers le toit, et le seul bien que ce malheureux possédât, était une vache, maigre, attachée dans la petite cour. L’homme et sa femme cependant accueillirent leurs hôtes aimablement ; ils les firent dormir dans leur propre lit et eux-mêmes couchèrent dans le foin, au grenier.
Au matin, Josué se réveilla juste à temps pour entendre la prière d’Élie, et il faillit s’étouffer d’indignation : celui-ci demandait à Dieu de tuer l’unique vache du pauvre homme, et dès qu’il eut fini de prier, la bête tomba morte sur la terre. — Que fais-tu là ? demanda-t-il d’un air plein de reproche. Ces gens sont déjà pauvres, et toi, au lieu de les récompenser de leur bonté, tu accrois encore leur misère.
— Je veux bien te répondre, dit Élie, mais il faudrait ensuite que nous nous séparions ; souviens-toi de notre accord. Josué n’insista donc pas et continua de faire route avec le prophète sans rien dire. Les voyageurs arrivèrent le lendemain soir chez un homme très riche. Sa maison avait plusieurs pièces, agréablement aménagées ; de la cuisine se dégageait une bonne odeur de rôti ; mais Élie et Josué ne reçurent chez lui ni lit ni repas. Près de la maison du riche, se dressait un mur à moitié en ruines, que le maître se préparait à reconstruire.
Il allait se mettre au travail mais, à ce moment, Élie fit une prière, et sur les ruines s’éleva un mur tout neuf. — Qu’est-ce donc que cette justice ? pensa Josué. Un homme aussi avare, et voilà qu’Élie lui vient en aide ! Mais il ne dit mot et, les lèvres serrées, rempli d’amertume et de tristesse, il continua de suivre le prophète. Ils parvinrent ce jour-là à un beau temple. Tout y était d’or et d’argent ; les bancs de prière étaient confortables, garnis de coussins. Quand Élie entra avec Josué dans le temple, trois hommes richement vêtus s’y trouvaient.
— Encore des mendiants, fit l’un d'eux en hochant la tête sans même leur accorder un regard. Qui va leur donner à manger ? — Du pain sec et un peu d'eau, ce sera assez pour des vagabonds comme eux, répondit l’autre homme.
Puis les riches s'en allèrent, mais aucun d'eux ne revint avec la nourriture ; Élie et Josué passèrent la nuit dans le temple, par terre, dans le froid. Le matin, lorsque les hommes vinrent prier, Élie leur dit :
— Dieu fasse que vous deveniez tous trois les chefs de la communauté ! Josué eut peine à cacher son dépit. « Comment Élie peut-il être aussi généreux envers ceux qui mériteraient plutôt un châtiment ? se demandait-il, affligé. Peut-on rester muet devant une telle manière d’agir ? » Josué s'apprêtait à demander à Élie de s’expliquer mais, au dernier moment, il se rappela sa promesse. Il se contenta donc de hocher la tête devant l’étrange comportement d’Élie et, plus triste encore qu’auparavant, il poursuivit sa route à ses côtés.
Au coucher du soleil, les deux hommes atteignirent une autre ville. À peine eurent-ils mis le pied dans ses rues, que les gens les saluèrent cordialement, chacun s’empressant de leur offrir l'hospitalité. Finalement, les voyageurs passèrent la nuit dans la plus belle demeure, où ils reçurent également un repas et des boissons de choix. Le matin, les plus illustres notables de la cité vinrent leur faire leurs adieux. Le prophète ne fit pas même allusion à leur aimable accueil, leur souhaitant simplement :
— Dieu fasse que l’un de vous devienne le chef de cette cité !
Cette fois, Josué n’y tint plus :
— Élie ! s’écria-t-il avec humeur, je voulais rester avec toi le plus longtemps possible, mais je ne peux plus me taire. Dis-moi pourquoi tu récompenses les méchants, et non les bons ? Ne pouvant te comprendre, je préfère me séparer de toi plutôt que d'être tourmenté par tes actions !
— Comme tu voudras, acquiesça le prophète avec indulgence. Je te révélerai donc ce que tu tiens à savoir, puis chacun reprendra son chemin. Sache donc, Josué, que le pauvre qui a perdu son unique vache, devait voir ce même jour mourir sa femme. L’ange de la mort était déjà dans la maison, et c'est pourquoi j’ai demandé à Dieu de prendre la vie de l’animal plutôt que celle de sa femme. Dieu a exaucé mon vœu, et le brave homme pourra encore vivre avec elle de longues années de bonheur. J’ai relevé le mur du riche qui nous avait chassés, car dans les assises du mur était enfoui un grand trésor, et si le riche avait reconstruit son mur lui-même, il l’aurait certainement trouvé. Les hommes du temple somptueux ignoraient l’hospitalité, c’est pourquoi j’ai souhaité à tous de devenir les maîtres de la communauté. Ils ne parviendront pas à s’accorder, se querelleront, et leur désunion conduira la ville à sa perte. Car c’est avec raison que l’on dit : « Plusieurs capitaines font couler un navire, tandis qu’un seul maître à bord le mènera à bon port. » C’est pourquoi j'ai souhaité à la ville qui nous avait accueillis avec amitié de n’avoir qu’un seul chef.
Élie termina son discours, serra Josué dans ses bras, et ajouta à voix basse :
— Tu voulais apprendre de moi une grande sagesse, mais celle-ci contient tout : si tu rencontres un impie, à qui la vie réussit, et un juste qui est dans la peine, ne t’y trompe pas. Tu as vu que Dieu est équitable et que Son jugement dépasse l’entendement humain.
Qui pourrait donner à Dieu des conseils ?
Sur ces mots, Élie bénit Josué, et avant qu’il ait pu réagir, le prophète disparut de sa vue. » (D'après « Voyage avec Élie », Contes juifs, éd. Gründ, p. 65-67.)
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Le Coran, sourate 18, v. 64-82 (trad. Kazimirski) :
« Là ils rencontreront un de nos serviteurs [Khidr] que nous avons favorisé de notre grâce et éclairé de notre science. Puis-je te suivre, lui dit Moïse, afin que tu m’enseignes une portion de ce qu’on t’a enseigné à toi-même par rapport à la vraie route ?
L’inconnu répondit : Tu n’auras jamais assez de patience pour rester avec moi.
Et comment pourrais-tu supporter certaines choses dont tu ne comprendras pas le sens ?
S’il plaît à Dieu, dit Moïse, tu me trouveras persévérant, et je ne désobéirai point à tes ordres.
Eh bien ! si tu me suis, dit l’inconnu, ne m’interroge sur quoi que ce soit, que je ne t’en aie parlé le premier.
Ils se mirent donc en route tous deux, et tous deux montèrent dans un bateau ; l’inconnu l’endommagea.
— L’as-tu brisé, demanda Moïse, pour noyer ceux qui sont dedans ? Tu viens de commettre là une action étrange.
— Ne t’ai-je pas dit que tu n’auras pas assez de patience pour rester avec moi ?
Ne me blâme pas, reprit Moïse, d’avoir oublié tes ordres, et ne m’impose point des obligations trop difficiles.
Ils partirent, et ils marchèrent jusqu’à ce qu’ils eussent rencontré un jeune homme. L’inconnu le tua.
— Eh quoi ! tu viens de tuer un homme innocent qui n’a tué personne. Tu as commis là une action détestable.
— Ne t’ai-je point dit que tu n’auras pas assez de patience pour rester avec moi ?
— Si je t’interroge encore une seule fois, tu ne me permettras plus de t’accompagner. Maintenant excuse-moi.
Ils partirent, et ils marchèrent jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés aux portes d’une ville. Ils demandèrent l’hospitalité aux habitants ; ceux-ci refusèrent de les recevoir. Les deux voyageurs s’aperçurent que le mur de la ville menaçait ruine.
L’inconnu le releva.
— Si tu avais voulu, lui dit Moïse, tu aurais pu te faire donner une récompense.
— Ici nous nous séparerons, reprit l’inconnu. Je vais seulement t’apprendre la signification des choses que tu as été impatient de savoir.
Le navire appartenait à de pauvres gens qui travaillaient sur mer ; je voulus l’endommager, parce que derrière lui il y avait un roi qui s’emparait de tous les navires.
Quant au jeune homme, ses parents étaient croyants, et nous avons craint qu’il ne les infectât de sa perversité et de son incrédulité.
Nous avons voulu que Dieu leur donnât en retour un fils plus vertueux et plus digne d’affection.
Le mur était l’héritage de deux garçons, orphelins, de cette ville. Sous ce mur était un trésor qui leur appartenait. Leur père était un homme de bien. Le Seigneur a voulu les laisser atteindre l’âge de puberté pour leur rendre le trésor. Ce n’est point de mon propre chef que j’ai fait tout cela. Voilà les choses dont tu n’as pas eu la patience d’attendre l’explication. »
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Les récits bibliques concernant Amalek et l’échec de Saül ont évidemment une signification similaire…
Si l'opposition au judaïsme n’a pas manqué d’instrumentaliser des textes en les lisant mal, c’est donc évidemment par ignorance de ce que l'on vient de voir, voire par malveillance.
L’instrumentalisation de la figure biblique d’Amalek s’est produite récemment devant la cour internationale de justice, par la décontextualisation des citations. L'argumentation s’est basée sur la prise isolée et hors contexte de citations de dirigeants ou de personnalités israéliennes faisant référence à Amalek et sur l’ignorance délibérée de son sens dans le judaïsme. Cela suite à une déclaration du Premier ministre Benyamin Netanyahou en octobre 2023, où il a dit aux soldats de l'armée : "Vous vous souviendrez de ce qu'Amalek vous a fait."
Les détracteurs d'Israël ont présenté la référence à Amalek comme une “preuve” d'une intention génocidaire — affirmant (faussement) que "se souvenir d'Amalek" serait un appel à l'extermination assimilant les Palestiniens au peuple amalécite biblique.
Manque le Contexte (ignorance ou malveillance ?) : on a vu que dans le judaïsme, le commandement du souvenir d’Amalek est lu le Shabbat qui précède Pourim (qui célèbre la victoire sur Haman) — une lecture traditionnellement associée à la lutte contre l'antisémitisme et le mal radical, entièrement spiritualisée. La déclaration du Premier ministre isarélien a été faite peu après les attaques du 7 octobre 2023 par le Hamas, les attaques d'une violence et d'une cruauté (visant des civils, y compris des enfants et des personnes âgées) que de nombreux Israéliens et juifs ont perçues comme une manifestation d'une haine amalécite irrationnelle et existentielle.
L'utilisation malveillante de cet usage de la thématique d'Amalek devant la CIJ visait à étayer la preuve d'une intention génocidaire.
L'argument des accusateurs était que les déclarations d'Israéliens qui font référence à des textes bibliques sur l'extermination sont présentées comme des "discours de haine" et des preuves directes de l'intention de commettre un génocide contre le groupe national palestinien — ignorant délibérament que ces références sont des figures de style tirées de la culture juive pour décrire une haine d'une ampleur sans précédent (comme les attaques du 7 octobre) et non un plan d'extermination !
La réplique militaire ciblait une organisation terroriste (le Hamas) et non le peuple palestinien, et le terme Amalek s'applique à l'idéologie terroriste et non à l'identité nationale d'un peuple.
L'instrumentalisation est donc un exemple de la difficulté à séparer les références théologiques et culturelles (souvent symboliques) du langage politique et militaire dans un contexte de guerre moderne et de droit international.
La référence biblique à Amalek a été un élément clé et très médiatisé dans le dossier présenté devant la CIJ contre Israël pour des allégations de génocide à Gaza.
L'objectif de cette stratégie était de prouver l'élément le plus difficile à établir dans une affaire de génocide : l'intention spécifique de détruire le groupe.
L'accusation a soutenu contre les faits devant la CIJ que la référence biblique à Amalek constituait une incitation directe au génocide contre le peuple palestinien de Gaza, assimilé au peuple amalécite.
En juxtaposant cette citation avec les actions militaires (le nombre élevé de victimes civiles, les déplacements forcés, la destruction des infrastructures), l'accusation a cherché à prouver que ces actions n'étaient pas l’effet de toute guerre contre un groupe terroriste abrité derrière les civils (cf. Racca et Mossoul), mais la manifestation d'une intention d'annihilation préméditée.
L’accusation a choisi de refuser le fait que la référence à Amalek est, dans la culture juive contemporaine, une figure de style pour désigner un ennemi radical qui cherche la destruction totale du peuple juif, comme le Hamas l'a démontré le 7 octobre 2023. Cette référence est utilisée pour décrire la nature du mal. Elle n'est pas un appel à l'extermination d'un groupe national ! Le discours de Netanyahou (et quoiqu'on pense par ailleurs de sa politique) n'était destiné qu'à remonter le moral des troupes en les inspirant par une référence à la lutte existentielle juive face à un ennemi qui cherche leur éradication. Le commandement du souvenir d'Amalek est spiritualisé depuis des siècles, et il est absurde de l'appliquer de manière littérale à la guerre moderne.
Cette instrumentalisation du thème d'Amalek qui visait à transformer une référence théologique et culturelle symbolique de l'antisémitisme radical en une preuve juridique d'intention génocidaire est au fondement de l'accusation fréquente de “génocide” concernant Israël, qui glisse régulièrement à une assimilation antisémite des juifs réputés non-"antisionistes” à des “génocidaires”.
RP









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