Origène d'Alexandrie (185 env. - 253 env.) explique, dans son Commentaire du Cantique des Cantiques : « Dieu est Amour absolu et celui qui est de Dieu est Amour absolu. Or qui est "de Dieu", sinon celui qui dit : "Moi, je suis sorti de Dieu et je suis venu en ce monde" ? Si Dieu le Père est Amour absolu, le Fils aussi est Amour absolu. Or Amour absolu et Amour absolu ne font qu'un et ne diffèrent en rien. Il s'ensuit donc que le Père et le Fils sont un et ne diffèrent en rien ». (Com. Cant. Prol 26)
Un siècle avant le Concile de Nicée (325), Origène, fidèle lecteur de l'Évangile de Jean, s’avère ainsi déjà confesser une essence unique du Père, du Fils et de l'Esprit saint, selon sa lecture du Prologue de Jean — « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. […] En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue. » (Jn 1, 1-2 & 4-5)
Origène commente : « La noble origine du Fils est manifestée par ces paroles : "Tu es mon Fils, aujourd'hui, je t'ai engendré", prononcées par Dieu pour qui cet aujourd'hui demeure toujours : car en Dieu, il n'y a, je pense, ni soir, ni matin. Mais le temps, si j'ose dire ; coextensif à sa vie sans principe et éternelle, est pour lui cet "aujourd'hui" où le Fils a été engendré : on ne peut donc découvrir ni le début ni le jour de sa génération ». (Com. Jean 1, 204) L'orthodoxie, au Concile de Nicée, appuyée de même sur Jean 1, ne dira pas autre chose : « Origène forge un mot qui devait devenir célèbre dans les controverses théologiques et au concile de Nicée : homoousios, de même nature, d'une substance identique. » (Extrait d'un article publié sur le site du patriarcat copte d'Alexandrie, ici)
« Engendré et non créé, il possède toutes les propriétés du Père. Tout ce qu'il y a de qualités en Dieu (Père), c'est le Christ. La Sagesse de Dieu, c'est lui ; la puissance de Dieu, c'est lui ; la justice de Dieu, c'est lui ; la sainteté, c'est lui ; la Rédemption, c'est lui. Toutes ces propriétés, il me semble, sont devenues subsistantes dans le Logos Unique Engendré. » (Fragm Éphés)
Origène est donc bien lisible de façon tout à fait consubstantialiste : essence unique du Père, du Fils et de l'Esprit saint. Arius, postérieur, pose une hiérarchie des essences là où Origène parle d'un ordre des trois personnes dans la même essence (l'orthodoxie nicéenne ne dira pas autre chose).
Aucune raison non plus de comprendre des héritiers médiévaux d’Origène, tels les cathares (*), comme ariens : le discours catholique du Moyen Âge occidental connaît des glissements tendant à confondre ordre dans la Trinité et hiérarchie de substances, regardant ipso facto l'héritage post-origénien des cathares comme arien, éventuellement par malveillance. Mais rien n'oblige à recevoir une déformation polémique comme une description juste. Au point qu’Origène est une des références d’Athanase !
Il convient d'ajouter qu’il n’est pas juste, et pour Arius et pour les trinitariens, de dire qu’Arius est “trinitaire”, sachant que le terme trinité, trias en grec, signifie littéralement 3 en 1. Or c’est précisément ce qu’Arius refuse. Il soutient au contraire qu’il fut un temps dans la préexistence où le Logos n'existait pas, où seul le Père existait. Puis, le Logos a été créé par le Père. Selon le patristicien JND Kelly, Arius réfère à Origène “spécieusement”, c’est-à-dire de façon fallacieuse. Certes, rien à voir avec les unitariens modernes, mais pas trinitaire non plus. Ça ressemble au fond, mutatis mutandis, aux Témoins de J.
Le problème des Occidentaux est très tôt un risque de modalisme. La théologie orientale, qui maintient dans la Trinité l’ordre qu'oblitère le modalisme, peut apparaître faussement comme “arienne” à un Occident qui risque de glisser au modalisme. Ainsi en a été faussement accusé Origène.
De même les débats concernant les cathares, relatés par des textes de polémistes et de l’Inquisition (taxant les hérétiques d'arianisme, accusation loin d'être aussi fréquente que l'accusation de manichéisme), ressemblent fort à des attaques calomnieuses — mécompréhension ou malveillance ?! Si les cathares savent de quoi ils parlent, il n’y a pas plus de raison d’en faire des ariens que de faire un arien d’Origène, clairement consubstantialiste (c’est-à-dire à l’opposé sur ce point de l'arianisme) ! D’autant que sachant l’hérésie condamnée chez les cathares (dualité de mondes / dualisme), ça n’avait pas grand sens d'en rajouter d'autres, en théologie trinitaire et christologie, qui n'avaient aucune utilité supplémentaire quant à la thèse centrale - à moins de prendre pour argent comptant les caricatures de leurs ennemis.
J’ai rappelé au début de mon livre La papauté, les cathares et Thomas d’Aquin que l'arianisme avait les faveurs systématiques des premiers empereurs chrétiens (et j’ajoute de leurs thuriféraires comme Eusèbe de Césarée) parce que les empereurs espéraient “en-dessous” du Dieu que tout le monde admettait, plusieurs divinités médiatrices possibles : Apollonius de Tyane, le Christ, Mithra, Orphée, les plus grands empereurs, etc. À l’époque, l’arianisme est tout simplement la théologie du pouvoir ! Plus tard, l’Occident (en risque de modalisme) cessera de comprendre la théologie trinitaire (et non-arienne !) des Églises orientales… et sans doute de même, des cathares.
(*) Cf. Marcel Dando (Cahiers d’Etudes cathares, IIe série n°82, été 1979, p. 20) : « L'hostilité envers Origène a fait que ceux qui se sont inspirés de ses doctrines, les ont étudiées et commentées, l'ont fait dans l'ombre, ce qui a eu pour conséquence que bien des idées qui, chez le Maître n'étaient que des suggestions, des suppositions, ont acquis force de loi et sont devenues catégoriquement hétérodoxes. Il est frappant que l'origénisme qui se retrouve dans le catharisme est à peu de choses près le même qu'aux Ve et VIe siècles. On peut en conclure que c'est le repli de l'origénisme sur lui-même, selon une tradition jalousement conservée dans une ambiance hostile, qui a mis un frein à une évolution qui autrement se serait peut-être produite. »
Un siècle avant le Concile de Nicée (325), Origène, fidèle lecteur de l'Évangile de Jean, s’avère ainsi déjà confesser une essence unique du Père, du Fils et de l'Esprit saint, selon sa lecture du Prologue de Jean — « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. […] En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue. » (Jn 1, 1-2 & 4-5)
Origène commente : « La noble origine du Fils est manifestée par ces paroles : "Tu es mon Fils, aujourd'hui, je t'ai engendré", prononcées par Dieu pour qui cet aujourd'hui demeure toujours : car en Dieu, il n'y a, je pense, ni soir, ni matin. Mais le temps, si j'ose dire ; coextensif à sa vie sans principe et éternelle, est pour lui cet "aujourd'hui" où le Fils a été engendré : on ne peut donc découvrir ni le début ni le jour de sa génération ». (Com. Jean 1, 204) L'orthodoxie, au Concile de Nicée, appuyée de même sur Jean 1, ne dira pas autre chose : « Origène forge un mot qui devait devenir célèbre dans les controverses théologiques et au concile de Nicée : homoousios, de même nature, d'une substance identique. » (Extrait d'un article publié sur le site du patriarcat copte d'Alexandrie, ici)
« Engendré et non créé, il possède toutes les propriétés du Père. Tout ce qu'il y a de qualités en Dieu (Père), c'est le Christ. La Sagesse de Dieu, c'est lui ; la puissance de Dieu, c'est lui ; la justice de Dieu, c'est lui ; la sainteté, c'est lui ; la Rédemption, c'est lui. Toutes ces propriétés, il me semble, sont devenues subsistantes dans le Logos Unique Engendré. » (Fragm Éphés)
Origène est donc bien lisible de façon tout à fait consubstantialiste : essence unique du Père, du Fils et de l'Esprit saint. Arius, postérieur, pose une hiérarchie des essences là où Origène parle d'un ordre des trois personnes dans la même essence (l'orthodoxie nicéenne ne dira pas autre chose).
Aucune raison non plus de comprendre des héritiers médiévaux d’Origène, tels les cathares (*), comme ariens : le discours catholique du Moyen Âge occidental connaît des glissements tendant à confondre ordre dans la Trinité et hiérarchie de substances, regardant ipso facto l'héritage post-origénien des cathares comme arien, éventuellement par malveillance. Mais rien n'oblige à recevoir une déformation polémique comme une description juste. Au point qu’Origène est une des références d’Athanase !
Il convient d'ajouter qu’il n’est pas juste, et pour Arius et pour les trinitariens, de dire qu’Arius est “trinitaire”, sachant que le terme trinité, trias en grec, signifie littéralement 3 en 1. Or c’est précisément ce qu’Arius refuse. Il soutient au contraire qu’il fut un temps dans la préexistence où le Logos n'existait pas, où seul le Père existait. Puis, le Logos a été créé par le Père. Selon le patristicien JND Kelly, Arius réfère à Origène “spécieusement”, c’est-à-dire de façon fallacieuse. Certes, rien à voir avec les unitariens modernes, mais pas trinitaire non plus. Ça ressemble au fond, mutatis mutandis, aux Témoins de J.
Le problème des Occidentaux est très tôt un risque de modalisme. La théologie orientale, qui maintient dans la Trinité l’ordre qu'oblitère le modalisme, peut apparaître faussement comme “arienne” à un Occident qui risque de glisser au modalisme. Ainsi en a été faussement accusé Origène.
De même les débats concernant les cathares, relatés par des textes de polémistes et de l’Inquisition (taxant les hérétiques d'arianisme, accusation loin d'être aussi fréquente que l'accusation de manichéisme), ressemblent fort à des attaques calomnieuses — mécompréhension ou malveillance ?! Si les cathares savent de quoi ils parlent, il n’y a pas plus de raison d’en faire des ariens que de faire un arien d’Origène, clairement consubstantialiste (c’est-à-dire à l’opposé sur ce point de l'arianisme) ! D’autant que sachant l’hérésie condamnée chez les cathares (dualité de mondes / dualisme), ça n’avait pas grand sens d'en rajouter d'autres, en théologie trinitaire et christologie, qui n'avaient aucune utilité supplémentaire quant à la thèse centrale - à moins de prendre pour argent comptant les caricatures de leurs ennemis.
J’ai rappelé au début de mon livre La papauté, les cathares et Thomas d’Aquin que l'arianisme avait les faveurs systématiques des premiers empereurs chrétiens (et j’ajoute de leurs thuriféraires comme Eusèbe de Césarée) parce que les empereurs espéraient “en-dessous” du Dieu que tout le monde admettait, plusieurs divinités médiatrices possibles : Apollonius de Tyane, le Christ, Mithra, Orphée, les plus grands empereurs, etc. À l’époque, l’arianisme est tout simplement la théologie du pouvoir ! Plus tard, l’Occident (en risque de modalisme) cessera de comprendre la théologie trinitaire (et non-arienne !) des Églises orientales… et sans doute de même, des cathares.
RP, 8.03.22
(*) Cf. Marcel Dando (Cahiers d’Etudes cathares, IIe série n°82, été 1979, p. 20) : « L'hostilité envers Origène a fait que ceux qui se sont inspirés de ses doctrines, les ont étudiées et commentées, l'ont fait dans l'ombre, ce qui a eu pour conséquence que bien des idées qui, chez le Maître n'étaient que des suggestions, des suppositions, ont acquis force de loi et sont devenues catégoriquement hétérodoxes. Il est frappant que l'origénisme qui se retrouve dans le catharisme est à peu de choses près le même qu'aux Ve et VIe siècles. On peut en conclure que c'est le repli de l'origénisme sur lui-même, selon une tradition jalousement conservée dans une ambiance hostile, qui a mis un frein à une évolution qui autrement se serait peut-être produite. »
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