Cathares. Indices convergents (voir ici) — 2. Sources : regard commenté sur les quatre types de sources donnant des indices convergents pour la connaissance des cathares, sorte de partie émergée, et non-exhaustive, de l’iceberg…
1) Sources cathares, provenant des concernés eux-mêmes et à ce titre les plus significatives pour définir leurs croyances ; 2) sources inquisitoriales ; 3) sources polémiques, 4) chroniques anciennes.
1) Sources cathares
— Une traduction en langue d’Oc du Nouveau Testament (conservée à Lyon — début XIVe ; redécouverte en 1883 et éditée en 1887 par Léon Clédat - auparavant, en 1785, l'abbé Sauvage d'Alès connaissait déjà le manuscrit appartenant à Jean-Julien Trélis - cf. Michel Jas, in Cathares et protestants) ; texte si évidemment chrétien qu’on pourrait hésiter à le considérer comme cathare, si ce n’était le Rituel occitan (dit de Lyon) qui l’accompagne, lui-même semblant si peu « dualiste » qu’on pourrait aussi s’interroger, si son équivalent liturgique en latin (dit de Florence, où il a été redécouvert) n’accompagnait un traité intitulé éloquemment Livre des deux Principes (on reviendra sur les rituels).
— Deux traités de théologie :
- Le Livre des deux Principes (XIIIe s. ; redécouvert et édité en 1939 par Antoine Dondaine, o.p., à Florence ; publié et traduit en Sources chrétiennes) (texte en latin, accompagné d’un rituel) ;
- Un « traité anonyme », reproduit pour réfutation (traité latin attribué à Barthélémy de Carcassonne, daté du début XIIIe ; redécouvert par A. Dondaine et édité en 1961 par Christine Thouzellier) cité en vue de cette réfutation dans un texte attribué à Durand de Huesca (cité avant d'être réfuté : cela se pratique depuis haute époque – pour ne donner qu'un seul autre exemple : on ne connaît Celse que par ses citations par Origène. Je précise que l’attribution à Durand de Huesca du Contra Manicheos a été contestée par Annie Cazenave lors du Colloque de Foix, en 2002).
Michel Roquebert : « le Liber contra Manicheos, le "Livre contre les Manichéens" attribué à Durand de Huesca. Chef de file des disciples de Valdès qui étaient venus en Languedoc y répandre l’hérésie des "Pauvres de Lyon", Durand revint au catholicisme romain à la faveur de la conférence contradictoire tenue à Pamiers en 1207 et se mit, dès lors, à écrire contre les autres hérétiques languedociens. Son ouvrage est peu ordinaire : c’est la réfutation d’un ouvrage hérétique que l’auteur du Liber prend soin de recopier et de réfuter chapitre après chapitre ; l’exposé, point par point, de la thèse hérétique est donc présenté, et immédiatement suivi de la responsio de Durand. Or le treizième chapitre du Liber est tout entier consacré à la façon dont les hérétiques traduisent, dans les Écritures, le mot latin nichil (nihil en latin classique) ; les catholiques y voient une simple négation : rien ne… Ainsi le prologue de l’évangile de Jean : Sine ipso factum est nichil, "sans lui [le Verbe], rien n’a été fait". Les hérétiques, en revanche, en font un substantif et traduisent : "Sans lui a été fait le néant", c’est-à-dire la création visible, matérielle et donc périssable. Preuve, au passage, de leur dualisme. Mais ce n’est pas ce qui nous importe ici. Laissons la parole à Durand : "Certains estiment que ce mot ‘nichil’ signifie quelque chose, à savoir quelque substance corporelle et incorporelle et toutes les créatures visibles ; ainsi les manichéens, c’est-à-dire les actuels cathares qui habitent dans les diocèses d’Albi, de Toulouse et de Carcassonne… [Quidam estimant hoc nomen ‘nichil’ aliquid significare, scilicet aliquam substantiam corpoream et incorpoream et omnes visiblies creaturas, ut manichei, id est moderni kathari qui in albiensi et tolosanensi et carcassonensi diocesibus commorantur.]" Texte édité par Christine Thouzellier, Une somme anti-cathare : le Liber contra manicheos de Durand de Huesca, Louvain, 1964, p. 217. »
Voilà un document, le Liber contra Manicheos, où se croisent les cathares, ou manichéens, des polémistes qui les nomment ainsi, et les hérétiques du traité anonyme que le Liber contra Manicheos présente comme traité cathare à réfuter, et dont la théologie correspond à celle d'un autre texte hérétique connu comme le Livre des deux Principes ! Où le Liber contra Manicheos devient comme un pont entre leurs ennemis, qui seuls les nomment cathares, et les hérétiques, cathares, qui eux ne se nomment jamais ainsi mais développement dans le Livre des deux Principes, la même théologie que les polémistes catholiques nomment donc « cathares », ou (c’est ce que signifie pour eux « cathares ») « manichéens ».
— Trois Rituels, dits :
- de Lyon (occitan), annexé au Nouveau Testament occitan ;
- de Florence (latin), annexé au Livre des deux Principes ;
- de Dublin (conservé à Dublin, redécouvert et édité en 1960 par Théo Vanckeler) — avec éléments d’accompagnement, ou de préparation, en l’occurrence une glose du Pater, outre notamment une Apologie de la vraie Église de Dieu.
Ces textes émanent, depuis différents lieux, de ceux que les sources catholiques appellent cathares : des rituels équivalents suite à un Nouveau Testament et suite à un traité soutenant le dualisme ontologique, tout comme le soutient aussi le traité cathare anonyme donné dans un texte catholique contre les cathares !… Textes suffisamment éloignés dans leur provenance (Occitanie, Italie), et dont la profondeur de l’élaboration implique un débat déjà nourri antécédemment au début XIIIe où apparaît le « traité anonyme ».
À quoi on pourrait ajouter :
— Deux versions latines de l’Interrogatio Iohannis, (XIIIe s.) texte bogomile présent dans les registres occidentaux de l’inquisition concernant les cathares (avec fragments bulgares du XIIe s.),
- une conservée à Vienne (témoin le plus ancien, édité depuis 1890) annexée à un Nouveau Testament en latin,
- l’autre trouvée à Carcassonne (éditée dès 1691).
Ces textes sont éditées (outre plusieurs éditions savantes, notamment aux Sources chrétiennes ou dans Archivum Fratrum Praedicatorum) en français in René Nelli – Anne Brenon, Écritures cathares, éd. du Rocher.
1) Sources cathares, provenant des concernés eux-mêmes et à ce titre les plus significatives pour définir leurs croyances ; 2) sources inquisitoriales ; 3) sources polémiques, 4) chroniques anciennes.
1) Sources cathares
— Une traduction en langue d’Oc du Nouveau Testament (conservée à Lyon — début XIVe ; redécouverte en 1883 et éditée en 1887 par Léon Clédat - auparavant, en 1785, l'abbé Sauvage d'Alès connaissait déjà le manuscrit appartenant à Jean-Julien Trélis - cf. Michel Jas, in Cathares et protestants) ; texte si évidemment chrétien qu’on pourrait hésiter à le considérer comme cathare, si ce n’était le Rituel occitan (dit de Lyon) qui l’accompagne, lui-même semblant si peu « dualiste » qu’on pourrait aussi s’interroger, si son équivalent liturgique en latin (dit de Florence, où il a été redécouvert) n’accompagnait un traité intitulé éloquemment Livre des deux Principes (on reviendra sur les rituels).
— Deux traités de théologie :
- Le Livre des deux Principes (XIIIe s. ; redécouvert et édité en 1939 par Antoine Dondaine, o.p., à Florence ; publié et traduit en Sources chrétiennes) (texte en latin, accompagné d’un rituel) ;
- Un « traité anonyme », reproduit pour réfutation (traité latin attribué à Barthélémy de Carcassonne, daté du début XIIIe ; redécouvert par A. Dondaine et édité en 1961 par Christine Thouzellier) cité en vue de cette réfutation dans un texte attribué à Durand de Huesca (cité avant d'être réfuté : cela se pratique depuis haute époque – pour ne donner qu'un seul autre exemple : on ne connaît Celse que par ses citations par Origène. Je précise que l’attribution à Durand de Huesca du Contra Manicheos a été contestée par Annie Cazenave lors du Colloque de Foix, en 2002).
Michel Roquebert : « le Liber contra Manicheos, le "Livre contre les Manichéens" attribué à Durand de Huesca. Chef de file des disciples de Valdès qui étaient venus en Languedoc y répandre l’hérésie des "Pauvres de Lyon", Durand revint au catholicisme romain à la faveur de la conférence contradictoire tenue à Pamiers en 1207 et se mit, dès lors, à écrire contre les autres hérétiques languedociens. Son ouvrage est peu ordinaire : c’est la réfutation d’un ouvrage hérétique que l’auteur du Liber prend soin de recopier et de réfuter chapitre après chapitre ; l’exposé, point par point, de la thèse hérétique est donc présenté, et immédiatement suivi de la responsio de Durand. Or le treizième chapitre du Liber est tout entier consacré à la façon dont les hérétiques traduisent, dans les Écritures, le mot latin nichil (nihil en latin classique) ; les catholiques y voient une simple négation : rien ne… Ainsi le prologue de l’évangile de Jean : Sine ipso factum est nichil, "sans lui [le Verbe], rien n’a été fait". Les hérétiques, en revanche, en font un substantif et traduisent : "Sans lui a été fait le néant", c’est-à-dire la création visible, matérielle et donc périssable. Preuve, au passage, de leur dualisme. Mais ce n’est pas ce qui nous importe ici. Laissons la parole à Durand : "Certains estiment que ce mot ‘nichil’ signifie quelque chose, à savoir quelque substance corporelle et incorporelle et toutes les créatures visibles ; ainsi les manichéens, c’est-à-dire les actuels cathares qui habitent dans les diocèses d’Albi, de Toulouse et de Carcassonne… [Quidam estimant hoc nomen ‘nichil’ aliquid significare, scilicet aliquam substantiam corpoream et incorpoream et omnes visiblies creaturas, ut manichei, id est moderni kathari qui in albiensi et tolosanensi et carcassonensi diocesibus commorantur.]" Texte édité par Christine Thouzellier, Une somme anti-cathare : le Liber contra manicheos de Durand de Huesca, Louvain, 1964, p. 217. »
Voilà un document, le Liber contra Manicheos, où se croisent les cathares, ou manichéens, des polémistes qui les nomment ainsi, et les hérétiques du traité anonyme que le Liber contra Manicheos présente comme traité cathare à réfuter, et dont la théologie correspond à celle d'un autre texte hérétique connu comme le Livre des deux Principes ! Où le Liber contra Manicheos devient comme un pont entre leurs ennemis, qui seuls les nomment cathares, et les hérétiques, cathares, qui eux ne se nomment jamais ainsi mais développement dans le Livre des deux Principes, la même théologie que les polémistes catholiques nomment donc « cathares », ou (c’est ce que signifie pour eux « cathares ») « manichéens ».
— Trois Rituels, dits :
- de Lyon (occitan), annexé au Nouveau Testament occitan ;
- de Florence (latin), annexé au Livre des deux Principes ;
- de Dublin (conservé à Dublin, redécouvert et édité en 1960 par Théo Vanckeler) — avec éléments d’accompagnement, ou de préparation, en l’occurrence une glose du Pater, outre notamment une Apologie de la vraie Église de Dieu.
Ces textes émanent, depuis différents lieux, de ceux que les sources catholiques appellent cathares : des rituels équivalents suite à un Nouveau Testament et suite à un traité soutenant le dualisme ontologique, tout comme le soutient aussi le traité cathare anonyme donné dans un texte catholique contre les cathares !… Textes suffisamment éloignés dans leur provenance (Occitanie, Italie), et dont la profondeur de l’élaboration implique un débat déjà nourri antécédemment au début XIIIe où apparaît le « traité anonyme ».
À quoi on pourrait ajouter :
— Deux versions latines de l’Interrogatio Iohannis, (XIIIe s.) texte bogomile présent dans les registres occidentaux de l’inquisition concernant les cathares (avec fragments bulgares du XIIe s.),
- une conservée à Vienne (témoin le plus ancien, édité depuis 1890) annexée à un Nouveau Testament en latin,
- l’autre trouvée à Carcassonne (éditée dès 1691).
Ces textes sont éditées (outre plusieurs éditions savantes, notamment aux Sources chrétiennes ou dans Archivum Fratrum Praedicatorum) en français in René Nelli – Anne Brenon, Écritures cathares, éd. du Rocher.
Résumé sous forme de schéma :
Appellation de l’hérésie | Dualisme pas apparent | Explicitement dualiste | Dualisme peu souligné | ||
Lyon : | « Chrétiens » | Nouveau Testament (occitan) | Rituel (occitan) | ||
Florence : | « Chrétiens » | Rituel (latin) | Livres des deux Principes (traité dogmatique / scolastique) | ||
Carcassonne (« Barthélémy de » / via « Durand de Huesca ») : | Annoncé comme « cathare » par le polémiste transcripteur | « Traité anonyme » (exégétique / scolastique) | |||
Dublin : | « Chrétiens » | Rituel (incomplet – occitan) | Traités pédagogiques et théologie pratique | ||
Deux remarques :
— Le terme « cathares » n’apparaît dans aucun de ces textes… sauf, sous la plume du polémiste, dans le Liber contra Manicheos, reproduisant comme cathare un traité équivalent en théologie au Livre des deux Principes, qui ne se nomme pas « cathare » ! Où se confirme ce que l’on sait déjà (définitivement depuis la fin des années 70 – par les travaux de Jean Duvernoy) : les cathares ne se nomment pas ainsi, pas plus que « manichéens » ; leurs adversaires les « traitent » (péjorativement) de cathares, i.e. « manichéens ».
— Le dualisme n’apparaît explicitement que dans les traités dogmatiques et exégétiques, et n’est que sous-jacent dans la théologie pratique et les Rituels, y compris dans le Rituel de Florence où il accompagne un traité très explicitement dualiste.
Pour donner une analogie de ce phénomène : que ce soit à l’époque orthodoxe (XVIe-XVIIe siècles) des Églises réformées ou à leur époque néo-orthodoxe (XXe siècle), la doctrine de la prédestination est professée (elle est même parfois considérée – à tort – comme clé de voûte) ; elle apparaît évidemment dans les traités de théologie, mais jamais dans les liturgies. Un historien de l’avenir qui considérerait de là qu’il ne s’agit pas de la même Église dans les traductions de la Bible, les liturgies et textes pédagogiques d’un côté (équivalent côté cathare à Lyon et Dublin plus rituel de Florence) et les textes théologiques de l’autre (équivalent côté cathare aux traités théologiques, de Florence et de Carcassonne) se tromperait lourdement. D’où l’utilité de connaître un minimum de théologie et de pratique théologique pour étudier des textes religieux (et ceux des cathares en font partie !).
Ajoutons que les textes des Églises réformées, qu’ils soient liturgiques ou théologiques, ne se donnent jamais à eux-mêmes (sauf parfois récemment à titre de précision identitaire) les appellations par lesquelles les désignent les textes catholiques d’avant Vatican II, comme « hérétiques calvinistes ». On ne trouve chez ceux-ci jamais ce « titre », comme on ne trouve pas ceux de « manichéens » ou « cathares » chez les cathares ! Et on pourrait étendre ces exemples, mutatis mutandis, à bien d’autres mouvements ou Églises…
2) Registres d’inquisition
Carcassonne / fonds Doat (Montpellier, Avignon, etc. ont disparu lors de la révolution française).
Michel Jas : « registres DDD et GGG (dans les registres du Fonds Doat on trouve des FFF, HHH comme cote de l’époque) de l’Inquisition de Carcassonne, registres, comme beaucoup d’autres, majoritairement perdus, mais ici en partie sauvés grâce aux copies de Jean de Doat, de la fin du XVIIe siècle, pour Colbert ministre de Louis XIV, volumes 28 et 27 du Fonds Doat de la BnF. Selon DDD et GGG, donc, datées de septembre 1329, se trouvent les dernières pages de l’Inquisition cathare pour des condamnations à titre posthumes : exhumations, destructions de maisons, plus 3 bûchers sur les berges de l’Aude.
Or, un de ces documents, celui portant la côte GGG, se trouve décrit par l’Inventaire de l’Inquisition de Carcassonne vu et recopié au XIXe siècle, à côté de 119 autres cahiers, registres ou extraits de registres (masse documentaire dispersée depuis, ensuite perdue comme trop généralement). Cet Inventaire, datant peut être du XVIIe siècle, fut constitué au moment du transport de ces archives de la cité de Carcassonne au couvent de Montpellier.
Et précisément, cette copie montpelliéraine (ignorée de Doat) indique des articles inquisitoriaux intéressant encore des cathares, ou des post-cathares car ces dissidents condamnés présentent un anticléricalisme qui porte encore les traces caractéristiques du docétisme, pour les années 1340, 1352, 1364, 1400, 1422 ; mais dont les originaux ont été, comme la plupart des sources concernant le catharisme, encore une fois : perdus (pour l’analyse de ces indications de condamnations cf. Anne Brenon, dans « La persécution du catharisme XIIe-XIVe siècles » Heresis n°6, Carcassonne 1996, p.241-259 et Les Archipels cathares, Castelnaud-la-Chapelle 2003, p. 271-289 et de Julien Roche, Une Eglise cathare , l’Evêché du carcassès, Carcassonne, Béziers, Narbonne, 1167-début du XIVe siècle, Cahors 2005, p .36 et ss, 524 et ss ). »
Et puis il y a les nombreuses sources découvertes et éditées par Jean Duvernoy — voir sur son site (http://jean.duvernoy.free.fr/ : http://jean.duvernoy.free.fr/sources/sinquisit.htm) —, outre son travail le plus connu sur les sources inquisitoriales, sa transcription et traduction du Registre d’inquisition de Jacques Fournier (1318-1325), trois volumes – 1965 (transcription latine) et 1968 (traduction) par Jean Duvernoy – Éditions Privat (Toulouse) – Ré-édition 2006 / préface de Emmanuel Le Roy Ladurie, qui y a fondé son célèbre Montaillou, village occitan.
3) Sources polémiques
Les sources polémiques sont nombreuses, augmentées au milieu du XXe siècle par les découvertes de Antoine Dondaine, o.p., in Archivum Fratrum Praedicatorum — nombreuses sources publiées, de A. Dondaine — ou encore, cf. infra, de Franjo Sanjek, o.p.
Cf. aussi, parmi les sources polémiques, celles mentionnées ci-dessous par Michel Roquebert — à propos du vocable « cathares » concernant les terres d'Oc, selon lesdites sources :
Michel Roquebert : « Le vocable de cathares est dû à un bénédictin allemand, Eckbert de Schönau, qui désigna ainsi, vers 1163, les hérétiques rhénans, dont il dénonçait la théologie, et en premier lieu sa racine dualiste.
Or on ne manque pas de sources attestant la rapide extension de l’appellation cathare hors de l’Allemagne et son application aux hérétiques languedociens. En premier lieu le canon 27 du IIIe Concile œcuménique du Latran, réuni en mars 1179 : « Dans la Gascogne albigeoise, le Toulousain, et en d’autres lieux, la damnable perversion des hérétiques dénommés par les uns cathares (catharos), par d’autres patarins, publicains, ou autrement encore, a fait de si considérables progrès… ».
Texte dans J. D. Mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, t. XXII, 231. Traduction française par Raymonde Foreville dans Histoire des conciles œcuméniques, Paris, L’Orante, 1965, t. VI, p. 222.
« Le 21 avril 1198, le pape Innocent III écrit aux archevêques d’Aix, Narbonne, Auch, Vienne, Arles, Embrun, Tarragone, Lyon, et à leurs suffragants : « Nous savons que ceux que dans votre province on nomme vaudois, cathares (catari), patarins… ».
Texte dans Migne, Patrologie latine, t. 214, col. 82, et dans O. Hageneder et A. Haidacher, Die Register Innozens’III, vol. I, Graz/Cologne, 1964, bulle n° 94, p. 135-138.
« Or cette bulle pontificale s’adresse à des prélats qui sont tous en exercice au sud de la Bourgogne ; il est bien évident, comme le notent d’ailleurs les plus récents éditeurs allemands de la correspondance d’Innocent III, que le mot de catari est dès cette époque une Allgemeinbezeichnung für die Häretiker des 12. und 13. Jh., une appellation générique pour désigner les hérétiques des XIIe et XIIIe siècles.
Die Register Innocenz’III, p. 136, note 4. , et appliquée ici à ceux du pays d’oc.
« Entre 1194 et 1202, le théologien catholique Alain de Lille écrit à Montpellier – donc en Languedoc – sa « Somme en quatre parties, ou De la foi catholique contre les hérétiques ».
Summa quadrapartita ou De fide catholica contra haereticos, Manuscrit à la Bibliothèque Vaticane, Vatic. Lat. 903 ; édité par Migne, Patrologie latine, t.210, col. 305 et suiv. Cf. notamment la col. 366, passage où l’auteur tente de donner l’étymologie du mot cathare.
« Absolument rien ne dit que les catari qui apparaissent à diverses reprises au cours de son texte seraient les hérétiques rhénans ou italiens, et non ceux de son pays d’adoption. » (…)
Roquebert (suite) : « Mais l’argument décisif se trouve assurément dans le Liber contra Manicheos, le « Livre contre les Manichéens » attribué à Durand de Huesca [qui désigne, dit-il], « les manichéens, c’est-à-dire les actuels cathares qui habitent dans les diocèses d’Albi, de Toulouse et de Carcassonne… » [Quidam estimant hoc nomen ‘nichil’ aliquid significare, scilicet aliquam substantiam corpoream et incorpoream et omnes visiblies creaturas, ut manichei, id est moderni kathari qui in albiensi et tolosanensi et carcassonensi diocesibus commorantur.
Texte édité par Christine Thouzellier, Une somme anti-cathare : le Liber contra manicheos de Durand de Huesca, Louvain, 1964, p. 217.
« Une éclatante confirmation, à la fois, de l’emploi du mot cathare à propos des hérétiques languedociens, et de sa signification générique, puisqu’il s’adresse aussi aux cathares d’Italie et « de France », se trouve dans la Summa de Rainier Sacconi ; après avoir dénoncé les erreurs de l’Église des Cathares de Concorezzo, l’ancien dignitaire cathare repenti, entré chez les Frères Prêcheurs, titre un des derniers paragraphes de son ouvrage : Des Cathares toulousains, albigeois et carcassonnais, Il savait de quoi il parlait. Il enchaîne : « Pour finir, il faut noter que les Cathares de l'Eglise toulousaine, de l’albigeoise et de la carcassonnaise tiennent les erreurs de Balesmanza et des vieux Albanistes » etc.
Ultimo notendum est quod Cathari ecclesiae tholosanae, et albigensis et carcassonensis tenent errores Belezinansae… (Summa de Catharis, édit. Franjo Sanjek, Archivum Fratrum Praedicatorum, n° 44, 197.)
« Bref, l’usage du mot cathares pour désigner les hérétiques du sud du royaume de France est attesté, tant en Languedoc et en Italie qu’à la Curie romaine, dès le dernier tiers du XIIe siècle, et son usage perdura au XIIIe.
« Il est donc tout à fait légitime de s’en servir encore au XXIe siècle. D’autant que, pas plus que Rainier Sacconi, nul n’ignore aujourd’hui, quand il rencontre ce mot, de qui il s’agit…
Quant à penser que la lutte contre l'hérésie ne fut qu'un faux prétexte pour lancer la conquête française, c'est ignorer que le roi Philippe Auguste a refusé de s'engager dans la croisade et que, s'il n'a pu l'empêcher, il a quand même réussi à la retarder de dix ans. Il suffit de lire sa correspondance avec le pape Innocent III… Si la "guerre sainte" qu'avait voulue le pape a rapidement dégénéré en pure et simple guerre de conquête, c'est parce qu'elle a inévitablement provoqué un grave conflit entre le droit canonique et le droit féodal… Ce n'est pas très difficile à comprendre. »
4) Chroniques
Guillaume de Tudèle & Anonyme, Chanson de la croisade, Librairie Renouard, 1875, 574 p. (occitan)
Pierre des Vaux de Cernay, Historia albigensis : Historia de factis et triumphis memorabilibus nobilis viri domini Simonis comitis de Monte Forti (latin)
Guillaume de Puylaurens, Chronique de Maître Guillaume de Puylaurens sur la guerre des albigeois, 354 p. (latin), decouvert par Rebiria en 1530
Texte occitan du colloque de Montréal de 1207, retrouvé par Nicolas Vignier vers 1570-1575 et édité en 1601, puis édité par Jean-Paul Perrin en 1612
Jean Chassanion, Histoire des Albigeois, rédigé vers 1560, publié en 1595 (sur source originale occitane du début XIIIe s.), rééd. Jas – Poupin à paraître aux éditions Ampelos — avec introductions historique et théologique.
Etc., etc., la liste des sources connues – incontestées – signalée dans ce bref indicatif en regard de leur signification particulière pour le sujet réalité du catharisme notamment occitan, n’étant pas exhaustive, notamment concernant le catharisme en général…
— Le dualisme n’apparaît explicitement que dans les traités dogmatiques et exégétiques, et n’est que sous-jacent dans la théologie pratique et les Rituels, y compris dans le Rituel de Florence où il accompagne un traité très explicitement dualiste.
Pour donner une analogie de ce phénomène : que ce soit à l’époque orthodoxe (XVIe-XVIIe siècles) des Églises réformées ou à leur époque néo-orthodoxe (XXe siècle), la doctrine de la prédestination est professée (elle est même parfois considérée – à tort – comme clé de voûte) ; elle apparaît évidemment dans les traités de théologie, mais jamais dans les liturgies. Un historien de l’avenir qui considérerait de là qu’il ne s’agit pas de la même Église dans les traductions de la Bible, les liturgies et textes pédagogiques d’un côté (équivalent côté cathare à Lyon et Dublin plus rituel de Florence) et les textes théologiques de l’autre (équivalent côté cathare aux traités théologiques, de Florence et de Carcassonne) se tromperait lourdement. D’où l’utilité de connaître un minimum de théologie et de pratique théologique pour étudier des textes religieux (et ceux des cathares en font partie !).
Ajoutons que les textes des Églises réformées, qu’ils soient liturgiques ou théologiques, ne se donnent jamais à eux-mêmes (sauf parfois récemment à titre de précision identitaire) les appellations par lesquelles les désignent les textes catholiques d’avant Vatican II, comme « hérétiques calvinistes ». On ne trouve chez ceux-ci jamais ce « titre », comme on ne trouve pas ceux de « manichéens » ou « cathares » chez les cathares ! Et on pourrait étendre ces exemples, mutatis mutandis, à bien d’autres mouvements ou Églises…
2) Registres d’inquisition
Carcassonne / fonds Doat (Montpellier, Avignon, etc. ont disparu lors de la révolution française).
Michel Jas : « registres DDD et GGG (dans les registres du Fonds Doat on trouve des FFF, HHH comme cote de l’époque) de l’Inquisition de Carcassonne, registres, comme beaucoup d’autres, majoritairement perdus, mais ici en partie sauvés grâce aux copies de Jean de Doat, de la fin du XVIIe siècle, pour Colbert ministre de Louis XIV, volumes 28 et 27 du Fonds Doat de la BnF. Selon DDD et GGG, donc, datées de septembre 1329, se trouvent les dernières pages de l’Inquisition cathare pour des condamnations à titre posthumes : exhumations, destructions de maisons, plus 3 bûchers sur les berges de l’Aude.
Or, un de ces documents, celui portant la côte GGG, se trouve décrit par l’Inventaire de l’Inquisition de Carcassonne vu et recopié au XIXe siècle, à côté de 119 autres cahiers, registres ou extraits de registres (masse documentaire dispersée depuis, ensuite perdue comme trop généralement). Cet Inventaire, datant peut être du XVIIe siècle, fut constitué au moment du transport de ces archives de la cité de Carcassonne au couvent de Montpellier.
Et précisément, cette copie montpelliéraine (ignorée de Doat) indique des articles inquisitoriaux intéressant encore des cathares, ou des post-cathares car ces dissidents condamnés présentent un anticléricalisme qui porte encore les traces caractéristiques du docétisme, pour les années 1340, 1352, 1364, 1400, 1422 ; mais dont les originaux ont été, comme la plupart des sources concernant le catharisme, encore une fois : perdus (pour l’analyse de ces indications de condamnations cf. Anne Brenon, dans « La persécution du catharisme XIIe-XIVe siècles » Heresis n°6, Carcassonne 1996, p.241-259 et Les Archipels cathares, Castelnaud-la-Chapelle 2003, p. 271-289 et de Julien Roche, Une Eglise cathare , l’Evêché du carcassès, Carcassonne, Béziers, Narbonne, 1167-début du XIVe siècle, Cahors 2005, p .36 et ss, 524 et ss ). »
Et puis il y a les nombreuses sources découvertes et éditées par Jean Duvernoy — voir sur son site (http://jean.duvernoy.free.fr/ : http://jean.duvernoy.free.fr/sources/sinquisit.htm) —, outre son travail le plus connu sur les sources inquisitoriales, sa transcription et traduction du Registre d’inquisition de Jacques Fournier (1318-1325), trois volumes – 1965 (transcription latine) et 1968 (traduction) par Jean Duvernoy – Éditions Privat (Toulouse) – Ré-édition 2006 / préface de Emmanuel Le Roy Ladurie, qui y a fondé son célèbre Montaillou, village occitan.
3) Sources polémiques
Les sources polémiques sont nombreuses, augmentées au milieu du XXe siècle par les découvertes de Antoine Dondaine, o.p., in Archivum Fratrum Praedicatorum — nombreuses sources publiées, de A. Dondaine — ou encore, cf. infra, de Franjo Sanjek, o.p.
Cf. aussi, parmi les sources polémiques, celles mentionnées ci-dessous par Michel Roquebert — à propos du vocable « cathares » concernant les terres d'Oc, selon lesdites sources :
Michel Roquebert : « Le vocable de cathares est dû à un bénédictin allemand, Eckbert de Schönau, qui désigna ainsi, vers 1163, les hérétiques rhénans, dont il dénonçait la théologie, et en premier lieu sa racine dualiste.
Or on ne manque pas de sources attestant la rapide extension de l’appellation cathare hors de l’Allemagne et son application aux hérétiques languedociens. En premier lieu le canon 27 du IIIe Concile œcuménique du Latran, réuni en mars 1179 : « Dans la Gascogne albigeoise, le Toulousain, et en d’autres lieux, la damnable perversion des hérétiques dénommés par les uns cathares (catharos), par d’autres patarins, publicains, ou autrement encore, a fait de si considérables progrès… ».
Texte dans J. D. Mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, t. XXII, 231. Traduction française par Raymonde Foreville dans Histoire des conciles œcuméniques, Paris, L’Orante, 1965, t. VI, p. 222.
« Le 21 avril 1198, le pape Innocent III écrit aux archevêques d’Aix, Narbonne, Auch, Vienne, Arles, Embrun, Tarragone, Lyon, et à leurs suffragants : « Nous savons que ceux que dans votre province on nomme vaudois, cathares (catari), patarins… ».
Texte dans Migne, Patrologie latine, t. 214, col. 82, et dans O. Hageneder et A. Haidacher, Die Register Innozens’III, vol. I, Graz/Cologne, 1964, bulle n° 94, p. 135-138.
« Or cette bulle pontificale s’adresse à des prélats qui sont tous en exercice au sud de la Bourgogne ; il est bien évident, comme le notent d’ailleurs les plus récents éditeurs allemands de la correspondance d’Innocent III, que le mot de catari est dès cette époque une Allgemeinbezeichnung für die Häretiker des 12. und 13. Jh., une appellation générique pour désigner les hérétiques des XIIe et XIIIe siècles.
Die Register Innocenz’III, p. 136, note 4. , et appliquée ici à ceux du pays d’oc.
« Entre 1194 et 1202, le théologien catholique Alain de Lille écrit à Montpellier – donc en Languedoc – sa « Somme en quatre parties, ou De la foi catholique contre les hérétiques ».
Summa quadrapartita ou De fide catholica contra haereticos, Manuscrit à la Bibliothèque Vaticane, Vatic. Lat. 903 ; édité par Migne, Patrologie latine, t.210, col. 305 et suiv. Cf. notamment la col. 366, passage où l’auteur tente de donner l’étymologie du mot cathare.
« Absolument rien ne dit que les catari qui apparaissent à diverses reprises au cours de son texte seraient les hérétiques rhénans ou italiens, et non ceux de son pays d’adoption. » (…)
Roquebert (suite) : « Mais l’argument décisif se trouve assurément dans le Liber contra Manicheos, le « Livre contre les Manichéens » attribué à Durand de Huesca [qui désigne, dit-il], « les manichéens, c’est-à-dire les actuels cathares qui habitent dans les diocèses d’Albi, de Toulouse et de Carcassonne… » [Quidam estimant hoc nomen ‘nichil’ aliquid significare, scilicet aliquam substantiam corpoream et incorpoream et omnes visiblies creaturas, ut manichei, id est moderni kathari qui in albiensi et tolosanensi et carcassonensi diocesibus commorantur.
Texte édité par Christine Thouzellier, Une somme anti-cathare : le Liber contra manicheos de Durand de Huesca, Louvain, 1964, p. 217.
« Une éclatante confirmation, à la fois, de l’emploi du mot cathare à propos des hérétiques languedociens, et de sa signification générique, puisqu’il s’adresse aussi aux cathares d’Italie et « de France », se trouve dans la Summa de Rainier Sacconi ; après avoir dénoncé les erreurs de l’Église des Cathares de Concorezzo, l’ancien dignitaire cathare repenti, entré chez les Frères Prêcheurs, titre un des derniers paragraphes de son ouvrage : Des Cathares toulousains, albigeois et carcassonnais, Il savait de quoi il parlait. Il enchaîne : « Pour finir, il faut noter que les Cathares de l'Eglise toulousaine, de l’albigeoise et de la carcassonnaise tiennent les erreurs de Balesmanza et des vieux Albanistes » etc.
Ultimo notendum est quod Cathari ecclesiae tholosanae, et albigensis et carcassonensis tenent errores Belezinansae… (Summa de Catharis, édit. Franjo Sanjek, Archivum Fratrum Praedicatorum, n° 44, 197.)
« Bref, l’usage du mot cathares pour désigner les hérétiques du sud du royaume de France est attesté, tant en Languedoc et en Italie qu’à la Curie romaine, dès le dernier tiers du XIIe siècle, et son usage perdura au XIIIe.
« Il est donc tout à fait légitime de s’en servir encore au XXIe siècle. D’autant que, pas plus que Rainier Sacconi, nul n’ignore aujourd’hui, quand il rencontre ce mot, de qui il s’agit…
Quant à penser que la lutte contre l'hérésie ne fut qu'un faux prétexte pour lancer la conquête française, c'est ignorer que le roi Philippe Auguste a refusé de s'engager dans la croisade et que, s'il n'a pu l'empêcher, il a quand même réussi à la retarder de dix ans. Il suffit de lire sa correspondance avec le pape Innocent III… Si la "guerre sainte" qu'avait voulue le pape a rapidement dégénéré en pure et simple guerre de conquête, c'est parce qu'elle a inévitablement provoqué un grave conflit entre le droit canonique et le droit féodal… Ce n'est pas très difficile à comprendre. »
4) Chroniques
Guillaume de Tudèle & Anonyme, Chanson de la croisade, Librairie Renouard, 1875, 574 p. (occitan)
Pierre des Vaux de Cernay, Historia albigensis : Historia de factis et triumphis memorabilibus nobilis viri domini Simonis comitis de Monte Forti (latin)
Guillaume de Puylaurens, Chronique de Maître Guillaume de Puylaurens sur la guerre des albigeois, 354 p. (latin), decouvert par Rebiria en 1530
Texte occitan du colloque de Montréal de 1207, retrouvé par Nicolas Vignier vers 1570-1575 et édité en 1601, puis édité par Jean-Paul Perrin en 1612
Jean Chassanion, Histoire des Albigeois, rédigé vers 1560, publié en 1595 (sur source originale occitane du début XIIIe s.), rééd. Jas – Poupin à paraître aux éditions Ampelos — avec introductions historique et théologique.
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Etc., etc., la liste des sources connues – incontestées – signalée dans ce bref indicatif en regard de leur signification particulière pour le sujet réalité du catharisme notamment occitan, n’étant pas exhaustive, notamment concernant le catharisme en général…
RP