Abordant la question des rapports entre foi protestante et judaïsme, il convient de s’arrêter sur quelques expressions, régulièrement utilisées mais souvent peu clairement définies…
À commencer par le terme, central puisqu’il qualifie deux ensembles des livres de la Sola Scriptura : le terme d’alliance… (Les astérisques dans le texte renvoient aux entrées respectives.)
Alliance(s)
La façon la plus connue de comprendre ce point central en christianisme, et donc en protestantisme, est qu’il y a deux alliances :
- la nouvelle alliance, chrétienne, donnée via le Nouveau Testament* et comme Nouveau Testament* (les deux notions, alliance et testament, relevant du même mot en hébreu comme en grec) ;
- et l’ancienne alliance, juive, reçue dans les livres de l’Ancien Testament*, ou Premier Testament, selon le vocable chrétien pour désigner les livres hérités de la Bible hébraïque*.
La nouvelle alliance a rapidement été perçue comme se substituant à une ancienne l’annonçant, l’Église se substituant de la sorte à Israël. Cette compréhension des relations entre judaïsme et christianisme est pointée actuellement comme « théologie de la substitution* ». Si la Réforme du XVIe siècle, avec notamment Luther, s’est généralement inscrite dans cette perception alors commune des relations judéo-chrétiennes, ce schéma a cependant pu être nuancé, notamment, en protestantisme, suite à Calvin.
Alliance unique
Pour Calvin, précurseur en cela, il n’y a essentiellement qu’une seule alliance, qui varie dans « l’ordre d’être dispensée ». Une alliance, des dispensations* : « l’alliance faite avec les Pères anciens est si semblable à la nôtre, qu’on la peut dire une même avec elle. Seulement elle diffère en l’ordre d’être dispensée. » (Institution de la religion chrétienne II, X, 2)
« Nouvelle alliance » peut s’entendre ici « alliance renouvelée » plutôt que « nouvelle » au sens de « autre ». Les rites (par ex. circoncision ou baptême) qui caractérisent les différentes façons par lesquelles l’alliance est « dispensée » sont seconds par rapport à la substance : la fidélité indéfectible de Dieu, qui vaut pour Israël comme pour l’Église, l’alliance n’ayant « pas été fondée sur les mérites des Patriarches » mais sur la « seule miséricorde de Dieu ».
Ces conséquences logiques de la notion d’alliance unique n’ont pas toujours été tirées, et n’ont pas fait ipso facto disparaître celle de substitution*, reprise alors éventuellement sous la forme d’un développement de l’unique alliance vers une complétude néo-testamentaire.
Anti-judaïsme
La théologie de la substitution* glisse très rapidement dans l’histoire à l’anti-judaïsme : les juifs sont accusés d’être opiniâtres, endurcis, en refusant de se rendre à l’évidence de chrétiens selon lesquels Dieu a mis terme à la première alliance* en l’accomplissant en Jésus-Christ.
En outre, prend place l’accusation de « déicide » : puisque Jésus est Dieu, qu’il a été mis à mort et que « les juifs » sont considérés, via une lecture des évangiles qui a fini par prendre beaucoup de poids, comme les responsables de son exécution, ils sont donc « déicides » ! Cette lecture du procès de Jésus est fort sujette à caution et l’exégèse a fini par en souligner résolument la redoutable complexité.
Antisémitisme
L’anti-judaïsme* glissera ensuite lui-même à l’antisémitisme via la « racialisation » du judaïsme. L’Inquisition espagnole joue un rôle non-négligeable vers ce glissement, en considérant que les conversions de juifs au christianisme obtenues par des pressions étant douteuses, il était opportun de distinguer les chrétiens « de souche » de ceux dont les ancêtres étaient juifs (ou Maures). On remonte ainsi jusqu’à quatre générations pour vérifier la « limpiezza de la sangre » — la « pureté du sang ». Lorsque par ailleurs on en vient à classifier les êtres humains en inventant pour cela des catégories raciales, en fonction des couleurs de la peau principalement, ou d’autres critères comme l’ascendance religieuse, la plupart des pays européens finissent par adopter l’idée d’une race juive, « sémite », racialisant donc l’anti-judaïsme en antisémitisme.
Anti-sionisme
L’anti-judaïsme* et l’antisémitisme* s’imbriquent parfois actuellement dangereusement avec l’anti-sionisme.
L’anti-sionisme désigne tout un éventail d’attitudes, allant du refus de la légitimité de l’État d’Israël à l’hostilité à tel ou tel aspect de sa politique. Tout dépend, quant à cet éventail de refus ou d’hostilités, de ce qu’on entend pas « sionisme* ».
Bible hébraïque
La Bible hébraïque est communément appelée « Tanakh », abréviation de Torah (תורה « Loi ») (connue aussi sous le nom grec de Pentateuque = 5 livres) ; Nevi'im (נביאים, « Prophètes ») ; Ketouvim (כתובים, « Écrits »).
Les livres de la Bible hébraïque se retrouvent dans le canon protestant de l’Ancien Testament* (ou Premier Testament), traditionnellement rangés dans un autre ordre — jusqu’à la TOB, qui reprend l’ordre hébraïque.
La Bible hébraïque, qui se suffit en soi, doit être distinguée de l’Ancien Testament*, qui suppose un Nouveau Testament*.
Dispensations / dispensationalisme
Le mot dispensation traduit le mot grec oikonomia / économie, que l’on trouve dans le Nouveau Testament* (Éphésiens 1, 10 ; 3, 2 et 9 ; Colossiens 1, 25) où il désigne l’administration de la grâce révélée en Christ.
Dans le cadre de la notion d’alliance unique* mise en exergue par Calvin, le mot signifie les modes divers et seconds de l’administration de cette alliance unique* (la variabilité selon le temps et les traditions des rites et sacrements) : « l’alliance faite avec les Pères anciens est si semblable à la nôtre, qu’on la peut dire une même avec elle. Seulement elle diffère en l’ordre d’être dispensée. » (IC II, X, 2. Cf. supra)
Ces différents modes d’administration (« dispensations ») d’une unique alliance de grâce verront par la suite souligner les spécificités propres à chacun d’eux : des théologiens de tradition généralement calviniste (Cocceius 1603-1669, Pierre Poiret 1616-1719, John Edwards 1639-1716) ont produit depuis le XVIIe et le XVIIIe siècle des travaux de réflexion sur ces spécificités. On finira donc par distinguer nettement, dans leur mouvance, les « dispensations » particulières, autant d’alliances diverses en fin de compte. Le théologien anglo-irlandais John-Nelson Darby (1800-1882), traducteur de la Bible en plusieurs langues et initiateur d’un mouvement religieux, frappera la mouture connue du « dispensationalisme », donnant sept dispensations successives : 1° Le temps de l’innocence, 2° Depuis la chute jusqu’au déluge, 3° Depuis le déluge jusqu’à Abraham, 4° L’époque des patriarches, 5° La loi, 6° L’Église et la période chrétienne, 7° Le royaume (d’une durée de mille ans / Apoc 20). Ce schéma a été popularisé dans le protestantisme (et parfois au-delà) via la Bible dite de Scofield (Cyrus-Ingerson Scofield 1843-1921, théologien américain) dotée de commentaires adhérant à cette théologie (une Bible avec ces commentaires existe en français).
Dans cette perspective, Israël correspond à une « dispensation », celle de la Loi, distincte de celle de l’Église, dispensation non-abrogée : les deux subsistent parallèlement. La dispensation d’Israël comprend la terre, d’où la lecture de la création de l’État moderne d’Israël comme relevant de la prophétie, de son accomplissement et de sa « réactivation » après près de vingt siècles : c’est un des fondements théologiques du sionisme* chrétien.
Messianique
Le mot « messianique » est l’équivalent de l’appellation « chrétien » — ici à partir du grec, là de l’hébreu. Relativement aux mots équivalents « messie » ou « christ ». Le terme « messianique » est repris depuis quelques décennies dans des cercles d’origine juive croyant à la messianité de Jésus, s’intitulant eux-mêmes mouvements « juifs messianiques ». Les courants de cette mouvance sont divers quant à la pratique religieuse (et parfois quant à la compréhension de la relation de Jésus et de Dieu). Il existe tout un éventail depuis ceux qui ont rejoint des Églises chrétiennes existantes et leurs rites, jusqu’à ceux qui maintiennent les pratiques juives — voire de façon intégrale.
La façon dont ils sont perçus est variable : comme des chrétiens d’origine juive, mais ayant cessé d’être juifs en devenant chrétiens à un pôle, comme un nouveau courant du judaïsme recevant Jésus comme le Messie tout en restant juifs à un autre pôle, sans compter les compréhensions intermédiaires.
Cela peut être considéré en regard des deux façons de rendre en français le mot juif ou Juif — avec ou sans majuscule — correspondant à deux compréhensions : être juif (sans majuscule) comme fait religieux (parfois dit « israélite ») ; être Juif (avec majuscule) comme fait national, fût-il de diaspora. (Dans les deux cas, à ne pas confondre avec Israélien, le fait national moderne.)
C’est ainsi que la question des « juifs messianiques » se complique avec ceux d’entre eux qui estiment que les juifs, les « autres » Juifs diraient-ils, doivent eux aussi devenir disciples de Jésus, voire avec ce que cela implique traditionnellement d’abandon des rites mosaïques — et donc devenir chrétiens ! Dans cette perspective, être Juif est plutôt perçu comme un fait national, fût-il de diaspora : le mouvement « juif messianique » mènerait donc à terme à une nation juive de religion chrétienne (i.e. messianique) ?! Ou, si être juif est d’abord un fait religieux, cela tendrait-il à terme à un passage du judaïsme à telle ou telle forme de christianisme, ou à un statut de religion chrétienne (i.e. messianique) ?!
Loi de Moïse / Loi de Noé / noachides
La question du mode des relations concrètes au judaïsme — comme religion de l’observance de la loi de Moïse reçue dans l’alliance* mosaïque — a été posée de diverses façons dans l’histoire du christianisme. Dans le Nouveau Testament* cette question trouve un point d’orgue au livre des Actes des Apôtres, renvoyant à l’enseignement juif sur la « loi de Noé » ou « noachide » — relative à l’alliance de Noé.
La loi noachide consiste selon le Talmud en sept préceptes que doivent observer les non-juifs. Talmud de Babylone traité Sanhédrin 56 a :
Nos sages ont enseigné : sept lois ont été données aux fils de Noé [à l’humanité] :
établir des tribunaux (1),
l’interdiction de blasphémer (2),
l’interdiction de l’idolâtrie (3),
l’interdiction des unions illicites (4),
l’interdiction de l’assassinat (5),
l’interdiction du vol (6),
l’interdiction d’arracher un membre d’un animal vivant (7).
C’est ce que l’on retrouve repris en substance au livre des Actes des Apôtres comme proposition de Jacques quant aux non-juifs qui ont adhéré à la foi de Jésus :
« Je suis donc d'avis de ne pas accumuler les obstacles devant ceux des païens qui se tournent vers Dieu. Écrivons-leur simplement de s'abstenir des souillures de l'idolâtrie, de l'immoralité, de la viande étouffée et du sang. Depuis des générations, en effet, Moïse dispose de prédicateurs dans chaque ville, puisqu'on le lit tous les sabbats dans les synagogues. » (Actes 15, 19-21).
Cette approche est reprise aujourd’hui mutatis mutandis par certains courants du christianisme, notamment protestants, repensant de la sorte le rapport au judaïsme. Pensons à des mouvements comme l’adventisme, qui élargissent la question de la relation à la loi de Moïse au-delà même de la simple loi noachide : cf. l’observance du shabbat. Le questionnement sur le shabbat s’enracine, avant l’adventisme, dans des mouvements réformés et puritains anglo-saxons.
Sionisme
Le sionisme est d’abord le mouvement dont la figure représentative est Théodore Herzl, juif d’Autriche-Hongrie, pour qui être Juif (avec majuscule en français donc) signifie d’abord une réalité nationale en diaspora — et trop souvent indésirable en diaspora (on est à l’époque de l’affaire Dreyfus). Cf. le livre de Herzl, L’État des Juifs (1896). Il fonde comme une alternative à l’antisémitisme* le mouvement sioniste, en 1897 (au congrès de Bâle).
Le sionisme n’est pas un mouvement religieux, mais il rencontre par la suite l’aval de plusieurs mouvements chrétiens, généralement dispensationalistes*, qui considèrent comme accomplissement des prophéties bibliques l’éventuelle création d’un État des Juifs en terre turque (puis britannique) de Palestine (la localisation de l’État des Juifs eût pu être autre).
Les juifs religieux de l’époque n’adhèrent pas au projet sioniste, non plus que la plupart des chrétiens, protestants y compris.
La réalisation du projet sioniste avec la reconnaissance en 1948 de l’État d’Israël suscite l’enthousiasme, notamment des chrétiens sionistes de la mouvance dispensationaliste*, mais aussi au-delà, et ne connaît que peu d’opposition protestante.
Les choses changent en 1967, après la Guerre des Six jours, quand le terme « sioniste » prend un autre sens, d’autres connotations, suite à la domination israélienne de terres palestiniennes. Le terme en vient à connoter extension territoriale, colonisation de terres palestiniennes, oppression, etc.
Si des chrétiens, souvent protestants, demeurent sionistes, d’autres prennent leurs distances.
Shoah
Le génocide perpétré par l’Allemagne nazie avec la complicité de plusieurs autres nations — dont l’État français de Vichy —, débouché de la compréhension raciale de ce qu’est être juif, débouché du racisme antisémite, bouleversera la compréhension du monde, de l’homme, de Dieu même : Hans Jonas parlera du Concept de Dieu après Auschwitz.
Le choc en retour favorisera donc le développement de vastes réflexions théologiques et le sens de l’urgence d’un dialogue, pour que cesse « l’enseignement du mépris », selon la formule de Jules Isaac, cofondateur de l’Amitié judéo-chrétienne de France, évoquant la « théologie de la substitution* ».
La certitude d’un rapport exclusif à la vérité qui habitait assez communément les systèmes théologiques chrétiens est ébranlée : une nouvelle humilité théologique, devenue nécessaire, est désormais largement partagée.
Substitution
Le terme de substitution caractérise l’idée, séculaire en christianisme, y compris protestant, selon laquelle l’alliance* avec Israël serait devenue caduque avec l’avènement du Christ et suite à quoi l’Église aurait été substituée à Israël.
Si la Shoah* est le fruit de l’idéologie raciste, la question est posée depuis de savoir si « l’enseignement du mépris » n’a pas contribué à ce débouché. Dans la mesure où le christianisme a enseigné que le judaïsme relevait du passé, d’un passé révolu, rendu caduc par l’avènement de l’Église, celle-ci était effectivement très mal armée pour exercer toute la vigilance requise face à ce que l’on pourrait assimiler à un passage à l’acte : de la caducité théorique d’Israël à sa disparition réelle…
La question actuelle est donc à nouveau celle de la vigilance, quant au vocabulaire utilisé, quant aux concepts théologiques déployés, quant à la traduction des termes du Nouveau Testament*, quant à la prédication, à la catéchèse, etc. Veiller à percevoir Israël et le judaïsme comme réalités présentes, vivantes, comme vis-à-vis actuel et nécessaire du christianisme, qui n’y a jamais été substitué…
Testaments (Ancien et Nouveau)
- Ancien Testament : Le canon protestant de l’Ancien Testament / Premier Testament reprend les mêmes livres que la Bible hébraïque* (rangés traditionnellement dans un ordre différent — en France jusqu’au temps de la TOB). Le canon protestant diffère en cela des canons catholique romain et orthodoxe qui reprennent en outre chacun un certain nombre de livres appartenant à la liste de livres de la Bible des Septante (LXX), issue du judaïsme hellénistique, alexandrin — cf. la liste des livres « deutérocanoniques » (= canonisés deuxièmement) de la TOB. Le canon éthiopien contient en outre quelques autres livres, comme# le Livre d’Hénoch. (# Erratum concernant la version papier : y manque cette partie de phrase en italique.)
- Nouveau Testament : Pour les auteurs de ce qui est devenu le Nouveau Testament, il n’y a pas d’Ancien Testament comme livre biblique en vis-à-vis du Nouveau. Dans le Nouveau Testament, la seule Bible est la Bible hébraïque* (ou parfois la LXX). L’unique apparition du terme « Ancien Testament / Ancienne alliance » (2 Corinthiens 3, 14) réfère à la lecture de la Bible hébraïque* en regard de la foi en Christ, dont cette même foi fait un livre de l’Ancien Testament / Ancienne alliance. C’est donc le Nouveau Testament comme aune de lecture de la Bible hébraïque* qui fait apparaître en celle-ci un livre de l’Ancien Testament / Ancienne alliance (qui diffère de la nouvelle « selon l’ordre d’être dispensée »), tandis que la Bible hébraïque* garde ses propres significations indépendamment du Nouveau Testament.
À commencer par le terme, central puisqu’il qualifie deux ensembles des livres de la Sola Scriptura : le terme d’alliance… (Les astérisques dans le texte renvoient aux entrées respectives.)
Alliance(s)
La façon la plus connue de comprendre ce point central en christianisme, et donc en protestantisme, est qu’il y a deux alliances :
- la nouvelle alliance, chrétienne, donnée via le Nouveau Testament* et comme Nouveau Testament* (les deux notions, alliance et testament, relevant du même mot en hébreu comme en grec) ;
- et l’ancienne alliance, juive, reçue dans les livres de l’Ancien Testament*, ou Premier Testament, selon le vocable chrétien pour désigner les livres hérités de la Bible hébraïque*.
La nouvelle alliance a rapidement été perçue comme se substituant à une ancienne l’annonçant, l’Église se substituant de la sorte à Israël. Cette compréhension des relations entre judaïsme et christianisme est pointée actuellement comme « théologie de la substitution* ». Si la Réforme du XVIe siècle, avec notamment Luther, s’est généralement inscrite dans cette perception alors commune des relations judéo-chrétiennes, ce schéma a cependant pu être nuancé, notamment, en protestantisme, suite à Calvin.
Alliance unique
Pour Calvin, précurseur en cela, il n’y a essentiellement qu’une seule alliance, qui varie dans « l’ordre d’être dispensée ». Une alliance, des dispensations* : « l’alliance faite avec les Pères anciens est si semblable à la nôtre, qu’on la peut dire une même avec elle. Seulement elle diffère en l’ordre d’être dispensée. » (Institution de la religion chrétienne II, X, 2)
« Nouvelle alliance » peut s’entendre ici « alliance renouvelée » plutôt que « nouvelle » au sens de « autre ». Les rites (par ex. circoncision ou baptême) qui caractérisent les différentes façons par lesquelles l’alliance est « dispensée » sont seconds par rapport à la substance : la fidélité indéfectible de Dieu, qui vaut pour Israël comme pour l’Église, l’alliance n’ayant « pas été fondée sur les mérites des Patriarches » mais sur la « seule miséricorde de Dieu ».
Ces conséquences logiques de la notion d’alliance unique n’ont pas toujours été tirées, et n’ont pas fait ipso facto disparaître celle de substitution*, reprise alors éventuellement sous la forme d’un développement de l’unique alliance vers une complétude néo-testamentaire.
Anti-judaïsme
La théologie de la substitution* glisse très rapidement dans l’histoire à l’anti-judaïsme : les juifs sont accusés d’être opiniâtres, endurcis, en refusant de se rendre à l’évidence de chrétiens selon lesquels Dieu a mis terme à la première alliance* en l’accomplissant en Jésus-Christ.
En outre, prend place l’accusation de « déicide » : puisque Jésus est Dieu, qu’il a été mis à mort et que « les juifs » sont considérés, via une lecture des évangiles qui a fini par prendre beaucoup de poids, comme les responsables de son exécution, ils sont donc « déicides » ! Cette lecture du procès de Jésus est fort sujette à caution et l’exégèse a fini par en souligner résolument la redoutable complexité.
Antisémitisme
L’anti-judaïsme* glissera ensuite lui-même à l’antisémitisme via la « racialisation » du judaïsme. L’Inquisition espagnole joue un rôle non-négligeable vers ce glissement, en considérant que les conversions de juifs au christianisme obtenues par des pressions étant douteuses, il était opportun de distinguer les chrétiens « de souche » de ceux dont les ancêtres étaient juifs (ou Maures). On remonte ainsi jusqu’à quatre générations pour vérifier la « limpiezza de la sangre » — la « pureté du sang ». Lorsque par ailleurs on en vient à classifier les êtres humains en inventant pour cela des catégories raciales, en fonction des couleurs de la peau principalement, ou d’autres critères comme l’ascendance religieuse, la plupart des pays européens finissent par adopter l’idée d’une race juive, « sémite », racialisant donc l’anti-judaïsme en antisémitisme.
Anti-sionisme
L’anti-judaïsme* et l’antisémitisme* s’imbriquent parfois actuellement dangereusement avec l’anti-sionisme.
L’anti-sionisme désigne tout un éventail d’attitudes, allant du refus de la légitimité de l’État d’Israël à l’hostilité à tel ou tel aspect de sa politique. Tout dépend, quant à cet éventail de refus ou d’hostilités, de ce qu’on entend pas « sionisme* ».
Bible hébraïque
La Bible hébraïque est communément appelée « Tanakh », abréviation de Torah (תורה « Loi ») (connue aussi sous le nom grec de Pentateuque = 5 livres) ; Nevi'im (נביאים, « Prophètes ») ; Ketouvim (כתובים, « Écrits »).
Les livres de la Bible hébraïque se retrouvent dans le canon protestant de l’Ancien Testament* (ou Premier Testament), traditionnellement rangés dans un autre ordre — jusqu’à la TOB, qui reprend l’ordre hébraïque.
La Bible hébraïque, qui se suffit en soi, doit être distinguée de l’Ancien Testament*, qui suppose un Nouveau Testament*.
Dispensations / dispensationalisme
Le mot dispensation traduit le mot grec oikonomia / économie, que l’on trouve dans le Nouveau Testament* (Éphésiens 1, 10 ; 3, 2 et 9 ; Colossiens 1, 25) où il désigne l’administration de la grâce révélée en Christ.
Dans le cadre de la notion d’alliance unique* mise en exergue par Calvin, le mot signifie les modes divers et seconds de l’administration de cette alliance unique* (la variabilité selon le temps et les traditions des rites et sacrements) : « l’alliance faite avec les Pères anciens est si semblable à la nôtre, qu’on la peut dire une même avec elle. Seulement elle diffère en l’ordre d’être dispensée. » (IC II, X, 2. Cf. supra)
Ces différents modes d’administration (« dispensations ») d’une unique alliance de grâce verront par la suite souligner les spécificités propres à chacun d’eux : des théologiens de tradition généralement calviniste (Cocceius 1603-1669, Pierre Poiret 1616-1719, John Edwards 1639-1716) ont produit depuis le XVIIe et le XVIIIe siècle des travaux de réflexion sur ces spécificités. On finira donc par distinguer nettement, dans leur mouvance, les « dispensations » particulières, autant d’alliances diverses en fin de compte. Le théologien anglo-irlandais John-Nelson Darby (1800-1882), traducteur de la Bible en plusieurs langues et initiateur d’un mouvement religieux, frappera la mouture connue du « dispensationalisme », donnant sept dispensations successives : 1° Le temps de l’innocence, 2° Depuis la chute jusqu’au déluge, 3° Depuis le déluge jusqu’à Abraham, 4° L’époque des patriarches, 5° La loi, 6° L’Église et la période chrétienne, 7° Le royaume (d’une durée de mille ans / Apoc 20). Ce schéma a été popularisé dans le protestantisme (et parfois au-delà) via la Bible dite de Scofield (Cyrus-Ingerson Scofield 1843-1921, théologien américain) dotée de commentaires adhérant à cette théologie (une Bible avec ces commentaires existe en français).
Dans cette perspective, Israël correspond à une « dispensation », celle de la Loi, distincte de celle de l’Église, dispensation non-abrogée : les deux subsistent parallèlement. La dispensation d’Israël comprend la terre, d’où la lecture de la création de l’État moderne d’Israël comme relevant de la prophétie, de son accomplissement et de sa « réactivation » après près de vingt siècles : c’est un des fondements théologiques du sionisme* chrétien.
Messianique
Le mot « messianique » est l’équivalent de l’appellation « chrétien » — ici à partir du grec, là de l’hébreu. Relativement aux mots équivalents « messie » ou « christ ». Le terme « messianique » est repris depuis quelques décennies dans des cercles d’origine juive croyant à la messianité de Jésus, s’intitulant eux-mêmes mouvements « juifs messianiques ». Les courants de cette mouvance sont divers quant à la pratique religieuse (et parfois quant à la compréhension de la relation de Jésus et de Dieu). Il existe tout un éventail depuis ceux qui ont rejoint des Églises chrétiennes existantes et leurs rites, jusqu’à ceux qui maintiennent les pratiques juives — voire de façon intégrale.
La façon dont ils sont perçus est variable : comme des chrétiens d’origine juive, mais ayant cessé d’être juifs en devenant chrétiens à un pôle, comme un nouveau courant du judaïsme recevant Jésus comme le Messie tout en restant juifs à un autre pôle, sans compter les compréhensions intermédiaires.
Cela peut être considéré en regard des deux façons de rendre en français le mot juif ou Juif — avec ou sans majuscule — correspondant à deux compréhensions : être juif (sans majuscule) comme fait religieux (parfois dit « israélite ») ; être Juif (avec majuscule) comme fait national, fût-il de diaspora. (Dans les deux cas, à ne pas confondre avec Israélien, le fait national moderne.)
C’est ainsi que la question des « juifs messianiques » se complique avec ceux d’entre eux qui estiment que les juifs, les « autres » Juifs diraient-ils, doivent eux aussi devenir disciples de Jésus, voire avec ce que cela implique traditionnellement d’abandon des rites mosaïques — et donc devenir chrétiens ! Dans cette perspective, être Juif est plutôt perçu comme un fait national, fût-il de diaspora : le mouvement « juif messianique » mènerait donc à terme à une nation juive de religion chrétienne (i.e. messianique) ?! Ou, si être juif est d’abord un fait religieux, cela tendrait-il à terme à un passage du judaïsme à telle ou telle forme de christianisme, ou à un statut de religion chrétienne (i.e. messianique) ?!
Loi de Moïse / Loi de Noé / noachides
La question du mode des relations concrètes au judaïsme — comme religion de l’observance de la loi de Moïse reçue dans l’alliance* mosaïque — a été posée de diverses façons dans l’histoire du christianisme. Dans le Nouveau Testament* cette question trouve un point d’orgue au livre des Actes des Apôtres, renvoyant à l’enseignement juif sur la « loi de Noé » ou « noachide » — relative à l’alliance de Noé.
La loi noachide consiste selon le Talmud en sept préceptes que doivent observer les non-juifs. Talmud de Babylone traité Sanhédrin 56 a :
Nos sages ont enseigné : sept lois ont été données aux fils de Noé [à l’humanité] :
établir des tribunaux (1),
l’interdiction de blasphémer (2),
l’interdiction de l’idolâtrie (3),
l’interdiction des unions illicites (4),
l’interdiction de l’assassinat (5),
l’interdiction du vol (6),
l’interdiction d’arracher un membre d’un animal vivant (7).
C’est ce que l’on retrouve repris en substance au livre des Actes des Apôtres comme proposition de Jacques quant aux non-juifs qui ont adhéré à la foi de Jésus :
« Je suis donc d'avis de ne pas accumuler les obstacles devant ceux des païens qui se tournent vers Dieu. Écrivons-leur simplement de s'abstenir des souillures de l'idolâtrie, de l'immoralité, de la viande étouffée et du sang. Depuis des générations, en effet, Moïse dispose de prédicateurs dans chaque ville, puisqu'on le lit tous les sabbats dans les synagogues. » (Actes 15, 19-21).
Cette approche est reprise aujourd’hui mutatis mutandis par certains courants du christianisme, notamment protestants, repensant de la sorte le rapport au judaïsme. Pensons à des mouvements comme l’adventisme, qui élargissent la question de la relation à la loi de Moïse au-delà même de la simple loi noachide : cf. l’observance du shabbat. Le questionnement sur le shabbat s’enracine, avant l’adventisme, dans des mouvements réformés et puritains anglo-saxons.
Sionisme
Le sionisme est d’abord le mouvement dont la figure représentative est Théodore Herzl, juif d’Autriche-Hongrie, pour qui être Juif (avec majuscule en français donc) signifie d’abord une réalité nationale en diaspora — et trop souvent indésirable en diaspora (on est à l’époque de l’affaire Dreyfus). Cf. le livre de Herzl, L’État des Juifs (1896). Il fonde comme une alternative à l’antisémitisme* le mouvement sioniste, en 1897 (au congrès de Bâle).
Le sionisme n’est pas un mouvement religieux, mais il rencontre par la suite l’aval de plusieurs mouvements chrétiens, généralement dispensationalistes*, qui considèrent comme accomplissement des prophéties bibliques l’éventuelle création d’un État des Juifs en terre turque (puis britannique) de Palestine (la localisation de l’État des Juifs eût pu être autre).
Les juifs religieux de l’époque n’adhèrent pas au projet sioniste, non plus que la plupart des chrétiens, protestants y compris.
La réalisation du projet sioniste avec la reconnaissance en 1948 de l’État d’Israël suscite l’enthousiasme, notamment des chrétiens sionistes de la mouvance dispensationaliste*, mais aussi au-delà, et ne connaît que peu d’opposition protestante.
Les choses changent en 1967, après la Guerre des Six jours, quand le terme « sioniste » prend un autre sens, d’autres connotations, suite à la domination israélienne de terres palestiniennes. Le terme en vient à connoter extension territoriale, colonisation de terres palestiniennes, oppression, etc.
Si des chrétiens, souvent protestants, demeurent sionistes, d’autres prennent leurs distances.
Shoah
Le génocide perpétré par l’Allemagne nazie avec la complicité de plusieurs autres nations — dont l’État français de Vichy —, débouché de la compréhension raciale de ce qu’est être juif, débouché du racisme antisémite, bouleversera la compréhension du monde, de l’homme, de Dieu même : Hans Jonas parlera du Concept de Dieu après Auschwitz.
Le choc en retour favorisera donc le développement de vastes réflexions théologiques et le sens de l’urgence d’un dialogue, pour que cesse « l’enseignement du mépris », selon la formule de Jules Isaac, cofondateur de l’Amitié judéo-chrétienne de France, évoquant la « théologie de la substitution* ».
La certitude d’un rapport exclusif à la vérité qui habitait assez communément les systèmes théologiques chrétiens est ébranlée : une nouvelle humilité théologique, devenue nécessaire, est désormais largement partagée.
Substitution
Le terme de substitution caractérise l’idée, séculaire en christianisme, y compris protestant, selon laquelle l’alliance* avec Israël serait devenue caduque avec l’avènement du Christ et suite à quoi l’Église aurait été substituée à Israël.
Si la Shoah* est le fruit de l’idéologie raciste, la question est posée depuis de savoir si « l’enseignement du mépris » n’a pas contribué à ce débouché. Dans la mesure où le christianisme a enseigné que le judaïsme relevait du passé, d’un passé révolu, rendu caduc par l’avènement de l’Église, celle-ci était effectivement très mal armée pour exercer toute la vigilance requise face à ce que l’on pourrait assimiler à un passage à l’acte : de la caducité théorique d’Israël à sa disparition réelle…
La question actuelle est donc à nouveau celle de la vigilance, quant au vocabulaire utilisé, quant aux concepts théologiques déployés, quant à la traduction des termes du Nouveau Testament*, quant à la prédication, à la catéchèse, etc. Veiller à percevoir Israël et le judaïsme comme réalités présentes, vivantes, comme vis-à-vis actuel et nécessaire du christianisme, qui n’y a jamais été substitué…
Testaments (Ancien et Nouveau)
- Ancien Testament : Le canon protestant de l’Ancien Testament / Premier Testament reprend les mêmes livres que la Bible hébraïque* (rangés traditionnellement dans un ordre différent — en France jusqu’au temps de la TOB). Le canon protestant diffère en cela des canons catholique romain et orthodoxe qui reprennent en outre chacun un certain nombre de livres appartenant à la liste de livres de la Bible des Septante (LXX), issue du judaïsme hellénistique, alexandrin — cf. la liste des livres « deutérocanoniques » (= canonisés deuxièmement) de la TOB. Le canon éthiopien contient en outre quelques autres livres, comme# le Livre d’Hénoch. (# Erratum concernant la version papier : y manque cette partie de phrase en italique.)
- Nouveau Testament : Pour les auteurs de ce qui est devenu le Nouveau Testament, il n’y a pas d’Ancien Testament comme livre biblique en vis-à-vis du Nouveau. Dans le Nouveau Testament, la seule Bible est la Bible hébraïque* (ou parfois la LXX). L’unique apparition du terme « Ancien Testament / Ancienne alliance » (2 Corinthiens 3, 14) réfère à la lecture de la Bible hébraïque* en regard de la foi en Christ, dont cette même foi fait un livre de l’Ancien Testament / Ancienne alliance. C’est donc le Nouveau Testament comme aune de lecture de la Bible hébraïque* qui fait apparaître en celle-ci un livre de l’Ancien Testament / Ancienne alliance (qui diffère de la nouvelle « selon l’ordre d’être dispensée »), tandis que la Bible hébraïque* garde ses propres significations indépendamment du Nouveau Testament.
Roland Poupin
Juifs et protestants, une fraternité exigeante
"Éléments de vocabulaire des relations judéo-protestantes"
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