« Ce que tu donnes, c'est à toi pour toujours ; ce que tu gardes, c'est perdu à jamais ! »
(Eric-Emmanuel Schmitt, Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran)
Il se trouve que cette année notre rencontre a lieu au moment où les chrétiens vont entrer dans la semaine sainte, qui commence par le dimanche des Rameaux — demain.
Lors de la montée de Jésus à Jérusalem, aux Rameaux, la foule ne sait pas exactement ce qu’elle demande — un roi — ; comme Abraham (Genèse 22), quand il commence sa montée vers le mont du sacrifice, ne sait pas. Aux Rameaux, la foule ne sait pas que celui qu’elle acclame comme un roi temporel devra être sacrifié comme tel, pour rayonner de sa vérité éternelle.
Rameaux annonce le renoncement, le don total, pour la résurrection du Christ éternel au dimanche de Pâques.
Il s'agit de renoncer, comme Abraham a renoncé. Il lui a fallu laisser son fils être ce qu'il est devant Dieu. Il lui a fallu en sacrifier ce qu'il croyait en savoir. Et découvrir à travers cela que tuer au nom de Dieu est inadmissible pour Dieu.
Il a fallu de même, de Rameaux à Pâques, apprendre à sacrifier ce que l'on concevait de Jésus — « qui dites-vous que je suis ? » avait-il demandé aux disciples — pour retrouver l'être de résurrection révélé au dimanche de Pâques.
C'est ce que Paul revivra avec les Éphésiens attristés au moment où il les quitte : « vous ne reverrez plus mon visage » leur dit-il — et plus loin : « leur tristesse venait surtout de la phrase où il avait dit qu’ils ne devaient plus revoir son visage ». (Actes 20) « Me voici en route pour Jérusalem, vient-il de leur annoncer ; je ne sais pas quel y sera mon sort, mais en tout cas, l’Esprit Saint me l’atteste de ville en ville, chaînes et détresses m’y attendent. » Et : « Je n’attache aucun prix à ma propre vie ; mon but, c’est de mener à bien ma course et le service que le Seigneur Jésus m’a confié. »
Il y a là pour Paul quelque chose qui a déjà été sacrifié. La propre image qu'il se faisait de lui-même. Et c'est aussi ce à quoi devront renoncer les Éphésiens, avec larmes.
« Vous ne reverrez plus mon visage » leur a dit Paul. Chose étonnante quand on pourrait se dire : mais ne le verront-ils pas lors de la résurrection ? — que Paul leur enseigne. Eh bien c'est là qu'est la clef précisément. Vient un jour où on ne reverra plus le visage que l'on connaît de quelqu'un. Il faut alors le découvrir dans sa vérité éternelle. Pour cela, il faudra sacrifier — donner sans réserve, abandonner — ce que l'on croyait en savoir. Et cela coûte des larmes, celles des Éphésiens, celles d’Abraham montant avec son fils, celles des disciples perdant le Christ, celles des femmes au pied de sa croix.
Écho à ce que dit Jésus à ses disciples au moment de sa mort : « vous ne me verrez plus ». Et puis vous me verrez, ajoute-t-il. Un Jésus est sacrifié, celui que l'on croyait connaître, pour qu’apparaisse le vrai Jésus, que l'on ne peut saisir — Jésus Christ éternel.
Tout cela est donné à valoir pour nous, pour chacun de nous. Il nous faut sacrifier ce que l'on croit pouvoir posséder de ses proches, et de soi-même pour paraître en pleine lumière, nés de Dieu. « Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu » dira Paul aux Colossiens (Col 3, 3).
Colossiens 3, 1-8 : 1 Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ; 2 c’est en haut qu’est votre but, non sur la terre. 3 Vous êtes morts, en effet, et votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu. 4 Quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire. 5 Faites donc mourir ce qui en vous appartient à la terre : débauche, impureté, passion, désir mauvais et cette cupidité, qui est une idolâtrie. 6 Voilà ce qui attire la colère de Dieu, 7 voilà quelle était votre conduite autrefois, ce qui faisait votre vie. 8 Maintenant donc, vous aussi, débarrassez-vous de tout cela : colère, irritation, méchanceté, injures, grossièreté sortie de vos lèvres.
Que nous dit ce texte ? Que si nous croyons à la promesse de la résurrection — et c'est un enseignement qui nous est commun, comme héritiers spirituels d'Abraham —, nous sommes déjà, dès à présent, dans la vie de résurrection, et tout ce qui détruit la vie — colère, irritation, méchanceté, ressentiment, etc. — n'a plus lieu d'être. Haïr, tuer, blesser au nom de Dieu n'a pas lieu d'être, lui est en horreur, « attire sa colère », dit le texte. C'est dès aujourd'hui qu'il faut vivre la vie de résurrection, qui est une vie de don, de bonté, emplie dès aujourd'hui de miséricorde pour tous.
Et vous savez, nous avons là la réponse à l’interpellation de Nietzsche contre les arrière-mondes, à savoir ce reproche fait aux croyants, souvent à juste titre, de ne pas vivre sous prétexte que la vraie vie ce serait après la mort ! — dans quelque arrière-monde.
Eh bien si nous comprenons les choses ainsi, si nous nous imaginons que la foi à la résurrection signifie qu'il ne faut pas vivre aujourd'hui, Nietzsche a raison contre nous. Et nous risquons fort en effet d'être déçus. Celui qui renonce à la bonté de la vie par haine, amertume, ressentiment, croyant trouver ce qui fait le bonheur après la mort, risque fort d'être déçu ! La qualité de la vie de résurrection se manifeste tout simplement dans la beauté de la vie dès aujourd'hui, c'est-à-dire dans le don, où précisément elle se trouve : « qui veut sauver sa vie, la perdra, dit Jésus ; mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera » (Luc 9, 24). « Ce que tu donnes, c'est à toi pour toujours ; ce que tu gardes, c'est perdu à jamais ! »
(Eric-Emmanuel Schmitt, Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran)
Il se trouve que cette année notre rencontre a lieu au moment où les chrétiens vont entrer dans la semaine sainte, qui commence par le dimanche des Rameaux — demain.
Lors de la montée de Jésus à Jérusalem, aux Rameaux, la foule ne sait pas exactement ce qu’elle demande — un roi — ; comme Abraham (Genèse 22), quand il commence sa montée vers le mont du sacrifice, ne sait pas. Aux Rameaux, la foule ne sait pas que celui qu’elle acclame comme un roi temporel devra être sacrifié comme tel, pour rayonner de sa vérité éternelle.
Rameaux annonce le renoncement, le don total, pour la résurrection du Christ éternel au dimanche de Pâques.
Il s'agit de renoncer, comme Abraham a renoncé. Il lui a fallu laisser son fils être ce qu'il est devant Dieu. Il lui a fallu en sacrifier ce qu'il croyait en savoir. Et découvrir à travers cela que tuer au nom de Dieu est inadmissible pour Dieu.
Il a fallu de même, de Rameaux à Pâques, apprendre à sacrifier ce que l'on concevait de Jésus — « qui dites-vous que je suis ? » avait-il demandé aux disciples — pour retrouver l'être de résurrection révélé au dimanche de Pâques.
C'est ce que Paul revivra avec les Éphésiens attristés au moment où il les quitte : « vous ne reverrez plus mon visage » leur dit-il — et plus loin : « leur tristesse venait surtout de la phrase où il avait dit qu’ils ne devaient plus revoir son visage ». (Actes 20) « Me voici en route pour Jérusalem, vient-il de leur annoncer ; je ne sais pas quel y sera mon sort, mais en tout cas, l’Esprit Saint me l’atteste de ville en ville, chaînes et détresses m’y attendent. » Et : « Je n’attache aucun prix à ma propre vie ; mon but, c’est de mener à bien ma course et le service que le Seigneur Jésus m’a confié. »
Il y a là pour Paul quelque chose qui a déjà été sacrifié. La propre image qu'il se faisait de lui-même. Et c'est aussi ce à quoi devront renoncer les Éphésiens, avec larmes.
« Vous ne reverrez plus mon visage » leur a dit Paul. Chose étonnante quand on pourrait se dire : mais ne le verront-ils pas lors de la résurrection ? — que Paul leur enseigne. Eh bien c'est là qu'est la clef précisément. Vient un jour où on ne reverra plus le visage que l'on connaît de quelqu'un. Il faut alors le découvrir dans sa vérité éternelle. Pour cela, il faudra sacrifier — donner sans réserve, abandonner — ce que l'on croyait en savoir. Et cela coûte des larmes, celles des Éphésiens, celles d’Abraham montant avec son fils, celles des disciples perdant le Christ, celles des femmes au pied de sa croix.
Écho à ce que dit Jésus à ses disciples au moment de sa mort : « vous ne me verrez plus ». Et puis vous me verrez, ajoute-t-il. Un Jésus est sacrifié, celui que l'on croyait connaître, pour qu’apparaisse le vrai Jésus, que l'on ne peut saisir — Jésus Christ éternel.
Tout cela est donné à valoir pour nous, pour chacun de nous. Il nous faut sacrifier ce que l'on croit pouvoir posséder de ses proches, et de soi-même pour paraître en pleine lumière, nés de Dieu. « Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu » dira Paul aux Colossiens (Col 3, 3).
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Colossiens 3, 1-8 : 1 Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu ; 2 c’est en haut qu’est votre but, non sur la terre. 3 Vous êtes morts, en effet, et votre vie est cachée avec le Christ, en Dieu. 4 Quand le Christ, votre vie, paraîtra, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire. 5 Faites donc mourir ce qui en vous appartient à la terre : débauche, impureté, passion, désir mauvais et cette cupidité, qui est une idolâtrie. 6 Voilà ce qui attire la colère de Dieu, 7 voilà quelle était votre conduite autrefois, ce qui faisait votre vie. 8 Maintenant donc, vous aussi, débarrassez-vous de tout cela : colère, irritation, méchanceté, injures, grossièreté sortie de vos lèvres.
Que nous dit ce texte ? Que si nous croyons à la promesse de la résurrection — et c'est un enseignement qui nous est commun, comme héritiers spirituels d'Abraham —, nous sommes déjà, dès à présent, dans la vie de résurrection, et tout ce qui détruit la vie — colère, irritation, méchanceté, ressentiment, etc. — n'a plus lieu d'être. Haïr, tuer, blesser au nom de Dieu n'a pas lieu d'être, lui est en horreur, « attire sa colère », dit le texte. C'est dès aujourd'hui qu'il faut vivre la vie de résurrection, qui est une vie de don, de bonté, emplie dès aujourd'hui de miséricorde pour tous.
Et vous savez, nous avons là la réponse à l’interpellation de Nietzsche contre les arrière-mondes, à savoir ce reproche fait aux croyants, souvent à juste titre, de ne pas vivre sous prétexte que la vraie vie ce serait après la mort ! — dans quelque arrière-monde.
Eh bien si nous comprenons les choses ainsi, si nous nous imaginons que la foi à la résurrection signifie qu'il ne faut pas vivre aujourd'hui, Nietzsche a raison contre nous. Et nous risquons fort en effet d'être déçus. Celui qui renonce à la bonté de la vie par haine, amertume, ressentiment, croyant trouver ce qui fait le bonheur après la mort, risque fort d'être déçu ! La qualité de la vie de résurrection se manifeste tout simplement dans la beauté de la vie dès aujourd'hui, c'est-à-dire dans le don, où précisément elle se trouve : « qui veut sauver sa vie, la perdra, dit Jésus ; mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera » (Luc 9, 24). « Ce que tu donnes, c'est à toi pour toujours ; ce que tu gardes, c'est perdu à jamais ! »
RP, rencontre interreligieuse
« Le don, des croyants s'interrogent »,
Poitiers, 19 mars 2016
« Le don, des croyants s'interrogent »,
Poitiers, 19 mars 2016