« Quête d'avenir », dit le thème qui est proposé à notre réflexion pour cette rencontre : « Croyants dans un monde en quête d'avenir ». J'avoue être toujours pris d'une certaine perplexité lorsque l'avenir semble être perçu comme une réalité à saisir – comme s'il n'allait pas nous advenir de toute façon, sauf à ce qu'un événement brutal (éventuellement cosmique : chute d'une météorite !) ne nous enlève tout avenir commun !
Étrange comme lorsqu'au tournant du vingt-et-unième siècle, des hommes politiques (entre autres) nous exhortaient à entrer dans le troisième millénaire… comme si nous n'y étions pas entrés de toute façon, selon le décompte commun du temps.
Cela sans négliger le fait que c'est dans notre présent d'alors que nous étions entrés, décompté désormais en nombres supérieurs à 2001 ; tout comme aujourd'hui, ce qui était perçu alors comme avenir un tant soit peu lointain n'est toujours que notre présent. Car, à bien y regarder, l'avenir n’existe pas : il est ce que, avec crainte ou espérance, l'on envisage au présent ! L'avenir n'existe pas, ou pas encore – s'il doit jamais exister (un événement comme l'actualité nous en fournit régulièrement : accident d'avion, attentats, etc., sans compter la maladie, et tant d’autres causes. Un attentat ici pourrait nous priver ensemble d'avenir) !
L'avenir n'est qu'hypothétique, de même que le passé n'existe pas, ou n'existe qu'au présent, comme mémoire, ce qui n'a rien d'objectif ! « Quête d'avenir », disions-nous, peut-être, au sens où comme le dit le poète Louis Aragon, « la femme est l'avenir de l'homme » ? En attendant, objectivement, pas d'avenir, pas de passé non plus, passé qui ne nous advient que comme substrat subjectif du présent – subjectivité individuelle ou collective.
Aussi, il m'a semblé convenable de donner la parole d'ouverture de ma réflexion à un autre poète, Paul Valéry, écrivant : « La mémoire est l’avenir du passé. » (Cahiers I, Mémoire)
L'avenir, dont notre avenir commun, qui n'existe pas encore, n'adviendra que via notre mémoire qui seule nous dit un passé, ce passé qui n'est que le substrat mémoriel de notre présent par lequel se dessine notre avenir. « La mémoire est l’avenir du passé. »
Notre avenir se fonde donc sur notre relecture mémorielle d'un passé qui n'existe pas, ou n'existe plus en soi – qui ne nous advient que par la relecture que nous en faisons. Et là nous sommes avec une étymologie du mot « religion », celle de Cicéron (1er siècle av. J.C.) : la religion consistant selon lui à une relecture, du verbe « relire », « relegere » en latin, une relecture communautaire ou individuelle. Relecture dans une cité commune, se particularisant dans des cultes communautaires, mais toujours reliés, selon l'autre étymologie de « religion », celle de Lactance (IVe siècle ap. J.C.), qui rattache le mot au verbe « religare », « relier ».
Eh bien, on a là l'essentiel de ce qui ouvre notre avenir commun : une relecture du passé qui redise des blessures qui nous opposent et nous ont opposés, parfois violemment, ou une relecture qui nous relie, pour un avenir pacifié…
Le passé n'a aucune existence objective, hors des faits, mais qui ne nous adviennent que par les récits que nous en faisons, les récits par lesquels nous relions ces faits à l'aune des relectures que nous en donnons, que nous nous en donnons.
Il s'agit, ensemble, de panser nos mémoires blessées par les lectures partiales de notre passé.
Pour donner des exemples, des aperçus concrets de ce qui peut se faire, je pense au stage que j'ai eu le privilège d’effectuer à Strasbourg l'an dernier : un stage de pasteurs français et allemands pour le centenaire de la guerre de 14, où, petits enfants de ceux qui s'étaient entre-tués il y a un siècle en regard de lectures opposées de l'histoire de l'Europe, nous apprenions à découvrir que l'on peut faire une lecture commune, une lecture pacifiée pour une mémoire commune – au point que nous étions tous en accord avec ceux, alors minoritaires, qui avait en leur temps refusé ces inimitiés dévastatrices. Rien ne nous empêchait, un siècle après, d'être simplement amis…
Autre exemple, nous célébrerons en 2017 le cinquième centenaire de la Réforme protestante. Mais, chose inouïe il y a peu, nous pourrons pour la première fois la célébrer ensemble, catholiques est protestants. Un travail de mémoire commune a été effectué (par la commission internationale de dialogue luthéro-catholique) – un livre en est sorti : Du Conflit à la communion, éd. Olivétan. Une mémoire commune, pacifiée, en train de se tisser.
Et on pourrait multiplier les exemples. C'est dans cet état d'esprit que Jules Isaac, au sortir de la Deuxième guerre mondiale, donnait comme élément fondateur de l'Amitié judéo-chrétienne le refus de « l’enseignement du mépris ». Les chrétiens avaient appris jusque là à lire l'existence d'un judaïsme après Jésus-Christ comme fruit d'une infidélité des juifs à l'égard de leurs propres livres. Un travail sérieux de mémoire nous a fourni un autre passé commun : il n'y a pas d'infidélité des juifs à l'égard de leurs livres, comme il n'y a pas d'infidélité des chrétiens à l’égard des leurs : il y a deux fidélités, qui méritent chacune respect, et intérêt. Et on pourrait étendre ce travail de guérison des mémoires au dialogue islamo-judéo-chrétien : personne n'est à considérer comme infidèle à ce qu'il a reçu, mais une mémoire commune d'un passé qui ne nous advient que par la mémoire que nous nous en faisons doit être tissée. Nous sommes appelés à une guérison des mémoires pour que l'avenir de notre passé soit un avenir pacifié.
Et enfin, pour tout cela, il est important de recevoir chacun la guérison personnelle de notre mémoire. Cela nous ramène au sens de religion comme ce qui nous relie – en l'occurrence, qui nous relie à l'ultime, à ce qu'il y a de plus intime en nous, aux profondeurs de notre inconscient personnel qui émerge dans notre mémoire personnelle, au point de jonction avec l’inconscient collectif d'une communauté ou d'un peuple qui émerge dans la mémoire collective.
Nous avons tous des blessures, parfois profondes. Leur guérison relève d'un contact intime, au plus profond de nous, plus profond que nos blessures, avec une parole d'amour qui nous rejoint inconditionnellement, nous touche plus profondément que nos blessures, une parole comme celle qui nous est donnée au livre du prophète Esaïe : « Je t'aime d'un amour éternel », dit Dieu à chacun de nous, individuellement, et par nous à chacune de nos communautés : « je t'aime d'un amour éternel et je te garde ma miséricorde. »
Étrange comme lorsqu'au tournant du vingt-et-unième siècle, des hommes politiques (entre autres) nous exhortaient à entrer dans le troisième millénaire… comme si nous n'y étions pas entrés de toute façon, selon le décompte commun du temps.
Cela sans négliger le fait que c'est dans notre présent d'alors que nous étions entrés, décompté désormais en nombres supérieurs à 2001 ; tout comme aujourd'hui, ce qui était perçu alors comme avenir un tant soit peu lointain n'est toujours que notre présent. Car, à bien y regarder, l'avenir n’existe pas : il est ce que, avec crainte ou espérance, l'on envisage au présent ! L'avenir n'existe pas, ou pas encore – s'il doit jamais exister (un événement comme l'actualité nous en fournit régulièrement : accident d'avion, attentats, etc., sans compter la maladie, et tant d’autres causes. Un attentat ici pourrait nous priver ensemble d'avenir) !
L'avenir n'est qu'hypothétique, de même que le passé n'existe pas, ou n'existe qu'au présent, comme mémoire, ce qui n'a rien d'objectif ! « Quête d'avenir », disions-nous, peut-être, au sens où comme le dit le poète Louis Aragon, « la femme est l'avenir de l'homme » ? En attendant, objectivement, pas d'avenir, pas de passé non plus, passé qui ne nous advient que comme substrat subjectif du présent – subjectivité individuelle ou collective.
Aussi, il m'a semblé convenable de donner la parole d'ouverture de ma réflexion à un autre poète, Paul Valéry, écrivant : « La mémoire est l’avenir du passé. » (Cahiers I, Mémoire)
L'avenir, dont notre avenir commun, qui n'existe pas encore, n'adviendra que via notre mémoire qui seule nous dit un passé, ce passé qui n'est que le substrat mémoriel de notre présent par lequel se dessine notre avenir. « La mémoire est l’avenir du passé. »
Notre avenir se fonde donc sur notre relecture mémorielle d'un passé qui n'existe pas, ou n'existe plus en soi – qui ne nous advient que par la relecture que nous en faisons. Et là nous sommes avec une étymologie du mot « religion », celle de Cicéron (1er siècle av. J.C.) : la religion consistant selon lui à une relecture, du verbe « relire », « relegere » en latin, une relecture communautaire ou individuelle. Relecture dans une cité commune, se particularisant dans des cultes communautaires, mais toujours reliés, selon l'autre étymologie de « religion », celle de Lactance (IVe siècle ap. J.C.), qui rattache le mot au verbe « religare », « relier ».
Eh bien, on a là l'essentiel de ce qui ouvre notre avenir commun : une relecture du passé qui redise des blessures qui nous opposent et nous ont opposés, parfois violemment, ou une relecture qui nous relie, pour un avenir pacifié…
Le passé n'a aucune existence objective, hors des faits, mais qui ne nous adviennent que par les récits que nous en faisons, les récits par lesquels nous relions ces faits à l'aune des relectures que nous en donnons, que nous nous en donnons.
Il s'agit, ensemble, de panser nos mémoires blessées par les lectures partiales de notre passé.
Pour donner des exemples, des aperçus concrets de ce qui peut se faire, je pense au stage que j'ai eu le privilège d’effectuer à Strasbourg l'an dernier : un stage de pasteurs français et allemands pour le centenaire de la guerre de 14, où, petits enfants de ceux qui s'étaient entre-tués il y a un siècle en regard de lectures opposées de l'histoire de l'Europe, nous apprenions à découvrir que l'on peut faire une lecture commune, une lecture pacifiée pour une mémoire commune – au point que nous étions tous en accord avec ceux, alors minoritaires, qui avait en leur temps refusé ces inimitiés dévastatrices. Rien ne nous empêchait, un siècle après, d'être simplement amis…
Autre exemple, nous célébrerons en 2017 le cinquième centenaire de la Réforme protestante. Mais, chose inouïe il y a peu, nous pourrons pour la première fois la célébrer ensemble, catholiques est protestants. Un travail de mémoire commune a été effectué (par la commission internationale de dialogue luthéro-catholique) – un livre en est sorti : Du Conflit à la communion, éd. Olivétan. Une mémoire commune, pacifiée, en train de se tisser.
Et on pourrait multiplier les exemples. C'est dans cet état d'esprit que Jules Isaac, au sortir de la Deuxième guerre mondiale, donnait comme élément fondateur de l'Amitié judéo-chrétienne le refus de « l’enseignement du mépris ». Les chrétiens avaient appris jusque là à lire l'existence d'un judaïsme après Jésus-Christ comme fruit d'une infidélité des juifs à l'égard de leurs propres livres. Un travail sérieux de mémoire nous a fourni un autre passé commun : il n'y a pas d'infidélité des juifs à l'égard de leurs livres, comme il n'y a pas d'infidélité des chrétiens à l’égard des leurs : il y a deux fidélités, qui méritent chacune respect, et intérêt. Et on pourrait étendre ce travail de guérison des mémoires au dialogue islamo-judéo-chrétien : personne n'est à considérer comme infidèle à ce qu'il a reçu, mais une mémoire commune d'un passé qui ne nous advient que par la mémoire que nous nous en faisons doit être tissée. Nous sommes appelés à une guérison des mémoires pour que l'avenir de notre passé soit un avenir pacifié.
Et enfin, pour tout cela, il est important de recevoir chacun la guérison personnelle de notre mémoire. Cela nous ramène au sens de religion comme ce qui nous relie – en l'occurrence, qui nous relie à l'ultime, à ce qu'il y a de plus intime en nous, aux profondeurs de notre inconscient personnel qui émerge dans notre mémoire personnelle, au point de jonction avec l’inconscient collectif d'une communauté ou d'un peuple qui émerge dans la mémoire collective.
Nous avons tous des blessures, parfois profondes. Leur guérison relève d'un contact intime, au plus profond de nous, plus profond que nos blessures, avec une parole d'amour qui nous rejoint inconditionnellement, nous touche plus profondément que nos blessures, une parole comme celle qui nous est donnée au livre du prophète Esaïe : « Je t'aime d'un amour éternel », dit Dieu à chacun de nous, individuellement, et par nous à chacune de nos communautés : « je t'aime d'un amour éternel et je te garde ma miséricorde. »
RP, rencontre interreligieuse
« Croyants dans un monde en quête d'avenir »,
Poitiers, 28 mars 2015
« Croyants dans un monde en quête d'avenir »,
Poitiers, 28 mars 2015
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