Les quatre vertus cardinales
1) La prudence — dispose la raison pratique à discerner en toute circonstance le véritable bien et à choisir les justes moyens de l’accomplir ;
2) La tempérance — assure la maîtrise de la volonté sur les instincts et maintient les désirs dans les limites de l’honnêteté, procurant l’équilibre dans l’usage des biens ;
3) La force — c'est-à-dire le courage, permet dans les difficultés la fermeté et la constance dans la poursuite du bien, affermissant la résolution de résister aux tentations et de surmonter les obstacles dans la vie morale ;
4) La justice — consiste dans la constante et ferme volonté de donner moralement à chacun ce qui lui est universellement dû.
Les vertus sont des attitudes fermes, des dispositions stables, des perfections habituelles de l’intelligence et de la volonté qui règlent les actes, ordonnent les passions et guident la conduite. Elles procurent facilité, maîtrise et joie pour mener une vie moralement bonne. L’être vertueux, c’est celui qui librement pratique le bien.
Cette approche des vertus est déjà présente chez Pythagore, qui revendique l’influence proche-orientale, nomment égyptienne — où l’on retrouve donc la proximité de cette notion de vertus avec le livre biblique des Proverbes. Elle est reprise par Socrate selon Platon qui en développe la pensée. Aristote, que reprend Thomas d’Aquin, a développé sa réflexion à ce sujet notamment dans son « Éthique à Nicomaque ».
Les philosophes stoïciens ont aussi une éthique des vertus qui s’inscrit dans cette vision. Et on la retrouve dans le judaïsme hellénisé (Philon d'Alexandrie, IVe livre des Maccabées. Elles sont évoquées dans le Livre de la Sagesse, ch. 8, v. 7, livre tardif de rédaction grecque, inclus dans la LXX, mais non inclus au canon juif ni donc au canon protestant). La notion se retrouve chez les Pères de l'Église, et est déjà dans les conseils de Paul — cela dit en précisant que pour lui, cela ne concerne pas la question du salut, mais plutôt la vie en société. Par la suite, la question se pose parfois sous l’angle d’une mise en relation du développement des vertus et de la sanctification.
Ainsi, dans le christianisme ultérieur — et cela est développé avec le plus de précision dans la « Somme de Théologie » de Thomas d’Aquin, les vertus naturelles, reliées (pour Thomas les vertus sont connexes) en quatre cardinales, sont complétées par les trois vertus dites « théologales », surnaturelles : foi, espérance et charité (termes qu’il reprend de Paul aux Corinthiens — 1 Co 13), qui parfont les vertus naturelles.
Les vertus naturelles, acquises par l’éducation, par des actes délibérés et par une persévérance toujours reprise dans l’effort, sont ici élevées par la grâce divine. L’action de la grâce forge le caractère et donne aisance dans la pratique du bien. L’être vertueux est heureux de les pratiquer. Les vertus sont les fruits et les germes des actes moralement bons ; elles disposent toutes les puissances de l’être humain à communier à l’amour divin, dans le processus de retour à Dieu.
Les trois vertus théologales
Les vertus dites théologales (foi, espérance et charité) disposent l'homme à vivre en relation avec Dieu. Ce groupe tire son origine d'un passage fameux de la Première Épître de Paul aux Corinthiens (I Co 13, 13) : « Maintenant donc, ces trois-là demeurent, la foi (pistis), l’espérance (helpis) et l’amour (ou : charité, agapè / qui connote en fait un sens proche d’une mise en acte de la justice - vertu naturelle) mais l’amour est le plus grand. »
Puisque pour Paul, dans le Royaume, seule la charité subsistera, on explique que la foi n'aura plus de raison d'être à la fin des temps, celle-ci n'étant plus nécessaire pour constater la présence de Dieu qui se sera révélée. L'espérance ne sera plus de mise, tout étant accompli et plus rien ne restant donc à espérer. La seule des trois vertus théologales qui subsistera sera donc, explique-t-il, la charité – ou, selon la traduction devenue commune, mais pas très correcte, l’amour.
Comprises dans le développement patristique et médiéval de la réflexion éthique comme vertus, avec dans un développement culminant notamment chez Thomas, elles sont comprises dans cette perspective comme infusées par Dieu dans l’âme des fidèles pour les rendre capables d’agir comme ses enfants et hériter la vie éternelle. Elles sont le gage de la présence et de l’action du Saint Esprit dans les facultés de l’être humain. Où l’on rejoint la notion, paulinienne pour le coup, dans la ligne biblique, de la sanctification. Tout la question est celle de l’articulations de deux : sanctification et éthique de vie en société. Il me semble qu’on a ici un point de contact possible entre Thomas d’Aquin et l’enseignement (paulinien et protestant) du salut par la grâce seule, reçu par la foi seule, via la question de son inscription concrète dans nos vies, dans le temps.
Pour Thomas, les vertus humaines s'enracinent dans les vertus théologales, qui pour lui, on l’a dit, les parfont : les trois vertus théologales complètent le groupe des quatre vertus cardinales, naturelles. Et toutes se déploient dans les vertus les plus diverses, toutes étant connexes. Les vertus naturelles s’enracinent ainsi dans les vertus théologales, disposant les chrétiens, dans une perspective qui laisse le plan de la seule raison pour référer à la révélation chrétienne, à vivre en relation avec la Trinité. Elles ont ainsi Dieu Un et Trine pour origine, pour motif et pour objet.
Vertus, sanctification, éthique et visée normative de la loi (ou : mitsvoth et vertus)
L'éthique des vertus de Thomas d'Aquin me semble rejoindre une certaine compréhension de la fonction des mitsvoth (les préceptes, ou commandements, de la Torah, la Loi biblique), selon ce que la Réforme appelle l'usage normatif de la Loi. Pour expliciter cela, je dirai quelques mots des trois usages de la Loi biblique selon les Réformateurs, Calvin notamment : l’usage pédagogique, l’usage politique et l’usage normatif.
- Selon son usage pédagogique, la Loi produit en l’homme la conscience de son incapacité à accomplir ce qu’elle prescrit ou défend (exemple classique : l’interdit de la convoitise — qui peut dire être exempt de convoitise ? Son interdiction est pourtant un précepte du Décalogue / précepte final les «Dix commandements»). Sous cet angle, la Loi sert de «pédagogue» pour nous conduire à recourir à la grâce de Dieu : reconnaissant n’être pas à la hauteur de ses exigences, j’en appelle à Dieu. (Galates 3:24 : « la loi comme pédagogue pour nous conduire à Christ » en qui la grâce de Dieu est dévoilée en toute clarté, « afin que nous soyons justifiés par la foi »).
C’est là le fondement de l’enseignement luthérien de la justification par la foi seule, reçu sans réserve par Calvin.
- Selon son usage politique ou civil, la Loi a pour but de restreindre le mal dans la Cité et de promouvoir la justice. Elle fournit des principes, qui s’appliquent de façon analogique selon les temps et les lieux dans la vie civile et politique.
- Selon son troisième usage, la Loi devient chemin de libération. C’est pour Calvin, qui se démarque ici de Luther, le principal usage de la loi : notre libération est effectivement mise en œuvre par ce que produit en nous l’injonction de la Loi. Exemple : le commandement donné à Abraham, ou au peuple libéré de l’esclavage : « quitte ton pays », « sors de l’esclavage ». La libération qui est dans le recours à la grâce ne produit son effet que si elle reçue et donc mise en œuvre. Où se mettent en relation le développement des vertus et la sanctification.
La liberté donnée à la foi seule qui reçoit la grâce — ce seul recours, selon l’usage pédagogique de la Loi — ; cette liberté ne devient effective que lorsque l’exigence de la Loi donnée comme norme suscite, parce qu’elle est entendue, la mise en route obéissante.
Il s’agit de l’aspect moral de la loi (selon cette distinction quant à la loi qu’admettent par les Réformateurs : l’aspect moral, l’aspect cérémoniel et l’aspect judiciaire).
Selon donc son aspect moral, la Loi comme norme idéale, comme visée de perfection — qui au-delà du Décalogue, se résume au « double commandement » : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton être et ton prochain comme toi-même » — ; cet aspect de la Loi n’est pas sujet aux variations culturelles, même si son application s’adapte aux circonstances dans ce qui est l’usage normatif de la Loi.
Le troisième usage de la Loi, l’usage normatif, apparaît alors comme mise en œuvre de son aspect moral, comme injonction libératrice.
Où l’on retrouve les préceptes comme « lève-toi et marche » commandement adressé par Pierre au paralytique ; « sors de ta tombe » ; commandement adressé par Jésus à Lazare, « va pour toi » (lekh lekha) commandement adressé dans la Genèse à Abraham — et « tu choisiras la vie », l’injonction libératrice que donne le Deutéronome.
Où — on a parlé du « double commandement » — on rejoint la question du déploiement en vertus, déploiement « habituel », pour une éthique signifiant en société, dans les relations humaines, et au quotidien, le projet divin de réconciliation du monde.
1) La prudence — dispose la raison pratique à discerner en toute circonstance le véritable bien et à choisir les justes moyens de l’accomplir ;
2) La tempérance — assure la maîtrise de la volonté sur les instincts et maintient les désirs dans les limites de l’honnêteté, procurant l’équilibre dans l’usage des biens ;
3) La force — c'est-à-dire le courage, permet dans les difficultés la fermeté et la constance dans la poursuite du bien, affermissant la résolution de résister aux tentations et de surmonter les obstacles dans la vie morale ;
4) La justice — consiste dans la constante et ferme volonté de donner moralement à chacun ce qui lui est universellement dû.
Les vertus sont des attitudes fermes, des dispositions stables, des perfections habituelles de l’intelligence et de la volonté qui règlent les actes, ordonnent les passions et guident la conduite. Elles procurent facilité, maîtrise et joie pour mener une vie moralement bonne. L’être vertueux, c’est celui qui librement pratique le bien.
Cette approche des vertus est déjà présente chez Pythagore, qui revendique l’influence proche-orientale, nomment égyptienne — où l’on retrouve donc la proximité de cette notion de vertus avec le livre biblique des Proverbes. Elle est reprise par Socrate selon Platon qui en développe la pensée. Aristote, que reprend Thomas d’Aquin, a développé sa réflexion à ce sujet notamment dans son « Éthique à Nicomaque ».
Les philosophes stoïciens ont aussi une éthique des vertus qui s’inscrit dans cette vision. Et on la retrouve dans le judaïsme hellénisé (Philon d'Alexandrie, IVe livre des Maccabées. Elles sont évoquées dans le Livre de la Sagesse, ch. 8, v. 7, livre tardif de rédaction grecque, inclus dans la LXX, mais non inclus au canon juif ni donc au canon protestant). La notion se retrouve chez les Pères de l'Église, et est déjà dans les conseils de Paul — cela dit en précisant que pour lui, cela ne concerne pas la question du salut, mais plutôt la vie en société. Par la suite, la question se pose parfois sous l’angle d’une mise en relation du développement des vertus et de la sanctification.
Ainsi, dans le christianisme ultérieur — et cela est développé avec le plus de précision dans la « Somme de Théologie » de Thomas d’Aquin, les vertus naturelles, reliées (pour Thomas les vertus sont connexes) en quatre cardinales, sont complétées par les trois vertus dites « théologales », surnaturelles : foi, espérance et charité (termes qu’il reprend de Paul aux Corinthiens — 1 Co 13), qui parfont les vertus naturelles.
Les vertus naturelles, acquises par l’éducation, par des actes délibérés et par une persévérance toujours reprise dans l’effort, sont ici élevées par la grâce divine. L’action de la grâce forge le caractère et donne aisance dans la pratique du bien. L’être vertueux est heureux de les pratiquer. Les vertus sont les fruits et les germes des actes moralement bons ; elles disposent toutes les puissances de l’être humain à communier à l’amour divin, dans le processus de retour à Dieu.
Les trois vertus théologales
Les vertus dites théologales (foi, espérance et charité) disposent l'homme à vivre en relation avec Dieu. Ce groupe tire son origine d'un passage fameux de la Première Épître de Paul aux Corinthiens (I Co 13, 13) : « Maintenant donc, ces trois-là demeurent, la foi (pistis), l’espérance (helpis) et l’amour (ou : charité, agapè / qui connote en fait un sens proche d’une mise en acte de la justice - vertu naturelle) mais l’amour est le plus grand. »
Puisque pour Paul, dans le Royaume, seule la charité subsistera, on explique que la foi n'aura plus de raison d'être à la fin des temps, celle-ci n'étant plus nécessaire pour constater la présence de Dieu qui se sera révélée. L'espérance ne sera plus de mise, tout étant accompli et plus rien ne restant donc à espérer. La seule des trois vertus théologales qui subsistera sera donc, explique-t-il, la charité – ou, selon la traduction devenue commune, mais pas très correcte, l’amour.
Comprises dans le développement patristique et médiéval de la réflexion éthique comme vertus, avec dans un développement culminant notamment chez Thomas, elles sont comprises dans cette perspective comme infusées par Dieu dans l’âme des fidèles pour les rendre capables d’agir comme ses enfants et hériter la vie éternelle. Elles sont le gage de la présence et de l’action du Saint Esprit dans les facultés de l’être humain. Où l’on rejoint la notion, paulinienne pour le coup, dans la ligne biblique, de la sanctification. Tout la question est celle de l’articulations de deux : sanctification et éthique de vie en société. Il me semble qu’on a ici un point de contact possible entre Thomas d’Aquin et l’enseignement (paulinien et protestant) du salut par la grâce seule, reçu par la foi seule, via la question de son inscription concrète dans nos vies, dans le temps.
Pour Thomas, les vertus humaines s'enracinent dans les vertus théologales, qui pour lui, on l’a dit, les parfont : les trois vertus théologales complètent le groupe des quatre vertus cardinales, naturelles. Et toutes se déploient dans les vertus les plus diverses, toutes étant connexes. Les vertus naturelles s’enracinent ainsi dans les vertus théologales, disposant les chrétiens, dans une perspective qui laisse le plan de la seule raison pour référer à la révélation chrétienne, à vivre en relation avec la Trinité. Elles ont ainsi Dieu Un et Trine pour origine, pour motif et pour objet.
Vertus, sanctification, éthique et visée normative de la loi (ou : mitsvoth et vertus)
L'éthique des vertus de Thomas d'Aquin me semble rejoindre une certaine compréhension de la fonction des mitsvoth (les préceptes, ou commandements, de la Torah, la Loi biblique), selon ce que la Réforme appelle l'usage normatif de la Loi. Pour expliciter cela, je dirai quelques mots des trois usages de la Loi biblique selon les Réformateurs, Calvin notamment : l’usage pédagogique, l’usage politique et l’usage normatif.
- Selon son usage pédagogique, la Loi produit en l’homme la conscience de son incapacité à accomplir ce qu’elle prescrit ou défend (exemple classique : l’interdit de la convoitise — qui peut dire être exempt de convoitise ? Son interdiction est pourtant un précepte du Décalogue / précepte final les «Dix commandements»). Sous cet angle, la Loi sert de «pédagogue» pour nous conduire à recourir à la grâce de Dieu : reconnaissant n’être pas à la hauteur de ses exigences, j’en appelle à Dieu. (Galates 3:24 : « la loi comme pédagogue pour nous conduire à Christ » en qui la grâce de Dieu est dévoilée en toute clarté, « afin que nous soyons justifiés par la foi »).
C’est là le fondement de l’enseignement luthérien de la justification par la foi seule, reçu sans réserve par Calvin.
- Selon son usage politique ou civil, la Loi a pour but de restreindre le mal dans la Cité et de promouvoir la justice. Elle fournit des principes, qui s’appliquent de façon analogique selon les temps et les lieux dans la vie civile et politique.
- Selon son troisième usage, la Loi devient chemin de libération. C’est pour Calvin, qui se démarque ici de Luther, le principal usage de la loi : notre libération est effectivement mise en œuvre par ce que produit en nous l’injonction de la Loi. Exemple : le commandement donné à Abraham, ou au peuple libéré de l’esclavage : « quitte ton pays », « sors de l’esclavage ». La libération qui est dans le recours à la grâce ne produit son effet que si elle reçue et donc mise en œuvre. Où se mettent en relation le développement des vertus et la sanctification.
La liberté donnée à la foi seule qui reçoit la grâce — ce seul recours, selon l’usage pédagogique de la Loi — ; cette liberté ne devient effective que lorsque l’exigence de la Loi donnée comme norme suscite, parce qu’elle est entendue, la mise en route obéissante.
Il s’agit de l’aspect moral de la loi (selon cette distinction quant à la loi qu’admettent par les Réformateurs : l’aspect moral, l’aspect cérémoniel et l’aspect judiciaire).
Selon donc son aspect moral, la Loi comme norme idéale, comme visée de perfection — qui au-delà du Décalogue, se résume au « double commandement » : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton être et ton prochain comme toi-même » — ; cet aspect de la Loi n’est pas sujet aux variations culturelles, même si son application s’adapte aux circonstances dans ce qui est l’usage normatif de la Loi.
Le troisième usage de la Loi, l’usage normatif, apparaît alors comme mise en œuvre de son aspect moral, comme injonction libératrice.
Où l’on retrouve les préceptes comme « lève-toi et marche » commandement adressé par Pierre au paralytique ; « sors de ta tombe » ; commandement adressé par Jésus à Lazare, « va pour toi » (lekh lekha) commandement adressé dans la Genèse à Abraham — et « tu choisiras la vie », l’injonction libératrice que donne le Deutéronome.
Où — on a parlé du « double commandement » — on rejoint la question du déploiement en vertus, déploiement « habituel », pour une éthique signifiant en société, dans les relations humaines, et au quotidien, le projet divin de réconciliation du monde.
Connaissez vous l'association des Amis de Stella et Henri Corbin?
RépondreSupprimerhttp://www.amiscorbin.com/
Suite au décès de Stella Corbin, sa famille et amis ont décidé de poursuivre l'oeuvre de perpétuation de l'Université Saint Jean de Jérusalem , créé dans les années soixante dix afin d'y faire l'étude comparée des religions et des philosophies.
Chaque année se tient une Journée Henri Corbin, rue d'Ulm. Cette année , le 1er décembre, le thème en était "qu'est-ce que la mystique?".
Vous y trouveriez partenaires de pensée, sûrement.
Merci pour l'info.
RépondreSupprimer