Selon Élie Munk, La voix de la Torah :
« Rachi s'applique en premier lieu à écarter de cette phrase tout soupçon d'anthropomorphisme : Qu'ils fassent un sanctuaire à l'intention de mon nom (en l'honneur de mon nom). Mais certains penseurs, dont Nahmanide, estiment que l'Éternel donna ordre aux enfants d'Israël d'ériger un sanctuaire sur lequel planerait la Chéhina, c'est-à-dire le reflet de sa majesté, dans la colonne de nuée. Cette présence divine au milieu des enfants d'Israël représente leur suprême consécration en tant que « nation sainte ». L'Éternel, qui s'était manifesté publiquement et d'une façon spectaculaire au mont Sinaï, demeure auprès du peuple élu, mais sa majesté s'entoure dorénavant d'un voile qui la dérobe aux yeux du commun des mortels.
Le Livre de l'Exode, ajoute Nahmanide, est consacré au premier exil d'Israël et à la libération qui suivit. Mais celle-ci ne peut s'achever que par le retour à la patrie et au patrimoine des ancêtres. Cependant, les enfants d'Israël accédèrent au niveau des Patriarches dès la Révélation au mont Sinaï et la construction du tabernacle. Ils devinrent alors, comme eux: les supports de la Chéhina sur terre. L'exil était dès lors terminé, au sens moral et spirituel, bien avant le retour en Terre Promise. C'est pourquoi le Livre de l'Exode se termine sur l'acte de l'érection du tabernacle.
Cependant, cette raison d'être du tabernacle ne nous explique pas la signification des prescriptions relatives à son aménagement intérieur et aux objets sacrés qu'il contient. Plusieurs conceptions ont été formulées à ce sujet. Maïmonide, fidèle à son système rationaliste, affirme que le tabernacle était destiné à éloigner les Israélites du culte idolâtre et à les orienter vers Dieu. Son sanctuaire et ses rites font partie du plan général qui a pour but de limiter le culte des sacrifices, vestige de la religion païenne, en ne l'autorisant qu'à un lieu unique, le tabernacle, et, plus tard, le Temple de Jérusalem. Les objets sacrés contenus dans le tabernacle de même que sa structure interne sont expliqués dans la même perspective. L'objectif final est la formation spirituelle du peuple élu pour les grands idéaux proclamés dans la Révélation (Guide 11,45).
Certains autres exégètes s'accordent pour reconnaître au sanctuaire une valeur symbolique ayant pour but d'élever les hommes à un idéal précis de sainteté et de spiritualité. Toutes les parties du tabernacle et tous les détails du culte sacrificiel représentent des idées ou des principes spécifiques qui doivent s'enraciner dans l'âme des croyants. Telle est la méthode de S. R. Hirsch.
Pour les auteurs cabbalistes, le sanctuaire représente une esquisse de l'univers (microcosme) qui nous révèle les plus profondes vérités sur la vie et sur le monde éternel. Par un acte de repli sur lui-même (tsimtsoum), effectué par amour pour son peuple élu, Dieu vient fixer sa résidence parmi lui pour lui prodiguer sa protection et sa bénédiction. C'est pourquoi le tabernacle reproduit dans sa structure, à une échelle infiniment réduite, la source universelle d'où émanent la vie et la bénédiction dans toutes les sphères de la création.
Les diverses opinions que nous venons de citer se recoupent avec les avis exprimés au sujet de l'époque à laquelle les ordres concernant le tabernacle furent donnés. Alors que ceux-ci se situent dans le texte de l'Écriture avant le récit du péché du veau d'or, les sources midrachiques se basant sur la règle du Talmud (Pess. 6b) que la Thora ne suit pas l'ordre chronologique, affirment que la Mitsva du tabernacle fut ordonnée le dix Tichri, jour de Kippour, après la proclamation du pardon pour le péché du veau d'or qui avait eu lieu antérieurement. Selon les uns, l'érection du tabernacle servit alors de témoignage public de la réhabilitation d'Israël, selon les autres le tabernacle ne fut institué qu'à la suite du péché, car celui-ci démontrait la tendance du peuple à l'idolâtrie et la nécessité de relever au niveau du culte sacré de l'Éternel (Sforno, Intr. Lévit. ; Abarbanel Jér. VII.21). Mais il n'avait pas été prévu originairement, comme il résulte de la sentence du prophète Jérémie : « Je n'ai rien ordonné à nos ancêtres, le jour où je les ai fait sortir du pays d'Égypte, en fait d'holocaustes ou de sacrifices. Mais voici l'ordre que je leur ai adressé, savoir : Écoutez ma voix, et je serai votre Dieu et vous serez mon peuple ; suivez en tout point la voie que je vous prescris, afin d'être heureux» (VII,22). Ce point de vue se rapproche de la prise de position de Maïmonide, formulée ci-dessus.
D'un autre côté, le Zohar maintient, conformément au texte de l'Écriture, que les ordres relatifs au tabernacle précédèrent le péché du veau d'or. R. Simon ben Yohaï professe que le plan de la création prévoyait dès les origines l'implantation de la majesté divine au milieu des hommes. Certes, leurs péchés avaient rendu l'exécution de cet idéal impossible, mais, aussitôt après l'Alliance conclue avec Israël, l'Éternel ordonna l'édification de sa résidence. Puis, Moïse avait cru que le péché du veau d'or avait rendu ces ordres caducs, l'Éternel accorda pourtant son pardon et les ordres furent nouvellement confirmés . La première promulgation des lois du tabernacle conserva néanmoins sa place dès avant le récit du veau d'or, car l'Éternel voulut, par amour pour Israël, « faire précéder le remède à la maladie, » (le service divin au sanctuaire au péché d'idolâtrie ; R. Abr. Azoulaï sur Zohar II, p. 224). Cette thèse, qui rejoint celle des auteurs cabbalistes, citée précédemment, est également adoptée par Nahmanide (Ex. XXXV.l), contrairement à Rachi XXXI.18. »
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