Le texte de l'évangile est connu. Il apparaît à l'approche de la mort de Jésus. Une femme verse sur lui le contenu d'un flacon de parfum. Geste d'importance : « Je vous le dis en vérité, souligne Jésus, partout où la bonne nouvelle sera proclamée, dans le monde entier, on racontera aussi en mémoire de cette femme ce qu’elle a fait » (Marc 14, 9). Le moment est donné d'une façon ou d'une autre dans chaque évangile.
Dans Marc : « Une femme vint, avec un flacon d'albâtre contenant un parfum de nard, pur et très coûteux. Elle brisa le flacon d'albâtre et lui versa le parfum sur la tête. Quelques-uns se disaient entre eux avec indignation : "À quoi bon perdre ainsi ce parfum ? On aurait bien pu vendre ce parfum-là plus de trois cents pièces d'argent et les donner aux pauvres !" Et ils s'irritaient contre elle. Mais Jésus dit : "Laissez-la, pourquoi la tracasser ? C'est une œuvre belle qu'elle vient d'accomplir à mon égard. Des pauvres, en effet, vous en avez toujours avec vous, et quand vous voulez, vous pouvez leur faire du bien. Mais moi, vous ne m'avez pas pour toujours. Ce qu'elle pouvait faire, elle l'a fait : d'avance elle a parfumé mon corps pour l'ensevelissement." » (Marc 14, 3-8)
Où les pauvres semblent servir de prétexte contre la gratuité...
Et Jésus de rappeler cette évidence : "des pauvres, vous en avez toujours avec vous, et quand vous voulez, vous pouvez leur faire du bien".
Travail de Sisyphe que celui du service des pauvres, propre à fonder toujours le prétexte de refuser les gestes gratuits, quand il faut toujours à nouveau rouler la pierre de Sisyphe toujours vouée à retomber de sa vaine montée.
Telle est la diaconie, la tâche du service, pour laquelle des démissionnaires de la responsabilité sociale et commune de la solidarité se jouent volontiers des disciples offusqués... renvoyés à une responsabilité tournant à la culpabilité !
Les façons varient... Aujourd'hui encore, devant le déficit social exponentiel de nos sociétés où les pauvres sont toujours plus pauvres et les riches toujours plus riches, les Pilate du temps voudraient se laver les mains à l'eau de la cruche confiée aux disciples du Christ, semblant toujours plus lourde, telle la pierre de Sisyphe...
Mais Jésus, exaltant le geste de la femme, a prévenu. En ce temps, il faudra toujours monter cette pierre, qui redescendra toujours : c'est là le poids du temps. Le geste de la femme, en revanche, relève de l'éternité : un de ces gestes uniques auxquels le temps de change rien. "Toujours on dira en mémoire de cette femme ce qu’elle a fait"...
Camus, imaginant Sisyphe heureux, serait-il héritier de l'Évangile ? Les lendemains ne chanteront pas forcément. Ils ne chanteront de toute façon pas définitivement en ce temps : "des pauvres, en effet, vous en avez toujours avec vous" ! Mais au cœur de ce malheur, tandis que la mort annonce son œuvre, tandis qu'il y a lieu de parfumer celui qui s'apprête à mourir, le geste coûteux de la femme au flacon de parfum dessine un bonheur inaltérable, percée d'éternité dans le temps.
Un geste qui qualifie le service des disciples du Christ et en bannit la vaine culpabilité que voudraient lui imposer les Pilate du déficit social : au cœur du service des pauvres, l'évangile de la femme au parfum est porteur de cette part de vérité qui qualifie le service : l'éternité n'est pas au bout de la montée d'une pierre qui redescend toujours !
La diaconie au nom de Christ n'a en aucun cas à se substituer à une société commune, qui, démissionnant de sa responsabilité à l'égard des pauvres qu'elle génère, voudrait la charger d'un poids dont le Christ l'a éternellement libérée. Elle a reçu la parole qui qualifie cette tâche commune. Elle est porteuse, au cœur de la tâche commune, de cette qualification en liberté :
L'éternité précède ce temps et perce dans le geste de la gratuité.
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