Luc 24, 22-48
22 Toutefois, quelques femmes qui sont des nôtres nous ont bouleversés: s’étant rendues de grand matin au tombeau23 et n’ayant pas trouvé son corps, elles sont venues dire qu’elles ont même eu la vision d’anges qui le déclarent vivant.24 Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ce qu’ils ont trouvé était conforme à ce que les femmes avaient dit; mais lui, ils ne l’ont pas vu."25 Et lui leur dit: "Esprits sans intelligence, cœurs lents à croire tout ce qu’ont déclaré les prophètes!26 Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu’il entrât dans sa gloire?"27 Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait.28 Ils approchèrent du village où ils se rendaient, et lui fit mine d’aller plus loin.29 Ils le pressèrent en disant: "Reste avec nous car le soir vient et la journée déjà est avancée." Et il entra pour rester avec eux.30 Or, quand il se fut mis à table avec eux, il prit le pain, prononça la bénédiction, le rompit et le leur donna.31 Alors leurs yeux furent ouverts et ils le reconnurent, puis il leur devint invisible.32 Et ils se dirent l’un à l’autre: "Notre cœur ne brûlait-il pas en nous tandis qu’il nous parlait en chemin et nous ouvrait les Écritures?"33 A l’instant même, ils partirent et retournèrent à Jérusalem; ils trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons,34 qui leur dirent: "C’est bien vrai! Le Seigneur est ressuscité, et il est apparu à Simon."35 Et eux racontèrent ce qui s'était passé et comment ils l'avaient reconnu à la fraction du pain.36 Tandis qu’ils parlaient de la sorte, lui-même se présenta au milieu d’eux, et leur dit : La paix soit avec vous !
[…]45 Alors il leur ouvrit l’esprit, afin qu’ils comprissent les Ecritures.46 Et il leur dit : Ainsi il est écrit que le Christ souffrirait, et qu’il ressusciterait des morts le troisième jour,47 et que la repentance et le pardon des péchés seraient prêchés en son nom à toutes les nations, à commencer par Jérusalem.48 Vous êtes témoins de ces choses.
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« Toutefois, quelques femmes qui sont des nôtres nous ont bouleversés » (v. 22)… Ces femmes, on le sait, sont les témoins de la résurrection. « Toutefois » remarquent les disciples d’Emmaüs discutant avec celui qu’ils ne reconnaissent pas, « toutefois des femmes » ont dit… et ont parlé d’anges… Mais, lui, les disciples ne l’ont pas vu.
Reconnaître le Christ ! C’est le fondement de notre envoi comme témoins. Rencontrer le Christ en vérité, c’est-à-dire ne pas le confondre avec les images que nous nous en faisons, avec les a priori que nous avons sur lui. N’est-ce pas là le problème des disciples d’Emmaüs — qui ne reconnaissent pas le Ressuscité, leur maître, qu’ils ont côtoyé trois jours avant ?!
Pour bien comprendre ce qu’il en est, posons-nous cette question que notre texte nous pose peut-être avec humour, peut-être de façon volontaire — qui sait ? — : un des disciples est nommé : Cléopas. L’autre n’est pas nommé. Qui est le compagnon de Cléopas ? Mais ma question est-elle la bonne ? Personne n’est troublé ? Je répète donc : qui est le compagnon de Cléopas ? Et si je demande maintenant : qui est la compagne de Cléopas avec qui mange Jésus ? Ainsi posée la question dévoile un a priori qui en général, ne nous trouble même pas : nous sommes convaincus que le second disciple est un homme, ce que le texte ne dit pas ! Voilà donc comment nous imposons au texte quelque chose qu’il ne dit pas, et qui nous empêche peut-être de voir de qui il s’agit ! Et si l’autre disciple était Mme Cléopas, qui invite Jésus à sa table ? Un couple de disciples. Étrange ? On n’y avait pas pensé ? Et pourtant, M. et Mme invitant Jésus chez eux... Quoi de bizarre ? Mais on n’y a pas pensé…
Eh bien c’est un phénomène de ce genre, compréhension a priori, qui empêche les deux disciples de reconnaître Jésus ! « Toutefois des femmes ont affirmé »… Cela dit, ils savent à quoi on doit s’attendre : à rien, concernant celui qui vient de mourir ! Et du coup, ils ne le voient pas, ils ne le reconnaissent pas…
Comment imaginons-nous Jésus ? Rien qu’au plan physique. En général de la façon qu’a induite en nous toute une tradition iconographique… Bref, pour un occidental de nos jours, disons assez grand, teint clair, cheveux châtains, yeux bleus. Cela pour rester au plan physique et seulement pour illustrer la difficulté des disciples. Éventuellement son physique était tout autre. Peut-être était-il noir. Ils ne sont pas rares parmi les juifs de l’époque biblique : la femme de Moïse, Éthiopienne, celle de Salamon selon le Cantique, etc. Simple illustration, du même ordre que celle concernant M. et Mme Cléopas…
La vraie difficulté n’est cependant pas tant de l’ordre de l’apparence physique... Les disciples d'Emmaüs ont côtoyé Jésus. Et lorsque, ressuscité, il leur apparaît… ils ne le reconnaissent pas ! Comme les douze après eux. Troublés au point de croire voir « un esprit », c’est-à-dire une présence qui n’est pas de ce temps, pas dans la chair, chair que Jésus ressuscité leur présente de façon très concrète, jusqu’à manger devant eux ! Le problème, qui vaut pour nous aussi bien que pour les deux disciples d’Emmaüs, est lié à l'abîme qui sépare le temps de l'éternité et qui rend le Ressuscité inaccessible à l'imagination des disciples comme à la nôtre.
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Et ce qui est vrai du Christ à une échelle insoupçonnée, devient, en lui, vrai aussi de chacun de ceux qu’il nous donne de côtoyer et que l’on a pris l’habitude de regarder toujours comme d’habitude. Ces frères et sœurs du Ressuscité, frères et sœurs dans l’espérance de leur résurrection, résurrection que nous affirmons, mais au fond comme un simple mot. Tout comme les disciples d’Emmaüs regardaient l’inconnu comme on regarde habituellement les inconnus ; puisqu’ils avaient pris l’habitude de regarder le Christ comme d’habitude, lorsqu’il se montre tel qu’il est au-delà de leurs regards appesantis par le sommeil de l’habitude, ils ne le reconnaissent pas… « Des femmes ont dit, toutefois »…
“Notre cœur ne brûlait-il pas au-dedans de nous ?” Mais n’est-ce pas là déjà notre expérience à chacun au quotidien ? Notre cœur ne brûle t-il pas au-dedans de nous quand nous côtoyons jour après jours des frères et sœurs du ressuscité, quand nous mangeons avec eux — partageant le pain —, quand ils nous parlent de leur vie, et que nous n’entendons que ce que nous avons pris l’habitude de filtrer, que nous n’en voyons qu’un quotidien toujours le même, alors que nous avons devant nous, à côté de nous, un frère, une sœur du Ressuscité, promis à la même gloire, déjà présente, de façon cachée, en lui, en elle ?
Partout où est comprise la proclamation de la résurrection, la victoire est totale et définitive. Il n'est point d'autre combat des Apôtres et de ceux qui adhèrent à leurs paroles que par la seule proclamation de la résurrection du Christ. Vivre de la résurrection du Christ et donner encore quelque poids à quelque pouvoir d’asservissement, d’accusation et de jugement, de division, est contradictoire ; c'est même réintroduire par la petite porte ce que le Christ a définitivement abattu.
« C’est de cela que vous êtes les témoins » dit Jésus aux Apôtres, et à nous après eux !
R.P.
Antibes, Semaine de l'Unité, 23.01.10
Antibes, Semaine de l'Unité, 23.01.10
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