<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: An de grâce

lundi 28 janvier 2019

An de grâce




Luc 4, 14-21
14 Alors Jésus, avec la puissance de l’Esprit, revint en Galilée, et sa renommée se répandit dans toute la région.
15 Il enseignait dans leurs synagogues et tous disaient sa gloire.
16 Il vint à Nazara où il avait été élevé. Il entra suivant sa coutume le jour du sabbat dans la synagogue, et il se leva pour faire la lecture.
17 On lui donna le livre du prophète Ésaïe, et en le déroulant il trouva le passage où il était écrit :
18 L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté,
19 proclamer une année d’accueil par le Seigneur.
20 Il roula le livre, le rendit au servant et s’assit ; tous dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui.
21 Alors il commença à leur dire : « Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez. »

*

Nous assistons avec ce texte de Luc, à la proclamation par Jésus du Jubilé, « an de grâce du Seigneur ». Il s'agit de cette loi biblique qui voulait que tous les cinquante ans les compteurs soient remis à zéro. On devait alors libérer les esclaves, ne pas travailler pendant un an, redistribuer les terres acquises au cours des cinquante années précédentes. Une véritable révolution périodique, qui n'avait pas vraiment été appliquée, tout comme les simples années sabbatiques, d'ailleurs — qui mettaient en place tous les sept ans des bouleversements très importants aussi.

Je cite — Lévitique 25, 10-18 :
10 vous déclarerez sainte la cinquantième année et vous proclamerez dans le pays la libération pour tous les habitants ; ce sera pour vous un jubilé ; chacun de vous retournera dans sa propriété, et chacun de vous retournera dans son clan.
11 Ce sera un jubilé pour vous que la cinquantième année : vous ne sèmerez pas, vous ne moissonnerez pas ce qui aura poussé tout seul, vous ne vendangerez pas la vigne en broussaille,
12 car ce sera un jubilé, ce sera pour vous une chose sainte. Vous mangerez ce qui pousse dans les champs.
13 En cette année du jubilé, chacun de vous retournera dans sa propriété.
14 Si vous faites du commerce — que tu vendes quelque chose à ton prochain, ou que tu achètes quelque chose de lui, que nul d’entre vous n’exploite son frère :
15 tu achèteras à ton prochain en tenant compte des années écoulées depuis le jubilé, et lui te vendra en tenant compte des années de récolte.
16 Plus il restera d’années, plus ton prix d’achat sera grand ; moins il restera d’années, plus ton prix d’achat sera réduit : car c’est un certain nombre de récoltes qu’il te vend.
17 Que nul d’entre vous n’exploite son prochain ; c’est ainsi que tu auras la crainte de ton Dieu. Car c’est moi, le SEIGNEUR, votre Dieu.
18 Mettez mes lois en pratique ; gardez mes coutumes et mettez-les en pratique : et vous habiterez en sûreté dans le pays.

En regard de l’exil, en guérison de la tragique déportation à Babylone, le livre du prophète Ésaïe annonçait un an de grâce du Seigneur, an qui verrait l'exil prendre fin.

Ésaïe 61, 1-3 :
1 L’Esprit du Seigneur, l’Éternel, est sur moi, car le Seigneur m’a donné l’onction. Il m’a envoyé pour porter de bonnes nouvelles à ceux qui sont humiliés ; pour panser ceux qui ont le cœur brisé, pour proclamer aux captifs leur libération et aux prisonniers leur élargissement ;
2 Pour proclamer une année favorable de la part du Seigneur et un jour de vengeance de notre Dieu ; pour consoler tous ceux qui sont dans le deuil ;
3 Pour accorder à ceux de Sion qui sont dans le deuil, pour leur donner de la splendeur au lieu de cendre, une huile de joie au lieu du deuil, un vêtement de louange au lieu d’un esprit abattu, afin qu’on les appelle térébinthes de la justice, plantation de l’Éternel, pour servir à sa splendeur.

Et voilà que Jésus lisant cela, pour la prédication inaugurale de son ministère, annonce l'accomplissement de cette Parole d'Ésaïe, texte de la haftarah, c’est-à-dire lecture du texte du jour dans les Prophètes. Texte qui réfère donc au Jubilé, l’an de grâce prévu par le Lévitique, et annoncé par Ésaïe comme devant inaugurer le Règne de Dieu : c’est cette parole là que Jésus vient de déclarer « accomplie pour vous qui l'entendez ».

Aujourd'hui s'inaugure l'année jubilaire, l'an de grâce du Seigneur, avec toutes ses conséquences : tel est bien le propos de Jésus.

Voilà une parole bien étrange que les auditeurs de Nazareth auront de la peine à recevoir. Ils lui demanderont, comme il est coutume dans les évangiles, un miracle, pour croire. Et on peut les comprendre ! Ce Jubilé, cet an de grâce, on en voudrait tout de même des signes pour le croire.

Et si ce Jubilé est bien la guérison des yeux aveugles de ceux qui baignent dans les ténèbres de l'esprit de la captivité, on n'hésitera pas à attendre comme signe que les aveugles recouvrent la vue, selon la lettre de la traduction grecque de la parole du prophète : après tout le Règne de Dieu n'implique-t-il pas la guérison totale de toutes nos souffrances ; d'où la façon dont les habitants de Nazareth apostropheront Jésus : « médecin guéris-toi toi-même » (Luc 4, 23), et ton peuple avec toi.

Car le Jubilé annoncé par Ésaïe est bien l'inauguration du Règne de Dieu. Le Jubilé marque l'espérance de ce jour où le Shabbath devient éternel, ce jour à partir duquel il devient définitivement possible de dire : « c'est aujourd'hui de jour du Shabbath », selon l’Épître aux Hébreux, ch. 4. Cela étant appelé à être chargé de sens en ce qui concerne les relations humaines.

Cela peut et doit aller très loin. L'exil dont la fin s'inaugure, est dû selon le même livre d'Ésaïe à une injustice chronique que l’institution du Jubilé est censé corriger : des accumulations de richesses qui deviennent de pures injustices : « malheur à ceux qui accumulent terres et biens » dénonçait le prophète (És 5, 8) ! Et à force d'outrance dans l'accumulation, qui prive les plus pauvres, à force donc de non-observance de la redistribution, la colère a fini par tomber : destruction du pays par Babylone et exil, selon la lecture qui est faite par les prophètes de cette catastrophe. C'est la contrepartie terrible de la promesse à laquelle seule Jésus s'est arrêté, car l'an de grâce a une face sombre pour ceux qui commettent le péché de l'excès d'accumulation : un jour de vengeance divine. C'est la suite du verset dont Jésus, qui est là pour proclamer la grâce, vient de citer le premier aspect (cf. És 61, 2). Actualité de la parole prophétique quand les écarts dans les niveaux de vie exigent un Jubilé qui ouvre les portes du Règne de Dieu.

Or, que dit Jésus ? Que le moment positif, le moment de grâce de ce jour est venu, que c'est aujourd'hui ! Aujourd'hui s'inaugure l'an de grâce, temps de la faveur de Dieu. C'est toujours vrai ! Nos années chrétiennes se datent en autant d'ans de grâce : « an de grâce 2019 », disons-nous ! Autant d’années de Jubilé ! Si le nous croyons, si nous croyons que le Jubilé est advenu, si nous sommes dans l'an de grâce du Seigneur, plus rien ne manque pour que, par la foi, don de la grâce, nous en appliquions les modalités : libérés de tout esclavage, libres de remettre les dettes, puisque c’est là le Jubilé, libres parce que la délivrance des captifs a eu lieu, proclamation de la libération des victimes de toutes les oppressions possibles. La grâce de Dieu proclamée par Jésus nous en a libérés. Libres de ne pas accumuler, puisque c'est la grâce qui pourvoit. Libres aussi de dire que les accumulations sans redistribution effective sont injustes, relèvent du péché, puisque le péché est la transgression de la loi divine. Y compris les prescriptions du Jubilé. Ainsi prend son sens la prière de Marie, le Magnificat, sur le renversement des injustices devenues aujourd’hui si flagrantes (cf. Luc 1, 46-55).

Si ce qu'a annoncé Jésus est vrai, alors, chacun à notre humble mesure, nous avons tous une part de ce pouvoir : remettre les dettes à notre égard ; comme nous le prions dans le Notre Père — « remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs. » (Ça vaut comme pardon des offenses concernant ces dettes que sont les fautes ; ça vaut aussi à tous les autres plans. Comme ne pas craindre de dénoncer comme injustice, et péché, ce qui au regard de la parole prophétique, est bien tel.)

Si nous ne faisons pas de miracles spectaculaires, comme Jésus n’en a pas fait à Nazareth (comme pour nous dire : vous aussi vous pouvez beaucoup de choses sans que cela ne soit spectaculaire) — nous avons la possibilité de mettre en place les modalités essentielles de l’an de grâce : à commencer par remettre pour notre part les compteurs à zéro.

Dieu nous appelle aujourd’hui à entrer avec humilité, au regard de l’histoire, mais de plain-pied tout de même, dans ce temps de la grâce, en place dès à présent. « Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez. »


R.P. Poitiers/Beaulieu, célébration œcuménique, 28.01.19


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