
Introduction
Le développement suivant est une contribution en quelques éléments de réflexion historique sur ce qui a conduit au pogrom du 7 octobre 2023, en trois points, présentés dans un ordre chronologique inversé, comme une remontée dans l'histoire :
1) 1948 comme double décolonisation ;
2) l'inversion victimaire ou l’antisionisme nouvelle version de l'antisémitisme comme théorie du bouc émissaire via l'inversion victimaire ;
3) l’État de droit comme République des Hébreux.
1) Colonisations et décolonisations (1948)
Le 26 février 1885 se termine à Berlin une conférence célèbre (1884-1885), où les nations du Nord se sont partagé le monde. Les nations connues comme coloniales (France, Grande-Bretagne, Portugal, Espagne, etc.) ; et celles qu’on ignore en général, d’autres nations alors coloniales, comme l’Allemagne et la Turquie (Empire ottoman), présentes à la conférence, mais qui ont ensuite perdu leurs colonies suite à leur défaite de 1918. Sont aussi présentes la Russie (dont on oublie la réalité coloniale de l’Empire devenu ensuite Union soviétique), l’Italie ou les États-Unis. Toutes les puissances, de toutes les confessions, ont participé aux dominations coloniales, jusqu’en leurs pratiques esclavagistes communes. (Ici aussi, toutes confessions confondues. Nul n’est exempt !)
Concernant le Proche-Orient, le monde arabe est alors colonisé par l’Empire ottoman. Le processus de décolonisation dans la péninsule arabique est devenu célèbre grâce à un de ses acteurs, le Britannique Lawrence d’Arabie.
Pour la zone Syrie-Palestine, sa décolonisation de la puissance turque/ottomane passe par l'attribution des mandats français et britannique, respectivement pour Syrie-Liban et pour la Palestine. (On pourrait remonter plus haut pour percevoir la succession des colonisations de l’ancienne Judée, Galilée, etc., devenue Palestine sur décision de l’Empire romain revendiquant sa possession : pour faire bref, romaine, byzantine, arabe, latine, turque, anglaise, avec des conversions religieuses successives des populations locales.)
La décision de l’Onu de 1948 concernant la Palestine correspond donc à un processus de décolonisation, en l’occurrence une double décolonisation des populations locales, juives et arabes (chrétiennes et musulmanes). La dimension de décolonisation juive est alors admise sans difficulté — cf. le journal L’Humanité (éditions de mai-juin 1948), qui présente le refus arabe comme un refus colonialiste organisé par les Anglo-Américains (1). Cette décolonisation juive a rallié le projet sioniste, sur une terre devenue une terre de refuge des juifs rescapés de la Shoah et persécutés du monde arabe.
Où il apparaît que c’est rendre un très mauvais service à Israël que d’en faire un État européen ou euro-américain colonisateur ! quand il est en fait issu de la double décolonisation de 1948 (2).
Car il y a bien une filiation des décolonisations des années 1945-1960 (y compris celle de 1948 pour Israël/Palestine) et de l’histoire du judaïsme décimé en Europe. C’est ce qui apparaît nettement chez quelques auteurs que je vais citer (et qui sont utilisés parfois pour nourrir une concurrence des mémoires dans les “deux camps” créés artificiellement et au prix de contresens !)
Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme (1955) :
« Chaque fois qu’il y a au Viêt-nam une tête coupée et un œil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et […] au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et “interrogés”, de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent. Et alors un beau jour, la bourgeoisie est réveillée par un formidable choc en retour : les gestapos s’affairent, les prisons s’emplissent, les tortionnaires inventent, raffinent, discutent autour des chevalets. On s’étonne, on s’indigne. On dit : “Comme c’est curieux ! Mais, Bah ! C’est le nazisme, ça passera !” Et on attend, et on espère ; et on se tait à soi-même la vérité, que c’est une barbarie, mais la barbarie suprême, celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbaries ; que c’est du nazisme, oui, mais qu’avant d’en être la victime, on en a été le complice ; que ce nazisme-là, on l’a supporté avant de le subir, on l’a absous, on a fermé l’œil là-dessus, on l’a légitimé, parce que, jusque-là, il ne s’était appliqué qu’à des peuples non européens ; que ce nazisme là, on l’a cultivé, on en est responsable, et qu’il sourd, qu’il perce, qu’il goutte, avant de l’engloutir dans ses eaux rougies de toutes les fissures de la civilisation occidentale et chrétienne. » (3)
On le voit, ce qui apparaît chez Césaire, c'est qu’avec la découverte de la Shoah a commencé la prise de conscience par les Européens de la nature de ce qui s’est passé aux colonies ; que la Shoah est le fruit de l'importation sur le continent de la violence exercée ailleurs, importation que Césaire appelle “l’ensauvagement du continent” européen. Cela pour l’Europe. Mais cela vaut aussi aux États-Unis…
Cf. James Baldwin, La prochaine fois, le feu (1963) :
« Les Blancs furent et sont encore stupéfaits par l’holocauste dont l’Allemagne fut le théâtre. Ils ne savaient pas qu’ils étaient capables de choses pareilles. Mais je doute fort que les Noirs en aient été surpris ; au moins au même degré. Quant à moi, le sort des juifs et l’indifférence du monde à leur égard m’avaient rempli de frayeur. Je ne pouvais m’empêcher, pendant ces pénibles années, de penser que cette indifférence des hommes, au sujet de laquelle j’avais déjà tant appris, était ce à quoi je pouvais m’attendre le jour où les États-Unis décideraient d’assassiner leurs nègres systématiquement au lieu de petit à petit et à l’aveuglette. » (4)
De l’inanité de la “concurrence des mémoires”, le résumé avait déjà été donné en 1952…
Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs (1952) :
« C’est au nom de la tradition que les antisémites valorisent leur “point de vue”. C’est au nom de la tradition, de ce long passé d’histoire, de cette parenté sanguine avec Pascal et Descartes, qu’on dit aux Juifs : vous ne sauriez trouver place dans la communauté. Dernièrement, un de ces bons Français déclarait, dans un train où j’avais pris place : “Que les vertus vraiment françaises subsistent, et la race est sauvée ! À l’heure actuelle, il faut réaliser l’Union nationale. Plus de luttes intestines ! Face aux étrangers (et, se tournant vers mon coin), quels qu’ils soient.” […] Le Juif et moi : non content de me racialiser, par un coup heureux du sort, je m’humanisais. Je rejoignais le Juif, frères de malheur. […]
De prime abord, il peut sembler étonnant que l’attitude de l’antisémite s’apparente à celle du négrophobe. C’est mon professeur de philosophie, d’origine antillaise, qui me le rappelait un jour : “Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous.” Et je pensais qu’il avait raison universellement, entendant par-là que j’étais responsable dans mon corps et dans mon âme, du sort réservé à mon frère. Depuis lors, j’ai compris qu’il voulait tout simplement dire : “un antisémite est forcément négrophobe.” » (5)
Cf. Adler Camilus, enseignant-chercheur à l’Université d’État d’Haïti, à propos de Fanon (6) :
Parlant des Damnés de la terre et de la violence qui menace de la part des colonisés, violence exaltée par la préface de Sartre, Adler Camilus, contre l'interprétation de Sartre, évoque René Girard en ces termes : “Il faut transformer cette violence, lit-il chez Fanon, en quelque chose qui relève du commun, de l'universel, c'est une manière de faire communauté. (…) Dans les dispositifs mis en place par une société pour s'instituer comme société (dans l'action, dans le faire, dans les narrations, dans les dispositifs d'habiter, dans les dispositifs d'être ensemble, de faire communauté ensemble) quelque chose se transforme et la violence ici peut devenir autre chose qu'elle-même. C'est pourquoi l'idée d'assurer une plateforme pacifique à la violence est quelque chose qui pointe l'universel à venir, l'horizon de l'universel qui est ouvert, qui ne doit pas être obstrué. (…) Si on jouit de la mort du maître, on n'est plus dans cette plateforme pacifique.”
2) Victimisation et inversion victimaire
Or la théorie de René Girard que mentionne Adler Camilus, théorie visant une attitude qui veut briser le cycle de la violence mimétique déplaçant à la violence contre un bouc émissaire, connaît une subversion que Girard avait sans doute pressentie (cf. son Achever Clausewitz (7)) — via laquelle inversion, une supériorité militaire, une victoire militaire, débouche sur une défaite médiatique.
(Avant d’aller plus loin, je précise que le phénomène de la violence mimétique entraînant son détournement vers un bouc émissaire, mis en exergue dans la philosophie de René Girard ne dit rien de l'identité juive, mais dit quelque chose de l’antimémistisme, notamment sous sa forme antisioniste où Israël est devenu le bouc émissaire de la culpabilité coloniale commune ; cela ne dit rien du judaïsme de même que Sartre, malgré le titre de son essai, ne dit rien de l’identité juive, mais lui aussi dit quelque chose, autre chose, de l’antimémistisme.)
Selon Girard, une fois que le phénomène du bouc émissaire a été dévoilé — puis subverti —, tout devient extrêmement périlleux.
Cela à l’appui, pour Girard, de l'Épître aux Hébreux, ch. 10, v. 26 (“si nous péchons volontairement après avoir reçu la connaissance de la vérité, il ne reste plus de sacrifice pour les péchés”) renvoyant à Lévitique 4 et Nombres 15 (à savoir qu’on ne peut pas jouer avec le “sacrifice” cultuel comme s’il permettait du coup de se laisser aller).
Or ce moment périlleux correspond à notre situation historique, le péril étant radicalement redoublé par le fait que la montée aux extrêmes (cf. Achever Clausewitz) des guerres modernes peut, à l’ère nucléaire, conduire à notre destruction. Mais avant cela, d'autant plus que le dévoilement du processus ouvre la porte à l'inversion victimaire utilisée par le Hamas et l’islam politique… aussi bien que dans le trumpisme, malgré René Girard ! par ceux qui s’en réclament : cf. JD Vance et les chiens et chats que mangeraient les Haïtiens ! devenus boucs émissaires… puisque, concernant cette inversion victimaire (utilisée donc par le Hamas et ceux qui le soutiennent en l’identifiant aux Palestiniens — tout comme elle est utilisée par ceux qui ici sembleraient soutenir Israël), JD Vance, s’appuyant sur son maître à penser, le girardien Peter Thiel, présente les trumpistes comme victimes (des démocrates ou des Haïtiens supposés manger les chiens les chats) ! (8)
À l'origine, le texte d’Ésaïe, ch. 53, où la victime opte résolument pour la non-violence — je précise que le texte ne parle pas de Jésus (il n'était pas né !), mais Jésus l’a médité, et y a fondé son attitude.
Aujourd'hui, on est loin de cette attitude, avec l'inversion victimaire.
Les juifs ont très souvent dans l'histoire subi la violence évoquée dans Ésaïe, transformés en “boucs émissaires”, victimes du déchargement de la violence d’empires ennemis plus puissants et de leurs populations, dès l’Antiquité. Sans parler de toutes les situations données dans la Bible, mentionnons le 1er pogrom rapporté par les historiens modernes, dans l’Égypte païenne du 1er s. ap. JC ; puis, ensuite, la sédimentation chrétienne, puis musulmane, puis moderne et raciste (l’antisémitisme est bien un racisme, spécifique, comme les autres racismes, négrophobe, arabophobe, etc, tous spécifiques comme le montre bien Frantz Fanon, mais tous des racismes : le cas culminant, le nazisme, se voulait bien raciste. Il faudrait aussi parler, concernant l’antijudaïsme du christianisme et de l’islam, du déni de leur dette à l’égard de l’héritage juif : du Dieu unique au référentiel des figures reprises, d’Adam aux prophètes, tous des noms issus de la Bible juive).
Et voilà que depuis quelques années, on assiste à un processus d'inversion victimaire. Les victimes des siècles passés sont présentées comme bourreaux actuels !… via la mise à profit de ce que le processus victimaire a été dévoilé… Et que la victime ou revendiquée telle se donne le beau rôle !
Dans le cas des ennemis d’Israël (et de l’État d’Israël), l'inversion victimaire permet de faire oublier l’antijudaïsme et l’antisémitisme séculier qui a toujours refusé à sa victime ses droits pleins et entiers ; pour le Hamas, l’antijudaïsme (exprimé dans la dhimitude) de l’islam politique et son antisémitisme dès ses fondements, devenu “antisionisme”, agissant déjà dans le refus de la décolonisation juive de 1948 (un État juif souverain étant inconcevable). Je vais citer quelques textes qui font, hélas, autorité dans l’islam politique du Hamas, mais sont masqués médiatiquement par l’inversion victimaire.
Il suffit de les lire, en se demandant pourquoi des manifestations parisiennes voient clamer le terme de “Khaybar”, nom d’une oasis où vivaient des juifs d’Arabie du VIIe s. Cf. la Sira (Biographie du Prophète) de Ibn Hichâm — bâtie sur des hadiths et reprenant une Sira antécédente (celle de Ibn Ishaq, perdue) ; le tout, hadiths et Sira, datant de l’époque abbasside, donc de deux siècles après l’Hégire, soit pas fiables historiquement, mais trop souvent admis comme fiables en islam, particulièrement par l’islam politique (ces textes suffiraient à expliquer le monstreux pogrom du 7 octobre, si on se donnait la peine de les entendre, sachant qu’ils font autorité dans l’islam politique) (9).
Si ces textes, datant du temps du califat abbasside, relevant de l’épopée, font donc hélas autorité dans l’islam politique, c'est en oblitérant une autre tradition, plus ancienne, initiée par la figure de Rabia de Bassora, elle-même disciple de Hassan de Bassora (al-Basri), né dix ans seulement après la mort de Mahomet. On connaît Rabia par Attar, qui, lui, écrivait fin XIIe-début XIIIe s. Le fait qu’à cette époque tardive, où c’est devenu inconcevable, il présente Rabia comme une moniale, avec célibat consacré, témoigne en faveur de l'authenticité de la vie consacrée de celle qui veut imiter son prophète, qui n’a donc rien d’un guerrier ni d’un calife avec harem, contrairement aux califes qui feront appuyer leurs pratiques en les faisant attribuer à un prophète guerrier donné en des textes écrits à leur époque (deux siècles après l’Hégire)…
Je cite la Sira de Ibn Hisham :
« […] le Prophète ordonna de tuer tous les hommes des Banu Quraydha [tribu juive], et même les jeunes […].
Le Prophète ordonna de faire descendre de leurs fortins les Banû Quraydha et de les enfermer dans la maison de Bint al-Hârith. Il alla ensuite sur la place du marché de Médine, la même que celle d'aujourd'hui (du temps d'Ibn Hichâm), et y fit creuser des fossés. Puis il fit venir les Banû Quraydha par petits groupes et leur coupa la gorge sur le bord des fossés. Parmi eux, il y avait Huyayy ibn Akhtab, l'ennemi de Dieu, et Ka'b ibn Asad, le chef des Quraydha. Ils étaient six cents à sept cents hommes. On dit huit cents et même neuf cents. Pendant qu'ils étaient amenés sur la place par petits groupes, certains juifs demandèrent à Ka'b, le chef de leur clan :
— Que va-t-on donc faire de nous ?
— Est-ce-que cette fois vous n'allez pas finir par comprendre ? Ne voyez-vous pas que le crieur qui fait l'appel ne bronche pas et que ceux qui sont partis ne reviennent pas ? C'est évidemment la tête tranchée ! Le Prophète ne cessa de les égorger jusqu'à leur extermination totale. » (10)
Je cite encore, l’histoire de Çafiyya, femme juive (Sîra, II, 636) :
« Les captives de Khaybar furent largement réparties entre les musulmans. Le Prophète eut en partage Çafiyya, fille de Huyayy ibn Akhtab (l'un des chefs des Banû Nadir [juifs] exilés de Médine à Khaybar) et deux de ses cousines. Il garda pour lui Çafiyya et donna les deux cousines à l'un de ses compagnons de combat, Dihya ibn Khalifa, qui avait pourtant souhaité avoir Çafiyya. Bilâl, le muezzin, l'avait ramenée avec l'une de ses compagnes. Il passa avec les deux captives au milieu des cadavres des juifs tués au combat. À cette vue, la compagne de Çafiyya éclata en sanglots, se déchirant le visage et couvrant de terre ses cheveux. La voyant dans cet état, le Prophète dit : “Éloignez de moi cette furie satanique !” Et il fit venir Çafiyya, la fit asseoir derrière lui et jeta sur elle son manteau : les musulmans comprirent que le Prophète se la réservait. […]
Çafiyya fut peignée, maquillée et préparée pour le Prophète par Umm Anas ibn Mâlik. Il passa sa première nuit avec elle sous une tente ronde.
Abû Ayyûb, un compagnon du Prophète, passa la nuit, le sabre à la taille, à monter la garde autour de la tente. Le lendemain matin, à son réveil, le Prophète le vit rôder autour de sa tente :
Que fais-tu ici ? lui demanda-t-il.
Envoyé de Dieu, cette femme a suscité en moi des craintes pour ta vie. Tu as déjà tué son père, son mari et sa famille. Sa conversion à l'islam est toute récente et cela m'a inquiété pour toi.
Seigneur Dieu, protège Abû Ayyûb, comme il a passé la nuit à me protéger. »
Auparavant, concernant le mari de Çafiyya : Hudaybiyya ou la trêve…
Le trésor des Banû Nadîr (Sira, II, 336-337) :
« On amena auprès du Prophète Kinâna ibn Rabî', le mari de Çafiyya, qui détenait le trésor des Banû Nadîr. Le Prophète lui demanda de révéler où était le trésor. Kinâna affirma n'en rien savoir. Un juif s'approcha et le dénonça au Prophète : J'ai vu Kinâna rôder tous les matins autour de cette maison en ruine.
Vois-tu, Kinâna, lui dit le Prophète, si nous trouvons le trésor chez toi, je te tuerai.
Tu me tueras, mais je n'en sais rien.
Puis le Prophète ordonna de creuser la terre dans la maison en ruine. On y trouva une partie du trésor. Où est le reste du trésor ? demanda le Prophète. Je ne sais pas, répondit Kinâna.
Le Prophète ordonna alors à Zubayr ibn al-'Awwâm de le torturer jusqu'à ce qu'il livre son secret. Zubayr lui brûlait sans cesse la poitrine avec la mèche d'un briquet, mais en vain. Voyant qu'il était à bout de souffle, le Prophète livra Kinâna à Muhammad ibn Maslama, qui lui trancha la tête. » (11)
Redisons-le, l'authenticité de ces textes est plus que douteuse, mais, hélas, pas pour l’islam politique (qui, quant à la lecture et à la foi en ces textes, ont, hélas, très peu de contradicteurs) !
L’islam politique a reçu un coup fatal, malgré les apparences, le 11 septembre 2001, confirmé le 7 octobre 2023. Un coup fatal en ce sens que cela a ouvert sur le dévoilement de ces éléments jusque là ignorés de la plupart à propos de l’islam politique et de ses sources.
L’islam politique est voué à apparaître comme une impasse, violente et tragique.
J’y vois un parallèle avec la fin de la Chrétienté comme réalité politique, mutatis mutandis (aucun texte de la tradition de la Chrétienté ne présente de figure fondatrice violente ou guerrière). Le 24 octobre 1648, avec les traités de Westphalie signant la fin de la guerre de Trente ans, prend fin symboliquement la Chrétienté politique : les conflits de la Chrétienté ont débouché sur rien d'autre qu’un bain de sang sans issue (les historiens parlent d’un tiers à la moitié de la population du St-Empire romain germanique tués au cours du conflit). Tel est le constat des traités de Westphalie, après quoi va se mettre en place la civilisation libérale de l’État de droit. Premier moment, la Révolution protestante puritaine anglaise…
3) État de droit et République des Hébreux
De Calvin et la théologie de l’Alliance aux révolutions puritaines prend place l’idée que la loi est au-dessus des rois et des cultes. En cela est posé l’État de droit moderne. Pour la France, cela se traduit dans la revendication de la liberté de culte par le pasteur Rabaut St-Etienne, en 1789, et pour l’universalisation du processus, par sa reprise par Toussaint Louverture. C’est ce que l‘on considèrera à présent.
Au fondement de l’État de droit, la Révolution protestante anglaise du XVIIe s., qui a été appelée puritaine, la première de trois Révolutions (anglaise, américaine, française) — pose ce point commun au trois Révolutions, que j’appelle donc système puritain : la loi au-dessus des pouvoirs. Là s’origine la liberté des cultes, au-delà du christianisme alors commun (i.e. liberté y compris pour le judaisme, et au-delà potentiellement) — système qui débouche aussi, nécessairement, sur l’abolition de l’esclavage et l’égalité des sexes, via la mise en vis-à-vis de l’image de Dieu en l’humain située au-delà de la couleur de peau, du sexe, etc., comme la loi est au-delà des institutions (cf., comme précurseurs, les quakers, puis les méthodistes). Une figure importante dans l’universalisation du processus : Toussaint Louverture (cf. Aimé Césaire (12)). En arrière plan, la référence à l’Exode et au Sinaï (une loi au-dessus des pouvoirs).
La première mouture de la civilisation libérale qui naît alors en Angleterre et initie l’État de droit, se réclame de la “République des Hébreux” comme modèle analogique, référant à la Loi biblique donnée dans la Torah.
L'Exode biblique d’Israël s'ancre et débouche sur une conception inédite des relations avec le divin : le divin est irreprésentable, sans garant humain de sa présence contrairement à ce qu’est alors le monarque — qui n'est dès lors pas non plus source de la loi.
Voilà une loi, exprimée dans la Torah, qui n'a pas d'auteur qui en serait le garant, qui y serait donc potentiellement ou actuellement supérieur. Moïse n'est pas donné comme un nouveau Pharaon ou un nouvel Hammourabi. La loi dont il témoigne ne procède pas de lui : il y est lui-même soumis ! Cela restera vrai même après l'institution de la monarchie, avec la dynastie davidique qui se caractérise par l'exigence de soumission du roi à la loi.
C'est à cette tradition que se réfèrent les révolutionnaires puritains anglais posant la supériorité de la loi par rapport à tous : personnes privées, rois, et même Églises et cultes ; la loi reçue dans une convention (Covenant) de tous, en analogie avec la loi biblique. C'est, mutatis mutandis, ce modèle que reprendront les révolutions américaine et française. Pour la révolution américaine, voir aussi l’anticipation dès les années 1630 au Rhode Island fondé par le pasteur Roger Williams.
Jusque là, la Chrétienté parle de tolérance, pouvant certes inclure protection, mais protection toujours à la merci des protecteurs, qui a été remise en question dès lesdites révolutions puritaines, d’inspiration en large part calvinienne, avec la nécessité de contre-pouvoirs (posée pour la France par le Réformateur et son successeur Théodore de Bèze, et stipulée dans la Confession de foi de La Rochelle). Ce système doté de contre-pouvoirs s'actualise d'abord dans les pays anglo-saxons, puis par la Révolution française, quand le pasteur Rabaut Saint-Étienne, présidant l’Assemblée constituante de 1789, réclamait en France, pour les protestants et les juifs, la liberté et pas seulement la tolérance. Là où l’on doit la liberté, la tolérance est une faute.
Toussaint Louverture symbolisera l’universalisation de la Déclaration de droit faite sur cette base en 1789 (cf. Aimé Césaire (12)).
Or c’est là la vocation d’Israël comme témoin de la République des Hébreux reprise à l'ère moderne : État de droit et universalisme de la Parole du Sinaï.
Cf. Vincent Peillon (13) : “[Joseph Salvador (1796-1873)] défend une identité forte et formule une véritable apologie du judaïsme. Ce dernier, restitué à sa fierté, fournit un modèle et une inspiration pour la politique démocratique, républicaine, libérale, socialiste, cosmopolitique qui se cherche depuis les Révolutions d’Angleterre, d’Amérique et de France. Pour s’accomplir, la modernité doit donc retourner à ses sources juives, à la religion mère des monothéismes chrétien et musulman, à La Loi de Moïse et à la République des Hébreux.”
C’est la vocation de l’Israël moderne et de l’espérance sioniste alliée à la décolonisation juive ; suite à l’héritage de deux dates : 586 av JC / 70 ap. JC. Deux destructions de deux temples accompagnées de deux fins : celle de la dynastie légitime (royale : davidique) et celle du sacerdoce (hasmonéen et sadducéen) ; posant la future nécessité d’un État forcément séculier — reprenant la vocation initiale, du Sinaï au livre des Juges — 1 Samuel 8, 7 : “L’Éternel dit à Samuel : Écoute la voix du peuple dans tout ce qu’il te dira ; car ce n’est pas toi qu’ils rejettent, c’est moi qu’ils rejettent, afin que je ne règne plus sur eux.” Ce que veut le peuple c’est un roi, désir concédé, selon la Bible, par Dieu, pourvu, concrètement, que le roi soit soumis à la loi (ce que réalise la dynastie davidique après l’échec de cet aspect sous le roi Saül — 1 Samuel 13, 14 : Saül se prend pour le Grand-Prêtre, i.e. il se “prend” pour le roi au-dessus de la loi portée par la parole prophétique). David — puis sa dynastie — apparaît comme une préfiguration des modernes monarchies constitutionnelles, une préfiguration lointaine de l’État de droit moderne, contesté aujourd'hui par les nombreux illibéralismes, qui tentent aujourd'hui les démocraties. Vocation scripturaire qui fait qu’aucun “sionisme religieux” n'est fondé bibliquement, suite à la disparition des dynasties antiques : qui aurait l'autorité divine de les réinstaurer ? Tentation fortement contestée malgré tout en de nombreux lieux et religions, quand la réinstauration de systèmes politico-religieux se fait jour, alors qu’ils ont été ébranlés, pour Israël par la seconde destruction du Temple, pour la Chrétienté par la guerre de Trente ans et sa fin, pour l’Islam par le 11 septembre 2001 et le 7 octobre 2023.
Le développement suivant est une contribution en quelques éléments de réflexion historique sur ce qui a conduit au pogrom du 7 octobre 2023, en trois points, présentés dans un ordre chronologique inversé, comme une remontée dans l'histoire :
1) 1948 comme double décolonisation ;
2) l'inversion victimaire ou l’antisionisme nouvelle version de l'antisémitisme comme théorie du bouc émissaire via l'inversion victimaire ;
3) l’État de droit comme République des Hébreux.
1) Colonisations et décolonisations (1948)
Le 26 février 1885 se termine à Berlin une conférence célèbre (1884-1885), où les nations du Nord se sont partagé le monde. Les nations connues comme coloniales (France, Grande-Bretagne, Portugal, Espagne, etc.) ; et celles qu’on ignore en général, d’autres nations alors coloniales, comme l’Allemagne et la Turquie (Empire ottoman), présentes à la conférence, mais qui ont ensuite perdu leurs colonies suite à leur défaite de 1918. Sont aussi présentes la Russie (dont on oublie la réalité coloniale de l’Empire devenu ensuite Union soviétique), l’Italie ou les États-Unis. Toutes les puissances, de toutes les confessions, ont participé aux dominations coloniales, jusqu’en leurs pratiques esclavagistes communes. (Ici aussi, toutes confessions confondues. Nul n’est exempt !)
Concernant le Proche-Orient, le monde arabe est alors colonisé par l’Empire ottoman. Le processus de décolonisation dans la péninsule arabique est devenu célèbre grâce à un de ses acteurs, le Britannique Lawrence d’Arabie.
Pour la zone Syrie-Palestine, sa décolonisation de la puissance turque/ottomane passe par l'attribution des mandats français et britannique, respectivement pour Syrie-Liban et pour la Palestine. (On pourrait remonter plus haut pour percevoir la succession des colonisations de l’ancienne Judée, Galilée, etc., devenue Palestine sur décision de l’Empire romain revendiquant sa possession : pour faire bref, romaine, byzantine, arabe, latine, turque, anglaise, avec des conversions religieuses successives des populations locales.)
La décision de l’Onu de 1948 concernant la Palestine correspond donc à un processus de décolonisation, en l’occurrence une double décolonisation des populations locales, juives et arabes (chrétiennes et musulmanes). La dimension de décolonisation juive est alors admise sans difficulté — cf. le journal L’Humanité (éditions de mai-juin 1948), qui présente le refus arabe comme un refus colonialiste organisé par les Anglo-Américains (1). Cette décolonisation juive a rallié le projet sioniste, sur une terre devenue une terre de refuge des juifs rescapés de la Shoah et persécutés du monde arabe.
Où il apparaît que c’est rendre un très mauvais service à Israël que d’en faire un État européen ou euro-américain colonisateur ! quand il est en fait issu de la double décolonisation de 1948 (2).
*
Car il y a bien une filiation des décolonisations des années 1945-1960 (y compris celle de 1948 pour Israël/Palestine) et de l’histoire du judaïsme décimé en Europe. C’est ce qui apparaît nettement chez quelques auteurs que je vais citer (et qui sont utilisés parfois pour nourrir une concurrence des mémoires dans les “deux camps” créés artificiellement et au prix de contresens !)
Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme (1955) :
« Chaque fois qu’il y a au Viêt-nam une tête coupée et un œil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et […] au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et “interrogés”, de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent. Et alors un beau jour, la bourgeoisie est réveillée par un formidable choc en retour : les gestapos s’affairent, les prisons s’emplissent, les tortionnaires inventent, raffinent, discutent autour des chevalets. On s’étonne, on s’indigne. On dit : “Comme c’est curieux ! Mais, Bah ! C’est le nazisme, ça passera !” Et on attend, et on espère ; et on se tait à soi-même la vérité, que c’est une barbarie, mais la barbarie suprême, celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbaries ; que c’est du nazisme, oui, mais qu’avant d’en être la victime, on en a été le complice ; que ce nazisme-là, on l’a supporté avant de le subir, on l’a absous, on a fermé l’œil là-dessus, on l’a légitimé, parce que, jusque-là, il ne s’était appliqué qu’à des peuples non européens ; que ce nazisme là, on l’a cultivé, on en est responsable, et qu’il sourd, qu’il perce, qu’il goutte, avant de l’engloutir dans ses eaux rougies de toutes les fissures de la civilisation occidentale et chrétienne. » (3)
On le voit, ce qui apparaît chez Césaire, c'est qu’avec la découverte de la Shoah a commencé la prise de conscience par les Européens de la nature de ce qui s’est passé aux colonies ; que la Shoah est le fruit de l'importation sur le continent de la violence exercée ailleurs, importation que Césaire appelle “l’ensauvagement du continent” européen. Cela pour l’Europe. Mais cela vaut aussi aux États-Unis…
Cf. James Baldwin, La prochaine fois, le feu (1963) :
« Les Blancs furent et sont encore stupéfaits par l’holocauste dont l’Allemagne fut le théâtre. Ils ne savaient pas qu’ils étaient capables de choses pareilles. Mais je doute fort que les Noirs en aient été surpris ; au moins au même degré. Quant à moi, le sort des juifs et l’indifférence du monde à leur égard m’avaient rempli de frayeur. Je ne pouvais m’empêcher, pendant ces pénibles années, de penser que cette indifférence des hommes, au sujet de laquelle j’avais déjà tant appris, était ce à quoi je pouvais m’attendre le jour où les États-Unis décideraient d’assassiner leurs nègres systématiquement au lieu de petit à petit et à l’aveuglette. » (4)
De l’inanité de la “concurrence des mémoires”, le résumé avait déjà été donné en 1952…
Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs (1952) :
« C’est au nom de la tradition que les antisémites valorisent leur “point de vue”. C’est au nom de la tradition, de ce long passé d’histoire, de cette parenté sanguine avec Pascal et Descartes, qu’on dit aux Juifs : vous ne sauriez trouver place dans la communauté. Dernièrement, un de ces bons Français déclarait, dans un train où j’avais pris place : “Que les vertus vraiment françaises subsistent, et la race est sauvée ! À l’heure actuelle, il faut réaliser l’Union nationale. Plus de luttes intestines ! Face aux étrangers (et, se tournant vers mon coin), quels qu’ils soient.” […] Le Juif et moi : non content de me racialiser, par un coup heureux du sort, je m’humanisais. Je rejoignais le Juif, frères de malheur. […]
De prime abord, il peut sembler étonnant que l’attitude de l’antisémite s’apparente à celle du négrophobe. C’est mon professeur de philosophie, d’origine antillaise, qui me le rappelait un jour : “Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous.” Et je pensais qu’il avait raison universellement, entendant par-là que j’étais responsable dans mon corps et dans mon âme, du sort réservé à mon frère. Depuis lors, j’ai compris qu’il voulait tout simplement dire : “un antisémite est forcément négrophobe.” » (5)
Cf. Adler Camilus, enseignant-chercheur à l’Université d’État d’Haïti, à propos de Fanon (6) :
Parlant des Damnés de la terre et de la violence qui menace de la part des colonisés, violence exaltée par la préface de Sartre, Adler Camilus, contre l'interprétation de Sartre, évoque René Girard en ces termes : “Il faut transformer cette violence, lit-il chez Fanon, en quelque chose qui relève du commun, de l'universel, c'est une manière de faire communauté. (…) Dans les dispositifs mis en place par une société pour s'instituer comme société (dans l'action, dans le faire, dans les narrations, dans les dispositifs d'habiter, dans les dispositifs d'être ensemble, de faire communauté ensemble) quelque chose se transforme et la violence ici peut devenir autre chose qu'elle-même. C'est pourquoi l'idée d'assurer une plateforme pacifique à la violence est quelque chose qui pointe l'universel à venir, l'horizon de l'universel qui est ouvert, qui ne doit pas être obstrué. (…) Si on jouit de la mort du maître, on n'est plus dans cette plateforme pacifique.”
2) Victimisation et inversion victimaire
Or la théorie de René Girard que mentionne Adler Camilus, théorie visant une attitude qui veut briser le cycle de la violence mimétique déplaçant à la violence contre un bouc émissaire, connaît une subversion que Girard avait sans doute pressentie (cf. son Achever Clausewitz (7)) — via laquelle inversion, une supériorité militaire, une victoire militaire, débouche sur une défaite médiatique.
(Avant d’aller plus loin, je précise que le phénomène de la violence mimétique entraînant son détournement vers un bouc émissaire, mis en exergue dans la philosophie de René Girard ne dit rien de l'identité juive, mais dit quelque chose de l’antimémistisme, notamment sous sa forme antisioniste où Israël est devenu le bouc émissaire de la culpabilité coloniale commune ; cela ne dit rien du judaïsme de même que Sartre, malgré le titre de son essai, ne dit rien de l’identité juive, mais lui aussi dit quelque chose, autre chose, de l’antimémistisme.)
Selon Girard, une fois que le phénomène du bouc émissaire a été dévoilé — puis subverti —, tout devient extrêmement périlleux.
Cela à l’appui, pour Girard, de l'Épître aux Hébreux, ch. 10, v. 26 (“si nous péchons volontairement après avoir reçu la connaissance de la vérité, il ne reste plus de sacrifice pour les péchés”) renvoyant à Lévitique 4 et Nombres 15 (à savoir qu’on ne peut pas jouer avec le “sacrifice” cultuel comme s’il permettait du coup de se laisser aller).
Or ce moment périlleux correspond à notre situation historique, le péril étant radicalement redoublé par le fait que la montée aux extrêmes (cf. Achever Clausewitz) des guerres modernes peut, à l’ère nucléaire, conduire à notre destruction. Mais avant cela, d'autant plus que le dévoilement du processus ouvre la porte à l'inversion victimaire utilisée par le Hamas et l’islam politique… aussi bien que dans le trumpisme, malgré René Girard ! par ceux qui s’en réclament : cf. JD Vance et les chiens et chats que mangeraient les Haïtiens ! devenus boucs émissaires… puisque, concernant cette inversion victimaire (utilisée donc par le Hamas et ceux qui le soutiennent en l’identifiant aux Palestiniens — tout comme elle est utilisée par ceux qui ici sembleraient soutenir Israël), JD Vance, s’appuyant sur son maître à penser, le girardien Peter Thiel, présente les trumpistes comme victimes (des démocrates ou des Haïtiens supposés manger les chiens les chats) ! (8)
À l'origine, le texte d’Ésaïe, ch. 53, où la victime opte résolument pour la non-violence — je précise que le texte ne parle pas de Jésus (il n'était pas né !), mais Jésus l’a médité, et y a fondé son attitude.
Aujourd'hui, on est loin de cette attitude, avec l'inversion victimaire.
Les juifs ont très souvent dans l'histoire subi la violence évoquée dans Ésaïe, transformés en “boucs émissaires”, victimes du déchargement de la violence d’empires ennemis plus puissants et de leurs populations, dès l’Antiquité. Sans parler de toutes les situations données dans la Bible, mentionnons le 1er pogrom rapporté par les historiens modernes, dans l’Égypte païenne du 1er s. ap. JC ; puis, ensuite, la sédimentation chrétienne, puis musulmane, puis moderne et raciste (l’antisémitisme est bien un racisme, spécifique, comme les autres racismes, négrophobe, arabophobe, etc, tous spécifiques comme le montre bien Frantz Fanon, mais tous des racismes : le cas culminant, le nazisme, se voulait bien raciste. Il faudrait aussi parler, concernant l’antijudaïsme du christianisme et de l’islam, du déni de leur dette à l’égard de l’héritage juif : du Dieu unique au référentiel des figures reprises, d’Adam aux prophètes, tous des noms issus de la Bible juive).
Et voilà que depuis quelques années, on assiste à un processus d'inversion victimaire. Les victimes des siècles passés sont présentées comme bourreaux actuels !… via la mise à profit de ce que le processus victimaire a été dévoilé… Et que la victime ou revendiquée telle se donne le beau rôle !
Dans le cas des ennemis d’Israël (et de l’État d’Israël), l'inversion victimaire permet de faire oublier l’antijudaïsme et l’antisémitisme séculier qui a toujours refusé à sa victime ses droits pleins et entiers ; pour le Hamas, l’antijudaïsme (exprimé dans la dhimitude) de l’islam politique et son antisémitisme dès ses fondements, devenu “antisionisme”, agissant déjà dans le refus de la décolonisation juive de 1948 (un État juif souverain étant inconcevable). Je vais citer quelques textes qui font, hélas, autorité dans l’islam politique du Hamas, mais sont masqués médiatiquement par l’inversion victimaire.
Il suffit de les lire, en se demandant pourquoi des manifestations parisiennes voient clamer le terme de “Khaybar”, nom d’une oasis où vivaient des juifs d’Arabie du VIIe s. Cf. la Sira (Biographie du Prophète) de Ibn Hichâm — bâtie sur des hadiths et reprenant une Sira antécédente (celle de Ibn Ishaq, perdue) ; le tout, hadiths et Sira, datant de l’époque abbasside, donc de deux siècles après l’Hégire, soit pas fiables historiquement, mais trop souvent admis comme fiables en islam, particulièrement par l’islam politique (ces textes suffiraient à expliquer le monstreux pogrom du 7 octobre, si on se donnait la peine de les entendre, sachant qu’ils font autorité dans l’islam politique) (9).
Si ces textes, datant du temps du califat abbasside, relevant de l’épopée, font donc hélas autorité dans l’islam politique, c'est en oblitérant une autre tradition, plus ancienne, initiée par la figure de Rabia de Bassora, elle-même disciple de Hassan de Bassora (al-Basri), né dix ans seulement après la mort de Mahomet. On connaît Rabia par Attar, qui, lui, écrivait fin XIIe-début XIIIe s. Le fait qu’à cette époque tardive, où c’est devenu inconcevable, il présente Rabia comme une moniale, avec célibat consacré, témoigne en faveur de l'authenticité de la vie consacrée de celle qui veut imiter son prophète, qui n’a donc rien d’un guerrier ni d’un calife avec harem, contrairement aux califes qui feront appuyer leurs pratiques en les faisant attribuer à un prophète guerrier donné en des textes écrits à leur époque (deux siècles après l’Hégire)…
Je cite la Sira de Ibn Hisham :
« […] le Prophète ordonna de tuer tous les hommes des Banu Quraydha [tribu juive], et même les jeunes […].
Le Prophète ordonna de faire descendre de leurs fortins les Banû Quraydha et de les enfermer dans la maison de Bint al-Hârith. Il alla ensuite sur la place du marché de Médine, la même que celle d'aujourd'hui (du temps d'Ibn Hichâm), et y fit creuser des fossés. Puis il fit venir les Banû Quraydha par petits groupes et leur coupa la gorge sur le bord des fossés. Parmi eux, il y avait Huyayy ibn Akhtab, l'ennemi de Dieu, et Ka'b ibn Asad, le chef des Quraydha. Ils étaient six cents à sept cents hommes. On dit huit cents et même neuf cents. Pendant qu'ils étaient amenés sur la place par petits groupes, certains juifs demandèrent à Ka'b, le chef de leur clan :
— Que va-t-on donc faire de nous ?
— Est-ce-que cette fois vous n'allez pas finir par comprendre ? Ne voyez-vous pas que le crieur qui fait l'appel ne bronche pas et que ceux qui sont partis ne reviennent pas ? C'est évidemment la tête tranchée ! Le Prophète ne cessa de les égorger jusqu'à leur extermination totale. » (10)
Je cite encore, l’histoire de Çafiyya, femme juive (Sîra, II, 636) :
« Les captives de Khaybar furent largement réparties entre les musulmans. Le Prophète eut en partage Çafiyya, fille de Huyayy ibn Akhtab (l'un des chefs des Banû Nadir [juifs] exilés de Médine à Khaybar) et deux de ses cousines. Il garda pour lui Çafiyya et donna les deux cousines à l'un de ses compagnons de combat, Dihya ibn Khalifa, qui avait pourtant souhaité avoir Çafiyya. Bilâl, le muezzin, l'avait ramenée avec l'une de ses compagnes. Il passa avec les deux captives au milieu des cadavres des juifs tués au combat. À cette vue, la compagne de Çafiyya éclata en sanglots, se déchirant le visage et couvrant de terre ses cheveux. La voyant dans cet état, le Prophète dit : “Éloignez de moi cette furie satanique !” Et il fit venir Çafiyya, la fit asseoir derrière lui et jeta sur elle son manteau : les musulmans comprirent que le Prophète se la réservait. […]
Çafiyya fut peignée, maquillée et préparée pour le Prophète par Umm Anas ibn Mâlik. Il passa sa première nuit avec elle sous une tente ronde.
Abû Ayyûb, un compagnon du Prophète, passa la nuit, le sabre à la taille, à monter la garde autour de la tente. Le lendemain matin, à son réveil, le Prophète le vit rôder autour de sa tente :
Que fais-tu ici ? lui demanda-t-il.
Envoyé de Dieu, cette femme a suscité en moi des craintes pour ta vie. Tu as déjà tué son père, son mari et sa famille. Sa conversion à l'islam est toute récente et cela m'a inquiété pour toi.
Seigneur Dieu, protège Abû Ayyûb, comme il a passé la nuit à me protéger. »
Auparavant, concernant le mari de Çafiyya : Hudaybiyya ou la trêve…
Le trésor des Banû Nadîr (Sira, II, 336-337) :
« On amena auprès du Prophète Kinâna ibn Rabî', le mari de Çafiyya, qui détenait le trésor des Banû Nadîr. Le Prophète lui demanda de révéler où était le trésor. Kinâna affirma n'en rien savoir. Un juif s'approcha et le dénonça au Prophète : J'ai vu Kinâna rôder tous les matins autour de cette maison en ruine.
Vois-tu, Kinâna, lui dit le Prophète, si nous trouvons le trésor chez toi, je te tuerai.
Tu me tueras, mais je n'en sais rien.
Puis le Prophète ordonna de creuser la terre dans la maison en ruine. On y trouva une partie du trésor. Où est le reste du trésor ? demanda le Prophète. Je ne sais pas, répondit Kinâna.
Le Prophète ordonna alors à Zubayr ibn al-'Awwâm de le torturer jusqu'à ce qu'il livre son secret. Zubayr lui brûlait sans cesse la poitrine avec la mèche d'un briquet, mais en vain. Voyant qu'il était à bout de souffle, le Prophète livra Kinâna à Muhammad ibn Maslama, qui lui trancha la tête. » (11)
Redisons-le, l'authenticité de ces textes est plus que douteuse, mais, hélas, pas pour l’islam politique (qui, quant à la lecture et à la foi en ces textes, ont, hélas, très peu de contradicteurs) !
L’islam politique a reçu un coup fatal, malgré les apparences, le 11 septembre 2001, confirmé le 7 octobre 2023. Un coup fatal en ce sens que cela a ouvert sur le dévoilement de ces éléments jusque là ignorés de la plupart à propos de l’islam politique et de ses sources.
L’islam politique est voué à apparaître comme une impasse, violente et tragique.
J’y vois un parallèle avec la fin de la Chrétienté comme réalité politique, mutatis mutandis (aucun texte de la tradition de la Chrétienté ne présente de figure fondatrice violente ou guerrière). Le 24 octobre 1648, avec les traités de Westphalie signant la fin de la guerre de Trente ans, prend fin symboliquement la Chrétienté politique : les conflits de la Chrétienté ont débouché sur rien d'autre qu’un bain de sang sans issue (les historiens parlent d’un tiers à la moitié de la population du St-Empire romain germanique tués au cours du conflit). Tel est le constat des traités de Westphalie, après quoi va se mettre en place la civilisation libérale de l’État de droit. Premier moment, la Révolution protestante puritaine anglaise…
3) État de droit et République des Hébreux
De Calvin et la théologie de l’Alliance aux révolutions puritaines prend place l’idée que la loi est au-dessus des rois et des cultes. En cela est posé l’État de droit moderne. Pour la France, cela se traduit dans la revendication de la liberté de culte par le pasteur Rabaut St-Etienne, en 1789, et pour l’universalisation du processus, par sa reprise par Toussaint Louverture. C’est ce que l‘on considèrera à présent.
Au fondement de l’État de droit, la Révolution protestante anglaise du XVIIe s., qui a été appelée puritaine, la première de trois Révolutions (anglaise, américaine, française) — pose ce point commun au trois Révolutions, que j’appelle donc système puritain : la loi au-dessus des pouvoirs. Là s’origine la liberté des cultes, au-delà du christianisme alors commun (i.e. liberté y compris pour le judaisme, et au-delà potentiellement) — système qui débouche aussi, nécessairement, sur l’abolition de l’esclavage et l’égalité des sexes, via la mise en vis-à-vis de l’image de Dieu en l’humain située au-delà de la couleur de peau, du sexe, etc., comme la loi est au-delà des institutions (cf., comme précurseurs, les quakers, puis les méthodistes). Une figure importante dans l’universalisation du processus : Toussaint Louverture (cf. Aimé Césaire (12)). En arrière plan, la référence à l’Exode et au Sinaï (une loi au-dessus des pouvoirs).
La première mouture de la civilisation libérale qui naît alors en Angleterre et initie l’État de droit, se réclame de la “République des Hébreux” comme modèle analogique, référant à la Loi biblique donnée dans la Torah.
L'Exode biblique d’Israël s'ancre et débouche sur une conception inédite des relations avec le divin : le divin est irreprésentable, sans garant humain de sa présence contrairement à ce qu’est alors le monarque — qui n'est dès lors pas non plus source de la loi.
Voilà une loi, exprimée dans la Torah, qui n'a pas d'auteur qui en serait le garant, qui y serait donc potentiellement ou actuellement supérieur. Moïse n'est pas donné comme un nouveau Pharaon ou un nouvel Hammourabi. La loi dont il témoigne ne procède pas de lui : il y est lui-même soumis ! Cela restera vrai même après l'institution de la monarchie, avec la dynastie davidique qui se caractérise par l'exigence de soumission du roi à la loi.
C'est à cette tradition que se réfèrent les révolutionnaires puritains anglais posant la supériorité de la loi par rapport à tous : personnes privées, rois, et même Églises et cultes ; la loi reçue dans une convention (Covenant) de tous, en analogie avec la loi biblique. C'est, mutatis mutandis, ce modèle que reprendront les révolutions américaine et française. Pour la révolution américaine, voir aussi l’anticipation dès les années 1630 au Rhode Island fondé par le pasteur Roger Williams.
Jusque là, la Chrétienté parle de tolérance, pouvant certes inclure protection, mais protection toujours à la merci des protecteurs, qui a été remise en question dès lesdites révolutions puritaines, d’inspiration en large part calvinienne, avec la nécessité de contre-pouvoirs (posée pour la France par le Réformateur et son successeur Théodore de Bèze, et stipulée dans la Confession de foi de La Rochelle). Ce système doté de contre-pouvoirs s'actualise d'abord dans les pays anglo-saxons, puis par la Révolution française, quand le pasteur Rabaut Saint-Étienne, présidant l’Assemblée constituante de 1789, réclamait en France, pour les protestants et les juifs, la liberté et pas seulement la tolérance. Là où l’on doit la liberté, la tolérance est une faute.
Toussaint Louverture symbolisera l’universalisation de la Déclaration de droit faite sur cette base en 1789 (cf. Aimé Césaire (12)).
Or c’est là la vocation d’Israël comme témoin de la République des Hébreux reprise à l'ère moderne : État de droit et universalisme de la Parole du Sinaï.
Cf. Vincent Peillon (13) : “[Joseph Salvador (1796-1873)] défend une identité forte et formule une véritable apologie du judaïsme. Ce dernier, restitué à sa fierté, fournit un modèle et une inspiration pour la politique démocratique, républicaine, libérale, socialiste, cosmopolitique qui se cherche depuis les Révolutions d’Angleterre, d’Amérique et de France. Pour s’accomplir, la modernité doit donc retourner à ses sources juives, à la religion mère des monothéismes chrétien et musulman, à La Loi de Moïse et à la République des Hébreux.”
C’est la vocation de l’Israël moderne et de l’espérance sioniste alliée à la décolonisation juive ; suite à l’héritage de deux dates : 586 av JC / 70 ap. JC. Deux destructions de deux temples accompagnées de deux fins : celle de la dynastie légitime (royale : davidique) et celle du sacerdoce (hasmonéen et sadducéen) ; posant la future nécessité d’un État forcément séculier — reprenant la vocation initiale, du Sinaï au livre des Juges — 1 Samuel 8, 7 : “L’Éternel dit à Samuel : Écoute la voix du peuple dans tout ce qu’il te dira ; car ce n’est pas toi qu’ils rejettent, c’est moi qu’ils rejettent, afin que je ne règne plus sur eux.” Ce que veut le peuple c’est un roi, désir concédé, selon la Bible, par Dieu, pourvu, concrètement, que le roi soit soumis à la loi (ce que réalise la dynastie davidique après l’échec de cet aspect sous le roi Saül — 1 Samuel 13, 14 : Saül se prend pour le Grand-Prêtre, i.e. il se “prend” pour le roi au-dessus de la loi portée par la parole prophétique). David — puis sa dynastie — apparaît comme une préfiguration des modernes monarchies constitutionnelles, une préfiguration lointaine de l’État de droit moderne, contesté aujourd'hui par les nombreux illibéralismes, qui tentent aujourd'hui les démocraties. Vocation scripturaire qui fait qu’aucun “sionisme religieux” n'est fondé bibliquement, suite à la disparition des dynasties antiques : qui aurait l'autorité divine de les réinstaurer ? Tentation fortement contestée malgré tout en de nombreux lieux et religions, quand la réinstauration de systèmes politico-religieux se fait jour, alors qu’ils ont été ébranlés, pour Israël par la seconde destruction du Temple, pour la Chrétienté par la guerre de Trente ans et sa fin, pour l’Islam par le 11 septembre 2001 et le 7 octobre 2023.
RP, La Rochelle, AG de l’AJCF, 22 juin 2025
“Dialogue entre juifs et chrétiens à l’épreuve du 7 octobre”
Complément ici…
“Dialogue entre juifs et chrétiens à l’épreuve du 7 octobre”
Complément ici…
Notes
(1) Citations du journal L’Humanité, mai-juin 1948 : « La “Légion” transjordanienne. "contrôlée par les Anglais, attaque les villages juifs et démontre à Kvar-Izion que l'armée juive (la Haganah) n'est pas encore prête pour faire face effectivement aux forces mécanisées commandées par des officiers anglais. Il est clair, d'après la déclaration anglaise d'hier, qu'ayant introduit la Légion en Palestine, l'Angleterre renie sa promesse d'évacuer le pays. La Légion restera comme l'avant-garde de l'impérialisme britannique contre Israël. » (L'Humanité, 15 mai 1948, p. 3)
Le journal parle de « la lutte héroïque du peuple juif pour son indépendance et par l'aide de l'Union Soviétique et de toutes les forces démocratiques du monde. Mais cette lutte pour l'indépendance n'est pas encore terminée. Les armées anglaises restent sur le sol d'Israël et la Légion arabe attaque. Il nous faut mobiliser toutes les forces du peuple juif pour la lutte en faveur de sa liberté. » (L'Humanité, 15 mai 1948, p. 3)
« Les armées arabes ont attaqué l'État d'Israël dès son établissement, […] en dépit du fait qu'il a été créé sur la base des décisions prises par les Nations-Unies dont font partie plusieurs États arabes. L'action des États arabes ne saura être considérée autrement que comme une agression non provoquée, une atteinte aux droits légaux du peuple juif et une violation des principes mêmes de la Charte des Nations Unies. » (L'Humanité, 15 mai 1948, p. 3)
« Tel-Aviv, 22 mai. Les forces de la Haganah, encerclées dans le quartier juif de la vieille cité de Jérusalem, maintiennent leurs positions. Elles luttent dans des conditions très dures, sous le martèlement continu de l'artillerie [britannique] de Glubb Pacha. En raison de ces bombardements, qui affectent également la ville moderne, de nombreux quartiers de Jérusalem sont entièrement détruits. En plusieurs points, les unités juives, qui se trouvent dans la ville moderne, ont lancé des offensives visant à joindre les assiégés. Des combats se déroulent à proximité des portes de Damas et de Sion. […] Tel-Aviv a connu aujourd'hui cinq alertes et deux bombardements par les Spitfire égyptiens » (L'Humanité, 23 mai 1948, p. 3, titre : “Glubb Pacha s'acharne sur Jérusalem”)
« Si le sang continue de couler en Palestine, il est clair que Londres et Washington en portent la lourde responsabilité. » (L'Humanité, 27 mai 1948, p. 3 - signé René L'Hermitte)
« Tel-Aviv, 29 mai. - Un communiqué de la Haganah, publié hier soir, a annoncé qu'après de longs combats le quartier juif de la ville, la ville de Jérusalem avait été occupée par la Légion “arabe”. Mettant en action des blindés, les forces d'Israël, en provenance de Tel-Aviv, s'efforcent de délivrer les éléments encerclés dans la partie moderne de Jérusalem, elles se heurtent à une vive opposition de la part des troupes égyptiennes et iraniennes qui se sont installées à Latroun. Les troupes irakiennes auraient lancé une offensive en direction de la mer afin de couper Tel-Aviv de Haifa. » (L'Humanité, 29 mai 1948, p. 3)
« La création d'Israël a été réalisée en dépit de l'opposition acharnée de Londres et de Washington, Ce changement est le fruit de la lutte opiniâtre du peuple palestinien [i.e. juif] lui-même. Jamais le peuple ne fut plus ardemment épris de l'indépendance et plus résolu à vaincre. Mais il est également certain que beaucoup ici ne comprennent pas les graves difficultés de l'heure. » (L'Humanité, 1er juin 1948, p. 3)
« Les positions de la Légion arabe qui représente la force d'invasion la plus dangereuse parce la mieux équipée et la mieux commandée, sont devenues depuis hier plus vulnérables, en particulier dans le triangle Tulkarem-Jenin-Naplouse, où la Haganah s'est emparée de Zarin et d'autres points fortifiés commandant la route de Jenin. » (L'Humanité, 3 juin 1948, p. 3)
(2) Cf. Eva Illouz, Le 8-Octobre, généalogie d'une haine vertueuse, tracts Gallimard, 2024 ; Georges Bensoussan, Les Origines du conflit israélo-arabe (1870-1950), Que sais-je, 2023.
(3) Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, 1955, éd. Présence Africaine, 2004, p. 12-13.
(4) James Baldwin, La prochaine fois, le feu, 1963, éd. folio, p. 77
(5) Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, 1952, Points Seuil 2015 p. 118-119
(6) Cf. France-culture, Avec philosophie, série « Cent ans de Frantz Fanon : panser les plaies coloniales », épisode 3/4 : La violence : détruire la maison du maître (à 31 mn)
(7) René Girard, Achever Clausewitz (2007), Le livre de Poche, 2024
(8) La subversion/trahison de René Girard est remarquablement mise en lumière par l'article de Paul Leslie (“From Philosophy to Power: The Misuse of René Girard by Peter Thiel, J.D. Vance and the American Right”), ainsi que la subversion de nombreux autres philosophes, de Hobbes à Strauss. Dans tous les cas, tout est utilisé pour refuser les contre-pouvoirs. Typique, la subversion du “calvinisme” par le “méthodiste-calviniste” Hamerton-Kelly. Le péché originel (qui n’est pas une spécificité calvinienne) est utilisé pour refuser les contre-pouvoirs. Or, en calvinisme, il fonde au contraire la nécessité de contre-pouvoirs. La formule proposée à ce sujet par l’orthodoxie calvinienne des XVIe-XVIIe s. est “corruption totale extensive, mais non intensive”, ce qui signifie que tout ce qui fait l’humain est atteint par la corruption, mais que la corruption n’a en aucun cas tout détruit de quelque partie de que ce soit. Comment se corrige le problème en politique ? — par la mise en place systématique de contre-pouvoirs, ce que précisément refuse (comme le remarque justement Leslie) la galaxie Thiel / Hamerton-Kelly / Vance, qui suppose/sous-entend que le péché n’a pas atteint l’”élite” qui doit se substituer aux contre-pouvoirs libéraux de l’État de droit — "élite", à commencer par Carl Schmitt, et à continuer par Thiel / Vance.
(9) Cf. aussi, contre les positions islamistes actuelles dans le conflit avec Israël, Eliezer Cherki, "Pour résoudre ce conflit, il faut comprendre l'islam" — citant le Coran :
Dans la sourate Al-A'raf 7:137, concernant les enfants d’Israël : « Et les gens qui étaient opprimés (ou "considérés comme faibles", selon Ibn Kathir), Nous les avons fait hériter les contrées orientales et occidentales de la terre que Nous avons bénies [correspondant à la terre d'Israël]. Et la très belle promesse de ton Seigneur sur les enfants d'Israël s'accomplit pour prix de leur endurance. Et Nous avons détruit ce que faisaient Pharaon et son peuple, ainsi que ce qu'ils construisaient. »
Dans la sourate Al-Ma'ida 5:21, Moïse dit : « Ô mon peuple, entre dans la terre sainte [correspondant à la terre d'Israël] qu'Allah a décrété pour toi, et ne te rebelle pas à moins que tu ne deviennes perdant ». Mais Allah leur interdit ce pays pendant quarante ans « durant lesquels ils erreront sur la terre »
Dans la sourate Les poètes (verset 26:57-59), après que les enfants d'Israël sortirent d'Égypte, Allah leur donna en héritage « des jardins, des sources, des trésors et d'un lieu de séjour agréable » en terre d'Israël.
Dans la sourate Le voyage nocturne 17:104 « Et après lui, Nous dîmes aux fils d’Israël : Habitez la terre [correspondant à la terre d'Israël] et lorsque s’accomplira la promesse de la vie future, Nous vous ferons revenir en foule ».
Dans la sourate Yunus 10:93 « Certes, Nous avons établi les Enfants d'Israël dans un endroit honorable [correspondant à la terre d'Israël], et leur avons attribué comme nourriture de bons aliments. Par la suite, ils n'ont divergé qu'au moment où leur vint la science. Ton Seigneur décidera entre eux, au Jour de la Résurrection sur ce qui les divisait ».
Les exégèses (Tafsir) définissent la terre appartenant aux enfants d’Israël comme étant la région de la Palestine, comprenant parfois la Jordanie ainsi que parfois la région de Syrie en fonction des moufassirs.
(10) Ibn Hichâm, Sira, trad. Wahib Atallah, La biographie du Prophète Mahomet, éd. Fayard p. 277, chapitre « Le “jihad” contre les juifs… » — Sira, II, 240-241
(11) Ibn Hishâm, Sira, ibid., p. 315-317
(12) Aimé Césaire, Toussaint Louverture, La révolution Française et le problème colonial, Présence africaine, 1962
(13) Vincent Peillon, Jérusalem n'est pas perdue. La philosophie juive de Joseph Salvador et le judéo-républicanisme français, éd. du Bord de l'eau — citation sur France-culture, Talmudiques.
Le journal parle de « la lutte héroïque du peuple juif pour son indépendance et par l'aide de l'Union Soviétique et de toutes les forces démocratiques du monde. Mais cette lutte pour l'indépendance n'est pas encore terminée. Les armées anglaises restent sur le sol d'Israël et la Légion arabe attaque. Il nous faut mobiliser toutes les forces du peuple juif pour la lutte en faveur de sa liberté. » (L'Humanité, 15 mai 1948, p. 3)
« Les armées arabes ont attaqué l'État d'Israël dès son établissement, […] en dépit du fait qu'il a été créé sur la base des décisions prises par les Nations-Unies dont font partie plusieurs États arabes. L'action des États arabes ne saura être considérée autrement que comme une agression non provoquée, une atteinte aux droits légaux du peuple juif et une violation des principes mêmes de la Charte des Nations Unies. » (L'Humanité, 15 mai 1948, p. 3)
« Tel-Aviv, 22 mai. Les forces de la Haganah, encerclées dans le quartier juif de la vieille cité de Jérusalem, maintiennent leurs positions. Elles luttent dans des conditions très dures, sous le martèlement continu de l'artillerie [britannique] de Glubb Pacha. En raison de ces bombardements, qui affectent également la ville moderne, de nombreux quartiers de Jérusalem sont entièrement détruits. En plusieurs points, les unités juives, qui se trouvent dans la ville moderne, ont lancé des offensives visant à joindre les assiégés. Des combats se déroulent à proximité des portes de Damas et de Sion. […] Tel-Aviv a connu aujourd'hui cinq alertes et deux bombardements par les Spitfire égyptiens » (L'Humanité, 23 mai 1948, p. 3, titre : “Glubb Pacha s'acharne sur Jérusalem”)
« Si le sang continue de couler en Palestine, il est clair que Londres et Washington en portent la lourde responsabilité. » (L'Humanité, 27 mai 1948, p. 3 - signé René L'Hermitte)
« Tel-Aviv, 29 mai. - Un communiqué de la Haganah, publié hier soir, a annoncé qu'après de longs combats le quartier juif de la ville, la ville de Jérusalem avait été occupée par la Légion “arabe”. Mettant en action des blindés, les forces d'Israël, en provenance de Tel-Aviv, s'efforcent de délivrer les éléments encerclés dans la partie moderne de Jérusalem, elles se heurtent à une vive opposition de la part des troupes égyptiennes et iraniennes qui se sont installées à Latroun. Les troupes irakiennes auraient lancé une offensive en direction de la mer afin de couper Tel-Aviv de Haifa. » (L'Humanité, 29 mai 1948, p. 3)
« La création d'Israël a été réalisée en dépit de l'opposition acharnée de Londres et de Washington, Ce changement est le fruit de la lutte opiniâtre du peuple palestinien [i.e. juif] lui-même. Jamais le peuple ne fut plus ardemment épris de l'indépendance et plus résolu à vaincre. Mais il est également certain que beaucoup ici ne comprennent pas les graves difficultés de l'heure. » (L'Humanité, 1er juin 1948, p. 3)
« Les positions de la Légion arabe qui représente la force d'invasion la plus dangereuse parce la mieux équipée et la mieux commandée, sont devenues depuis hier plus vulnérables, en particulier dans le triangle Tulkarem-Jenin-Naplouse, où la Haganah s'est emparée de Zarin et d'autres points fortifiés commandant la route de Jenin. » (L'Humanité, 3 juin 1948, p. 3)
(2) Cf. Eva Illouz, Le 8-Octobre, généalogie d'une haine vertueuse, tracts Gallimard, 2024 ; Georges Bensoussan, Les Origines du conflit israélo-arabe (1870-1950), Que sais-je, 2023.
(3) Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, 1955, éd. Présence Africaine, 2004, p. 12-13.
(4) James Baldwin, La prochaine fois, le feu, 1963, éd. folio, p. 77
(5) Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, 1952, Points Seuil 2015 p. 118-119
(6) Cf. France-culture, Avec philosophie, série « Cent ans de Frantz Fanon : panser les plaies coloniales », épisode 3/4 : La violence : détruire la maison du maître (à 31 mn)
(7) René Girard, Achever Clausewitz (2007), Le livre de Poche, 2024
(8) La subversion/trahison de René Girard est remarquablement mise en lumière par l'article de Paul Leslie (“From Philosophy to Power: The Misuse of René Girard by Peter Thiel, J.D. Vance and the American Right”), ainsi que la subversion de nombreux autres philosophes, de Hobbes à Strauss. Dans tous les cas, tout est utilisé pour refuser les contre-pouvoirs. Typique, la subversion du “calvinisme” par le “méthodiste-calviniste” Hamerton-Kelly. Le péché originel (qui n’est pas une spécificité calvinienne) est utilisé pour refuser les contre-pouvoirs. Or, en calvinisme, il fonde au contraire la nécessité de contre-pouvoirs. La formule proposée à ce sujet par l’orthodoxie calvinienne des XVIe-XVIIe s. est “corruption totale extensive, mais non intensive”, ce qui signifie que tout ce qui fait l’humain est atteint par la corruption, mais que la corruption n’a en aucun cas tout détruit de quelque partie de que ce soit. Comment se corrige le problème en politique ? — par la mise en place systématique de contre-pouvoirs, ce que précisément refuse (comme le remarque justement Leslie) la galaxie Thiel / Hamerton-Kelly / Vance, qui suppose/sous-entend que le péché n’a pas atteint l’”élite” qui doit se substituer aux contre-pouvoirs libéraux de l’État de droit — "élite", à commencer par Carl Schmitt, et à continuer par Thiel / Vance.
(9) Cf. aussi, contre les positions islamistes actuelles dans le conflit avec Israël, Eliezer Cherki, "Pour résoudre ce conflit, il faut comprendre l'islam" — citant le Coran :
Dans la sourate Al-A'raf 7:137, concernant les enfants d’Israël : « Et les gens qui étaient opprimés (ou "considérés comme faibles", selon Ibn Kathir), Nous les avons fait hériter les contrées orientales et occidentales de la terre que Nous avons bénies [correspondant à la terre d'Israël]. Et la très belle promesse de ton Seigneur sur les enfants d'Israël s'accomplit pour prix de leur endurance. Et Nous avons détruit ce que faisaient Pharaon et son peuple, ainsi que ce qu'ils construisaient. »
Dans la sourate Al-Ma'ida 5:21, Moïse dit : « Ô mon peuple, entre dans la terre sainte [correspondant à la terre d'Israël] qu'Allah a décrété pour toi, et ne te rebelle pas à moins que tu ne deviennes perdant ». Mais Allah leur interdit ce pays pendant quarante ans « durant lesquels ils erreront sur la terre »
Dans la sourate Les poètes (verset 26:57-59), après que les enfants d'Israël sortirent d'Égypte, Allah leur donna en héritage « des jardins, des sources, des trésors et d'un lieu de séjour agréable » en terre d'Israël.
Dans la sourate Le voyage nocturne 17:104 « Et après lui, Nous dîmes aux fils d’Israël : Habitez la terre [correspondant à la terre d'Israël] et lorsque s’accomplira la promesse de la vie future, Nous vous ferons revenir en foule ».
Dans la sourate Yunus 10:93 « Certes, Nous avons établi les Enfants d'Israël dans un endroit honorable [correspondant à la terre d'Israël], et leur avons attribué comme nourriture de bons aliments. Par la suite, ils n'ont divergé qu'au moment où leur vint la science. Ton Seigneur décidera entre eux, au Jour de la Résurrection sur ce qui les divisait ».
Les exégèses (Tafsir) définissent la terre appartenant aux enfants d’Israël comme étant la région de la Palestine, comprenant parfois la Jordanie ainsi que parfois la région de Syrie en fonction des moufassirs.
(10) Ibn Hichâm, Sira, trad. Wahib Atallah, La biographie du Prophète Mahomet, éd. Fayard p. 277, chapitre « Le “jihad” contre les juifs… » — Sira, II, 240-241
(11) Ibn Hishâm, Sira, ibid., p. 315-317
(12) Aimé Césaire, Toussaint Louverture, La révolution Française et le problème colonial, Présence africaine, 1962
(13) Vincent Peillon, Jérusalem n'est pas perdue. La philosophie juive de Joseph Salvador et le judéo-républicanisme français, éd. du Bord de l'eau — citation sur France-culture, Talmudiques.