Introduction
« J’ai entendu à New-York le Grand Rabbin d’Argentine raconter l’histoire attribuée à Martin Buber : Quand, à la fin, le Messie rassemblera tous les peuples, nous aurons envie de lui poser la question : “étiez-vous déjà venu ?”. Mais, ajoutait Martin Buber, il ne me demandera sans doute pas conseil, mais s’il me le demandait, je lui conseillerais de ne pas répondre… » (Francis Deniau, “Ce que le christianisme peut apporter au judaïsme ?” p. 5-6)
« Si j'avais été un Juif, et avais vu de tels balourds et de tels crétins gouverner et professer la foi chrétienne, je serais plutôt devenu un cochon qu'un chrétien. Ils se sont conduits avec les Juifs comme s'ils étaient des chiens et non des êtres vivants ; ils n'ont fait guère plus que de les bafouer et saisir leurs biens. […]. Si les apôtres, qui aussi étaient juifs, s'étaient comportés avec nous, Gentils, comme nous Gentils nous nous comportons avec les Juifs, il n'y aurait eu aucun chrétien parmi les Gentils… » (Martin Luther, Que Jésus-Christ est né juif - 1523 -, trad. Walter I. Brandt.) Bienveillance ambiguë toutefois…
« Si nous vivions chrétiennement et si nous les amenions au Christ avec bienveillance, ce serait sans doute la bonne manière de faire. Qui aimerait devenir chrétien quand il voit les chrétiens se conduire si peu chrétiennement à l'égard des gens ? Non, chers chrétiens, pas ainsi ! Qu'on leur dise la vérité avec bienveillance ; et s'ils refusent, qu'on les laisse aller. » (Luther, Commentaire du Magnificat - 1521)
Puis, 20 ans après, on pourrait multiplier les citations épouvantables de Luther contre les juifs, du Luther âgé, comme dans son écrit, au titre éloquent, Des juifs et de leurs mensonges (1543). Changement de ton, grossièreté du propos ! Quand les spécialistes s’accordent à penser que sur la fin de sa vie, Luther a pu être victime d’accidents vasculaires cérébraux, qu’il y a là peut-être la cause de sa mort… Atteinte des lobes frontaux, faisant que la grossièreté, les excès et énormités apparaissent ?… tandis que la mémoire et les capacités intellectuelles ne sont pas atteintes — la logique intellectuelle, ici la logique antijuive, est déjà là : il ne s’agit pas d'accentuer le contraste entre le Luther d’avant et celui d’après. Il y a un antijudaïsme potentiel chez le Luther des années 1520, jeune et en bonne santé.
Au cœur du problème, le souci de voir les juifs venir au Christ… L’historien de l’Église Thomas Kaufmann résume cela en une phrase : « L’hostilité du Luther de la maturité a ses racines dans “l’amabilité” conditionnelle du Luther du début des années 1520. » (Les juifs de Luther, éd. Labor & Fides, p. 79). Cet antijudaïsme est ancré dans la conviction que mieux informés et mieux traités, les juifs devraient finalement reconnaître la messianité de Jésus. Là est le cœur du problème.
Un problème qui guette tous les chrétiens, jusque dans leur usage de l’héritage juif, jusque dans leur pratique des Psaumes. D’où la nécessité de commencer par le propos attribué à Martin Buber. Savoir avec humilité que la vocation juive à observer jusqu’à la fin du temps l’enseignement de la Torah et ses rites, à témoigner ainsi, contre le risque totalisant, du non-avènement, du “pas encore”, du Royaume de Dieu, est en lien avec la non-reconnaissance de la messianité de Jésus (qui porte pour les chrétiens le “déjà” du Royaume).
Luther, ne l'oublions pas, a fondé sa découverte réformatrice dans sa lecture chrétienne des Psaumes, qu’il était chargé d’enseigner. Aussi, gage d’humilité des chrétiens, il y a lieu de reconnaître que leur lecture des Psaumes, avec sa dimension christologique, n’est qu’une relecture possible d’un recueil liturgique qui est et reste d’abord le livre de prière d'Israël. Ainsi, pour donner un exemple, le Ps 22, prié par Jésus crucifié, ne parle pas d’abord du Christ. Jésus en croix, comme aurait fait tout fidèle, en fait une relecture, ouvrant le concernant sur la lecture christologique qui finira par oublier qu’elle est transposition d’un texte qui dit d’abord autre chose.
Les Psaumes
Recueil de prière (littéralement louanges — i.e. prières de louange), livre des prières communes, les Psaumes ont pour figure non unique mais centrale le roi David, comme Messie d'Israël, devant un archétype messianique idéal de lui-même (“Le SEIGNEUR a dit à mon Seigneur” - Ps 110, 1).
David n’est pas cohen, ni même lévite. En regard de l'institution sacerdotale du Temple où ils sont chantés, les Psaumes représentent donc une voix laïque — correspondant au terme “liturgie”, littéralement l'”œuvre du peuple”. David, laïc et non desservant du Temple, représente ainsi le peuple dans toutes ses composantes et tout ce qu’il est, élevant sa prière vers Dieu. Les Psaumes d’un roi capable de se repentir de ses fautes (cf. Ps 51), d’exprimer ses craintes et ses ressentiments devant Dieu (cf. Ps 139, 22), portent les mêmes sentiments et souffrances qui sont ceux de son peuple.
David, comme Messie d'Israël, devant un archétype messianique idéal de lui-même : ce sera un point d’entrée de la lecture christologique. Jésus reçu par les chrétiens comme manifestation dans le temps de cet archétype, selon sa reprise personnelle des Psaumes, comme fidèle juif, empreinte de sa pleine observance des préceptes, et de sa pleine communion avec Dieu.
Voilà donc un recueil liturgique, un livre de prières communes, un recueil liturgique chanté par tout le peuple, prié par tout le peuple, qui est dès lors ipso facto l’expression d’autant de prières individuelles, en lien avec la liturgie du Temple puis de la Synagogue — en un temps où, avant l’imprimerie, on n’a pas la Bible à la maison. Rencontre de la vie liturgique et de la vie individuelle dans des Psaumes que l’on finit par connaître par cœur. Apprentissage d’humilité aussi, ne prétendant pas tout inventer, ne prétendant pas non plus être plus aimant ou plus juste que le plus humain des humains, mais faisant siennes des prières qui ont la profondeur à même de nous faire répandre le tout de nos secrets devant Dieu — y compris les plus humains, y compris nos désirs de vengeance et les plus humains de nos ressentiments ainsi élevés et transfigurés devant Dieu.
Les Psaumes, recueil de prière des juifs, étant le recueil de prière du juif Jésus, on peut, comme chrétiens, franchir un pas de plus avec lui en quelque sorte : Jésus priant les Psaumes pose Israël peuple des Psaumes comme archétype de l’humanité réconciliée.
Le Christ priant les Psaumes nous rejoint au point de faire vraiment et sérieusement des prières emplies de paroles de repentance : avec les Psaumes, Jésus, qui, selon la foi chrétienne, n'a jamais commis le péché, se repent sérieusement en solidarité avec nous. Mais cela reste une lecture christologique, qui n’est qu’une des lectures des Psaumes.
En commun aux diverses lectures : les Psaumes sont des prières solidaires. Seul devant Dieu, je le suis en solidarité avec tout le peuple, avec toute l’humanité.
« Le livre des Psaumes a été ainsi dénommé en raison d’une traduction trop littérale du grec Biblos Psalmôn et du latin Liber Psalmorum. En grec, psalmos désigne un air joué sur l’instrument à cordes appelé psaltérion. Ainsi les versions ont-elles donné au contenu du recueil dont nous parlons un nom évoquant la manière dont ses éléments peuvent être chantés, plutôt que la nature même de ceux-ci. L’hébreu, lui, dit Tehilîm, mot qui dérive de la racine hll, louanger ; […] mot splendide, mot rempli d’un contenu émotionnel certain, bien fait pour désigner des poèmes tout orientés vers la louange de IHVH-Adonaï » (André Chouraqui).
Un recueil liturgique communautaire, chanté, utilisé depuis des millénaires par les juifs puis les chrétiens, même chez les plus réservés parmi ces derniers à l’égard de l’usage de la musique — les Églises latines notamment ont été d'abord très réservées. (« Comment chanterions-nous les cantiques du Seigneur sur une terre étrangère ? » / en un temps d'exil — Ps 137, 4)
Parmi ces latins, Augustin, réservé lui-même quant à la musique, relate un événement capital pour l'histoire de la musique (Confessions IX, VII) : Ambroise de Milan, écrit Augustin, était est dans une église avec ses fidèles : « Pour empêcher que le peuple ne s'ennuyât […], on ordonna qu'on chanterait des psaumes et des hymnes selon l'usage de l’Église d'Orient ». Quelques années avant, des œuvres poétiques versifiées en langue vernaculaire, pourvues d'une mélodie syllabique (une note par syllabe) identique pour toutes les strophes, les hymnes étaient utilisées à Poitiers par Hilaire, depuis son retour d'exil oriental (vers 356).
Il ne s’agit pas forcément des Psaumes uniquement. Mais, poèmes bibliques, les Psaumes finiront par convaincre les plus réservés, jusqu'à ceux qui s'y limiteront.
Les chants sont alors autant de reprises de traditions antécédentes qui (en un temps où les modifications diverses ne sont pas aussi prisées que de nos jours) permettent de considérer que le type de mélodies qui évoluent du chant grégorien aux premiers chants polyphoniques de la Renaissance ne sont peut-être pas si éloignées de ce qu’il en est dans le judaïsme antique héritier des liturgies du Premier Temple de Jérusalem…
On retrouve la réserve d’Augustin chez le Réformateur Zwingli, qui se distancie de Luther — lequel opte pour l’usage des mélodies populaires pour porter la louange de Dieu. Calvin, entre les deux, est à l’origine du Psautier genevois — il écrit : « les Psaumes du prophète David, comme l’écrivait Tertullien, [sont] plus sûrs que les improvisations », à tout le moins extra-ecclésiales (cela dans la ligne de pensée de Calvin, plaçant l’Ancien Testament au même niveau que le Nouveau et considérant que l'alliance avec Israël n’a jamais été abrogée). De fait, le Psautier est resté pour deux siècles le seul recueil de chants des Églises réformées en France, tellement identifié au protestantisme qu’il en viendra à être interdit sous l'Ancien Régime.
Des Psaumes avant tout pour la tradition réformée/calvinienne, puis on trouvera aussi des hymnes, dans la mesure où ils entrent dans le chant liturgique commun, étant appelés à porter la théologie ecclésiale… Perspective héritée via Luther et que l'on retrouve, de l’anglicanisme au méthodisme, grand pourvoyeur de chants s’ajoutant aux Psaumes dans nos recueils de cantiques modernes — qui sont au départ, comme une continuation du Psautier.
Le Ps 19 ou lire la Création en regard de la Torah
“De la Création à la Torah”, tel pourrait être le titre du Ps 19, ou peut-être plutôt : “de la Torah à la Création”, tant la Création en louange du début du Psaume relève de la Création, de la nature relue comme Création à la lumière de la Torah.
Le concept divin reçu dans le mot pluriel Elohim n’est a priori pas chanté par les cieux ni par le firmament. D’emblée (v. 2), le Psaume a laissé le pluriel : c’est El dont la gloire est célébrée par la Création ainsi sonnée par le Psaume : la nature est Création : postulat biblique. La nature, mot latin qui connote naissance, devenir, doit sa naissance, son devenir, à son Créateur. La Création, elle, est célébrante.
Elle parle — le jour en prodigue au jour le récit, La nuit en donne connaissance à la nuit (v. 3) — mais sans mots, sans sons (v. 4), un langage silencieux, au-delà de la parole qui sourd de la bouche de son Créateur, qui nous est donnée dans sa Torah.
Cette louange qui parcourt l’univers est symbolisée par l’effet du soleil, le soleil, sa chaleur, sa lumière, sa course (v. 5-7), symbolise par son unicité le Dieu unique, El. On pense à Akhenaton, fondant un cosmothéisme en Égypte, monothéisme solaire dont on admet à tort que le Dieu est le disque solaire, qu’il ne fait probablement que symboliser par son rayonnement visible (selon l’hymne d'Akhetaton, Aton fait germer les enfants au sein des femmes – que l’on sache, le soleil n’y a pas accès !). Symbolique d’un Dieu qui ne fait que s’y symboliser.
Il en est presque pareil dans notre Psaume. Je dis presque pareil, parce que le Dieu unique qui y est célébré, n’est pas que la clef de voûte de l’univers : c’est le silence qui le célèbre. On pense à la distinction que signale Jankélévitch, après d’autres, entre transcendance relative et transcendance absolue, celle qui ressort de la révélation du nom de Dieu en Exode 3 : un Dieu inaccessible, au-delà de tout nom qui se puisse nommer. Non seulement au-delà d’un monothéisme de l'immanence, mais au-delà de la transcendance relative d’un Dieu nommé.
Or, cela relève de l'enseignement de la Torah, qui fait “revenir l’âme” (v. 8), de la nature à la Création, ses mitsvot “éclairant les yeux” (v. 8) en "réjouissant le cœur” (v. 9) — à savoir le siège de l’intelligence (v. 10).
On passe ainsi au-delà du fruit passager de la terre, l’or, ou de la douceur du miel (v. 11).
La visée ouverte par la Torah est au-delà, elle libère de la nature, faisant sortir de Mitsraïm celui, celle, qui la reçoit. Ici ce n’est pas d'Égypte (le mot Égypte est positif), mais de Mitsraïm (exiguïté) que sort le serviteur, ”ton serviteur” (v. 12) — littéralement esclave, allusion à la sortie de l'exiguïté, de toute exiguïté (Mitsraïm) d’un serviteur captif de ses fautes (v. 13), captif des orgueilleux (v. 14). La Torah de la sortie de la captivité en fait un louangeur de sa bouche, un célébrant silencieux du cœur devant la face de celui qui le rachète (v. 15), comme il rachète la nature qu’il révèle ainsi comme sa Création…
« J’ai entendu à New-York le Grand Rabbin d’Argentine raconter l’histoire attribuée à Martin Buber : Quand, à la fin, le Messie rassemblera tous les peuples, nous aurons envie de lui poser la question : “étiez-vous déjà venu ?”. Mais, ajoutait Martin Buber, il ne me demandera sans doute pas conseil, mais s’il me le demandait, je lui conseillerais de ne pas répondre… » (Francis Deniau, “Ce que le christianisme peut apporter au judaïsme ?” p. 5-6)
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« Si j'avais été un Juif, et avais vu de tels balourds et de tels crétins gouverner et professer la foi chrétienne, je serais plutôt devenu un cochon qu'un chrétien. Ils se sont conduits avec les Juifs comme s'ils étaient des chiens et non des êtres vivants ; ils n'ont fait guère plus que de les bafouer et saisir leurs biens. […]. Si les apôtres, qui aussi étaient juifs, s'étaient comportés avec nous, Gentils, comme nous Gentils nous nous comportons avec les Juifs, il n'y aurait eu aucun chrétien parmi les Gentils… » (Martin Luther, Que Jésus-Christ est né juif - 1523 -, trad. Walter I. Brandt.) Bienveillance ambiguë toutefois…
« Si nous vivions chrétiennement et si nous les amenions au Christ avec bienveillance, ce serait sans doute la bonne manière de faire. Qui aimerait devenir chrétien quand il voit les chrétiens se conduire si peu chrétiennement à l'égard des gens ? Non, chers chrétiens, pas ainsi ! Qu'on leur dise la vérité avec bienveillance ; et s'ils refusent, qu'on les laisse aller. » (Luther, Commentaire du Magnificat - 1521)
Puis, 20 ans après, on pourrait multiplier les citations épouvantables de Luther contre les juifs, du Luther âgé, comme dans son écrit, au titre éloquent, Des juifs et de leurs mensonges (1543). Changement de ton, grossièreté du propos ! Quand les spécialistes s’accordent à penser que sur la fin de sa vie, Luther a pu être victime d’accidents vasculaires cérébraux, qu’il y a là peut-être la cause de sa mort… Atteinte des lobes frontaux, faisant que la grossièreté, les excès et énormités apparaissent ?… tandis que la mémoire et les capacités intellectuelles ne sont pas atteintes — la logique intellectuelle, ici la logique antijuive, est déjà là : il ne s’agit pas d'accentuer le contraste entre le Luther d’avant et celui d’après. Il y a un antijudaïsme potentiel chez le Luther des années 1520, jeune et en bonne santé.
Au cœur du problème, le souci de voir les juifs venir au Christ… L’historien de l’Église Thomas Kaufmann résume cela en une phrase : « L’hostilité du Luther de la maturité a ses racines dans “l’amabilité” conditionnelle du Luther du début des années 1520. » (Les juifs de Luther, éd. Labor & Fides, p. 79). Cet antijudaïsme est ancré dans la conviction que mieux informés et mieux traités, les juifs devraient finalement reconnaître la messianité de Jésus. Là est le cœur du problème.
Un problème qui guette tous les chrétiens, jusque dans leur usage de l’héritage juif, jusque dans leur pratique des Psaumes. D’où la nécessité de commencer par le propos attribué à Martin Buber. Savoir avec humilité que la vocation juive à observer jusqu’à la fin du temps l’enseignement de la Torah et ses rites, à témoigner ainsi, contre le risque totalisant, du non-avènement, du “pas encore”, du Royaume de Dieu, est en lien avec la non-reconnaissance de la messianité de Jésus (qui porte pour les chrétiens le “déjà” du Royaume).
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Luther, ne l'oublions pas, a fondé sa découverte réformatrice dans sa lecture chrétienne des Psaumes, qu’il était chargé d’enseigner. Aussi, gage d’humilité des chrétiens, il y a lieu de reconnaître que leur lecture des Psaumes, avec sa dimension christologique, n’est qu’une relecture possible d’un recueil liturgique qui est et reste d’abord le livre de prière d'Israël. Ainsi, pour donner un exemple, le Ps 22, prié par Jésus crucifié, ne parle pas d’abord du Christ. Jésus en croix, comme aurait fait tout fidèle, en fait une relecture, ouvrant le concernant sur la lecture christologique qui finira par oublier qu’elle est transposition d’un texte qui dit d’abord autre chose.
Les Psaumes
Recueil de prière (littéralement louanges — i.e. prières de louange), livre des prières communes, les Psaumes ont pour figure non unique mais centrale le roi David, comme Messie d'Israël, devant un archétype messianique idéal de lui-même (“Le SEIGNEUR a dit à mon Seigneur” - Ps 110, 1).
David n’est pas cohen, ni même lévite. En regard de l'institution sacerdotale du Temple où ils sont chantés, les Psaumes représentent donc une voix laïque — correspondant au terme “liturgie”, littéralement l'”œuvre du peuple”. David, laïc et non desservant du Temple, représente ainsi le peuple dans toutes ses composantes et tout ce qu’il est, élevant sa prière vers Dieu. Les Psaumes d’un roi capable de se repentir de ses fautes (cf. Ps 51), d’exprimer ses craintes et ses ressentiments devant Dieu (cf. Ps 139, 22), portent les mêmes sentiments et souffrances qui sont ceux de son peuple.
David, comme Messie d'Israël, devant un archétype messianique idéal de lui-même : ce sera un point d’entrée de la lecture christologique. Jésus reçu par les chrétiens comme manifestation dans le temps de cet archétype, selon sa reprise personnelle des Psaumes, comme fidèle juif, empreinte de sa pleine observance des préceptes, et de sa pleine communion avec Dieu.
Voilà donc un recueil liturgique, un livre de prières communes, un recueil liturgique chanté par tout le peuple, prié par tout le peuple, qui est dès lors ipso facto l’expression d’autant de prières individuelles, en lien avec la liturgie du Temple puis de la Synagogue — en un temps où, avant l’imprimerie, on n’a pas la Bible à la maison. Rencontre de la vie liturgique et de la vie individuelle dans des Psaumes que l’on finit par connaître par cœur. Apprentissage d’humilité aussi, ne prétendant pas tout inventer, ne prétendant pas non plus être plus aimant ou plus juste que le plus humain des humains, mais faisant siennes des prières qui ont la profondeur à même de nous faire répandre le tout de nos secrets devant Dieu — y compris les plus humains, y compris nos désirs de vengeance et les plus humains de nos ressentiments ainsi élevés et transfigurés devant Dieu.
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Les Psaumes, recueil de prière des juifs, étant le recueil de prière du juif Jésus, on peut, comme chrétiens, franchir un pas de plus avec lui en quelque sorte : Jésus priant les Psaumes pose Israël peuple des Psaumes comme archétype de l’humanité réconciliée.
Le Christ priant les Psaumes nous rejoint au point de faire vraiment et sérieusement des prières emplies de paroles de repentance : avec les Psaumes, Jésus, qui, selon la foi chrétienne, n'a jamais commis le péché, se repent sérieusement en solidarité avec nous. Mais cela reste une lecture christologique, qui n’est qu’une des lectures des Psaumes.
En commun aux diverses lectures : les Psaumes sont des prières solidaires. Seul devant Dieu, je le suis en solidarité avec tout le peuple, avec toute l’humanité.
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« Le livre des Psaumes a été ainsi dénommé en raison d’une traduction trop littérale du grec Biblos Psalmôn et du latin Liber Psalmorum. En grec, psalmos désigne un air joué sur l’instrument à cordes appelé psaltérion. Ainsi les versions ont-elles donné au contenu du recueil dont nous parlons un nom évoquant la manière dont ses éléments peuvent être chantés, plutôt que la nature même de ceux-ci. L’hébreu, lui, dit Tehilîm, mot qui dérive de la racine hll, louanger ; […] mot splendide, mot rempli d’un contenu émotionnel certain, bien fait pour désigner des poèmes tout orientés vers la louange de IHVH-Adonaï » (André Chouraqui).
Un recueil liturgique communautaire, chanté, utilisé depuis des millénaires par les juifs puis les chrétiens, même chez les plus réservés parmi ces derniers à l’égard de l’usage de la musique — les Églises latines notamment ont été d'abord très réservées. (« Comment chanterions-nous les cantiques du Seigneur sur une terre étrangère ? » / en un temps d'exil — Ps 137, 4)
Parmi ces latins, Augustin, réservé lui-même quant à la musique, relate un événement capital pour l'histoire de la musique (Confessions IX, VII) : Ambroise de Milan, écrit Augustin, était est dans une église avec ses fidèles : « Pour empêcher que le peuple ne s'ennuyât […], on ordonna qu'on chanterait des psaumes et des hymnes selon l'usage de l’Église d'Orient ». Quelques années avant, des œuvres poétiques versifiées en langue vernaculaire, pourvues d'une mélodie syllabique (une note par syllabe) identique pour toutes les strophes, les hymnes étaient utilisées à Poitiers par Hilaire, depuis son retour d'exil oriental (vers 356).
Il ne s’agit pas forcément des Psaumes uniquement. Mais, poèmes bibliques, les Psaumes finiront par convaincre les plus réservés, jusqu'à ceux qui s'y limiteront.
Les chants sont alors autant de reprises de traditions antécédentes qui (en un temps où les modifications diverses ne sont pas aussi prisées que de nos jours) permettent de considérer que le type de mélodies qui évoluent du chant grégorien aux premiers chants polyphoniques de la Renaissance ne sont peut-être pas si éloignées de ce qu’il en est dans le judaïsme antique héritier des liturgies du Premier Temple de Jérusalem…
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On retrouve la réserve d’Augustin chez le Réformateur Zwingli, qui se distancie de Luther — lequel opte pour l’usage des mélodies populaires pour porter la louange de Dieu. Calvin, entre les deux, est à l’origine du Psautier genevois — il écrit : « les Psaumes du prophète David, comme l’écrivait Tertullien, [sont] plus sûrs que les improvisations », à tout le moins extra-ecclésiales (cela dans la ligne de pensée de Calvin, plaçant l’Ancien Testament au même niveau que le Nouveau et considérant que l'alliance avec Israël n’a jamais été abrogée). De fait, le Psautier est resté pour deux siècles le seul recueil de chants des Églises réformées en France, tellement identifié au protestantisme qu’il en viendra à être interdit sous l'Ancien Régime.
Des Psaumes avant tout pour la tradition réformée/calvinienne, puis on trouvera aussi des hymnes, dans la mesure où ils entrent dans le chant liturgique commun, étant appelés à porter la théologie ecclésiale… Perspective héritée via Luther et que l'on retrouve, de l’anglicanisme au méthodisme, grand pourvoyeur de chants s’ajoutant aux Psaumes dans nos recueils de cantiques modernes — qui sont au départ, comme une continuation du Psautier.
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Le Ps 19 ou lire la Création en regard de la Torah
“De la Création à la Torah”, tel pourrait être le titre du Ps 19, ou peut-être plutôt : “de la Torah à la Création”, tant la Création en louange du début du Psaume relève de la Création, de la nature relue comme Création à la lumière de la Torah.
Le concept divin reçu dans le mot pluriel Elohim n’est a priori pas chanté par les cieux ni par le firmament. D’emblée (v. 2), le Psaume a laissé le pluriel : c’est El dont la gloire est célébrée par la Création ainsi sonnée par le Psaume : la nature est Création : postulat biblique. La nature, mot latin qui connote naissance, devenir, doit sa naissance, son devenir, à son Créateur. La Création, elle, est célébrante.
Elle parle — le jour en prodigue au jour le récit, La nuit en donne connaissance à la nuit (v. 3) — mais sans mots, sans sons (v. 4), un langage silencieux, au-delà de la parole qui sourd de la bouche de son Créateur, qui nous est donnée dans sa Torah.
Cette louange qui parcourt l’univers est symbolisée par l’effet du soleil, le soleil, sa chaleur, sa lumière, sa course (v. 5-7), symbolise par son unicité le Dieu unique, El. On pense à Akhenaton, fondant un cosmothéisme en Égypte, monothéisme solaire dont on admet à tort que le Dieu est le disque solaire, qu’il ne fait probablement que symboliser par son rayonnement visible (selon l’hymne d'Akhetaton, Aton fait germer les enfants au sein des femmes – que l’on sache, le soleil n’y a pas accès !). Symbolique d’un Dieu qui ne fait que s’y symboliser.
Il en est presque pareil dans notre Psaume. Je dis presque pareil, parce que le Dieu unique qui y est célébré, n’est pas que la clef de voûte de l’univers : c’est le silence qui le célèbre. On pense à la distinction que signale Jankélévitch, après d’autres, entre transcendance relative et transcendance absolue, celle qui ressort de la révélation du nom de Dieu en Exode 3 : un Dieu inaccessible, au-delà de tout nom qui se puisse nommer. Non seulement au-delà d’un monothéisme de l'immanence, mais au-delà de la transcendance relative d’un Dieu nommé.
Or, cela relève de l'enseignement de la Torah, qui fait “revenir l’âme” (v. 8), de la nature à la Création, ses mitsvot “éclairant les yeux” (v. 8) en "réjouissant le cœur” (v. 9) — à savoir le siège de l’intelligence (v. 10).
On passe ainsi au-delà du fruit passager de la terre, l’or, ou de la douceur du miel (v. 11).
La visée ouverte par la Torah est au-delà, elle libère de la nature, faisant sortir de Mitsraïm celui, celle, qui la reçoit. Ici ce n’est pas d'Égypte (le mot Égypte est positif), mais de Mitsraïm (exiguïté) que sort le serviteur, ”ton serviteur” (v. 12) — littéralement esclave, allusion à la sortie de l'exiguïté, de toute exiguïté (Mitsraïm) d’un serviteur captif de ses fautes (v. 13), captif des orgueilleux (v. 14). La Torah de la sortie de la captivité en fait un louangeur de sa bouche, un célébrant silencieux du cœur devant la face de celui qui le rachète (v. 15), comme il rachète la nature qu’il révèle ainsi comme sa Création…
R. Poupin, La Rochelle, 1-2.09.22
Juifs, catholiques et protestants
Regards croisés sur des textes bibliques
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