Exode 3, 13-15a
13 Moïse dit à Dieu : « Voici ! Je vais aller vers les fils d’Israël et je leur dirai : Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous. S’ils me disent : Quel est son nom ? – que leur dirai-je ? »
14 Dieu dit à Moïse : Je serai qui je serai. Et il ajouta : C'est ainsi que tu répondras aux Israélites : « “Je serai” m'a envoyé vers vous. »
15 Dieu dit encore à Moïse : Tu diras aux Israélites : « C'est le Seigneur (YHWH), le Dieu de vos pères, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob, qui m'a envoyé vers vous. »
Luc 20, 37-38
37 Et que les morts doivent ressusciter, Moïse lui-même l'a indiqué dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob.
38 Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants, car tous sont vivants pour lui. »
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Par ces mots, Jésus reprend à son compte l’argument lisant la résurrection dans les mots de l'Exode, lecture dont on sait qu’elle est aussi celle de la tradition juive : on la retrouve dans le Talmud. S'y résume la certitude que tout repose sur la réalité efficace de la Parole de Dieu, la force créatrice de sa Parole, qui « ne retourne pas à lui sans effet ». La Torah est reçue comme Parole de Dieu. Dieu y nomme les patriarches. Ainsi lorsqu’il nomme Abraham, Isaac et Jacob, qui plus est en les liant à sa présence — « Je serai » —, il les situe dans sa propre éternité ; sa Parole éternelle sur eux les place au-dessus de leur quotidien, elle les place d’emblée dans l’éternité de Dieu : Dieu est éternel, en les nommant, ils les a nommés dans l’éternité, ils sont donc eux aussi dans l’éternité.
« Je serai » a dit le Dieu d'éternité, qui se présente comme le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob. À Moïse lui demandant son nom, il le dévoile comme promesse : « Je serai », quoiqu'il arrive. Écho dans les mots du Ressuscité à chacun de nous : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du temps » (Mt 28, 20b).
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Notre vie éternelle est fondée dans la Parole par laquelle Dieu nous nomme, dans regard qu'il porte sur nous, et qui nous arrache aux méandres d'un quotidien grisâtre. Promesse d'amour d'un Dieu révélé déjà comme amour au buisson ardent, c'est là son être-même, promesse redonnée par Jésus, « car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jn 3, 16). Je serai avec toi comme parole devenue chair pour toi, quoiqu'il arrive. Même si mon souvenir se perd dans la brume de ta mémoire, de ton esprit, de tes mots en défaut, moi, Dieu d'éternité, je me souviens (c'est au cœur du passage de l'Exode). Dieu d'éternité, Je serai avec toi.
C'est pourquoi « ceux qui ont part au monde à venir… ne peuvent plus mourir », vient de dire Jésus juste avant (Lc 20, 35-36). Et ce dès aujourd'hui : car ces mots de Jésus dans Luc, rendus souvent au futur en français, sont au présent : « les fils — et filles — de la résurrection sont semblables aux anges, ne se marient pas, et ne peuvent pas mourir ». Étrange, pourra-t-on dire : le célibat serait-il la condition de la résurrection ? Voire que ceux qui s’y conforment ne mourront pas ?
La réponse est celle qu'on retrouve chez Paul lorsqu’il dit : que ceux qui se marient soient comme s’ils ne l’étaient pas, ceux qui pleurent comme s’ils ne pleuraient pas — il s’agit aussi des pleurs du deuil, de la mort. Voilà ce qu'il en est de la vie chrétienne. Elle situe ceux qui sont en Christ au-delà de réalités auxquelles ils ont pourtant part ; au-delà des réjouissances et des biens ; même, pour ceux qui y ont part, au-delà des réalités matrimoniales, signe d'amour, remarquable, signe seulement, pourtant, de l'amour éternel qui promet : Je serai avec toi, au-delà des réjouissances, donc ; au-delà aussi de la douleur de la mort — au-delà d’un monde qui passe (cf. 1 Co 7, 29-31). Parce que la vie de résurrection a pris place dès aujourd’hui, nous sommes appelés à entrer dès aujourd’hui dans la vie de l’éternité.
C’est là une consolation d’autant plus considérable que nos soucis sont nombreux. Une part de nous-mêmes, le cœur de nos êtres en fait, est appelée à s’en détacher, ce qui ne les élimine pas, bien sûr, mais qui permet de savoir que l’on ne se confond pas avec ses soucis, ses chagrins, ses douleurs.
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C'est pourquoi, en tout cela, promet Jésus, « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je ne vous donne pas comme le monde donne. Que votre cœur ne se trouble point, et ne s’alarme point » (Jn 14, 27). Notre vraie réalité est cachée en Dieu, sa promesse est toujours là, notre vie devant Dieu y reçoit toute sa valeur, cachée aux yeux du monde, mais infinie, éternelle, indestructible.
Cela dès aujourd'hui. Car la résurrection n'est nullement une négation de la vie de ce bas monde au profit d'un monde à venir qui n'en serait que la prolongation et le substitut, voire facilement un prétexte à ne pas vivre pleinement ici-bas.
Les fils — et filles — de la résurrection ne se marient pas (au présent). Sachant par ailleurs que Jésus n'interdit pas le mariage, on découvre que l'on est ici fort proche du message de l'Ecclésiaste, en ce qui concerne la vie en ce monde. C'est l'Apôtre Paul, dans le passage de 1 Corinthiens que nous avons considéré, qui nous a fourni cette lumière. Vivant dans la réalité de la résurrection où nous sommes dégagés des lourdeurs du quotidien, il s’agit de vivre ce quotidien comme y étant étrangers : « accomplis dans la certitude que cela est passager, ce qui ne se fait que de ce côté-ci du ciel, sous le soleil ». Car la résurrection n'est pas un retour de notre vie passagère, mais un passage dans une ouverture qui en nous dégage en lui donnant sa plénitude, dès aujourd'hui.
C'est de la sorte que la perspective de la résurrection nous délivre des filets de la mort, dès aujourd'hui : car Dieu est le Dieu des vivants, dans la promesse de la résurrection dès notre aujourd'hui qui se rachète au présent de la vie éternelle.
R.P., 4/11/19
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