Habacuc 1, 2-3 & 2, 1-4 ; Psaume 95 ; 2 Timothée 1, 6-14 ; Luc 17, 5-10
Luc 17, 5-10
« Augmente en nous la foi », ont demandé les disciples. Réponse de Jésus : « Si vraiment vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à ce mûrier : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous obéirait. »
La tentation est forte chez les commentateurs de ce texte de ne pas voir de rapport entre d’un côté cette affirmation de Jésus sur la foi et cet arbre qui obéit et se plante dans la mer ; et de l’autre côté la petite histoire sur le serviteur (ou esclave) inutile, selon l’usage le plus courant du mot — plutôt que juste quelconque.
Et si cette petite histoire de serviteur était une explication faisant suite à la question des disciples à propos de leur foi ? question qui elle-même suit un enseignement de Jésus pour le moins troublant ! C’est juste avant : « Si ton frère vient à t’offenser, reprends-le ; et s’il se repent, pardonne-lui. Et si sept fois le jour il t’offense et que sept fois il revienne à toi en disant : “Je me repens”, tu lui pardonneras. »
Reprenons en 4 points :
1) Jésus aux disciples : Pardonnez sans mesure.
2) Les apôtres à Jésus : Alors, « augmente en nous la foi » : il y en a besoin pour pardonner de la sorte.
3) Réponse de Jésus : En effet, le pouvoir de la foi est tel qu’il offre la capacité de pardonner… sachant qu’il permet même de déraciner les arbres et de les enraciner ailleurs (et carrément dans la mer !), à votre seul ordre ! Bref, la foi permet de faire des choses impossibles.
4) Explication : le serviteur inutile.
Mais alors, me direz-vous, si c’est bien là une explication, quel rapport ? Les deux aspects sembleraient presque inverse : chose impossible d’un côté ; service banal, au point d’en être inutile, de l’autre…
Eh bien, je propose de voir le rapport entre les deux aspects précisément dans l’inutilité. Je vous le demande : à quoi ça sert de déraciner les arbres et de les planter dans la mer ? Quelle utilité de mettre en œuvre la foi pour ce qui a tout d’une vaine démonstration de performances : déraciner un arbre pour le voir se planter dans la mer ! Ça ne sert à rien ! Ici j’entends même une sourde protestation : pire, c’est nuisible !
Mais laissons le côté nuisible et tenons-nous pour l’instant à l’inutilité d’une telle performance de la foi.
Inutile. Comme le serviteur de la petite histoire, selon l’injonction finale de Jésus : « dites : “Nous sommes des serviteurs inutiles.” » On pense à une formule commune des cours d’école d’aujourd’hui, insulte sans appel : « tu sers à rien » !
(Venons-en à ce qu’il en est pour aujourd’hui.)
« Ce jeune homme [qui vient de terminer ses études de théologie, puis son stage en paroisse] cherche d'abord… on aurait attendu "le Royaume de Dieu" (Mt 6, 33) — mais non : il cherche d'abord une paroisse. […] Il déploie beaucoup d'ingéniosité dans ses recherches qui, à la fin, sont couronnées de succès. Entre temps, il s'est fiancé et tout lui sourit jusqu'à ce qu'il se rende compte que les avantages attachés à cette paroisse sont nettement inférieurs à ce qui était prévu. Très ennuyé, il se demande s'il ne faut pas retirer sa candidature, mais sur le conseil d'un ami, il acquiesce devant l'inévitable. Le jour de son ordination, le pasteur qui préside la cérémonie parle à partir des paroles de l’apôtre Pierre à Jésus : "Nous avons tout laissé et nous t’avons suivi" (Mt 19, 27). Puis le nouveau pasteur monte en chaire pour dire quelques mots sur le texte du jour : "Cherchez d’abord le Royaume de Dieu" — à la plus grande satisfaction du président de région, présent pour l’occasion ! » (Adapté de Søren Kierkegaard, in L’Instant, Œuvres complètes XIX, 226-227.)
Kierkegaard donne ici sans doute, à travers l’ironie mordante de son propos, la raison pour laquelle il n’est jamais devenu pasteur. (Pas pasteur, certes, mais prophète, sans doute.)
Raison à mettre en parallèle avec la raison pour laquelle il ne s’est pas marié, rompant même ses fiançailles avec sa Régine, à laquelle son cœur est toujours resté attaché : il lui a dédié toute son œuvre. Mais il n’a peut-être pas voulu lui infliger de partager les souffrances que, il le savait, lui vaudrait son témoignage prophétique.
Toujours est-il que Kierkegaard attribue son non-engagement dans le mariage à ce qu’il appelle son « manque de foi » — c’est lui qui le dit ! Parole d’un vrai prophète en fait, qui vaut sans doute aussi pour son non-engagement dans le ministère pastoral ; parole de prophète, qui comme les prophètes bibliques — pensons, entre autres, à Jérémie ou à Ézéchiel — vit dans sa chair le témoignage d’un manque qui est celui de nous tous.
Une grande humilité qui est celle de la foi, plus grande que les déracinements d’arbres ! « Augmente en nous la foi », ont demandé les disciples… Réponse de Jésus : « dites : nous sommes des serviteurs inutiles »…
La foi s’avère alors être simplement ce qui permet de faire ce qui nous est confié, tout en mesurant le décalage entre un vécu souvent bien terne, pas à la mesure, mesquin même (éventuellement attendant des compensations comme peut-être le serviteur de la parabole, ou celui qui nous ressemble tant, le candidat pasteur de l’histoire de Kierkegaard !) : la foi est ce don miraculeux (plus que les déracinements d’arbres) qui permet de dire : nous sommes des serviteurs inutiles, pas à la mesure, et de faire quand même ce qui nous est demandé — pasteur par exemple (puisqu’on n’est pas tous pasteurs, comme on n’est pas tous prophètes ou apôtres — cf. 1 Co 12, 29).
Dans tous les cas, la leçon est d’entrer dans l’humilité de ce que Kierkegaard appelle un « chevalier de la foi » ; ce qui consiste à vivre de façon intime dans la présence de Dieu, d’une façon qui ne se voit pas, et qui n’attend pas autre chose. Chevalier, i.e. combattant, combattant secret, combattant spirituel, devant Dieu seul — chevalier invisible comme tel : ne se voit qu’un être quelconque, serviteur inutile.
Quiconque croit au spectaculaire et à l’utile supposé ne voit pas qu’il y a là un danger pour la foi ! Au jour, où, parce que c’est censé être économiquement utile, on arrache des arbres en Amazonie et ailleurs, avec l’approbation aveugle d’autoproclamés faiseurs de miracles spectaculaires, qui approuvent les déracineurs d’arbres agissant au nom du dieu Mamon… Ce qui semble utile, qui semble servir à quelque chose économiquement, peut bien, au regard de la foi et de la vie, s’avérer nuisible. Des autoproclamés faiseurs de miracles qui se croient tout sauf inutiles ! Les miracles bibliques, eux, témoignent de la réalité d’un autre monde, de nouveaux cieux et d’une nouvelle terre, prêts à être manifestés, des signes confiés à Jésus et aux Apôtres, et qui, selon l’Épître aux Hébreux (2, 4), ont cessé après leur ministère. Cela dit, le spectaculaire peut ne pas se trouver que dans les miracles… Nous ne sommes pas appelés à être des vedettes, des orateurs excellents (Paul, de son propre aveu, passait pour complexe et confus — ça lui a valu pas mal d’ennemis, cf. 2 P 3, 16, jusqu’aujourd’hui), ou que sais-je d’autre !
« Quand vous avez fait ce qui vous est demandé, dites : "nous sommes des serviteurs inutiles" ». Car nous ne servons à rien en regard de l’utilitarisme ; serviteurs inutiles d’une Église qui ne sert à rien. C’est même sa fonction, dans un monde où tout doit être utile et rentable. Notre service est de faire ce qu’on a à faire (comme le serviteur de la parabole) en sachant qu’il n’y a là pas de gloire particulière, sinon de ne pas servir à quoi que ce soit d’autre. Et c’est très bien comme ça ! Telle la réponse à la demande adressée à Jésus : « augmente en nous la foi ». Réponse : « dites : "nous sommes des serviteurs inutiles" ».
Luc 17, 5-10
5 Les apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi. »
6 Le Seigneur dit : « Si vraiment vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à ce mûrier/sycomore : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous obéirait.
7 « Lequel d’entre vous, s’il a un serviteur qui laboure ou qui garde les bêtes, lui dira à son retour des champs : “Va vite te mettre à table” ?
8 Est-ce qu’il ne lui dira pas plutôt : “Prépare-moi de quoi dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive ; et après tu mangeras et tu boiras à ton tour” ?
9 A-t-il de la reconnaissance envers ce serviteur parce qu’il a fait ce qui lui était ordonné ?
10 De même, vous aussi, quand vous avez fait tout ce qui vous était ordonné, dites : “Nous sommes des serviteurs inutiles. Nous avons fait seulement ce que nous devions faire.” »
*
« Augmente en nous la foi », ont demandé les disciples. Réponse de Jésus : « Si vraiment vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à ce mûrier : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous obéirait. »
La tentation est forte chez les commentateurs de ce texte de ne pas voir de rapport entre d’un côté cette affirmation de Jésus sur la foi et cet arbre qui obéit et se plante dans la mer ; et de l’autre côté la petite histoire sur le serviteur (ou esclave) inutile, selon l’usage le plus courant du mot — plutôt que juste quelconque.
Et si cette petite histoire de serviteur était une explication faisant suite à la question des disciples à propos de leur foi ? question qui elle-même suit un enseignement de Jésus pour le moins troublant ! C’est juste avant : « Si ton frère vient à t’offenser, reprends-le ; et s’il se repent, pardonne-lui. Et si sept fois le jour il t’offense et que sept fois il revienne à toi en disant : “Je me repens”, tu lui pardonneras. »
Reprenons en 4 points :
1) Jésus aux disciples : Pardonnez sans mesure.
2) Les apôtres à Jésus : Alors, « augmente en nous la foi » : il y en a besoin pour pardonner de la sorte.
3) Réponse de Jésus : En effet, le pouvoir de la foi est tel qu’il offre la capacité de pardonner… sachant qu’il permet même de déraciner les arbres et de les enraciner ailleurs (et carrément dans la mer !), à votre seul ordre ! Bref, la foi permet de faire des choses impossibles.
4) Explication : le serviteur inutile.
Mais alors, me direz-vous, si c’est bien là une explication, quel rapport ? Les deux aspects sembleraient presque inverse : chose impossible d’un côté ; service banal, au point d’en être inutile, de l’autre…
Eh bien, je propose de voir le rapport entre les deux aspects précisément dans l’inutilité. Je vous le demande : à quoi ça sert de déraciner les arbres et de les planter dans la mer ? Quelle utilité de mettre en œuvre la foi pour ce qui a tout d’une vaine démonstration de performances : déraciner un arbre pour le voir se planter dans la mer ! Ça ne sert à rien ! Ici j’entends même une sourde protestation : pire, c’est nuisible !
Mais laissons le côté nuisible et tenons-nous pour l’instant à l’inutilité d’une telle performance de la foi.
Inutile. Comme le serviteur de la petite histoire, selon l’injonction finale de Jésus : « dites : “Nous sommes des serviteurs inutiles.” » On pense à une formule commune des cours d’école d’aujourd’hui, insulte sans appel : « tu sers à rien » !
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(Venons-en à ce qu’il en est pour aujourd’hui.)
« Ce jeune homme [qui vient de terminer ses études de théologie, puis son stage en paroisse] cherche d'abord… on aurait attendu "le Royaume de Dieu" (Mt 6, 33) — mais non : il cherche d'abord une paroisse. […] Il déploie beaucoup d'ingéniosité dans ses recherches qui, à la fin, sont couronnées de succès. Entre temps, il s'est fiancé et tout lui sourit jusqu'à ce qu'il se rende compte que les avantages attachés à cette paroisse sont nettement inférieurs à ce qui était prévu. Très ennuyé, il se demande s'il ne faut pas retirer sa candidature, mais sur le conseil d'un ami, il acquiesce devant l'inévitable. Le jour de son ordination, le pasteur qui préside la cérémonie parle à partir des paroles de l’apôtre Pierre à Jésus : "Nous avons tout laissé et nous t’avons suivi" (Mt 19, 27). Puis le nouveau pasteur monte en chaire pour dire quelques mots sur le texte du jour : "Cherchez d’abord le Royaume de Dieu" — à la plus grande satisfaction du président de région, présent pour l’occasion ! » (Adapté de Søren Kierkegaard, in L’Instant, Œuvres complètes XIX, 226-227.)
Kierkegaard donne ici sans doute, à travers l’ironie mordante de son propos, la raison pour laquelle il n’est jamais devenu pasteur. (Pas pasteur, certes, mais prophète, sans doute.)
Raison à mettre en parallèle avec la raison pour laquelle il ne s’est pas marié, rompant même ses fiançailles avec sa Régine, à laquelle son cœur est toujours resté attaché : il lui a dédié toute son œuvre. Mais il n’a peut-être pas voulu lui infliger de partager les souffrances que, il le savait, lui vaudrait son témoignage prophétique.
Toujours est-il que Kierkegaard attribue son non-engagement dans le mariage à ce qu’il appelle son « manque de foi » — c’est lui qui le dit ! Parole d’un vrai prophète en fait, qui vaut sans doute aussi pour son non-engagement dans le ministère pastoral ; parole de prophète, qui comme les prophètes bibliques — pensons, entre autres, à Jérémie ou à Ézéchiel — vit dans sa chair le témoignage d’un manque qui est celui de nous tous.
Une grande humilité qui est celle de la foi, plus grande que les déracinements d’arbres ! « Augmente en nous la foi », ont demandé les disciples… Réponse de Jésus : « dites : nous sommes des serviteurs inutiles »…
La foi s’avère alors être simplement ce qui permet de faire ce qui nous est confié, tout en mesurant le décalage entre un vécu souvent bien terne, pas à la mesure, mesquin même (éventuellement attendant des compensations comme peut-être le serviteur de la parabole, ou celui qui nous ressemble tant, le candidat pasteur de l’histoire de Kierkegaard !) : la foi est ce don miraculeux (plus que les déracinements d’arbres) qui permet de dire : nous sommes des serviteurs inutiles, pas à la mesure, et de faire quand même ce qui nous est demandé — pasteur par exemple (puisqu’on n’est pas tous pasteurs, comme on n’est pas tous prophètes ou apôtres — cf. 1 Co 12, 29).
Dans tous les cas, la leçon est d’entrer dans l’humilité de ce que Kierkegaard appelle un « chevalier de la foi » ; ce qui consiste à vivre de façon intime dans la présence de Dieu, d’une façon qui ne se voit pas, et qui n’attend pas autre chose. Chevalier, i.e. combattant, combattant secret, combattant spirituel, devant Dieu seul — chevalier invisible comme tel : ne se voit qu’un être quelconque, serviteur inutile.
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Quiconque croit au spectaculaire et à l’utile supposé ne voit pas qu’il y a là un danger pour la foi ! Au jour, où, parce que c’est censé être économiquement utile, on arrache des arbres en Amazonie et ailleurs, avec l’approbation aveugle d’autoproclamés faiseurs de miracles spectaculaires, qui approuvent les déracineurs d’arbres agissant au nom du dieu Mamon… Ce qui semble utile, qui semble servir à quelque chose économiquement, peut bien, au regard de la foi et de la vie, s’avérer nuisible. Des autoproclamés faiseurs de miracles qui se croient tout sauf inutiles ! Les miracles bibliques, eux, témoignent de la réalité d’un autre monde, de nouveaux cieux et d’une nouvelle terre, prêts à être manifestés, des signes confiés à Jésus et aux Apôtres, et qui, selon l’Épître aux Hébreux (2, 4), ont cessé après leur ministère. Cela dit, le spectaculaire peut ne pas se trouver que dans les miracles… Nous ne sommes pas appelés à être des vedettes, des orateurs excellents (Paul, de son propre aveu, passait pour complexe et confus — ça lui a valu pas mal d’ennemis, cf. 2 P 3, 16, jusqu’aujourd’hui), ou que sais-je d’autre !
« Quand vous avez fait ce qui vous est demandé, dites : "nous sommes des serviteurs inutiles" ». Car nous ne servons à rien en regard de l’utilitarisme ; serviteurs inutiles d’une Église qui ne sert à rien. C’est même sa fonction, dans un monde où tout doit être utile et rentable. Notre service est de faire ce qu’on a à faire (comme le serviteur de la parabole) en sachant qu’il n’y a là pas de gloire particulière, sinon de ne pas servir à quoi que ce soit d’autre. Et c’est très bien comme ça ! Telle la réponse à la demande adressée à Jésus : « augmente en nous la foi ». Réponse : « dites : "nous sommes des serviteurs inutiles" ».
RP, Melle / ordination Nicolas – 6/10/19
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