“Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes. Je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir” (Matthieu 5, 17). Voilà qui me semble central dans le Sermon sur la Montagne, et qui pose d’emblée la question classique de la relation de la Loi et de l’Évangile.
On peut aborder la question de cette relation de l'Évangile et de la Loi par plusieurs biais : en premier lieu ce biais classique, celui de la relation entre les deux Testaments dont l'un enseignerait la Loi et l'autre la grâce.
Approche commode, qui a même valu aux écrits des Apôtres le titre global d'Évangile, entendu dès lors comme le Nouveau Testament, celui de la grâce, opposé à ce qu'en contrepartie on intitule de façon plus ou moins consciemment péjorative l’“Ancien Testament”, document perçu à terme comme dépassé et affreusement légaliste, tatillon et vengeur. Avec un peu d'attention, on s'accordera à reconnaître les limites de cette approche par laquelle on en vient à plus ou moins long terme à faire du Nouveau Testament une loi nouvelle censée remplacer l'ancienne, nouvelle loi dite loi de charité, ou d’amour, face à celle d’un Dieu bizarre.
C'est de cette façon qu'en toute bonne foi, on annexe à l’Évangile les préceptes de la Torah que l'on juge positifs, comme celui du Lévitique “tu aimeras ton prochain comme toi-même”.
Ce qu’on appuie de citations mal interprétées de ce même Sermon sur la Montagne, comme “si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux” (Mt 5, 20) !… En ne prenant pas garde au fait que ce propos n’a de sens que si précisément la justice en question est remarquable (cf. infra).
Eh bien, ce Dieu que l’on trouve bizarre est celui que Jésus appelle son Père. Et la Loi dont Jésus dit qu’il n’en passera pas un seul trait de lettre est celle de ce Dieu, la Torah, l’“Ancien Testament”, plus particulièrement ses cinq premiers livres.
On comprend alors que cette façon d’opposer deux Testaments est erronée. D’autant plus qu’en regardant notre texte de près, il est facile de voir que Jésus ne remet pas en cause la Torah, mais certaines interprétations accommodantes qui en sont faites. Ce en quoi il est en parfait accord avec l’enseignement juif.
On vient de dire que certains s’imaginent que le commandement “tu aimeras ton prochain comme toi-même” est une invention de Jésus. C’est un commandement du Livre du Lévitique. Ou sachant cela, on se contente de dire que les pharisiens ignoraient que c’était là un commandement central de la Torah. C’est faux aussi : il suffit de lire la parabole du Bon Samaritain pour voir que c’est le pharisien lui-même qui présente à Jésus ce commandement comme central. Alors — toujours cette volonté de penser que Jésus innove — on en vient, au regard de des paroles de Jésus dans Matthieu, à penser que la Torah enseignait la haine des ennemis. Or la Torah ne dit jamais ça.
Où l’on retrouve le “si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens”… en ne prenant pas garde au fait que ce propos n’a de sens que si précisément la justice en question est remarquable — cf. Luc 18, 9-14 et la parabole du pharisien et du publicain. Justice remarquable, donnée en exemple — c’est là la pointe — pour dire que tout homme, même celui-là, le scribe ou pharisien le plus remarquable, reste insuffisant pour le Royaume ! Cf. Mt 19, 25-26 : “Qui peut donc être sauvé ? demandent les disciples. Jésus les regarda, et leur dit : Aux hommes cela est impossible, mais à Dieu tout est possible.”
Ce qui n’induit pas quelque laxisme découragé, mais au contraire une exhortation vigoureuse — Mt 5, 48 : “vous serez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait” ! La “perfection” en question ne consiste pas en un état tel qu'il nous arracherait à notre humanité et à ses faiblesses, mais en une visée sérieusement poursuivie, qui se traduit en comportement accompli, — mature, pourrait-on dire selon un sens possible de “parfaits” : l'imitation, dans le cadre de nos limitations, de Dieu faisant pleuvoir ou se lever le soleil sur tous, sans conditions.
Ce à quoi Jésus s’oppose, c’est à une interprétation accommodante et laxiste de la Torah. Comme à l’idée que l’amour du prochain qu’elle commande s’arrêterait aux frontières de la nationalité, de la religion, que sais-je encore. C’est à cela que Jésus s’oppose, et pour ce faire, c’est à la Torah qu’il renvoie. Jésus se veut non pas innovateur en inventant une autre Torah, mais réformateur d’un judaïsme que certains ne prenaient pas assez au sérieux.
Ainsi, la Loi se trouve aussi bien dans le Nouveau Testament, Loi qui est la même que celle de la Bible hébraïque ; et par ailleurs l’Évangile sous l’angle où ce mot désigne le salut pas la foi seule, se trouve aussi dans la Bible hébraïque, où il est le même que celui du Nouveau Testament. L’Évangile est au cœur de la Loi. Sous un certain angle il est la Loi elle-même.
Jésus est annoncé comme le Messie, celui qui va instaurer le Royaume de Dieu, ou “des cieux”, selon la façon que l’on a, et que Jésus ne remet pas en question, d’employer des figures de style pour ne pas prononcer à tout bout de champ le nom de Dieu — pour ne pas, toujours le respect de la Torah, prononcer son nom en vain. Que son nom soit sanctifié ! Ne jurez donc pas, rappelle Jésus, si c’est pour mentir, — ni par le ciel, ce mot qu’on emploie pour désigner Dieu — en ayant la prudence de ne pas l’atteindre, ni même, plus prudent encore, par la terre, marchepied de Dieu, ni encore par Jérusalem, ville de l’Envoyé royal de Dieu. Efforcez-vous seulement d’être vrais et sincères.
Le faux témoignage contre son prochain ou la transgression de ses propres serments, quelle qu’en soit la forme, sont des offenses à Dieu, des atteintes à sa sainteté. Simplement parce qu’il a commandé. Toujours le refus des accommodements avec la Torah ; qui reviennent toujours finalement à se prendre un peu pour Dieu, comme jusqu’à vouloir se venger soi-même parce que la Torah a dit “oeil pour oeil dent pour dent”. Parole qui elle, reste vraie, mais ne nous appartient pas. C’est à Dieu seul qu’appartient le jugement et la vengeance. Se mettre à la place de Dieu pour se venger soi-même est encore une façon de transgresser la Torah, et plus particulièrement le commandement d’amour.
Jésus apparaît donc comme celui qui va instaurer en ce monde, par un ensemencement intérieur de la parole de Dieu, ce règne, le Royaume des cieux que tout le monde espère.
Un monde enfin pacifié, où ont cessé toutes douleurs, jusqu’à la mort elle-même, par la résurrection. Or, on devinait à travers les prophètes, que dans le Royaume, le rapport à la Loi serait différent. Ils en promettaient l’inscription dans les cœurs, ce que Paul soulignera vigoureusement concernant l’évangélisation des païens.
De là à en déduire que chacun connaîtra si bien Dieu, que du même coup chacun pourra faire ce qui lui plaira, le chemin est court et certains le franchissent, et pourquoi pas dès aujourd’hui. C’est à cela que Jésus s’oppose. Au contraire, lorsque la connaissance de Dieu sera inscrite dans les cœurs, répandue comme l’eau l’est au fond les mers, loin de transgresser la Torah, tout le monde la respectera du fond du cœur, elle sera accomplie, et pas abolie, et jusqu’à ce jour, pas un trait de lettre n’en sera effacé.
Non seulement la Loi n’est pas abolie, mais notre nourriture spirituelle est de la mettre en pratique. C’est là ce qui fait notre grandeur, comme sa transgression fait notre petitesse. C’est là ce qui nous fait croître devant Dieu. Alors, non seulement il ne faut pas s’imaginer quelque laxisme dans le Royaume ; mais il vaut mieux concevoir que dans le futur sanhédrin, ce tribunal en Israël, non seulement, on ne tolèrera pas le meurtre, mais on en condamnera, et c’est vrai dès aujourd’hui, jusqu’à la racine, l’insulte. Face à la Loi de Dieu, il n’y a donc pas d’autre solution que la réconciliation. Pas de vengeance, certes, pas de meurtre, même en pensée, à plus forte raison. La réconciliation pour un Royaume de paix. Tout faire pour cela, la réconciliation.
Et quant au commandement condamnant l’adultère, non seulement il n’est pas aboli non plus, mais il s’agit de prendre garde que la répudiation elle-même en est une des formes. L’adultère est mépris de l’aimé à travers un mépris de sa propre promesse. Pas question de se parjurer, précise Jésus juste après, pas question d’adultère, même sous cette forme déguisée, — encore et toujours cette volonté de s’accommoder avec la Torah qui consiste ici en un renvoie légal, la répudiation. Pas d’adultère, pas même sous forme de répudiation, et pas même d’ailleurs, sous la simple forme de la convoitise de la femme d’autrui. Ici aussi Jésus renvoie au cœur, à la question de la convoitise.
Mais au-delà de tout cela, c’est bien de la question libération qu’il est question dans l’instauration du Royaume par le Messie, et de la restauration de la Loi comme Évangile. Regardons-y de près : y a t-il libération plus rigoureuse que dans une prise au sérieux radicale de la Loi ? On a parlé de la convoitise : qu’est-ce sinon un esclavage perpétuel ?
Et qu’en est-il du désir de meurtre, ou de vengeance, ou du besoin permanent de se justifier et de contourner la vérité d’une parole droite ? Voilà que Jésus nous ramène au cœur véritable de la libération. Écouter, et entendre la Parole de Dieu.
L’Évangile est toujours un ordre qui libère, un ordre qui ne libère que si on l’exécute. La parole qui libère le paralytique est cet ordre “lève-toi et marche”. Elle ne le libère que s’il y obéit, s’il se lève. La parole qui libère Lazare de sa tombe est “sors”. Elle ne le libère que s’il l’entend et l’exécute. La parole qui libère le peuple de l’esclavage est encore un ordre, une loi, la Torah, résumée dans les dix commandements, ou plutôt les dix paroles, avec en premier : “je suis le Seigneur ton Dieu qui t’ai libéré de l’esclavage”. Cette parole, la Torah, ne libère le peuple que s’il la prend au sérieux, s’il y obéit. C’est cette même parole qui nous libère de la même façon et dont Jésus rappelle qu’elle ne libère que si on la prend radicalement au sérieux.
Elle est un ordre qui met en marche... Si on ne se laisse pas envahir par la colère et la rumination du meurtre, si on se s’abandonne pas à la convoitise, au désir de vengeance, etc. Cette loi ne sera pas abolie, c’est toujours la même, même si certains aspects comme les cérémonies varient d’un peuple à l’autre — ce sur quoi Paul insistait ; ou varient d’un temps à l’autre : après la destruction du Temple, les aspects du rite qui y sont liés deviennent inapplicables. Ils seront réorganisés de feux façons différentes. C’est l’origine de la séparation du peuple en deux rites, le rite talmudique et le rite chrétien. Mais la Loi n’est nullement abolie. Elle est la fin de l’esclavage, la norme de la liberté. L’essentiel de la Loi est toujours l’Évangile.
On peut aborder la question de cette relation de l'Évangile et de la Loi par plusieurs biais : en premier lieu ce biais classique, celui de la relation entre les deux Testaments dont l'un enseignerait la Loi et l'autre la grâce.
Approche commode, qui a même valu aux écrits des Apôtres le titre global d'Évangile, entendu dès lors comme le Nouveau Testament, celui de la grâce, opposé à ce qu'en contrepartie on intitule de façon plus ou moins consciemment péjorative l’“Ancien Testament”, document perçu à terme comme dépassé et affreusement légaliste, tatillon et vengeur. Avec un peu d'attention, on s'accordera à reconnaître les limites de cette approche par laquelle on en vient à plus ou moins long terme à faire du Nouveau Testament une loi nouvelle censée remplacer l'ancienne, nouvelle loi dite loi de charité, ou d’amour, face à celle d’un Dieu bizarre.
C'est de cette façon qu'en toute bonne foi, on annexe à l’Évangile les préceptes de la Torah que l'on juge positifs, comme celui du Lévitique “tu aimeras ton prochain comme toi-même”.
Ce qu’on appuie de citations mal interprétées de ce même Sermon sur la Montagne, comme “si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux” (Mt 5, 20) !… En ne prenant pas garde au fait que ce propos n’a de sens que si précisément la justice en question est remarquable (cf. infra).
Eh bien, ce Dieu que l’on trouve bizarre est celui que Jésus appelle son Père. Et la Loi dont Jésus dit qu’il n’en passera pas un seul trait de lettre est celle de ce Dieu, la Torah, l’“Ancien Testament”, plus particulièrement ses cinq premiers livres.
On comprend alors que cette façon d’opposer deux Testaments est erronée. D’autant plus qu’en regardant notre texte de près, il est facile de voir que Jésus ne remet pas en cause la Torah, mais certaines interprétations accommodantes qui en sont faites. Ce en quoi il est en parfait accord avec l’enseignement juif.
On vient de dire que certains s’imaginent que le commandement “tu aimeras ton prochain comme toi-même” est une invention de Jésus. C’est un commandement du Livre du Lévitique. Ou sachant cela, on se contente de dire que les pharisiens ignoraient que c’était là un commandement central de la Torah. C’est faux aussi : il suffit de lire la parabole du Bon Samaritain pour voir que c’est le pharisien lui-même qui présente à Jésus ce commandement comme central. Alors — toujours cette volonté de penser que Jésus innove — on en vient, au regard de des paroles de Jésus dans Matthieu, à penser que la Torah enseignait la haine des ennemis. Or la Torah ne dit jamais ça.
Où l’on retrouve le “si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens”… en ne prenant pas garde au fait que ce propos n’a de sens que si précisément la justice en question est remarquable — cf. Luc 18, 9-14 et la parabole du pharisien et du publicain. Justice remarquable, donnée en exemple — c’est là la pointe — pour dire que tout homme, même celui-là, le scribe ou pharisien le plus remarquable, reste insuffisant pour le Royaume ! Cf. Mt 19, 25-26 : “Qui peut donc être sauvé ? demandent les disciples. Jésus les regarda, et leur dit : Aux hommes cela est impossible, mais à Dieu tout est possible.”
Ce qui n’induit pas quelque laxisme découragé, mais au contraire une exhortation vigoureuse — Mt 5, 48 : “vous serez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait” ! La “perfection” en question ne consiste pas en un état tel qu'il nous arracherait à notre humanité et à ses faiblesses, mais en une visée sérieusement poursuivie, qui se traduit en comportement accompli, — mature, pourrait-on dire selon un sens possible de “parfaits” : l'imitation, dans le cadre de nos limitations, de Dieu faisant pleuvoir ou se lever le soleil sur tous, sans conditions.
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Ce à quoi Jésus s’oppose, c’est à une interprétation accommodante et laxiste de la Torah. Comme à l’idée que l’amour du prochain qu’elle commande s’arrêterait aux frontières de la nationalité, de la religion, que sais-je encore. C’est à cela que Jésus s’oppose, et pour ce faire, c’est à la Torah qu’il renvoie. Jésus se veut non pas innovateur en inventant une autre Torah, mais réformateur d’un judaïsme que certains ne prenaient pas assez au sérieux.
Ainsi, la Loi se trouve aussi bien dans le Nouveau Testament, Loi qui est la même que celle de la Bible hébraïque ; et par ailleurs l’Évangile sous l’angle où ce mot désigne le salut pas la foi seule, se trouve aussi dans la Bible hébraïque, où il est le même que celui du Nouveau Testament. L’Évangile est au cœur de la Loi. Sous un certain angle il est la Loi elle-même.
Jésus est annoncé comme le Messie, celui qui va instaurer le Royaume de Dieu, ou “des cieux”, selon la façon que l’on a, et que Jésus ne remet pas en question, d’employer des figures de style pour ne pas prononcer à tout bout de champ le nom de Dieu — pour ne pas, toujours le respect de la Torah, prononcer son nom en vain. Que son nom soit sanctifié ! Ne jurez donc pas, rappelle Jésus, si c’est pour mentir, — ni par le ciel, ce mot qu’on emploie pour désigner Dieu — en ayant la prudence de ne pas l’atteindre, ni même, plus prudent encore, par la terre, marchepied de Dieu, ni encore par Jérusalem, ville de l’Envoyé royal de Dieu. Efforcez-vous seulement d’être vrais et sincères.
Le faux témoignage contre son prochain ou la transgression de ses propres serments, quelle qu’en soit la forme, sont des offenses à Dieu, des atteintes à sa sainteté. Simplement parce qu’il a commandé. Toujours le refus des accommodements avec la Torah ; qui reviennent toujours finalement à se prendre un peu pour Dieu, comme jusqu’à vouloir se venger soi-même parce que la Torah a dit “oeil pour oeil dent pour dent”. Parole qui elle, reste vraie, mais ne nous appartient pas. C’est à Dieu seul qu’appartient le jugement et la vengeance. Se mettre à la place de Dieu pour se venger soi-même est encore une façon de transgresser la Torah, et plus particulièrement le commandement d’amour.
Jésus apparaît donc comme celui qui va instaurer en ce monde, par un ensemencement intérieur de la parole de Dieu, ce règne, le Royaume des cieux que tout le monde espère.
Un monde enfin pacifié, où ont cessé toutes douleurs, jusqu’à la mort elle-même, par la résurrection. Or, on devinait à travers les prophètes, que dans le Royaume, le rapport à la Loi serait différent. Ils en promettaient l’inscription dans les cœurs, ce que Paul soulignera vigoureusement concernant l’évangélisation des païens.
De là à en déduire que chacun connaîtra si bien Dieu, que du même coup chacun pourra faire ce qui lui plaira, le chemin est court et certains le franchissent, et pourquoi pas dès aujourd’hui. C’est à cela que Jésus s’oppose. Au contraire, lorsque la connaissance de Dieu sera inscrite dans les cœurs, répandue comme l’eau l’est au fond les mers, loin de transgresser la Torah, tout le monde la respectera du fond du cœur, elle sera accomplie, et pas abolie, et jusqu’à ce jour, pas un trait de lettre n’en sera effacé.
Non seulement la Loi n’est pas abolie, mais notre nourriture spirituelle est de la mettre en pratique. C’est là ce qui fait notre grandeur, comme sa transgression fait notre petitesse. C’est là ce qui nous fait croître devant Dieu. Alors, non seulement il ne faut pas s’imaginer quelque laxisme dans le Royaume ; mais il vaut mieux concevoir que dans le futur sanhédrin, ce tribunal en Israël, non seulement, on ne tolèrera pas le meurtre, mais on en condamnera, et c’est vrai dès aujourd’hui, jusqu’à la racine, l’insulte. Face à la Loi de Dieu, il n’y a donc pas d’autre solution que la réconciliation. Pas de vengeance, certes, pas de meurtre, même en pensée, à plus forte raison. La réconciliation pour un Royaume de paix. Tout faire pour cela, la réconciliation.
Et quant au commandement condamnant l’adultère, non seulement il n’est pas aboli non plus, mais il s’agit de prendre garde que la répudiation elle-même en est une des formes. L’adultère est mépris de l’aimé à travers un mépris de sa propre promesse. Pas question de se parjurer, précise Jésus juste après, pas question d’adultère, même sous cette forme déguisée, — encore et toujours cette volonté de s’accommoder avec la Torah qui consiste ici en un renvoie légal, la répudiation. Pas d’adultère, pas même sous forme de répudiation, et pas même d’ailleurs, sous la simple forme de la convoitise de la femme d’autrui. Ici aussi Jésus renvoie au cœur, à la question de la convoitise.
Mais au-delà de tout cela, c’est bien de la question libération qu’il est question dans l’instauration du Royaume par le Messie, et de la restauration de la Loi comme Évangile. Regardons-y de près : y a t-il libération plus rigoureuse que dans une prise au sérieux radicale de la Loi ? On a parlé de la convoitise : qu’est-ce sinon un esclavage perpétuel ?
Et qu’en est-il du désir de meurtre, ou de vengeance, ou du besoin permanent de se justifier et de contourner la vérité d’une parole droite ? Voilà que Jésus nous ramène au cœur véritable de la libération. Écouter, et entendre la Parole de Dieu.
L’Évangile est toujours un ordre qui libère, un ordre qui ne libère que si on l’exécute. La parole qui libère le paralytique est cet ordre “lève-toi et marche”. Elle ne le libère que s’il y obéit, s’il se lève. La parole qui libère Lazare de sa tombe est “sors”. Elle ne le libère que s’il l’entend et l’exécute. La parole qui libère le peuple de l’esclavage est encore un ordre, une loi, la Torah, résumée dans les dix commandements, ou plutôt les dix paroles, avec en premier : “je suis le Seigneur ton Dieu qui t’ai libéré de l’esclavage”. Cette parole, la Torah, ne libère le peuple que s’il la prend au sérieux, s’il y obéit. C’est cette même parole qui nous libère de la même façon et dont Jésus rappelle qu’elle ne libère que si on la prend radicalement au sérieux.
Elle est un ordre qui met en marche... Si on ne se laisse pas envahir par la colère et la rumination du meurtre, si on se s’abandonne pas à la convoitise, au désir de vengeance, etc. Cette loi ne sera pas abolie, c’est toujours la même, même si certains aspects comme les cérémonies varient d’un peuple à l’autre — ce sur quoi Paul insistait ; ou varient d’un temps à l’autre : après la destruction du Temple, les aspects du rite qui y sont liés deviennent inapplicables. Ils seront réorganisés de feux façons différentes. C’est l’origine de la séparation du peuple en deux rites, le rite talmudique et le rite chrétien. Mais la Loi n’est nullement abolie. Elle est la fin de l’esclavage, la norme de la liberté. L’essentiel de la Loi est toujours l’Évangile.
R.P.
AJC Antibes, 17.02.11
AJC Antibes, 17.02.11
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