Thomas cite Aristote disant : « Opportet addiscentem credere » (IIa IIae, qu, 2 a, 3 resp.) : il faut que celui qui veut apprendre croie. À savoir : celui qui reçoit un enseignement ne sait pas, au départ, autant de choses que son maître. Il est des choses qu'il doit croire, quitte à ne plus y adhérer lorsqu'il aura appris. C'est ce qu'on demande de tout enfant allant à l'école : il ne sait pas encore ce que ses maîtres vont lui enseigner. L'humilité est requise en vue de la science qui fera accéder celui qui a exercé cette humilité à une connaissance propre, qu'il n'aura plus besoin de croire, si on s'en tient au domaine accessible à la raison naturelle.
Concernant le domaine révélé, la foi restera nécessaire, compte tenu de l'infinité d'un domaine dont la réalité ultime restera inaccessible. Ici, on ne dépassera pas la foi par la raison.
Où l'on voit que les divers domaines fonctionnent selon des principes et des méthodes divers.
Au XIIIe siècle, comme dans les siècles antérieurs, le terme « science » ne désigne pas la même chose que dans le vocabulaire actuel. Depuis l'empirisme et le rationalisme, le terme « science » désigne ce qui est accessible à nos sens et dont les règles générales sont vérifiables à l'aune de la reproductibilité des phénomènes en laboratoire, de leur régularité ; ou à leur exactitude vérifiable pour les objets mathématiques.
Auparavant, la science concerne tous les domaines y compris les domaines qui demeurent et demeureront inaccessibles à nos sens comme à notre raison. C'est ainsi que la théologie est alors une science (cf, M.-D. Chenu, La théologie comme science au XIIIe siècle, Paris, 1943).
Dans cette perspective, qui est celle de Thomas, on parle de « subalternation des sciences » (cf. Chenu, op. cit.).
La science suprême est alors la science de Dieu. C'est la science par laquelle Dieu se connaît lui-même et connaît toute chose.
Vient ensuite la science qui consiste à connaître ce que Dieu dévoile de lui-même, par révélation, ce qui est rapporté dans les Écritures : c'est la théologie, par laquelle on ne connaît pas Dieu en lui-même, mais ce qu'il révèle de lui-même. Une science qui est essentiellement « lectio divina », aidée de la logique, et qui consiste à une exégèse croyante et correcte des Écritures.
Enfin la philosophie, qui concerne tout ce qui relève de la raison naturelle, que ce soit la philosophie première, la métaphysique, ou les sciences naturelles, et qui fonctionne selon les règles de la logique, de l'observation, etc. Des règles tout à fait distinctes de celles de la théologie, des règles qui sont celles de la raison naturelle, et où la foi religieuse n'entre pas en compte. Si la philosophie est subalterne à la théologie, cela ne signifie pas que celle-ci impose des règles à celle-là.
On est en un temps où la théologie s'est clairement distinguée de la philosophie ; non seulement de la philosophie qui consiste en science naturelle, mais aussi de la philosophie première, de la métaphysique. Cette distinction n'a pas été de tout temps à l'ordre du jour. Pour Aristote, le terme « théologie » désigne autant la réflexion sur les mythes (en commun avec Platon) que l'étude du monde supra-lunaire (au-dessus de la Lune), dont la matière est l'éther, tandis que le monde sub-lunaire, concerne ce qui se meut et est composé des quatre éléments que sont terre, eau, air, feu ; l'éther étant un cinquième élément, la « quinte essence ». La métaphysique, ce qui est au-delà de la physique, étude des objets célestes et de leurs moteurs spirituels est donc théologie naturelle, incluant les intelligences célestes angéliques — moteurs des sphères supra-lunaires où se meuvent les astres et qui animent les dix cieux de l'époque — ; les âmes et la première intelligence, Dieu.
L'histoire du christianisme voit l'introduction et le développement d'une distinction entre cela, la métaphysique, au-delà de la physique, et la théologie de la révélation, en l'occurrence biblique ; distinction qui a acquis toute sa clarté au XIIIe siècle. C'est ainsi que pour Thomas, il y a des réalités célestes accessibles à la seule raison, jusqu'à l'existence de Dieu et des vérités inaccessibles sans la révélation : l'Incarnation du Verbe, la Trinité, le commencement du monde, la résurrection.
Voilà qui pose problème en un temps où l'aristotélisme, venu du monde arabe, semble enseigner des choses comme l'éternité du monde ou l'unité d'âme pour tout le genre humain.
Thomas s'emploie à harmoniser ces enseignements apparemment contradictoires, au point qu'il subira la condamnation par lequel l'évêque de Paris Étienne Tempier vise en 1270 l'enseignement du philosophe arabe Averroès, puisque ce nouvel Aristote vient donc essentiellement du monde arabe, notamment Averroès (musulman) et Maimonide (juif) – tous les deux arabo-espagnols.
L'articulation des différents domaines se fait pour Thomas dans le cadre de la subalternation des sciences.
Cela correspond à l'humilité de l'homme dans le monde des créatures spirituelles et intelligentes.
L'homme n'est pas un ange. Il est doté d'un corps : il est un être « hylémorphique », composé de matière (hylé), structurée ou « informée » (morphé) par une âme. Contrairement aux anges, qui pour Thomas n'ont pas de corps. Thomas est le premier en chrétienté à pouvoir soutenir cette thèse avec toute la rigueur nécessaire. Thomas a adopté et précisé la distinction de l'essence et de l'existence mise en place par les philosophes arabo-persans Al Farabi et Avicenne. Si Dieu existe par essence (son essence est d'exister), ce n'est pas le cas des anges, dont l'essence (la qualité d'être) est placée dans l'existence par l'acte créateur de Dieu : leur essence, pensée par Dieu est distincte de leur existence, qui leur est donnée par un acte souverain de Dieu. Voilà qui permet de les penser sans corps : auparavant, rien ne pouvait les distinguer de Dieu que leur corps, avec lequel ils se seraient confondus s'ils n'en avaient pas été dotés. Dorénavant les anges peuvent être conçus comme créatures incorporelles.
Cela permet d'envisager aussi deux types de connaissance dans les créatures spirituelles. La connaissance d'intellects purs, comme les anges, connaissance immédiate, intuitive, illuminative, d'un côté ; et de l'autre la connaissance rationnelle, discursive, passant d'un objet à l'autre et procédant par abstraction, à laquelle est contraint l'homme qui a accès au monde par ses sens corporel. L'homme est donc un être rationnel, contraint à raisonner, parce qu'il n'est pas intellect pur. La rationalité de l'homme est donc une marque d'humilité.
Cela rejoint la question de la théologie négative, un classique dont Thomas adopte en partie la conception qu'en donne Maimonide. Une notion qui consiste essentiellement à admettre que nous ne pouvons rien dire de Dieu qui ne doive ensuite être nié : on peut dire de Dieu non pas tant ce qu'il est que ce qu'il n'est pas.
La subalternation des sciences est une pratique d'humilité.
Dans la suite des temps, c'est la question sera de savoir comment on l'exerce. Deux pôles de compréhension vont apparaître. À un pôle on peut mentionner Gilles de Rome, suite auquel dès le XIVe siècle, la subalternation des sciences a tendance à être comprise comme un retour à la gestion antérieure du monde par Rome avec philosophie et science appelées à trouver au terme de leur recherche l'enseignement de l'Église...
À un autre pôle, que l'on peut représenter par Dante, la recherche reste vraiment telle, fonctionnant selon ses propres principes. La raison naturelle est appelée aussi à la gestion de la cité, elle et non l'Eglise romaine ; cela appuyant la distinction qui commence à apparaître entre pouvoir civil et pouvoir religieux — lointaine esquisse de ce qui deviendra la laïcité.
Ici le principe de la subalternation des sciences prendra une autre signification, faisant rejoindre la formule de Rabelais : « Science sans conscience n'est que ruine de de l'âme » — et trouvant tout son sens dans la question des sciences appliquées, avec toute une modernité à l'époque de la bio-éthique...
La raison ne fonctionne pas dans le vide, l'humilité de l'enfant exerçant la foi pour apprendre est toujours à nouveau requise. Dans ce domaine, nos connaissances, le fruit de notre raison appelle sa propre subalternation à l'étonnement devant l'être dont le fond lui échappe...
Concernant le domaine révélé, la foi restera nécessaire, compte tenu de l'infinité d'un domaine dont la réalité ultime restera inaccessible. Ici, on ne dépassera pas la foi par la raison.
Où l'on voit que les divers domaines fonctionnent selon des principes et des méthodes divers.
Au XIIIe siècle, comme dans les siècles antérieurs, le terme « science » ne désigne pas la même chose que dans le vocabulaire actuel. Depuis l'empirisme et le rationalisme, le terme « science » désigne ce qui est accessible à nos sens et dont les règles générales sont vérifiables à l'aune de la reproductibilité des phénomènes en laboratoire, de leur régularité ; ou à leur exactitude vérifiable pour les objets mathématiques.
Auparavant, la science concerne tous les domaines y compris les domaines qui demeurent et demeureront inaccessibles à nos sens comme à notre raison. C'est ainsi que la théologie est alors une science (cf, M.-D. Chenu, La théologie comme science au XIIIe siècle, Paris, 1943).
Dans cette perspective, qui est celle de Thomas, on parle de « subalternation des sciences » (cf. Chenu, op. cit.).
La science suprême est alors la science de Dieu. C'est la science par laquelle Dieu se connaît lui-même et connaît toute chose.
Vient ensuite la science qui consiste à connaître ce que Dieu dévoile de lui-même, par révélation, ce qui est rapporté dans les Écritures : c'est la théologie, par laquelle on ne connaît pas Dieu en lui-même, mais ce qu'il révèle de lui-même. Une science qui est essentiellement « lectio divina », aidée de la logique, et qui consiste à une exégèse croyante et correcte des Écritures.
Enfin la philosophie, qui concerne tout ce qui relève de la raison naturelle, que ce soit la philosophie première, la métaphysique, ou les sciences naturelles, et qui fonctionne selon les règles de la logique, de l'observation, etc. Des règles tout à fait distinctes de celles de la théologie, des règles qui sont celles de la raison naturelle, et où la foi religieuse n'entre pas en compte. Si la philosophie est subalterne à la théologie, cela ne signifie pas que celle-ci impose des règles à celle-là.
On est en un temps où la théologie s'est clairement distinguée de la philosophie ; non seulement de la philosophie qui consiste en science naturelle, mais aussi de la philosophie première, de la métaphysique. Cette distinction n'a pas été de tout temps à l'ordre du jour. Pour Aristote, le terme « théologie » désigne autant la réflexion sur les mythes (en commun avec Platon) que l'étude du monde supra-lunaire (au-dessus de la Lune), dont la matière est l'éther, tandis que le monde sub-lunaire, concerne ce qui se meut et est composé des quatre éléments que sont terre, eau, air, feu ; l'éther étant un cinquième élément, la « quinte essence ». La métaphysique, ce qui est au-delà de la physique, étude des objets célestes et de leurs moteurs spirituels est donc théologie naturelle, incluant les intelligences célestes angéliques — moteurs des sphères supra-lunaires où se meuvent les astres et qui animent les dix cieux de l'époque — ; les âmes et la première intelligence, Dieu.
L'histoire du christianisme voit l'introduction et le développement d'une distinction entre cela, la métaphysique, au-delà de la physique, et la théologie de la révélation, en l'occurrence biblique ; distinction qui a acquis toute sa clarté au XIIIe siècle. C'est ainsi que pour Thomas, il y a des réalités célestes accessibles à la seule raison, jusqu'à l'existence de Dieu et des vérités inaccessibles sans la révélation : l'Incarnation du Verbe, la Trinité, le commencement du monde, la résurrection.
Voilà qui pose problème en un temps où l'aristotélisme, venu du monde arabe, semble enseigner des choses comme l'éternité du monde ou l'unité d'âme pour tout le genre humain.
Thomas s'emploie à harmoniser ces enseignements apparemment contradictoires, au point qu'il subira la condamnation par lequel l'évêque de Paris Étienne Tempier vise en 1270 l'enseignement du philosophe arabe Averroès, puisque ce nouvel Aristote vient donc essentiellement du monde arabe, notamment Averroès (musulman) et Maimonide (juif) – tous les deux arabo-espagnols.
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L'articulation des différents domaines se fait pour Thomas dans le cadre de la subalternation des sciences.
Cela correspond à l'humilité de l'homme dans le monde des créatures spirituelles et intelligentes.
L'homme n'est pas un ange. Il est doté d'un corps : il est un être « hylémorphique », composé de matière (hylé), structurée ou « informée » (morphé) par une âme. Contrairement aux anges, qui pour Thomas n'ont pas de corps. Thomas est le premier en chrétienté à pouvoir soutenir cette thèse avec toute la rigueur nécessaire. Thomas a adopté et précisé la distinction de l'essence et de l'existence mise en place par les philosophes arabo-persans Al Farabi et Avicenne. Si Dieu existe par essence (son essence est d'exister), ce n'est pas le cas des anges, dont l'essence (la qualité d'être) est placée dans l'existence par l'acte créateur de Dieu : leur essence, pensée par Dieu est distincte de leur existence, qui leur est donnée par un acte souverain de Dieu. Voilà qui permet de les penser sans corps : auparavant, rien ne pouvait les distinguer de Dieu que leur corps, avec lequel ils se seraient confondus s'ils n'en avaient pas été dotés. Dorénavant les anges peuvent être conçus comme créatures incorporelles.
Cela permet d'envisager aussi deux types de connaissance dans les créatures spirituelles. La connaissance d'intellects purs, comme les anges, connaissance immédiate, intuitive, illuminative, d'un côté ; et de l'autre la connaissance rationnelle, discursive, passant d'un objet à l'autre et procédant par abstraction, à laquelle est contraint l'homme qui a accès au monde par ses sens corporel. L'homme est donc un être rationnel, contraint à raisonner, parce qu'il n'est pas intellect pur. La rationalité de l'homme est donc une marque d'humilité.
Cela rejoint la question de la théologie négative, un classique dont Thomas adopte en partie la conception qu'en donne Maimonide. Une notion qui consiste essentiellement à admettre que nous ne pouvons rien dire de Dieu qui ne doive ensuite être nié : on peut dire de Dieu non pas tant ce qu'il est que ce qu'il n'est pas.
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La subalternation des sciences est une pratique d'humilité.
Dans la suite des temps, c'est la question sera de savoir comment on l'exerce. Deux pôles de compréhension vont apparaître. À un pôle on peut mentionner Gilles de Rome, suite auquel dès le XIVe siècle, la subalternation des sciences a tendance à être comprise comme un retour à la gestion antérieure du monde par Rome avec philosophie et science appelées à trouver au terme de leur recherche l'enseignement de l'Église...
À un autre pôle, que l'on peut représenter par Dante, la recherche reste vraiment telle, fonctionnant selon ses propres principes. La raison naturelle est appelée aussi à la gestion de la cité, elle et non l'Eglise romaine ; cela appuyant la distinction qui commence à apparaître entre pouvoir civil et pouvoir religieux — lointaine esquisse de ce qui deviendra la laïcité.
Ici le principe de la subalternation des sciences prendra une autre signification, faisant rejoindre la formule de Rabelais : « Science sans conscience n'est que ruine de de l'âme » — et trouvant tout son sens dans la question des sciences appliquées, avec toute une modernité à l'époque de la bio-éthique...
La raison ne fonctionne pas dans le vide, l'humilité de l'enfant exerçant la foi pour apprendre est toujours à nouveau requise. Dans ce domaine, nos connaissances, le fruit de notre raison appelle sa propre subalternation à l'étonnement devant l'être dont le fond lui échappe...
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