Cantique des Cantiques 8, 5-7
Eros
« Quand l'amour arrive, la raison s'enfuit aussitôt. Elle ne peut cohabiter avec la folie de l'amour. L'amour n'a rien à faire avec la raison » — écrit Farid al-din Attar (XIIe-XIIIe s.), dans La Conférence des oiseaux (« La deuxième vallée de l'amour : Ischc »).
Cet amour comme folie, disqualifiant tout comportement raisonnable, s’appelle en grec Eros. Mot superbe, dont la philosophe Diotime de Mantinée dialoguant avec Socrate dit qu’il est un grand daïmon, face auquel on est désarmé.
L’écrivain Tahar Ben Jelloun le dit est ces termes : « La passion est un excès de vie, un excès de lumière, impossible à étaler dans un quotidien. » (Tahar Ben Jelloun, Entretien avec Catherine Argand, Magazine Lire, mars 1999)
Cantique des Cantiques 8, 7 : Toute l'eau des océans ne suffirait pas à éteindre le feu de l'amour. Et toute l'eau des fleuves serait incapable de le noyer.
Déferlement d’éternité… dit en des mots de poète, dans le Cantique… « Au fond, c'est ça l'amour » — confirme le philosophe Alain Badiou (Éloge de l'Amour, Champs, p. 53-54) — : « une déclaration d'éternité, qui [pourtant] poursuit-il, doit se réaliser ou se déployer comme elle peut dans le temps. » Ce qui lui permet d’affirmer : « Oui, le bonheur amoureux est la preuve que le temps peut accueillir l'éternité. » Alors, « Mets-moi comme un sceau sur ton cœur », dit le Cantique…
Car… question : « se déployer comme elle peut dans le temps » — oui, mais comment ?
« Ce jeune homme était profondément amoureux, avec ferveur, c’est clair ; […] Il se languit de la jeune fille ; il doit se faire violence pour ne pas être pendu à sa porte toute la journée […]. Mais d’un autre côté il ne l’aimait pas, car il se contentait de languir après elle […] : la jeune fille n’était pas son aimée ; elle était l’occasion, pour le poétique, de s’éveiller en lui ; elle le rendait poète. C’est pourquoi il ne pouvait aimer qu’elle, sans l’oublier […]. Elle avait été beaucoup pour lui : elle l’avait rendu poète. Mais, par là même, elle avait signé son arrêt de mort » (Kierkegaard, La Reprise, éd. GF, p. 72-74). Voilà un amour digne de l’éternité !… mais qui n’est pas entré dans le temps…
Ce pourquoi peut-être, Jean-Paul Sartre demandait à Miles Davis : « Pourquoi ne pas vous marier, Juliette [Greco] et toi ? », Réponse de Miles Davis : « Parce que je l’aime trop pour la rendre malheureuse. »
Agapè
Alors, pour rester avec le vocabulaire de Kierkegaard, un saut est nécessaire, saut de la foi, pour le mariage, tout aussi peu raisonnable au fond que le foudroiement de l’Eros… Saut très bien illustré dans Les ailes du désir de Wim Wenders.
Un saut, au-delà du foudroiement (qui ne se commande pas — on connaît la formule : « l’amour ne se commande pas », c’est un « puissant daïmon » ! en dit Diotime) ; et pourtant, en regard de ce « saut », à travers ce « saut », contrairement au foudroiement d’amour, voilà un angle où l’amour se commande ! Se décide chaque jour, à commencer par décider de pardonner, toujours et encore.
Cf. 1 Co 13 (v. 7 : « l’amour excuse tout »). Cf. Hannah Arendt : « Le pardon est certainement l’une des plus grandes facultés humaines et peut-être la plus audacieuse des actions, dans la mesure où elle tente l’impossible […] et réussit à inaugurer un nouveau commencement […]. »
Un saut pour lequel l’amour se commande, et à partir duquel tout commence… Où Eros se traduit en Agapè. C’est le mot choisi dans la traduction grecque du Cantique des Cantiques.
Saut comme début d’une école. Car le mariage est aussi une école : apprendre à aimer — un exercice, note C.S. Lewis dans son livre Apprendre la mort. Puisque comme le dit saint Augustin, il n’y a qu’un seul amour. Conviction que l’on retrouve, développée, sous la plume d’un spirituel iranien du XIIe siècle, du nom de Rûzbehan : « Amour humain, amour divin, “il ne s'agit que d'un seul et même amour, et c'est dans le livre de l’amour humain qu'il faut apprendre à lire la règle de l'amour divin.” Il s'agit donc d'un seul et même texte, mais il faut apprendre à le lire. » (Rûzbehân Baqlî Shîrazî, Jasmin § 160, p. 176-177, cit. H. Corbin).
Philia
… Pour qu’en naisse une amitié/philia d’âmes : « […] en vivant un peu longuement avec la même femme, elle entre peu à peu dans leur paysage le plus intime, dans leurs fibres, dans leur passé, et […] elle devient ainsi inséparable d’eux-mêmes sans qu’ils s’en aperçoivent. Au bout d’un nombre d’années suffisant, ils sont organiquement incapables de se défaire d’elles sans se détruire. » (Benoîte Groult, La Part des choses, Grasset, 1972, p. 316)
Ce que dit d’une autre façon Jésus… Cf. Matthieu 19, 4-6 :
5 Quelle est cette femme, qui arrive du désert appuyée au bras de son bien-aimé ? Je te réveille sous le pommier, là où ta mère t'a conçu, là où elle t'a mis au monde.
6 Mets-moi comme un sceau sur ton cœur, Comme un sceau sur ton bras ; Car l’amour est fort comme la mort, la passion est cruelle comme le séjour des morts ; Ses ardeurs sont des ardeurs de feu. Elle brûle comme un feu, elle frappe comme la foudre.
7 Les grandes eaux ne peuvent éteindre l’amour, Et les fleuves ne le submergeraient pas.
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Eros
« Quand l'amour arrive, la raison s'enfuit aussitôt. Elle ne peut cohabiter avec la folie de l'amour. L'amour n'a rien à faire avec la raison » — écrit Farid al-din Attar (XIIe-XIIIe s.), dans La Conférence des oiseaux (« La deuxième vallée de l'amour : Ischc »).
Cet amour comme folie, disqualifiant tout comportement raisonnable, s’appelle en grec Eros. Mot superbe, dont la philosophe Diotime de Mantinée dialoguant avec Socrate dit qu’il est un grand daïmon, face auquel on est désarmé.
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L’écrivain Tahar Ben Jelloun le dit est ces termes : « La passion est un excès de vie, un excès de lumière, impossible à étaler dans un quotidien. » (Tahar Ben Jelloun, Entretien avec Catherine Argand, Magazine Lire, mars 1999)
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Cantique des Cantiques 8, 7 : Toute l'eau des océans ne suffirait pas à éteindre le feu de l'amour. Et toute l'eau des fleuves serait incapable de le noyer.
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Déferlement d’éternité… dit en des mots de poète, dans le Cantique… « Au fond, c'est ça l'amour » — confirme le philosophe Alain Badiou (Éloge de l'Amour, Champs, p. 53-54) — : « une déclaration d'éternité, qui [pourtant] poursuit-il, doit se réaliser ou se déployer comme elle peut dans le temps. » Ce qui lui permet d’affirmer : « Oui, le bonheur amoureux est la preuve que le temps peut accueillir l'éternité. » Alors, « Mets-moi comme un sceau sur ton cœur », dit le Cantique…
Car… question : « se déployer comme elle peut dans le temps » — oui, mais comment ?
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« Ce jeune homme était profondément amoureux, avec ferveur, c’est clair ; […] Il se languit de la jeune fille ; il doit se faire violence pour ne pas être pendu à sa porte toute la journée […]. Mais d’un autre côté il ne l’aimait pas, car il se contentait de languir après elle […] : la jeune fille n’était pas son aimée ; elle était l’occasion, pour le poétique, de s’éveiller en lui ; elle le rendait poète. C’est pourquoi il ne pouvait aimer qu’elle, sans l’oublier […]. Elle avait été beaucoup pour lui : elle l’avait rendu poète. Mais, par là même, elle avait signé son arrêt de mort » (Kierkegaard, La Reprise, éd. GF, p. 72-74). Voilà un amour digne de l’éternité !… mais qui n’est pas entré dans le temps…
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Ce pourquoi peut-être, Jean-Paul Sartre demandait à Miles Davis : « Pourquoi ne pas vous marier, Juliette [Greco] et toi ? », Réponse de Miles Davis : « Parce que je l’aime trop pour la rendre malheureuse. »
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Agapè
Alors, pour rester avec le vocabulaire de Kierkegaard, un saut est nécessaire, saut de la foi, pour le mariage, tout aussi peu raisonnable au fond que le foudroiement de l’Eros… Saut très bien illustré dans Les ailes du désir de Wim Wenders.
Un saut, au-delà du foudroiement (qui ne se commande pas — on connaît la formule : « l’amour ne se commande pas », c’est un « puissant daïmon » ! en dit Diotime) ; et pourtant, en regard de ce « saut », à travers ce « saut », contrairement au foudroiement d’amour, voilà un angle où l’amour se commande ! Se décide chaque jour, à commencer par décider de pardonner, toujours et encore.
Cf. 1 Co 13 (v. 7 : « l’amour excuse tout »). Cf. Hannah Arendt : « Le pardon est certainement l’une des plus grandes facultés humaines et peut-être la plus audacieuse des actions, dans la mesure où elle tente l’impossible […] et réussit à inaugurer un nouveau commencement […]. »
Un saut pour lequel l’amour se commande, et à partir duquel tout commence… Où Eros se traduit en Agapè. C’est le mot choisi dans la traduction grecque du Cantique des Cantiques.
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Saut comme début d’une école. Car le mariage est aussi une école : apprendre à aimer — un exercice, note C.S. Lewis dans son livre Apprendre la mort. Puisque comme le dit saint Augustin, il n’y a qu’un seul amour. Conviction que l’on retrouve, développée, sous la plume d’un spirituel iranien du XIIe siècle, du nom de Rûzbehan : « Amour humain, amour divin, “il ne s'agit que d'un seul et même amour, et c'est dans le livre de l’amour humain qu'il faut apprendre à lire la règle de l'amour divin.” Il s'agit donc d'un seul et même texte, mais il faut apprendre à le lire. » (Rûzbehân Baqlî Shîrazî, Jasmin § 160, p. 176-177, cit. H. Corbin).
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Philia
… Pour qu’en naisse une amitié/philia d’âmes : « […] en vivant un peu longuement avec la même femme, elle entre peu à peu dans leur paysage le plus intime, dans leurs fibres, dans leur passé, et […] elle devient ainsi inséparable d’eux-mêmes sans qu’ils s’en aperçoivent. Au bout d’un nombre d’années suffisant, ils sont organiquement incapables de se défaire d’elles sans se détruire. » (Benoîte Groult, La Part des choses, Grasset, 1972, p. 316)
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Ce que dit d’une autre façon Jésus… Cf. Matthieu 19, 4-6 :
4 le créateur, au commencement, fit l’homme et la femme
5 et il dit : C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair.
6 [...] Que l’homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni.
RP