... Étapes du dialogue judéo-chrétien
Il me semble que l'essentiel des points de Seelisberg, et même de l'avancée récente de Berlin sont désormais, pour les protestants, des acquis — au moins théoriques : il reste, et ce n'est certes pas rien, l'effort de vigilance pour une mise en pratique concrète générale... Cela dit, au plan théorique, il me semble que l'on est face à un acquis valant pour tous les courants du protestantisme, des plus libéraux aux plus conservateurs.
Le seul élément qui me semble faire difficulté théorique dans certains milieux protestants est celui qui concerne le prosélytisme.
C'est pourquoi je vais m'y arrêter, comme à une gageure. Je ne prétends pas apporter de réponse définitive, mais faire avancer la réflexion.
Ce point semble faire difficulté théorique parce qu'il semble se heurter à certaines paroles du Nouveau Testament concernant Jésus et sa fonction salvatrice, sa fonction de médiateur de l'accès à Dieu. La parole la plus marquante est celle donnée par Jésus lui-même dans l'évangile de Jean : « Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi » (Jean 14, 6) !
Tant qu'on n'a pas compris que Jésus, sa mère, ses disciples, les premiers « chrétiens », sont juifs, on ne peut que comprendre de travers son propos — et opter soit pour le rejeter, soit pour rejeter l'invite de Berlin, je cite : « exiger la confiance et l'égalité parmi tous les participants au dialogue et en rejetant toute tentative de convaincre les autres à rallier sa propre foi » ; «s'opposer à tout effort organisé pour convertir les Juifs ».
Or Jésus n'invite évidemment pas ses interlocuteurs juifs judéens à changer de religion ! Pour laquelle ? Pour la sienne ? Mais c'est la même ! Signe du salut selon Jésus lui-même dans ce même évangile de Jean (ch. 4) ! « Le salut, dit-il à la Samaritaine, vient des juifs » — précisément « des Judéens ».
Alors que veut dire ce propos — « nul ne vient au Père que par moi » ?
Quelques pistes, partant :
- de la distinction entre Jésus et l'Église ;
- de la distinction entre la parole éternelle et l'homme en qui elle se signifie.
Cela établi, on peut percevoir que Jésus selon Jean, qui parle toujours selon le point de vue de l'éternité du Fils de l'Homme venu à nous et signifié en lui ne pose pas l'instauration d'un autre culte dont il serait l'initiateur, mais pose radicalement tout culte — y compris le sien, le culte juif (et ça vaut donc a fortiori pour le culte chrétien ultérieur !) — dans sa fonction humble de signe. Aucun culte ne permet d'accéder à Dieu ! Mais c'est Dieu qui accède à nous en quelque sorte, en créant un disposition intérieure dont les disciples de Jésus reconnaissent en lui la réalisation.
Autrement dit, il n'est pas question ici d'un autre culte que le culte juif, il n'est pas non plus question non plus d'une autre disposition que celle de l'intériorisation de la relation avec Dieu dessinée par la Torah et les prophètes : la loi inscrite dans les cœurs par laquelle Jésus pose cette affirmation : « le Père et moi nous sommes un » — une parole de confiance en la grâce dont aucun culte, et a fortiori aucune ascendance au sens biologique ne permet d'y accéder. L'accès à Dieu est don, et est au fond accès de Dieu à nous, précédence de Dieu en nous.
*
Je propose de voir en une lecture de ce type du propos de Jésus jusqu'à un fondement pour comprendre l'appel de Berlin concernant Jérusalem : « En comprenant plus pleinement le profond attachement du Judaïsme à la Terre d'Israël comme une donnée religieuse fondamentale, et le lien de nombreux Juifs avec l'État d'Israël comme une question de survie aussi bien culturelle que physique. »
Car ici, s'il y accord global pour les chrétiens protestants, me semble-t-il, il y a parfois dissensus sur la façon de le comprendre.
La lecture du propos de Jésus permet de l'entendre façon essentiellement « sacramentelle » : ici s'est dessinée une culture, de source religieuse, qui pose autant de « signes » d'une réalité dont l'essentiel ne se confond pas avec le signe mais vise la réalité ultime qu'il désigne : « la loi inscrite dans les cœurs » — autant dire une vocation.
RP,
AJC Antibes, 17 juin 2010