<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: septembre 2019

samedi 21 septembre 2019

Arts et divertissements, perspective protestante





Journées européennes du du patrimoine 2019 (PDF ici)


Le Décalogue — Exode 20, 4-5 : « Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, en bas sur la terre, et dans les eaux plus bas que la terre — pour te prosterner devant elles ; tu ne les serviras point ».

Exode 20, 18 : « Tout le peuple voyait les voix » — formule étrange, qui, pour plusieurs commentateurs juifs, renvoie à l’Écriture, où en quelque sorte, on voit la voix de Dieu.


Le temple comme expression de la Renaissance humaniste et de la sola scriptura

L’Écriture : lieu d’unification, selon la Réforme, suite aux divisions issues du Moyen Âge. Car la rupture de l’unité de la chrétienté latine date, non pas du XVIe siècle, mais du XIVe, avec la division de la papauté-même (en 1378). Depuis, plusieurs mouvances tentent la réunification, une réunification qui ne soit pas de surface, mais vraie et profonde. Les tentatives médiévales de promouvoir l’unité ont échoué, que ce soit le Concile souverain (réuni à Constance de 1414 à 1418) ou le pape souverain. La division ne s’est pas résorbée quand a été rétablie l’unicité pontificale romaine (1418). La division de la chrétienté est restée concrétisée par la division en nations diverses contre un Empire impuissant à unifier.

La Réforme entre dans une des tentatives de réunification. Est apparue en effet une autre option unificatrice concurrente, outre le Concile, le pape, et l’empereur : la Bible. Une idée qui fait son chemin dans la mouvance de la Renaissance humaniste qui prône un retour aux textes de l’Antiquité, les humanités. Retour aux textes bibliques aussi. On sait que toutes les tentatives d’unification ont échoué. La division, remontant donc au XIVe siècle, sera entérinée par l’échec de la dernière tentative de réunification, impériale, qui étend les guerres civiles-religieuses à tout le continent, et consacre la division, au XVIIe siècle.

Quant à la Réforme, avec son principe Sola scriptura, elle participe à plein de la Renaissance, et à sa volonté unificatrice, ainsi qu'à ses incidences sur la conception de l'art. Le mot même de « temple » pour désigner l’église comme bâtiment relève du vocabulaire de la Renaissance.

Un exemple de cette proximité d’avec la Renaissance : Calvin fait jouer l’anagramme de son nom avec celui d’Alcuin, figure centrale du renouveau culturel de époque carolingienne.

La Renaissance, et avec elle la Réforme, entérine la distinction du cultuel et de la nature, dont témoigne en architecture le dépouillement du temple. Un dépouillement qui concerne le temple et le culte, comme un arc-boutant où viennent se transfigurer, se résoudre en parole inaccessible, selon que « Dieu habite une lumière inaccessible » (1 Timothée 6, 16) — Parole pourtant donnée comme Parole révélée —, où viennent se résoudre les arts — tous les arts sont légitimés — qui conduisent à ramener toute chose au Christ (2 Co 10, 4-5).

Exemple — légitimité des arts visuels (cf. infra, œuvre de Yu Inho, peignant la lumière, témoin de la lumière inaccessible). Calvin : « … je ne suis pas tant scrupuleux de juger qu’on ne doive endurer ni souffrir nulle image : mais, d'autant que l'art de peindre et de tailler sont des dons de Dieu, je requiers que l’usage en soit gardé pur et légitime, afin que ce que Dieu a donné aux hommes pour Sa gloire et pour leur bien ne soit perverti et pollu par abus désordonné, et non seulement cela : mais aussi tourné pour notre ruine… (Lettres, 1/11/2)
« Si on voulait conclure qu'il n'est point licite de faire aucune peinture, ce serait mal approprier le témoignage de Moïse. Il y en a qui sont trop simples et qui diront : "Il n'est point licite de faire image." C'est-à-dire de peindre nulle image, de ne faire aucun portrait ; or l’Écriture Sainte ne tend pas là, quand il est dit qu’il n’est point licite de figurer Dieu, pource qu'il n'a aucun corps ; or des hommes c'est autre chose, ce que nous voyons pourra se représenter par peinture… (Opera, 26/156)
« Il reste qu’on ne peigne et qu’on ne taille sinon les choses qu'on voit à l’œil. Par ainsi que la Majesté de Dieu, qui est trop haute pour la vue humaine, ne soit point corrompue par fantômes qui n'ont nulle convenance avec Elle. Quant à ce qui est licite de graver ou de peindre, il y a histoires pour en avoir mémorial ou bien figure ou médaille de bête, de ville ou de pays. Les histoires peuvent profiter de quelque avertissement ou souvenance qu'on en prend, touchant du reste, je ne vois à quoi il sert, sinon à plaisir… (Ibid.,1/391). In A.M. Schmidt, Jean Calvin et la tradition calvinienne, Seuil, coll. Maîtres spirituels, 1957, p. 142-143.


La Réforme entre Parole et musique

La Réforme protestante s’inscrit dans cette idée d’unification par un retour à la prédication d’une parole donné dans la langue du peuple, à partir des Écritures, et d’un culte clair qui en procède. Luther et les autres réformateurs revendiquent ainsi une sobriété esthétique, où tout s’axe pour le service d’une parole compréhensible, avec donc suspicion vis-à-vis de la musique cultuelle, y compris les instruments dont l’orgue en premier lieu, dans la mesure où il risque d’oblitérer la clarté du message (on est dans la lignée classique issue de saint Augustin), suspicion forte, mais très vite moins prononcée chez Luther.

Ainsi, à la différence des réformateurs suisses et notamment Zwingli, Luther (et le luthéranisme en général) admet rapidement la polyphonie, et les instruments, garde le vocable « messe » et même, outre la prédication nécessairement en langue vernaculaire, l’usage du latin en parallèle avec l’allemand, non pour la prédication, mais pour les sections classiques des « messes ». Zwingli préfère qu’au temple, on ne chante pas, qu’on on écoute la Parole de Dieu donnée dans la prédication des Écritures. Calvin admet le chant, des Psaumes, mais a capella de de façon monophonique. La musique n’est pas du tout prohibée, mais ne relève pas de la fonction du culte et du temple.

C’est par le luthérien Bach (il n’est pas seul, il a des précurseurs) que sera introduite l’abstraction musicale au cœur du culte — la musique relevant pourtant plus classiquement en protestantisme de l’art comme « divertissement » (selon le deuxième terme du programme de ces journées 2019 du patrimoine). On est, là aussi, dans l’héritage de la Renaissance. La Réforme participe d’une conception de l’art qui ne lui est pas exclusive.


Arts et abstraction du Moyen Âge à la Renaissance et à nos jours

Renaissance qui, le « dépassant », hérite du Moyen Âge des arts libéraux (ou francs, libres, c’est-à-dire concernant l’intellect) : le trivium : rhétorique, grammaire et dialectique (langage) et le quadrivium : arithmétique, géométrie, astronomie et musique (les sciences des nombres).
… En vis-à-vis des arts mécaniques (concernant la mise en œuvre de ce qui est pensé).

On ne connaît alors pas encore la classification moderne (datant des XIXe et XXe s. — on va y revenir, cf. infra) : 1. l’architecture ; 2. la sculpture ; 3. la peinture ; 4. la musique ; 5. la poésie ; 6. les « arts de la scène » ; 7. le cinéma ; 8. les « arts médiatiques », qui regroupent la radio, la télévision et la photographie ; 9. la bande dessinée ; 10. le jeu vidéo et le multimédia.
À quoi on pourrait ajouter (en 11e) l’art des parfums et l’art culinaire — odorat et goût (outre vue / architecture, sculpture, peinture ; toucher / sculpture ; ouïe / paroles et musique), puisque l’art concerne nos cinq sens.


Cinq sens

En tout cela, il est question de transfiguration de la nature dans l’art — on s’est arrêté sur la vue et l’ouïe —, dont le point culminant est dans la sobriété et le silence du temple, où, dans l’écoute d’une parole donnée à voir et dont la source nous transcende, se résolvent les aspirations de nos sens, nos cinq sens, avec ce qu’ils ont de connexe, en lien entre eux.

Où l’on retrouve l’Exode nous parlant de « voir les voix » — écho chez Baudelaire et ses « Correspondances » :

« La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »


Sens connexes, d’où il est question d’abstraire pour la faire pressentir l’intuition d’une vérité éternelle ; entre matière et esprit — et retour : appliquer : transformer la matière et soi-même : de la matière à la parole et au silence et retour. Façon de participation de l’humain à la création en marche, voire à la réparation d’un monde abîmé. Réparation du monde, tikkun ‘olam, selon la formule hébraïque du judaïsme, qui correspond (et pour cause : c’est issu de la même Bible) à la conception calvinienne de responsabilité, dont l’art est l’expression qui aboutit dans le retour vers Dieu de toutes choses au jour mis à part de la rencontre de Dieu, jour symbolisé au temple.

Jusque là, il s’agit de participer à l’œuvre créatrice, dans tous les domaines, chose perçue déjà dans l’Antiquité, revivifiée par la Renaissance, l’Antiquité qui donnait à l’art ses fameuses neuf Muses :

Calliope : poésie épique ; Clio : histoire ; Érato : poésie érotique et lyrique ; Euterpe : musique ; Melpomène : tragédie ; Polymnie : pantomime, rhétorique et chants religieux ; Terpsichore : danse et chant choral ; Thalie : comédie ; Uranie : astronomie et géométrie.

… Muses qui nous orientent déjà vers les classifications des arts que nous connaissons, comme la classification contemporaine rappelée précédemment.


Classifications modernes

Kant — luthérien. Risquons une hypothèse : héritier en cela de Bach, puisque issu des mêmes traditions du luthéranisme. Il classe l’art en trois domaines :
1. arts visuels (architecture, sculpture, peinture) ; 2. arts de la parole (poésie, etc.) ; 3. arts de la sensation (musique, couleurs. Cf. Raimbaud : « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles »).

Hegel — luthérien aussi ; et qui privilégie la parole par rapport à la musique, dans une gradation allant du matériel à l’expressif :
1. l’architecture ; 2. la sculpture ; 3. la peinture ; 4. la musique ; 5. la poésie.

Schopenhauer — se réclamant de Kant et le suivant quant à la primauté de la musique, de la façon la plus radicale puisque non seulement il met la musique au somment des arts, mais il la sort des classifications, en faisant l’expression même de la volonté créatrice à l’origine du monde. Son influence sur Wagner (mais aussi Mahler, etc.) est connue, comme celle de son « disciple » dissident Nietzsche sur Richard Strauss (Ainsi parlait Zarathoustra). Dans tous les cas, on est ici passé dans un au-delà des mots qui est très marquant aujourd’hui, et qui n’est sans doute pas étranger non plus au jazz et au rock, via une rejonction de l’art africain.

Dans tous les cas, on retrouve cette ascèse qui produit la simplification de l’abstraction, dans l’architecture du temple, dans la sobriété, jusqu’à l’abstraction dans les arts visuels (ici aussi dans une rejonction de l’art africain) ; abstraction qui via l’énonciation d’une parole que l’on voit débouche dans un silence dont la musique est la paradoxale expression sonore.


Conclusion : entre Parole « vue », musique et silence, « ramener tout au Christ »…


Dans un effort intellectuel, un combat spirituel, comme une prière de tous les sens, ainsi se présente l’art — 2 Corinthiens 10, 4-5 : « Car les armes avec lesquelles nous combattons ne sont pas charnelles ; mais elles sont puissantes, par la vertu de Dieu, pour renverser des forteresses. Nous renversons les raisonnements et toute hauteur qui s'élève contre la connaissance de Dieu, et nous amenons toute pensée captive à l'obéissance de Christ. »


RP, Journées européennes du du patrimoine, Poitiers, 21/09/2019


Yu Inho (peintre coréen) : « Je veux dessiner une image de la source d'inspiration avec la lumière.
En introduisant l'éclat de la vérité, une autre respiration qui respire et revitalise notre vie quotidienne, nous avons voulu exprimer les émotions du moment dans le sens de la vie, telles que "sens" et "relation". Je ne repose pas mon pinceau pour inviter la lumière, le "toit en ciel", à embrasser tant de vies avec amour.
J'espère que la lumière de la guérison brillera dans mon travail et qu'elle portera comme fruit "qu'il y avait de la lumière". »