<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: décembre 2017

samedi 16 décembre 2017

Noël, au terme de l’année Luther





La célébration de Noël, venue du Fils éternel de Dieu comme un tout-petit, en terme de l’année Luther…

« Christ, Dieu et homme, ne fait qu’une seule personne. Si je veux trouver Dieu, je vais le chercher dans l’humanité du Christ. Aussi, quand nous réfléchissons à Dieu, nous faut-il perdre de vue l’espace et le temps, car Notre-Seigneur Dieu, notre créateur est infiniment plus haut que l’espace, le temps et la création. » J’ai cité Martin Luther (Propos de Table). Luther nous le rappelle, lisant ainsi le début de l’Évangile de Luc (2, 15) : « Allons donc jusqu’à Bethléem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître » — : c’est au pied de la crèche que se découvre à Noël le Dieu de l’infini, c’est là la foi, devant Dieu, la seule source — sola fide — de la force qui le fera tenir ferme devant les hommes et affirmer :

« … À moins qu'on ne me convainque de mon erreur par des attestations de l'Écriture ou par des raisons évidentes — car je ne crois ni au pape ni aux conciles seuls puisqu'il est évident qu'ils se sont souvent trompés et contredits — je suis lié par les textes de l'Écriture que j'ai cités, et ma conscience est captive de la Parole de Dieu : je ne peux ni ne veux me rétracter en rien, car il n'est ni sûr, ni honnête d'agir contre sa propre conscience. »

C’est la réponse célèbre de Luther à l’empereur Charles Quint lors de sa comparution devant la diète de Worms, en avril 1521, alors qu’on lui demande de se rétracter pour le contenu de ses livres où il soutient la justification par la foi seule.

Réputée fondatrice de la liberté de conscience, cette réponse relève du principe sola Scriptura — l’Écriture seule. À commencer par la mise en question du commerce des indulgences, et à déboucher sur cette déclaration devant les hommes, Luther a trouvé la force dans l’humanité du Christ, le Dieu que nul n’a jamais vu, venu à Noël, selon l’Écriture (Jean 1, 18) — posant la Parole divine qu’il reçoit dans la Bible comme fondement libérateur de la conscience humaine.

Un principe, sola Scriptura, qui verra la parole ainsi semée porter des fruits imprévus par Luther. Libérer l’Écriture, comme il l’a fait, vaut libérer sa lecture. Avec Luther, voire malgré lui s’il le faut : l’attitude insoutenable du Luther vieux envers les juifs, est liée à ce que Luther, opposant Loi et Évangile, déconsidère de ce fait, malgré tout, la Bible hébraïque en soi : il en a enseigné des livres — les Psaumes ont été décisifs —, la lecture qu’il en fait est christocentrique « Si je veux trouver Dieu, je vais le chercher dans l’humanité du Christ » ; homme de son temps, Luther croit de là devoir délégitimer finalement toute autre lecture.

Laisser parler la Bible débouche sur le principe sur lequel insistera Calvin : « Scriptura sui ipsius interpres » — « l’Écriture est sa propre interprète », ce qui permet à Calvin de constater par exemple la non-abrogation de l’Alliance du Sinaï : elle ne peut pas être abrogée, reposant sur la fidélité de Dieu. Le même Dieu parle encore aujourd’hui, depuis les mots des anciens prophètes, qui résonnent jusqu’à nos jours. Dieu parle, à Noël sa Parole est devenue chair, a revêtu l’humanité (Jean 1).

L’humanité y est appelée à « vivre devant Dieu par la foi seule » — coram Deo sola fide vivere (Habacuc 2, 4 : « le juste vivre par la foi »). Contre les injonctions hurlantes et déshumanisantes qui ont mené à la nuit de l’humanité européenne du XXe siècle, toujours tapies dans l’ombre au cœur du continent qui avait reçu le message réformateur, — la conscience devant Dieu.


mardi 5 décembre 2017

À propos de « Cette mémoire qui engage »





Au moment où nous célébrons le cinquième centenaire de la Réforme, il nous revenait de dire, de vous dire, à nouveau, notre fraternité, la fraternité entre juifs et chrétiens, trop souvent ignorée au cours notre histoire. Depuis plusieurs décennies, la Fédération protestante de France, par sa commission pour les relations avec le judaïsme, s’attache à faire avancer les acquis, par le dialogue, par des colloques de réflexion et de travail, invitant les Églises à penser toujours plus fraternellement leurs relations avec les juifs. Au cœur de ces acquis, depuis la seconde moitié du XXe siècle, les Églises protestantes affirment que l’alliance de Dieu avec Israël n’a jamais été abrogée. Au point qu’un pas supplémentaire peut désormais être franchi : percevoir la non-conversion d’Israël au christianisme comme fidélité à l’alliance dont le garant est Dieu qui s’y est engagé. Fidélité d’Israël à l’alliance, aux livres bibliques qui la disent, à une terre qui la signifie – cela à travers une histoire qui se déploie et qui fonde notre mémoire, une mémoire partagée, cette mémoire qui engage !

« La mémoire est l’avenir du passé » écrit le poète Paul Valéry (Cahiers I, Mémoire). L'avenir, notre avenir forcément commun : il n’y a qu’un monde partagé. Et l’avenir, qui n'existe pas encore, n'advient que par ce que notre mémoire reçoit du passé…

Notre avenir se fonde sur notre relecture mémorielle d'un passé – aujourd’hui 1517 – qui en soi n'existe plus que par la relecture que nous en faisons. Relire, si possible ensemble.

Relire. Nous voilà avec une des étymologies du mot « religion », remontant à Cicéron (1er siècle av. J.C.) : la religion consiste selon lui à une relecture, du verbe « relire », « relegere » en latin. Relecture aujourd’hui dans une cité commune, se particularisant dans des cultes irréductibles les uns aux autres, mais reliés de toute façon, selon l'autre étymologie de « religion », celle de Lactance (IVe siècle ap. J.C.), rattachant le mot au verbe « religare », « relier ».

On a là quelque chose d’essentiel de ce qui ouvre l’avenir auquel la mémoire nous engage : une relecture d’un passé qui ne cache pas les blessures, mais aussi, et à travers cela, une relecture qui nous relie, pour un avenir fraternel…

Le passé ne nous advient que par les récits que nous en faisons, les récits par lesquels nous relions les faits à l'aune des relectures que nous en donnons, que nous nous en donnons. C’est déjà ce que fait la Bible, la Bible hébraïque, les écrits des prophètes d’Israël relus et relus encore, nous reliant à ce qui nous fonde et nous engage toujours à nouveau.

*

Célébrant en 2017 le cinquième centenaire de la Réforme, quel passé en faisons-nous surgir ? La Réforme s’ouvre en 1517 par une parole de libération reçue des Écritures, selon le principe sola scriptura, l’Écriture seule. Luther cite cette parole via l’Apôtre Paul, en écho à celle qui la fonde : la même parole de libération adressée, dans la Bible hébraïque, au prophète d’Israël Habacuc (2, 4) : « le juste vivra par la foi ».

Le principe du sola scriptura portera de nombreux fruits dans l’ordre de l’interprétation, y compris des fruits inattendus de la part de Luther lui-même : libérer l’Écriture, en effet, en revient aussi à en libérer la lecture et l’interprétation…

La question de l’attitude indéfendable de Luther envers les juifs est liée à ce que, opposant la Loi et l’Évangile, il place la Bible hébraïque au second plan. Certes, il enseigne les textes de la Bible ; les Psaumes, notamment, ont été décisifs dans sa compréhension de la foi, de même que le texte d’Habacuc. Mais la lecture qu’il en fait, délibérément christocentrique, délégitime à ses yeux toute autre lecture :

Les juifs ne recevront pas ses arguments christocentriques et ne se convertiront pas ? Luther s’emportera, alors, et de plus en plus violemment.

La compréhension d’un autre réformateur, Calvin, qui s’exprime dans ce principe : «scriptura sui ipsius interpres » – « l’Écriture est sa propre interprète », permet en revanche de discerner la pérennité de l’alliance de Dieu avec Israël : celle-ci ne peut pas être abrogée, affirme-t-il, car elle repose sur la fidélité de Dieu dont témoignent les textes, et elle garde, comme loi, sa force de réparation du monde.

Même si Calvin, en affirmant la pérennité de l’alliance du Sinaï, n’en tire pas lui-même toutes les conséquences, cette compréhension autorisera une lecture qui ne soit pas immédiatement christologique et regardera positivement une lecture juive de la Bible hébraïque. Est-ce cette conviction qui a marqué, entre autres, la mémoire des justes cévenols agissant durant la seconde guerre mondiale dans un refus radical de tout antisémitisme ?…

*

Malgré tout, les chrétiens avaient trop appris, jusqu’à la catastrophe de la Shoah, à lire l'existence du judaïsme comme fruit d'une infidélité des juifs à l'égard de leurs propres livres. Un travail sérieux de mémoire rend possible un autre regard à ce sujet : il n'y a pas d'infidélité des juifs à l'égard de leurs livres, pas plus qu’il n'y a d'infidélité des chrétiens à l’égard des leurs : il y a deux fidélités qui méritent, chacune, respect, estime, intérêt attentif.

Et l’on pourrait étendre ce travail de guérison des mémoires à tout dialogue inter convictionnel : personne n'est à considérer comme infidèle à ce qu'il a reçu ; mais une mémoire partagée doit pouvoir être tissée pour que l'avenir de notre passé soit un avenir fraternel.

Cela nous ramène au sens de ce mot de « religion » comme ce qui nous relie – en l'occurrence, qui nous relie à l'ultime, à ce qu'il y a de plus intime en nous, aux profondeurs spirituelles qui nous fondent les uns et les autres et qui émergent dans la mémoire collective.

L’entière guérison des blessures de l’histoire est hors de notre portée, nous le comprenons bien. Elle ne saurait relever, nous le pressentons comme un mystère, que d'un contact intime, au plus profond de nous, plus profond encore que le mal indicible, avec une parole qui nous rejoint inconditionnellement, nous touche plus profondément que les plaies de l’histoire.

Une parole telle que celle qui nous est donnée, héritage de mémoire bénie, celle, à nouveau, de la Bible hébraïque, au livre du prophète Ésaïe : « Je t'aime d'un amour éternel », dit Dieu, garant lui-même de l’alliance, affirmant : « quand les montagnes s’éloigneraient, quand les collines chancelleraient, mon amour ne s’éloignera point de toi, et mon alliance de paix ne chancellera point, dit le Seigneur, qui a compassion de toi » (Ésaïe 54, 10).

Cette mémoire enfouie, mémoire d’éternité, est celle-là même qui nous engage, les uns à l’égard des autres, et ensemble, au-delà de nos différences irréductibles, et même par nos différences irréductibles, à une vocation partagée au cœur du monde.


dimanche 3 décembre 2017

L’Amitié judéo-chrétienne de France fête ses 70 ans





Étapes d’un parcours de dialogue judéo-chrétien. Bilan et perspectives

L’Amitié judéo-chrétienne de France (AJCF) a 70 ans. Elle participe d’un vaste mouvement international fon­dé sur le refus d’un séculaire « enseignement du mépris », remplacé par une volonté d’ « enseignement de l’estime » (selon les termes de Jules Isaac, un des fondateurs de l’AJCF). Au fil des ans, grâce à des rencontres, colloques, conférences et déclarations, tant juives que chrétiennes de différentes traditions, un acquis désormais incontournable de reconnaissance réciproque s’est mis en place. Des perspectives se sont ouvertes, dessinant de nouveaux chemins qu’il s’agit désormais d’explorer pour avancer, à travers tout ce qui demeure nos différences, en approfondissant notre vocation à l’estime de ce qui nous est donné les uns par les autres pour le mieux-être du monde.

Bilan et perspectives (PDF ici)

RP, AJC Poitiers, 3 décembre 2017