<script src="//s1.wordpress.com/wp-content/plugins/snow/snowstorm.js?ver=3" type="text/javascript"></script> Un autre aspect…: décembre 2009

vendredi 25 décembre 2009

Noël... côté père




Matthieu 1, 17-25

18 Voici quelle fut l’origine de Jésus Christ. Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph; or, avant qu’ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint.
19 Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier secrètement.
20 Il avait formé ce projet, et voici que l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit: "Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse: ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint,
21 et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés."
22 Tout cela arriva pour que s’accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète:
23 Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel, ce qui se traduit: "Dieu avec nous".
24 A son réveil, Joseph fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit: il prit chez lui son épouse,
25 mais il ne la connut pas jusqu’à ce qu’elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus.

*

Lorsque Matthieu nous présente Joseph, il nous présente un homme qui a déjà pleinement assumé ce qui lui arrive. Homme juste que Joseph, dit le texte. Un juste qui ne veut pas exposer sa fiancée à la honte et à la menace qui pèse sur une femme adultère ; elle dont il a pourtant d’abord pensé, mettons-nous à sa place, qu’elle l’a trompé… Avant même le mariage. Voilà ce qu’a dessiné le texte.

Joseph, homme juste, homme de « pardon », comme le Joseph de la Genèse pardonnant à ses frères. Cet autre Joseph, celui de Marie, pardonnant… à Dieu-même ! Et adoptant Jésus.

Mais quel rapport entre l’adoption de Jésus par Joseph et nous ?, me direz-vous peut-être. En quoi cette naissance, la naissance de cet enfant déjà Roi, me concerne ? En quoi dit-t-elle le retour à Dieu et le terme du cheminement de son peuple ? Qu’en est-il pour moi au-delà de la simple histoire de cette jeune fille, Marie, qui a un enfant sans que son fiancé n’y soit pour rien ? Eh bien, au-delà de cette superbe histoire de pardon et d'adoption, l'Évangile nous offre la parole du salut en Jésus-Christ.

Joseph adopte Jésus comme son enfant. Comme le nom même de Jésus l'indique (1, 21), il porte le salut du Seigneur ; le nom Jésus signifiant « le Seigneur sauve » ; il est lui-même en sa chair, la lumière et la Parole de Dieu, notre vie éternelle, le projet de Dieu pour nous.

Eh bien, c’est cela qu’il s’agit pour nous aussi d'adopter : le salut de Dieu, son projet pour nous — pour que s’accomplisse la promesse selon laquelle Dieu sera avec nous : Emmanuel.

Où se résout le fameux dilemme, à savoir : mais enfin, comment s’appelle-t-il, ce petit : Jésus ou Emmanuel ? Le Seigneur sauve, selon le nom « Jésus » — et ce salut est sa présence avec nous — Emmanuel, Dieu avec nous ; selon la promesse de la bénédiction : « le Seigneur est avec toi ». Jésus présence de Dieu parmi nous, demeure de Dieu, son Temple, qu’il nous faut être à notre tour.

Pour cela, il nous appartient d’accepter à notre tour ce que Joseph a accepté : accepter que la réalité la plus importante de notre vie ne vienne pas de nous-mêmes. Le salut éternel n’est pas quelque chose que nous devons produire par nous-mêmes, il est à recevoir, à adopter comme Joseph adopte dans la foi l’enfant que porte Marie. Le salut de Dieu est ainsi comme une réalité nouvelle qui nous surprend et nous dépasse, une réalité vivante que l'on ne peut connaître qu'en acceptant de la recevoir et de l’aimer : « Dieu avec nous ».

Joseph a du mal à accepter cette naissance, nous avons du mal à adopter le salut de Dieu. Cela choque notre volonté naturelle, celle d'être, tout seul, artisan de notre vie. Mais c'est vital. C'est déjà une bonne idée de placer son espérance, sa foi, en quelque chose de plus grand que soi-même. C'est déjà bien, par exemple, d'avoir foi en un idéal.

Mais plus que cela, en choisissant d'adopter cet enfant, Joseph reconnaît à Dieu sa place au-dessus de lui-même. Et il nous indique à l’avance que Jésus vient pour une mission inouïe : notre salut éternel.

Joseph, alors, a choisi : placer sa foi en Dieu, et faire passer ses propres aspirations après.

*

C'est ainsi que l'accomplissement de nos vies se fait quand nous sommes habités, transformés, fécondés par la présence de Dieu. C’est pourquoi Jésus s’appelle aussi Emmanuel, c’est-à-dire « Dieu avec nous ».

Cette transformation, cette nouvelle dimension de notre vie est au-delà des mots de notre quotidien.

Aussi les témoins de Jésus en parlent-ils par images — disant que nous pouvons devenir "enfants de Dieu", que nous pouvons "naître d’en haut", "naître de Dieu", "naître du souffle de Dieu".

Autant d’expressions qui nous disent aussi que notre naissance spirituelle est quelque chose qui doit se vivre dans notre quotidien. Cette vie nouvelle ne peut entrer dans notre vie qu'à l'exemple de la naissance du Christ, Dieu venant féconder ce que nous sommes pour qu'il en naisse quelque chose de nouveau et d'éternel.

Notre vie biologique pour heureuse qu’elle puisse être, est évidemment limitée en durée et en qualité. Quelle qu’elle soit, Dieu vient dans notre propre histoire, d’Abraham à nos jours, et il y vient comme de l’extérieur, pour nous féconder et faire grandir en nous une réalité nouvelle. Comme l'Esprit de Dieu porte la parole qui fait germer le corps de Marie.

Cette présence, tout en nouveauté, de la vie divine dans le quotidien de Marie est à l'origine de la conception de l’être nouveau qu'est Jésus — qui est ainsi fils de Dieu et d’une fille des hommes.

Notre existence est faite pour être fécondée par la présence permanente de la nouveauté de vie en Dieu, au cœur de notre réalité biologique, intellectuelle, sociale, artistique, professionnelle, etc.

Sans cette fécondation, nous restons stériles pour Dieu. Une vie ignorant sa portée spirituelle oublierait de manière illusoire ne serait-ce que le vieillissement inexorable de notre corps, en se réfugiant dans l'agitation. Attitude et stérile et frustrante, sans avenir.

En sens inverse, nier la dimension matérielle et concrète de nos êtres appelés comme tels à être fécondés par la parole de Dieu, conduit également à une vie évidemment incomplète, selon que « qui veut faire l’ange fait la bête ».

Pour être ce que nous sommes selon l'image du Christ, nous devons naître comme lui. C'est-à-dire recevoir la présence de Dieu au cœur de notre histoire personnelle, pour que nous devenions enfant de Dieu selon notre humanité.

La présence de Dieu dans notre vie ne remplace pas ce que nous sommes, elle le féconde. Et ce nous-mêmes qui naît de la sorte est effectivement un être nouveau, mais c'est en même ce que nous sommes — en plénitude, comme réalité nouvelle fondée en Dieu.

C’est de la sorte qu’en Jésus, Dieu accomplit le salut des enfants d’Abraham, enfants de la foi, et cela dans le concret de nos vies.


RP,
Veillée de Noël, Antibes 24.12.09



vendredi 11 décembre 2009

"La modernité d'une Réforme..."







Deux textes, dont l’un extrait d’un manuel scolaire actuel :

« Nul ne doit jurer ni blasphémer le nom de Dieu, sous peine la première fois de baiser terre, la seconde fois de baiser terre et payer trois sous, et la troisième fois d’être mis en prison trois jours. […] » (D’après Calvin, Ordonnances sur les mœurs, 1539 / Manuel scolaire de 5e, Histoire-Géographie, coll. Martin Ivernel, Hatier, 2005, p. 163.)

2e texte — qui n’apparaît pas dans le manuel scolaire : la loi qui, à la même époque que les ordonnances calvinistes genevoises citées ci-dessus, est en vigueur en France :

« […] Tous ceux qui diraient paroles, injures et blasphèmes contre notre Créateur et ses œuvres, contre la glorieuse vierge Marie, sa mère bénie, ses saints et saintes, ou qui jureraient sur eux, seront mis pour la première fois, au pilori où ils demeureront de une heure jusqu’à neuf heures, on pourra leur jeter aux yeux de la boue ou autres ordures, sauf des pierres ou choses qui pourraient les blesser. Après ils demeureront un mois entier en prison au pain et à l’eau. A la seconde fois, on leur fendra la lèvre supérieure avec un fer chaud jusqu’à ce que leurs dents leur paraissent, à la troisième fois la lèvre inférieure ; et à la quatrième fois les deux joues ; et si par malheur, il leur arrivait de mal faire une cinquième fois, l’on leur coupe la langue en entier, qu’ainsi ils ne puissent plus dire de pareilles choses. […] » (Ordonnance royale, donnée par Charles VI le 7 mai 1397, renouvelée régulièrement jusqu’en juillet 1666).

Une étourderie, sans doute, doit expliquer l’absence du second texte dans le manuel scolaire… Étourderie de même, probablement, que d’avoir retenu, sur les milliers de pages écrites par Calvin, cette seule « illustration » de « sa pensée »… Où on va voir que Calvin met en œuvre une surprenante atténuation des rigueurs de son temps…

* * *

En octobre 1534 a eu lieu à Paris « l’affaire des placards » : des écrits contre la messe affichés en divers lieux. Les « luthériens », comme on appelle les partisans de la Réforme, sont accusés… Les persécutions, sur le mode que l’on vient de dire, se déchaînent à leur encontre.

« On dépensa des trésors d’ingéniosité pour faire bellement souffrir les hérétiques, écrit l’historien Robert Hari (article « Les Placards de 1534 » dans Aspects de la propagande religieuse. Genève : Droz., 1957, p. 98) ; bagatelles, dit-il, que, selon la coutume, de percer les langues au fer chaud, d’arracher les joues par des crochets, de couper les poings, de brûler vif. On perfectionna un supplice appliqué [selon l’historien Nathanaël Weiss] pour la première fois en 1528 à l’endroit de Denis de Rieux, qui consistait en une utilisation astucieuse de l’estrapade : le condamné était suspendu à une potence au-dessus des flammes et plongé à plusieurs reprises dans le bûcher de façon que sa mort ne fût pas trop rapide. Excellent moyen de prouver la supériorité de la «religion chrestienne» sur les autres, et d’instruire efficacement badauds et belles dames, friands de ce spectacle de choix, sur le sort qui les attendait s’ils avaient la velléité de quitter le giron de l’Eglise. »

En 1545, ce sont les vaudois du Luberon qui font les frais de cette violence persécutrice :

« En avril [1545], la persécution commence, avec comme chefs militaires Paulin de La Garde et Joseph d’Agoult, sous la direction du premier président du Parlement d’Aix, Jean Maynier baron d’Oppède. Les villages vaudois sont pillés, les hommes massacrés ou envoyés aux galères, les femmes violées avant d’être tuées. Certains sont vendus en esclavage. Les terres sont confisquées. Les biens pillés sont bradés au dixième de leur prix, pour payer les soldats. Les violences débordent, les villages alentour les subissent aussi. Le chef de la résistance vaudoise Eustache Marron a son fief à Cabrières (actuel Cabrières-d’Avignon)... C’est pourquoi le village sera détruit le 19 avril, tout comme 23 autres villages vaudois du Luberon, massacrés par l’armée du baron, qui a exterminé 3000 personnes en cinq jours et envoyé aux galères 670 hommes, des deux côtés de la montagne du Luberon. De plus, le passage des soldats empêche les cultures, les troupeaux sont tués, et un nombre indéterminé de paysans meurent de faim. »
(http ://fr.wikipedia.org/wiki/Vaudois_du_Luberon)

En 1547, c’est une étape nouvelle, selon ce que rapporte Jean Cadier (Calvin p. 112 — cit. Nathanaël Weiss, La chambre ardente, Paris 1889) : « Henri II avait institué en 1547 au Parlement de Paris la "chambre ardente" qui, en quatre ans, envoya au bûcher plus de 600 évangéliques, des "luthériens" comme on les appelait alors ».

*

Telle est l’ambiance en France. Suite à « l’affaire des placards », le picard Calvin, juriste français qui a déjà une notoriété européenne d’humaniste, confessant déjà publiquement sa foi, doit donc quitter Paris. Il cherche un séjour calme pour poursuivre ses études. Il se retire à Ferrare, Strasbourg et Bâle.

En avril 1536, immédiatement après la parution d'une première édition de ce qui est alors un catéchisme, l’Institution de la religion chrétienne, Calvin doit rentrer à Paris y rencontrer ses frères et sœurs. Ensuite, il souhaite aller à Strasbourg. Mais il ne peut pas emprunter le chemin direct parce qu’une nouvelle guerre a éclaté entre le roi de France François Ier et l’empereur Charles Quint. Ainsi, il est contraint de faire le voyage par Lyon et Genève, ce qui aura des conséquences considérables.

Je le cite : « Le chemin le plus court pour aller à Strasbourg, ville dans laquelle je voulais me retirer à l’époque, était fermé par la guerre. C’est pourquoi je pensais être seulement de passage ici à Genève et n’y rester qu’une nuit. À Genève, la papauté avait été abolie peu avant par l’honnête homme que j’ai mentionné auparavant [Farel] et par le maître des arts Pierre Viret. Mais les choses n’avaient pas évolué comme prévu et il existait des querelles et des clivages dangereux entre les habitants de la ville. À l’époque, un homme m’a reconnu... [du Tillet] et a appris ma présence aux autres. Par la suite, Farel (enthousiaste à l’idée de faire la promotion de l’Évangile) a fait tous ses efforts pour me retenir. Ayant entendu que je voulais demeurer libre pour mes études privées et compris qu’il ne pouvait rien obtenir par les supplications, il est allé jusqu’à me maudire : Dieu devait condamner mon calme et mes études si je me retirais dans une telle situation critique au lieu de proposer mon aide et mon soutien. Ces mots m’ont fait peur et m’ont bouleversé au point que j’ai renoncé au voyage prévu. Mais, conscient de mes peurs et de ma crainte, je ne voulais à aucun prix être obligé d’occuper un ministère déterminé. » (J. Calvin, Préface au commentaire des Psaumes.)

C'est ainsi qu'à l’appel de Farel qui sait ses capacités de théologien, Calvin reste à Genève (1536), non pas comme prêtre ou prédicateur attitré mais comme «lecteur des Saintes Écritures de l’Église de Genève.» Mais bientôt, il est invité à prêcher et à contribuer à la formation de l’Église.

Calvin et Farel seront relevés de leurs fonctions et devront quitter la ville deux ans après, l’opposition étant majoritaire depuis les élections de 1538. On va jusqu’à faire mine de soupçonner Calvin de nier la nature divine de Jésus-Christ — accusations qui n’ont pu que jouer un rôle, plus tard, en 1553, dans l’acceptation par Calvin — qui pèse encore contre lui — de la condamnation de Servet, anti-trinitaire, par le magistrat de la ville.

Servet, poursuivi par l’Inquisition, brûlé en effigie à Lyon, s’est réfugié à Genève, peut-être parce que la souplesse de la Cité de Calvin peut lui laisser espérer de s’en sortir !

Il y sera condamné finalement condamné selon la Loi de l’Empire qui y vaut alors : « La Carolina, ordonnance criminelle de Charles Quint (1500-1558) qui était en vigueur à Genève et dont l’article 106 prévoyait pour les blasphémateur une peine corporelle ou la mise à mort ». (Christoph Stromm, in Hirzel – Sallmann, Calvin et le calvinisme. Cinq siècles d'influence sur l'Eglise et la Société, Labor & Fides, 2008, p. 272.)

*

C’est le conseil de Genève qui condamnera Servet en 1553, comme un autre conseil avait chassé Calvin moins de deux décennies avant, suite aux élections de 1538 (cf. supra). Le conseil d’alors était tout de même allé jusqu’à interdire à Calvin et Farel de prêcher le dimanche de Pâques… Calvin souhaite retourner à Bâle pour y poursuivre ses études… et se retrouve à Strasbourg, en 1538 donc, pressé par le réformateur de la ville, Martin Bucer, qui insiste jusqu’à ce que Calvin accepte de devenir le pasteur de la paroisse des réfugiés français, à laquelle il donne le modèle strasbourgeois, qui marquera sa conception de l’Église.

À Strasbourg Calvin épouse Idelette de Bure, veuve d’un ex-anabaptiste devenu un de ses amis. Plus tard, à Genève, elle lui donnera un fils, Jacques, mort en bas âge. Idelette mourra quelques années après, en 1549. Car le 13 septembre 1541, Calvin rappelé pour la seconde fois à Genève, y arrive à nouveau à contre cœur. Il reprend la chaîne de ses prédications au texte où il l’avait laissée.

Mais contrairement à ses plans, il ne reste pas à Genève seulement quelques mois mais pour le restant de sa vie. Il marquera la ville de son enseignement, au point que la calomnie en fera un dictateur théocratique, alors qu’il n’y a jamais eu le pouvoir. Il n’en devient citoyen que peu avant sa mort. Calvin n’a pas voulu la tâche qui lui a été comme imposée à Genève.

*

Contre l’ignorance et le libertinage, il y va mener patiemment, par sa parole, œuvre de salut public, dans une société malade de la prostitution, de la pauvreté, du chômage, et de ses riches.

… Cela selon l’historien Pierre Janton, qui résume ainsi l’apport de Calvin à son époque : « Il nous donne un bel exemple car quand on voit l’œuvre qu’il a réalisée à Genève pour le bienfait de cette cité et en dépit de tous ceux qui avaient intérêt à maintenir la cité à la fois dans l’ignorance et dans le libertinage, quand on voit l’œuvre et le courage dont il a fait preuve, on ne peut qu’admirer cet homme-là, car on a beaucoup critiqué son rigorisme moral mais c’était une œuvre de salut public, c’était une société malade de la prostitution, de la pauvreté, du chômage, et malade de ses riches car ceux qui s’opposaient à Calvin c’étaient des gens qui voulaient continuer à bénéficier des avantages financiers qui ruinaient la cité et à qui Calvin et ses amis ont fini par "faire rendre gorge" ».

École obligatoire, hôpitaux, ou, parmi les effets de la réforme des mœurs, lutte contre l’alcoolisme ou l’addiction aux jeux qui font des ravages dans des sociétés en proie à la misère. Choses qui entrent en compte dans ce qu’on a appelé son « rigorisme », comme aussi sa dénonciation des violences conjugales : à une époque où « charbonnier est maître chez soi », on ne voit pas d’un très bon œil que l’on conteste la pratique de ceux qui battent leur femme…

La réforme de l’Église est au cœur de la réforme de la société, puisque c’est le seul moyen dont dispose Calvin, qui n’a jamais été membre des conseils de direction de la ville. Le catéchisme joue un rôle non négligeable, ainsi que la fondation, en 1559, d’une Académie, avec trois chaires : grec, hébreu et philosophie.

L’Église est organisée selon un système représentatif, le consistoire, équivalent, mutatis mutandis, du conseil presbytéral actuel, composé de laïcs et de pasteurs. L’Église selon Calvin, reprenant le modèle de Strasbourg : une Église non-hiérarchique dotée de quatre ministères : pasteurs, docteurs, diacres, anciens.

Une Église bâtie sur un modèle faisant jouer volontairement les contre-pouvoirs, ce qui aura des incidences considérables sur le développement des systèmes politiques modernes, via la révolution puritaine anglaise, d’inspiration calviniste, et dont l’influence sur les révolutions américaine et française est patente.

Pour Calvin, nulle instance, nul pouvoir absolu, Église ou État, ne détient de la vérité ultime, qui nous précède infiniment. Où l’on rejoint le thème de l’élection fondée avant l’origine du monde.

* * *

Une Alliance qui ne peut être rompue

Dieu nous assure de son élection par la seule foi qu’il est fidèle à sa promesse — Institution de la religion chrétienne (IC), III, xxiv. Il nous a signifié sa garde en scellant alliance avec nous. Et cette Alliance nous précède, remontant avant la fondation du monde dans la promesse du Dieu éternel, et scellée dans le temps bien avant nous. Scellée avec Abraham.

Car c’est de cette Alliance-là qu’il s’agit : il y a une seule alliance, celle passée déjà avec Abraham : «l’Alliance faite avec les Pères anciens est si semblable à la nôtre, qu’on la peut dire une même avec elle. Seulement elle diffère en l’ordre d’être dispensée» — IC II, X, 2.

Car Calvin établit la théologie sur la Bible entière, pas seulement sur le Nouveau Testament. Voilà qui porte des conséquences considérables — et notamment sur la considération de l’Alliance avec Israël, et de sa pérennité, sans laquelle l’Alliance ne vaut pas non plus pour les chrétiens.

Cette Alliance, scellée déjà par Dieu avec Abraham, Isaac et Jacob, avec Moïse et le peuple au Sinaï, n’est pas résiliable. Dieu-même s’est engagé ! L’Alliance conclue par Dieu avec les Pères n’ayant «pas été fondée sur leurs mérites mais sur sa seule miséricorde».

Dieu s’est engagé de façon irrévocable. Une révocation serait même contradictoire en christianisme, puisque la «nouvelle» Alliance — «nouvelle» non pas parce qu’elle serait autre, mais en tant qu’Alliance unique renouvelée — ; la «nouvelle» Alliance-même, donc, repose sur cette même fidélité de Dieu !

À nouveau, «l’Alliance faite avec les Pères anciens est si semblable à la nôtre, qu’on la peut dire une même avec elle. Seulement elle diffère en l’ordre d’être dispensée» — IC II, X, 2.

Dès lors la promesse rappelée par Paul à Timothée ne vaut pour les chrétiens que si elle vaut pour les juifs : «si nous sommes infidèles, Dieu demeure fidèle car il ne peut se renier lui-même» (2 Timothée 2, 13).

*

Une nouvelle Alliance ne saurait donc qu’être une Alliance renouvelée, l’Alliance déployant ses effets.

Nous voilà donc au cœur de l’enseignement de Calvin reconnaissant une seule Alliance, scellée avec Abraham, et «déployée en Jésus-Christ». C’est pourquoi les formes que prend cette unique Alliance sont secondes par rapport au lien qui se scelle en la promesse de Dieu, en sa parole-même, qui transcende les signes où elle nous est annoncée, que ce soit les signes propres au judaïsme, ou ceux du christianisme.

La réalité essentielle nous transcende. Elle est fondée dans l’éternité de Dieu, signifiée dans le temps à Abraham et aux patriarches, et « déployée en Jésus-Christ ».

Ici se noue le lien entre la conviction chrétienne de Calvin — concernant Jésus en qui se déploie l’Alliance — et le fait que l’Alliance avec Israël ne soit en aucun cas rompue. C’est la même Alliance que celle qui se déploie en Jésus-Christ en qui se signifie, se dévoile comme dimension intérieure, spéciale (concernant l’Église invisible), l’élection générale scellée avec Abraham. Tandis que c’est dans l’ordre de cette élection générale que se constitue l’Église visible comme peuple élargi aux nations pour une vocation qui rejoint celle adressée à Abraham et à Israël.

Car, ayant parlé d’élection, il convient de préciser qu’il s’agit là avant tout essentiellement d’une vocation à porter une parole et pas d’un privilège en forme de mol oreiller.

* * *

À nous d’exercer nos responsabilités dans l’application de cette Alliance unique aux temps, aux lieux, aux cultures et aux peuples divers.

L’Alliance unique se déploie selon les diverses cultures, et le respect de leurs traditions propres. Ce qui s'induit d'une lecture à la fois exigeante et souple du texte biblique et de la loi telle qu’elle règle la vie de l’Israël biblique.


Calvin et la Loi de la liberté

Calvin distingue trois usages de la Loi biblique : l’usage pédagogique, l’usage politique et l’usage normatif.

— Selon son usage pédagogique, la Loi produit en l’homme la conscience de son incapacité à accomplir ce qu’elle prescrit ou défend (exemple classique : l’interdit de la convoitise — qui peut dire être exempt de convoitise ? Son interdiction est pourtant un précepte du Décalogue / précepte final les «Dix commandements»). Sous cet angle, la Loi sert de «pédagogue» pour nous conduire à recourir à la grâce de Dieu : reconnaissant n’être pas à la hauteur de ses exigences, j’en appelle à Dieu. (Galates 3 :24 : « la loi comme pédagogue pour nous conduire à Christ » en qui la grâce de Dieu est dévoilée en toute clarté, « afin que nous soyons justifiés par la foi »).

C’est là le fondement de l’enseignement luthérien de la justification par la foi seule, reçu sans réserve par Calvin.

— Selon son usage politique ou civil, la Loi a pour but de restreindre le mal dans la Cité et de promouvoir la justice. Elle fournit des principes, qui s’appliquent de façon analogique selon les temps et les lieux dans la vie civile et politique.

— Selon son troisième usage, la Loi devient chemin de libération. C’est pour Calvin, qui se démarque ici de Luther, le principal usage de la loi : notre libération est effectivement mise en œuvre par ce que produit en nous l’injonction de la Loi.

Exemple : le commandement donné à Abraham, ou au peuple libéré de l’esclavage : «quitte ton pays», «sors de l’esclavage». La libération qui est dans le recours à la grâce ne produit son effet que si elle reçue et donc mise en œuvre.

La liberté donnée à la foi seule qui reçoit la grâce — ce seul recours, selon l’usage pédagogique de la Loi — ; cette liberté ne devient effective que lorsque l’exigence de la Loi donnée comme norme suscite, parce qu’elle est entendue, la mise en route obéissante.

*

Où il faut parler, à côté de trois usages de la Loi, de trois aspects de la Loi : l’aspect moral, l’aspect cérémoniel et l’aspect judiciaire.

L’aspect cérémoniel (les cérémonies religieuses de la Loi) et l’aspect judiciaire (dans la gestion de la vie le la Cité), sont perçus, quant à leur lettre, comme correspondant à un temps et à une culture donnée. Mais ils peuvent varier dans leur pratique selon les circonstances. Ainsi, quant à l’aspect cérémoniel, on ne pratique pas aujourd’hui de sacrifices d’animaux dans le Temple de Jérusalem — de toute façon détruit (sacrifices correspondant pourtant à des préceptes cérémoniels).

Une perspective calviniste considère que cela vaut pour tout commandement en son aspect cérémoniel — lié à des temps, des lieux, des cultures. Cela vaut aussi pour l’aspect judiciaire : par exemple les formes de gouvernements, qui sont variables selon les lieux.

En revanche l’aspect moral, comme norme idéale, comme visée de perfection — qui au-delà du Décalogue, se résume au « double commandement » : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton être et ton prochain comme toi-même » — ; cet aspect de la Loi n’est pas sujet aux variations culturelles, même si son application s’adapte aux circonstances dans ce qui est l’usage normatif de la Loi.

Le troisième usage de la Loi, l’usage normatif, apparaît alors comme mise en œuvre de son aspect moral, comme injonction libératrice.

Où l’on retrouve les préceptes comme «lève-toi et marche» commandement adressé par Pierre au paralytique ; «sors de ta tombe» ; commandement adressé par Jésus à Lazare, «va pour toi» (lekh lekha) commandement adressé dans la Genèse à Abraham — et «tu choisiras la vie», l’injonction libératrice que donne le Deutéronome.

Telle est alors la parole de Dieu donnée comme Loi, parole libératrice, créatrice d’impossible.

Dieu vivant et vivificateur par la Parole qui fonde de la sorte la création. Par une parole de libération établissant pour la liberté des êtres responsables.

* * *

C’est ainsi que le système proposé par Calvin, si tant est qu’il en propose un ! — n’est pas un système figé.

Car l’idée d’intransigeance chez Calvin fait aussi partie des caricatures. Calvin est plutôt un pragmatique, et en ce sens un homme de grande souplesse ! Certes, l’intransigeance est coutume de son époque. Mais Calvin a une capacité d’adaptation remarquable. L’urgence pour Calvin est que la Réforme soit acceptée en Europe. D’où ce pragmatisme étonnant. Cela débouchera parfois sur une espèce de paradoxe entre ses exigences et la réalité du pouvoir politique en place. Ainsi, il fera preuve d’un solide réalisme politique, par exemple en Angleterre. La Réforme trouve, là-bas, un écho favorable et malgré des divergences sociales profondes avec les successeurs protestants d’Henri VIII, l’homme soutiendra ce régime politique. Pour Calvin, la Réforme doit être établie, et pour cela, il sera prêt à transiger, précisément, sur des questions qui pour lui sont au fond, pourrait-on dire, culturelles !

Car dans la théologie de Calvin l’implication de l’Evangile suppose une grande souplesse concernant l’adaptation culturelle. Calvin, c’est essentiellement la théologie de l’Alliance.

Cette Alliance transcende les rites dans laquelle elle se signifie. Le texte biblique renvoie à un engagement de Dieu : Dieu nous précède dans son engagement à notre égard. Cet engagement nous rejoint dans notre histoire et nos cultures humaines.

Cependant c’est Dieu qui est premier et notre culture seconde. D’où une relativisation de nos cultures diverses. Où il me semble bon de rappeler que le premier ouvrage de Calvin est son commentaire sur le De Clementia de Sénèque. Sénèque avait rédigé son ouvrage pour inciter Néron à user de clémence envers ses sujets, de modération ! Cela a probablement fait partie des influences du réformateur !

L’analogie et l’adaptation valent aussi ici aussi. Lui qui préfère à Genève, petite cité, le système pouvoirs – contre-pouvoirs, repris de la Strasbourg de Bucer, fait montre dans sa correspondance avec le roi d’Angleterre Édouard VI d’une remarquable souplesse à l’égard du système épiscopal anglais que combattrons les calvinistes puritains au nom du système représentatif calvinisme. L’organisation de l’Église sur un mode représentatif sera pour eux l’arrière-plan de l’organisation de la société.

Où l’on atteint à la fois les limites de l’œuvre de Calvin lui-même et les potentialités considérables qu’elle porte, puisqu’elle débouchera bel et bien, via la révolution puritaine, sur les systèmes représentatifs modernes…

RP
Vendredi 11 décembre 2009


Cf. :
Calvin au-delà des caricatures
Calvin et les manuels scolaires…
Aspects de l'apport de Calvin à son époque
Calvin et la Loi de la liberté
La résurrection du Christ
Une Alliance qui ne peut être rompue
Année Calvin. Un cheminement intéressant...
Pourquoi Calvin aujourd’hui ?
Obsession Calvin



mercredi 9 décembre 2009

Juifs ou Judéens ?





On sait la polémique récurrente — dont une des dernières espèces s’est levée autour de « La passion du Christ » de Mel Gibson — : « les juifs » sont-ils en cause dans la crucifixion de Jésus ? L’idée est récurrente, mais tout simplement anachronique ! Les évangiles réfèrent à une situation où il n’y pas de polémique judéo-chrétienne. Et pour cause, il n’y a pas encore de « chrétiens » ! L’ « Église chrétienne », qui naîtra plus tard, cessera d’être essentiellement juive seulement après la rédaction du Nouveau Testament.

Au temps du ministère de Jésus, il y a, dans un pays occupé par les Romains, des juifs d’obédiences diverses, souvent divergentes ; et de régions diverses. Dans ce cadre-là, un des contentieux est celui qui ressort des tensions entre Judée et Galilée ; qui qualifient souvent la tension entre les disciples juifs du juif Jésus et les courants plus « officiels » de la foi juive. Or, le même mot dans le grec du Nouveau Testament désigne à la fois les « juifs » en général et les « Judéens » en particulier (« ioudaioi »). En contexte juif palestinien, comme c’est le cas dans les évangiles, quand on veut désigner spécifiquement tel ou tel courant juif particulier, de telle ou telle obédience, géographique ou théologique, on ne peut évidemment pas l’appeler « les juifs » (encore une fois ils le sont tous : cela ne signifierait donc rien). Le terme « ioudaioi » est en revanche naturellement utilisé dans ce contexte pour désigner les Judéens, les habitants de la Judée, afin de les distinguer des Galiléens (et les Galiléens, disciples de Jésus ou pas, sont juifs comme les autres) — ou des Samaritains, de ceux de la Décapole, etc. Ce n’est que dans la diaspora que le lieu référentiel central des juifs en général, la Judée, avec Jérusalem pour capitale, en vient à prendre un sens plus global, et que « ioudaioi » reçoit la signification qu’on lui connaît.

Chaque mise en cause évangélique des « ioudaioi » se situe de fait dans le cadre des polémiques interrégionales palestiniennes, et en aucun cas dans le cadre d’une polémique entre deux religions — dont la seconde n’existe pas ! Les tensions autour de Jésus et de ses disciples sont de l’ordre des tensions avec le pouvoir : Rome ultimement, et médiatement le lieu de son pouvoir, exercé directement (Pilate) ou indirectement (les Hérodiens) ; dans les deux cas, évoquant la Judée. Ce faisant le Nouveau Testament est tout simplement dans la ligne des anciens prophètes juifs, qui n’étaient pas toujours tendres avec le centre du pouvoir. Ainsi, dans les évangiles, la mise en cause des « ioudaioi » par un groupe d’origine galiléenne est tout simplement la mise en cause du pouvoir romano-hérodien et de ses émules. Et il en est clairement de même, concernant les persécutions des chrétiens et la mort du Christ, dans la première épître aux Thessaloniciens, mise en cause à son tour par la série d’Arte sur les origines du christianisme : 1 Thess 2, 14 : « vous avez imité les Églises de Dieu qui sont en Judée, dans le Christ Jésus, puisque vous aussi avez souffert, de vos propres compatriotes, ce qu’elles ont souffert de la part des Judéens », et non pas, évidemment des juifs en général !


R.P., d’après un article dans Échanges,
Mensuel de l’Église Réformée de France en PACCA,
Billet d’Antibes - Cagnes – Vence, mai 2004